Comment dit-on «moral hazard» en grec ?

Imaginez un jeu simple de pile ou face. Pile, vous gagnez cent francs et face, vous perdez cent francs. Y joueriez-vous ? Plus d’une fois ? Cela dépend de votre perception du risque (ou de la chance, selon le point de vue). Maintenant, imaginez une variante du même jeu : pile, vous gagnez toujours cent francs mais face, c’est votre voisin qui perd cent francs. Y joueriez-vous également ?

Ce comportement – si vous répondez par l’affirmative – est appelé «moral hazard» ou, par approximation, l’aléa moral – soit une prise de risque excessive d’un individu parce qu’il ne subirait pas, lui-même, les conséquences d’un échec. Cette notion est très connue du monde des assurances et daterait du XVIIème siècle. Mais elle est entrée dans le langage médiatique en 2008 durant la crise des subprimes. Elle qualifiait le comportement de certaines banques d’investissement qui prenaient des risques inconsidérés dont elles bénéficieraient directement en cas de succès alors qu’elles seraient renflouées – et donc en ferait supporter les conséquences à l’État – en cas d’échec.

Aujourd’hui, le terme peut entrer dans le monde politique grec. Il décrit à merveille le comportement du Premier ministre Aléxis Tsípras face à l’Union Européenne. Persuadé que celle-ci n’osera finalement jamais exclure ou abandonner un de ses membres, le dirigeant de Syriza poursuit sur sa ligne sans réelle volonté de concession ou de consensus. Plus encore, il se présente systématiquement dans le rôle d’une victime impuissante que l’on voudrait punir et humilier. Sachant que cette humiliation, jusqu’à présent, s’est surtout concrétisée par 230 milliards d’euros versés par la communauté internationale en échange de promesses (plus ou moins illusoires) de réformes que le gouvernement d’Athènes aurait dû entreprendre depuis des décennies, le propos ferait presque sourire. Presque, car il est extrêmement dangereux.

En se posant de la sorte, Aléxis Tsípras souhaite amener ses partenaires européens à une conclusion : il leur sera impossible de récupérer les sommes englouties par la Grèce. Dès lors, autant effacer purement et simplement ces créances et continuer comme si de rien n’était. Un discours renforcé par le constat, objectif, qu’un effondrement de la république hellénique serait dommageable à toute l’Europe.
Mais, en peignant continuellement ses créanciers comme des bourreaux, le Premier ministre grec pourrait, en réalité, les pousser à la conclusion inverse : puisque le gouffre grec ne saurait être comblé, pourquoi poursuivre les efforts pour maintenir, au sein de la zone euro, un partenaire aussi peu fiable ?

Le coup de grâce est venu tôt samedi matin, lorsqu’Aléxis Tsípras a annoncé un référendum sur un éventuel plan de sauvetage supplémentaire. Le prétexte de motivation démocratique ne tient pas un instant. D’abord, parce qu’aucun État démocratique digne de ce nom peut affirmer mettre sur pied une consultation populaire en moins de dix jours. Le constat est d’autant plus évident que les électeurs ne connaissent pas encore aujourd’hui le contenu de l’accord qui leur est soumis. Mais surtout, si cette motivation démocratique était sincère, le gouvernement d’Athènes n’aurait pas attendu le dernier moment pour en parler à ses partenaires et ne l’aurait pas organisé au-delà de la date butoir du 30 juin – date à laquelle le pays sera en cessation de paiement. Cette mascarade n’a, en réalité, qu’un seul but : permettre au leader de la gauche radicale de se laver les mains des conséquences de sa propre politique. Si le peuple accepte le plan de sauvetage, Aléxis Tsípras se défendra d’avoir trahi ses promesses électorales (dont il apparait clairement qu’elles étaient intenables). Si, à l’inverse, le peuple le suit dans la voie de l’isolement, le Premier ministre s’exonérera ainsi de ses responsabilités. Ponce Pilate n’aurait pas fait mieux.

Mais, là aussi, le mouvement n'est pas sans risque. À force d'invoquer, à cor et à cri le droit démocratique du peuple grec de décider de son sort – fût-ce pour le piétiner en réalité – Aléxis Tsípras rappelle surtout que les autres peuples européens n'ont pas non plus été consultés sur les coûts considérables des plans de sauvetage de la Grèce. Si cela devait être le cas, il n'est pas sûr qu'il y ait un vaste soutien à la politique européenne. Une consultation populaire généralisée – particulièrement en Allemagne ou dans les pays nordiques – pourrait, en réalité, se retourner contre le berceau de la démocratie.

En réalité, si la Grèce est au bord du gouffre, ce n’est ni parce que la situation est insolvable ni par la faute de ses partenaires. C’est purement et simplement parce que le gouvernement d’Athènes n’a pas la volonté d’agir comme il le faudrait, au prétexte que ce serait impopulaire et que cela contredirait ses discours utopiques.

Une Suisse en héritage

Nouveau dimanche de campagne – et nouvel échec d’une initiative économique de la gauche. La tendance est telle que cela deviendrait presqu’une habitude et l’ampleur des rejets ne semble pas décourager les initiants. À défaut d’apporter des propositions constructives, ces initiatives ont au moins un mérite : elles illustrent parfaitement le projet de société des partis qui les portent.

Derrière ces initiatives, le raisonnement est souvent le même. Les principaux acteurs de la gauche ressassent sans cesse leur dogme d’une égalité absolue. Ainsi, le nivellement se faisant toujours par le bas, il est bien plus simple de prendre directement pour cible les plus aisés : l’initiative 1:12 – lancée par les Jeunesses Socialistes et soutenue par leurs ainés – en était l’illustration la plus violente. Et, comme toujours, peu importait que la qualité de vie de nos concitoyens n’en serait guère améliorée – et même plutôt péjorée par l’impact négatif sur l’économie. Le bien-être réel de la population est systématiquement sacrifié sur l’autel de l’envie et des velléités de réanimer une lutte des classes depuis longtemps révolue mais dans laquelle la gauche s’est empêtrée, incapable de changer de siècle. Suivant la même logique furent lancées les initiatives pour l’abolition de l’imposition à la dépense et la création d’un impôt fédéral sur les successions.

Outre l’envie, la confiance aveugle et absolue en l’État mobilise la gauche. Ainsi, ses partisans sont intimement persuadés que la force publique est à même de contrebalancer les douloureuses réalités contre lesquelles le collectivisme est, en réalité, impuissant. Le premier exemple, défiant toute logique, était l’initiative pour six semaines de vacances obligatoires. Les mathématiques les plus élémentaires comprennent que l’augmentation des vacances réduit le temps de travail – et donc la création de valeur. Une réduction qui serait donc répercutée sur les travailleurs – ceux-là même que les initiants prétendaient défendre. Mais, contre vents et marées, contre toute logique, les partisans de ce texte affirmaient que l’imposer par la loi ne serait porteur d’aucune conséquence négative ! On ne sait pas trop si la logique abuse de la crédulité de ses porteurs ou si ceux-ci croient le peuple si naïf…

Le 18 octobre, lors des élections fédérales, les candidats socialistes ne défendront pas la «justice sociale» et autres éléments de langage politiquement corrects et creux. Ils seront bel et bien les porteurs de ces projets concrets – et nuisibles aux travailleurs et à notre pays en général. Pour ma part, je préfère m’opposer systématiquement à ces ambitions collectivistes. Les succès de notre histoire viennent d’une vision libérale qui récompense les efforts de chacun. Et c’est cette Suisse que je veux laisser en héritage !

Retrouvez ici le sommaire des votations de ce 14 juin