«J’aime»… à mes risques et périls

Hier, un internaute zurichois a été condamné à 4’000.- d’amende avec sursis pour avoir «liké» plusieurs commentaires jugés diffamatoires. La sanction est une première en Suisse et se veut exemplaire ; elle est, en réalité, une effroyable menace pour nos libertés !

Le tribunal de district de Zurich a rendu, hier, une décision sidérante. Dans son arrêt, la juge a considéré que le simple fait de cliquer sur le bouton «j’aime» revient à faire sien les propos exprimés et à les partager publiquement. Ce faisant, si les propos originaux sont constitutifs d’une atteinte à l’honneur, alors un simple clic est passible d’une condamnation pénale.

Attardons-nous un instant sur la gravité d’une telle conclusion. Supposez être face à un long commentaire exprimé sur un réseau social, avec lequel vous êtes plutôt – mais pas forcément entièrement – d’accord. Considérerons-nous désormais qu’un «like» constituera une adhésion pleine et entière à l’entier du propos, mot pour mot ? Et, plus encore, que vous pouvez être tenu responsable de ce qui a donc été écrit par un tiers ?

Adaptons cette hypothèse au monde réel. Imaginez-vous au sein d’un groupe d’amis, dont l’un tiendrait un propos dérangeant – mettons, par hypothèse, une blague désobligeante à l’endroit d’une autre personne. Si l’on transpose le jugement zurichois, alors le simple fait de rire à ladite blague vous exposerait immédiatement à être déféré pour injure ou diffamation, sans même que vous n’ayez articulé un traître mot !

Plus encore, la juge a considéré que le clic fautif équivalait à propager les propos litigieux. Imaginez donc un instant que vous racontiez, plus ou moins publiquement, ce qui vient de se produire dans notre exemple. Alors, quand bien même vous n’adhéreriez à aucun des propos exprimés, par le simple fait de les rapporter objectivement, vous pourriez – si l’on suit la même logique – être condamné au même titre que son auteur. Cette simple hypothèse devrait, par exemple, faire frémir tout partisan de la liberté de la presse

On voit aisément que la logique ne tient pas. Bien sûr, la diffamation ou les insultes sont, hélas, monnaie courante sur les réseaux sociaux. Et, naturellement, leurs auteurs doivent en assumer – y compris pénalement – leurs responsabilités. Mais de vouloir étendre cette responsabilité à un tiers serait une grave atteinte aux libertés d’expression et d’opinion. Car après tout, selon la même logique, celui qui partagerait un article de presse porterait la même responsabilité que son auteur. Propager une critique ou une enquête deviendrait risqué pour tout un chacun…

Contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse, le jugement zurichois n’est d’ailleurs pas une première au niveau mondial. Il y a deux ans, un journaliste turc avait été lourdement condamné pour avoir «liké» un propos critique vis-à-vis du président Erdogan. Bien que le délit de base soit différent, l’argumentation en étendant la culpabilité à toute personne «likant» ces propos est assez proche de la décision d’hier – et démontre clairement la dangerosité d’une telle logique pour une société libre.

Le jugement rendu hier peut faire l’objet d’un recours. J’espère vivement que ce sera fait, et que le tribunal cantonal cassera la décision de première instance. D’ici là, si vous vous promenez à Zurich et que vous entendez des propos inconvenants, gardez-vous de toute réaction ou de toute expression. Un simple hochement de tête, et les amendes risqueraient de pleuvoir

© Xavier Buaillon

Emmanuel Macron à l’Élysée : la valeur n’attend point le nombre des années ?

Lors de la passation de pouvoir de dimanche, c’est l’expression qui revenait sans cesse dans la bouche des différents commentateurs : à 39 ans à peine, Emmanuel Macron est le plus jeune Président de l’histoire française, et l’un des plus jeunes chefs d’État au monde. Si le fait est exact, il n’est pas tout à fait motif de réjouissance.

Lors de la campagne électorale, l’âge d’Emmanuel Macron était un argument généralement réservé à ses opposants. On lui reprochait ainsi son inexpérience, et, plus subtilement, une sorte de manque de maturité – l’âge étant, pour ces critiques, la marque ultime de la sagesse. Le candidat d’En Marche préférait présenter sa carrière déjà fort remplie – tant dans le secteur privé qu’à certaines des plus hautes responsabilités de l’État – pour tenter d’atténuer le reproche.
En effet, on peut penser qu’Emmanuel Macron n’a pas été élu du fait de son jeune âge, mais bien malgré son jeune âge.

© Lorie Shaull
Affiches de campagne – © Lorie Shaull

Face aux soupçons et aux affaires qui ont jeté le trouble sur les politiciens, de gauche comme de droite, au cours des dernières années, l’expérience politique est devenue suspecte. Dans l’imaginaire collectif, le temps passé au pouvoir est forcément rempli de tentations fautives ; plus longue est l’exposition, plus grand est donc le risque d’y avoir cédé. Ainsi, alors que les présidents précédents avaient assis leur élection sur leur expérience, les citoyens semblent désormais choisir l’inexpérience : elle offre une sorte de gage d’honnêteté par défaut d’opportunité.

La jeunesse du nouveau président est, en réalité, le symbole d’une classe politique en déliquescence. L’élection d’Emmanuel Macron – cela a été largement rappelé – démontre surtout la faillite des partis politiques traditionnels, écartés dès le premier tour. Il a su incarner – certes, avec habileté – le seul renouveau face à une extrême-droite renforcée. Si la chance n’est pas à exclure, c’est bien le rejet des autres qui a permis au candidat d’En Marche de conquérir l’Élysée…

© Franz Johann Morgenbesser
Sebastian Kurz – © Franz Johann Morgenbesser

Quelques heures à peine après l’investiture d’Emmanuel Macron, le parti autrichien ÖVP – le parti historique de droite depuis 1945 – a désigné son nouveau président : Sebastian Kurz, à peine 30 ans, et déjà ministre des Affaires étrangères depuis plus de 3 ans.
Le rapprochement est plus qu’anecdotique. En 2016, lors des élections présidentielles, les Autrichiens avaient également écarté les deux principaux partis dès le premier tour. Le SPÖ (socio-démocrate) avait fini 4ème ; l’ÖVP 5ème – tous deux avec environ 11% des suffrages. Au deuxième tour, les électeurs ont donc dû départager un indépendant de 73 ans, Alexander Van der Bellen (ancien membre des Verts) et le leader de l’extrême-droite, Norbert Hofer.

Il semble désormais, en Autriche comme en France, que le critère de l’âge s’efface en regard des autres problèmes que traverse la classe politique. Mais ne nous leurrons pas : il s’agit bel et bien d’un choix par défaut, qui ne devrait apporter nul optimisme sur la santé de la démocratie…

God save the trade : le vrai coût du Brexit

Theresa May traverse des temps difficiles. Alors que les discussions sur le Brexit viennent d’être entamées, le torchon brûle déjà entre Bruxelles et Londres sur la facture de 100 milliards d’euros que l’Union Européenne souhaiterait présenter au Royaume-Uni pour solder sa participation dans la construction commune – un montant qui a rapidement fait hurler les responsables britanniques. Et pourtant, en réalité, il importe peu…

La facture totale présentée à Theresa May devrait solder les engagements la part du Royaume-Uni dans les engagements pris par l’UE. Si le chiffre de 100 milliards d’euros a été régulièrement évoqué, la réalité – nette des recettes futures auxquels Londres renonce en sortant de l’UE – devrait plutôt avoisiner 60 milliards d’euros, selon les analyses du Financial Times et du think-tank Bruegel.Un montant, étalé sur une dizaine d’années, qui reste relativement modeste. En effet, les partisans de la sortie de l’Union Européenne affirmaient que leur pays économiserait 50 millions de livres Sterling par jour, soit presque 22 milliards d’euros par an. À ce rythme-là, le solde des comptes ne sera rapidement qu’une goutte d’eau face aux économies invoquées – d’autant plus dans un budget annuel britannique de plus de 900 milliards d’euros.

© Vote Leave

Le commerce…

Mais se concentrer sur cette facture serait une erreur. Le vrai coût du Brexit est ailleurs. En sortant des traités, le Royaume-Uni devra renégocier l’entier des accords qui le lient avec le continent – en particulier en matière de libre-échange. Chaque année, environ 170 milliards d’euros de produits et services sont exportés des îles britanniques en direction de l’UE. L’introduction de droits de douane à hauteur de 5% – soit, en moyenne, ce que Bruxelles impose à la Chine ou aux États-Unis – coûterait au commerce britannique huit milliards et demi d’euros par année. Bien plus cher, sur une décennie, que la facture que souhaite présenter la commission européenne.

…et les emplois

Plus encore, l’économie britannique pourrait être profondément ébranlée par un ralentissement du commerce avec le reste de l’Europe. Un exemple est symbolique : l’usine Vauxhall d’Ellesmere Port, depuis peu dans les mains de Peugeot suite au rachat de la marque Opel. Située à quelques kilomètres au sud de Liverpool, elle importe de l’UE trois quarts de ses composants. À l’inverse, 80% de ses 187’000 véhicules produits chaque année sont vendus sur le continent. La moindre tension sur les échanges commerciaux menacerait sérieusement l’avenir du site – et de ses 2’100 employés.

Ellesmere Port est loin d’être un cas isolé. L’industrie britannique s’est développée grâce à des décennies de libre-échange avec le continent. Un coup de frein brutal aurait inévitablement des retombées économiques désastreuses, tant financièrement qu’en termes d’emplois – un prix politique probablement bien plus douloureux que les livres Sterling.

© Peter Craine (Creative Commons)

Au final, Britanniques et Européens négocieront sans doute âprement la facture finale présentée au Royaume-Uni. Mais le vrai coût du Brexit, lui, serait celui d’un ralentissement des échanges commerciaux entre les futurs divorcés – et il est autrement plus élevé et plus terrifiant que quelques dizaines de milliards d’euros.