La liberté des uns s’arrête où commence le droit (de grève) des autres…

Jeudi passé, 9 juillet 2015, la ville de Londres était paralysée par une grève des employés du métro. Aucune rame ne circulait – contraignant les trois millions et demi de passagers journaliers d’utiliser d’autres moyens de déplacement. Entre bus surchargés et routes congestionnées par un trafic inhabituel causant plus de 1’300 kilomètres de bouchons, le chaos était total. En réaction, le gouvernement a proposé une réforme du droit de grève – faisant bondir les syndicats britanniques.

Le droit de grève est une composante essentielle du dialogue social. Il permet au travailleur de «voter avec les pieds» – c’est-à-dire d’affirmer par ses actes son opposition à son employeur. Une liberté n’existant pas sans responsabilité, cette cessation de travail légitime ne peut être dissociée d’une renonciation au salaire qui l’accompagne. Dans certains pays, la grève est indissociable des négociations professionnelles alors que dans d’autres, la paix du travail est un élément-clé du partenariat social.

Mais – les syndicats l’oublient trop souvent – face au droit de grève, il existe un autre droit tout aussi important : celui de travailler. On ne peut réclamer le droit à une action sociale en forçant celui qui ne le souhaiterait pas à la rejoindre. Hélas, trop souvent des piquets de grèves sont mis en place pour empêcher les travailleurs non-grévistes d’agir librement – piétinant ainsi les droits des travailleurs pourtant souvent invoqués pour justifier le mouvement social. Un tel comportement est inacceptable et la loi doit – par les mesures nécessaires – l’empêcher !


(Grève du 26 décembre 2011 à Londres © Editor5807)

Plus encore, la liberté de travailler est souvent menacée par un autre abus du droit de grève : celui des employés des services publics. Affirmant – souvent à juste titre – leur nécessité au bon fonctionnement de l’ensemble de la société, les travailleurs des services d’urgence, de santé, d’éducation ou de transport, par exemple, réclament un cadre particulier : avantages salariaux, sécurité de l’emploi ou régimes particuliers de retraite par exemple. Ces revendications sont basées sur des arguments légitimes. Mais ces mêmes arguments exigent donc que leur droit de grève soit limité afin de garantir un service public minimum – que ces mêmes travailleurs qualifient d’essentiel.

Si l’on doit reconnaître – et même garantir – le droit de grève de façon générale, il est aussi nécessaire de l’encadrer afin, précisément, que son usage ne permette pas d’opprimer ceux qui ne souhaitent pas y avoir recours. La liberté de celui qui s’oppose ne doit pas s’opposer à la liberté de chacun !

Comment dit-on «moral hazard» en grec ?

Imaginez un jeu simple de pile ou face. Pile, vous gagnez cent francs et face, vous perdez cent francs. Y joueriez-vous ? Plus d’une fois ? Cela dépend de votre perception du risque (ou de la chance, selon le point de vue). Maintenant, imaginez une variante du même jeu : pile, vous gagnez toujours cent francs mais face, c’est votre voisin qui perd cent francs. Y joueriez-vous également ?

Ce comportement – si vous répondez par l’affirmative – est appelé «moral hazard» ou, par approximation, l’aléa moral – soit une prise de risque excessive d’un individu parce qu’il ne subirait pas, lui-même, les conséquences d’un échec. Cette notion est très connue du monde des assurances et daterait du XVIIème siècle. Mais elle est entrée dans le langage médiatique en 2008 durant la crise des subprimes. Elle qualifiait le comportement de certaines banques d’investissement qui prenaient des risques inconsidérés dont elles bénéficieraient directement en cas de succès alors qu’elles seraient renflouées – et donc en ferait supporter les conséquences à l’État – en cas d’échec.

Aujourd’hui, le terme peut entrer dans le monde politique grec. Il décrit à merveille le comportement du Premier ministre Aléxis Tsípras face à l’Union Européenne. Persuadé que celle-ci n’osera finalement jamais exclure ou abandonner un de ses membres, le dirigeant de Syriza poursuit sur sa ligne sans réelle volonté de concession ou de consensus. Plus encore, il se présente systématiquement dans le rôle d’une victime impuissante que l’on voudrait punir et humilier. Sachant que cette humiliation, jusqu’à présent, s’est surtout concrétisée par 230 milliards d’euros versés par la communauté internationale en échange de promesses (plus ou moins illusoires) de réformes que le gouvernement d’Athènes aurait dû entreprendre depuis des décennies, le propos ferait presque sourire. Presque, car il est extrêmement dangereux.

En se posant de la sorte, Aléxis Tsípras souhaite amener ses partenaires européens à une conclusion : il leur sera impossible de récupérer les sommes englouties par la Grèce. Dès lors, autant effacer purement et simplement ces créances et continuer comme si de rien n’était. Un discours renforcé par le constat, objectif, qu’un effondrement de la république hellénique serait dommageable à toute l’Europe.
Mais, en peignant continuellement ses créanciers comme des bourreaux, le Premier ministre grec pourrait, en réalité, les pousser à la conclusion inverse : puisque le gouffre grec ne saurait être comblé, pourquoi poursuivre les efforts pour maintenir, au sein de la zone euro, un partenaire aussi peu fiable ?

Le coup de grâce est venu tôt samedi matin, lorsqu’Aléxis Tsípras a annoncé un référendum sur un éventuel plan de sauvetage supplémentaire. Le prétexte de motivation démocratique ne tient pas un instant. D’abord, parce qu’aucun État démocratique digne de ce nom peut affirmer mettre sur pied une consultation populaire en moins de dix jours. Le constat est d’autant plus évident que les électeurs ne connaissent pas encore aujourd’hui le contenu de l’accord qui leur est soumis. Mais surtout, si cette motivation démocratique était sincère, le gouvernement d’Athènes n’aurait pas attendu le dernier moment pour en parler à ses partenaires et ne l’aurait pas organisé au-delà de la date butoir du 30 juin – date à laquelle le pays sera en cessation de paiement. Cette mascarade n’a, en réalité, qu’un seul but : permettre au leader de la gauche radicale de se laver les mains des conséquences de sa propre politique. Si le peuple accepte le plan de sauvetage, Aléxis Tsípras se défendra d’avoir trahi ses promesses électorales (dont il apparait clairement qu’elles étaient intenables). Si, à l’inverse, le peuple le suit dans la voie de l’isolement, le Premier ministre s’exonérera ainsi de ses responsabilités. Ponce Pilate n’aurait pas fait mieux.

Mais, là aussi, le mouvement n'est pas sans risque. À force d'invoquer, à cor et à cri le droit démocratique du peuple grec de décider de son sort – fût-ce pour le piétiner en réalité – Aléxis Tsípras rappelle surtout que les autres peuples européens n'ont pas non plus été consultés sur les coûts considérables des plans de sauvetage de la Grèce. Si cela devait être le cas, il n'est pas sûr qu'il y ait un vaste soutien à la politique européenne. Une consultation populaire généralisée – particulièrement en Allemagne ou dans les pays nordiques – pourrait, en réalité, se retourner contre le berceau de la démocratie.

En réalité, si la Grèce est au bord du gouffre, ce n’est ni parce que la situation est insolvable ni par la faute de ses partenaires. C’est purement et simplement parce que le gouvernement d’Athènes n’a pas la volonté d’agir comme il le faudrait, au prétexte que ce serait impopulaire et que cela contredirait ses discours utopiques.

Une Suisse en héritage

Nouveau dimanche de campagne – et nouvel échec d’une initiative économique de la gauche. La tendance est telle que cela deviendrait presqu’une habitude et l’ampleur des rejets ne semble pas décourager les initiants. À défaut d’apporter des propositions constructives, ces initiatives ont au moins un mérite : elles illustrent parfaitement le projet de société des partis qui les portent.

Derrière ces initiatives, le raisonnement est souvent le même. Les principaux acteurs de la gauche ressassent sans cesse leur dogme d’une égalité absolue. Ainsi, le nivellement se faisant toujours par le bas, il est bien plus simple de prendre directement pour cible les plus aisés : l’initiative 1:12 – lancée par les Jeunesses Socialistes et soutenue par leurs ainés – en était l’illustration la plus violente. Et, comme toujours, peu importait que la qualité de vie de nos concitoyens n’en serait guère améliorée – et même plutôt péjorée par l’impact négatif sur l’économie. Le bien-être réel de la population est systématiquement sacrifié sur l’autel de l’envie et des velléités de réanimer une lutte des classes depuis longtemps révolue mais dans laquelle la gauche s’est empêtrée, incapable de changer de siècle. Suivant la même logique furent lancées les initiatives pour l’abolition de l’imposition à la dépense et la création d’un impôt fédéral sur les successions.

Outre l’envie, la confiance aveugle et absolue en l’État mobilise la gauche. Ainsi, ses partisans sont intimement persuadés que la force publique est à même de contrebalancer les douloureuses réalités contre lesquelles le collectivisme est, en réalité, impuissant. Le premier exemple, défiant toute logique, était l’initiative pour six semaines de vacances obligatoires. Les mathématiques les plus élémentaires comprennent que l’augmentation des vacances réduit le temps de travail – et donc la création de valeur. Une réduction qui serait donc répercutée sur les travailleurs – ceux-là même que les initiants prétendaient défendre. Mais, contre vents et marées, contre toute logique, les partisans de ce texte affirmaient que l’imposer par la loi ne serait porteur d’aucune conséquence négative ! On ne sait pas trop si la logique abuse de la crédulité de ses porteurs ou si ceux-ci croient le peuple si naïf…

Le 18 octobre, lors des élections fédérales, les candidats socialistes ne défendront pas la «justice sociale» et autres éléments de langage politiquement corrects et creux. Ils seront bel et bien les porteurs de ces projets concrets – et nuisibles aux travailleurs et à notre pays en général. Pour ma part, je préfère m’opposer systématiquement à ces ambitions collectivistes. Les succès de notre histoire viennent d’une vision libérale qui récompense les efforts de chacun. Et c’est cette Suisse que je veux laisser en héritage !

Retrouvez ici le sommaire des votations de ce 14 juin

Pour le plus beau sourire du monde

 

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Le 21 mai, le Tribunal fédéral a cassé un jugement saint-gallois accordant la double paternité à deux hommes ayant eu recours à une mère porteuse américaine – pays où la gestation pour autrui est légale. Si cette décision est cohérente avec le droit en vigueur et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (hélas plutôt floue sur le sujet), elle met néanmoins en exergue une faille qu’il faut combler.

La question posée est plutôt simple : quelles personnes doivent être reconnues comme parents ? Et, en réalité, la réponse est également plutôt simple. Elle nécessite la simple admission d’un point de départ : de tous les aspects possibles, l’intérêt de l’enfant est prioritaire. C’est donc suivant cette perspective qu’il faut trancher.

La première concernée est la mère porteuse. Doit-elle être reconnue en tant que parente ? De par le rôle qu’elle a choisi, elle ne souhaite entretenir aucun lien avec l’enfant après sa naissance. Ce n’est pas elle qui l’élèvera ; ce n’est pas elle qui l’entretiendra. Plus encore, dans le pays où elle réside, l’acte de naissance officiel ne la considère pas comme mère juridique. Elle ne pourrait se voir imposer aucune obligation de garde ou d’entretien. Et, à l’inverse, l’enfant ne sera pas considéré comme le sien en matière d’héritage, par exemple. Dès lors, toute reconnaissance en Suisse serait vide de sens.

Le premier père est le père biologique de l’enfant. De plus, il est l’un de ceux qui va l’élever et l’éduquer. Ces deux éléments démontrent sans aucun doute possible le lien familial qui existe. Par ailleurs, la jurisprudence est (heureusement) extrêmement claire sur ce point. Sa reconnaissance est indiscutable et évidente.

Finalement, il faut considérer le deuxième père – celui qui n’a aucun lien biologique. Vivant en ménage avec son partenaire et élevant conjointement leur enfant, il ne fait aucun doute que les trois forment une famille. En cas de décès de son compagnon, le bon sens le plus élémentaire le désigne comme celui qui s’occuperait de cet enfant. C’est évidemment l’intérêt prioritaire de ce dernier. À l’inverse, si ce père devait décéder, l’évidence et la justice morale désigneront l’enfant comme son héritier. Or, ces deux éléments ne peuvent être garantis que par la reconnaissance officielle de ce père comme parent. Elle en est donc nécessaire.

Quelques arguments pourraient être opposés à cette logique. Les plus fréquemment évoqués remarquent qu’en se rendant dans un pays où la gestation pour autrui est légale, ces deux hommes ont contourné son interdiction en Suisse. Ce faisant, ils oublient que le droit national ne franchit, par définition, pas les frontières et qu’on ne peut sanctionner quelqu’un pour avoir fait à l’étranger ce qui y est permis. Mais, parmi les nombreuses raisons qui écartent ce raisonnement, une s’impose devant toutes : cet enfant est là. Il n’est pas une marchandise mais un être humain. On ne peut donc pas, en toute humanité, vouloir «punir» ses parents au détriment de l’intérêt essentiel de cet enfant – celui qui compte le plus et dont la protection est le devoir de la société.

Ce ne sont pas quelques minutes de sueur et quelques mois de gestation qui font un parent. C’est, au contraire, élever un enfant, s’en occuper et l’aimer qui définissent la parenté. En écartant tout conservatisme, en réfléchissant simplement avec humanité et en ayant à coeur d’abord et avant tout l’intérêt de l’être le plus faible et donc le plus digne de protection – l’enfant – les conclusions sont simples. Il faut donc adapter le droit en ce sens et donc, enfin, autoriser l’adoption des enfants de son conjoint !

 
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Uniting Kingdom

La majorité du parlement réunie derrière David Cameron – analyse d'une élection inattendue

 

Le 7 mai, le peuple britannique s’est rendu aux urnes. L’enjeu était capital : il s’agissait de renouveler intégralement la Chambre des Communes et, indirectement, désigner le Premier Ministre qui allait présider aux destinées du Royaume-Uni. La campagne fut animée par le débat sur l’austérité et le retour à l’équilibre budgétaire, mais aussi par l’éternelle question de l’indépendance écossaise, véritable serpent de mer de la politique outre-Manche. En outre, le rôle des petits partis fait toujours débat dans un pays habitué aux majorités claires.

Mais à la surprise générale, les Conservateurs de David Cameron ont obtenu, seuls, la majorité à la Chambre des Communes – leur permettant ainsi de gouverner seuls, sans avoir à satisfaire des alliés plus ou moins récalcitrants. Le Premier Ministre est ainsi, selon ses propres mots, à la tête d’un gouvernement davantage responsable, puisqu’il mène la politique qu’il décide, sans compromis, et donc sans bouc émissaire. Mais avant de voir comment cela se concrétisera à l’avenir, ces élections peuvent nous apporter quelques leçons.

 

La question des sondages

 

Alors que tous prédisaient un parlement déchiré et désuni, où les coalitions seraient difficiles à établir et plus encore à maintenir, les Conservateurs ont obtenu, seuls, une majorité claire. Impossible, alors, d’ignorer la question des sondages – et les fortes critiques qui se sont abattues sur les divers instituts dès la fin du scrutin. Mais, en réalité, les torts sont partagés.

Pour mieux comprendre, intéressons-nous aux deux résultats des sondages : la répartition des votes, et celle des élus.

Si l’on prend la dernière vague de sondages (publiés début mai), on voit très clairement que les prédictions en terme de voix sont relativement précises. Mais hélas, ce furent rarement ces sondages qui firent les titres de la presse.

Mais le Royaume-Uni ne connait pas le scrutin proportionnel. Le pays est donc découpé en 650 circonscriptions qui, chacune, enverront un parlementaire à Westminster. Plus encore, le système britannique prévoit l’élection en un seul tour. Autrement dit, le candidat qui reçoit le plus de voix dans une circonscription est élu – quand bien même il ne représenterait qu’une part réduite des citoyens. La clé n’est donc pas tant la popularité d’un parti au sein de la population, mais bel et bien la situation géographique de ses sympathisants. Ainsi, avec 36.9% des électeurs, les Conservateurs auraient pu obtenir l’intégralité des sièges (si le profil de l’ensemble des circonscriptions était identique, par exemple) ou strictement aucun.

Or, c’est cet élément – la situation géographique des électeurs – qui est impossible à estimer dans un sondage établi sur quelques milliers de participants. Obtenir davantage de précision quant au nombre d’élu nécessiterait des sondages par circonscription – et donc davantage de moyens. Si cette option est réalisable le jour du scrutin à la sortie des bureaux de vote (où les instituts placent des sondeurs dans quelques circonscriptions-clés et infèrent des résultats pour l’ensemble du pays), elle n’est pas vraiment réalisable de façon anticipée. Ainsi, l’erreur ne se trouve probablement pas tant dans les sondages eux-mêmes que dans les conclusions erronées que certains ont pu en tirer.

 

Le système électoral

 

Mais il est impossible de parler de la différence entre la répartition des voix et celle des élus sans s’interroger sur le système lui-même. 650 circonscriptions appliquant le scrutin majoritaire uninominal à un seul tour sont-elles capables de représenter l’ensemble des citoyens ? Nigel Farage en doutait peu après son échec électoral, relevant que des millions d’électeurs sont ainsi ignorés. En effet, près de 3.9 millions de britanniques ont glissé un bulletin UKIP dans les urnes. Mais seuls les 19’642 de Clacton ont été utiles à l’élection d’un parlementaire ; le reste aurait pu rester à la maison sans que le résultat ne change…

En comparant les résultats du vote populaire et la composition des chambres basses des parlements, on peut ainsi observer les écarts entre volonté des électeurs et résultats finaux. Sans surprise, les pays pratiquant l’élection par circonscription (Royaume-Uni, mais également États-Unis et France) sont ceux où les divergences sont les plus importantes. À l’inverse, les systèmes suisses et allemands sont relativement fidèles – même si les quorums nécessaires peuvent parfois exclure les petits partis, donnant ainsi une représentation plus favorable aux plus grands. C’est notamment le cas en Allemagne à la suite de l’exclusion des libéraux du FDP. Enfin, le cas de l’Italie est particulier. Le pays utilise certes le scrutin proportionnel, mais le biaise pour assurer une majorité des sièges à la coalition en tête – au détriment des autres partis.

De manière générale, le découpage en de nombreuses circonscriptions électorales est souvent l’héritage du passé – à l’époque ou organiser un scrutin à grande échelle était généralement impossible. Mais aujourd’hui, force est de constater à quel point ce système est démocratiquement douteux.

 

Les coalitions au pouvoir

 

Les grands perdants des élections britanniques sont, sans nul doute, les Libéraux-Démocrates menés par Nick Clegg. Avec 57 parlementaires, ils étaient des alliés nécessaires pour les Conservateurs de David Cameron, incapables d’obtenir la majorité à eux seuls. Forts de ce rôle, ils ont fait campagne dans le but de maintenir cette position : leur slogan électoral étant l’idée de donner un coeur à un gouvernement conservateur et un cerveau à un gouvernement travailliste.


(© Liberal Democrats)

Mais les citoyens n’en ont pas voulu ainsi. Près de deux tiers des électeurs des «LibDems» se sont tournés vers d’autres candidats et seuls 8 parlementaires ont réussi à se maintenir à la Chambre des Communes. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans en rappeler une autre, à peine deux ans auparavant.

En Allemagne en 2013 comme au Royaume-Uni en 2015, les libéraux (FDP ou Libéraux-Démocrates respectivement) sont les alliés minoritaires des conservateurs de droite au pouvoir. Cette position d’alliés nécessaires leur donne certes un poids bien supérieur à ce qu’ils pourraient espérer seuls. Mais, forcés d’assumer un bilan politique essentiellement décidé par leurs partenaires, ces partis sont souvent désavoués par leurs électeurs lors des prochaines échéances. Préférant sans doute l’original à la copie, c’est bien au leader de ces coalitions que les citoyens choisissent de donner leurs voix. Ainsi, quels que soient les résultats de l’opposition de gauche, lorsqu’ils sont partenaires minoritaires des conservateurs, les libéraux perdent la majeure partie de leur électorat au profit de leurs alliés.

 

Les responsabilités

 


(© Ed Miliband & © Liberal Democrats)

Alors que le dépouillement n’était même pas encore terminé, face à leurs échecs respectifs, les leaders travaillistes et libéraux-démocrates, Ed Miliband et Nick Clegg, présenté leur démission. Bien qu’eux-mêmes réélus, ils ont tous deux, séparément, annoncés qu’ils assumaient personnellement la responsabilité des résultats et qu’ainsi, de nouveaux leaders étaient nécessaires à leurs partis. Tous deux ont remercié ceux qui s’étaient engagés à leurs côtés dans cette campagne et ont réaffirmé leurs convictions en leurs idées. Mais ce seront désormais d’autres qui prendront la tête de leurs formations.


(© Gage Skidmore)

À l’inverse, Nigel Farage a présenté sa démission sous un jour très différent. S’annonçant soulagé d’un grand poids à la fin de cette longue et éprouvante campagne, le leader du UKIP s’est lancé dans une critique (certainement justifiée, voir ci-dessus) contre le système électoral. Fidèle à sa promesse, il a également annoncé qu’il quittait la tête de son parti. Mais, moins catégorique que ses deux homologues, il a affirmé qu’il pourrait se présenter à sa propre succession lors des élections internes à son parti en septembre. C’est certes un changement majeur pour Nigel Farage, mais il pourrait n’être que temporaire. Le leader indépendantiste s’est conservé une perspective de retour – quand bien même il avait écrit en mars qu’il ne serait pas crédible pour un absent de la Chambre des Communes de diriger ce parti…

 


(© David Cameron & © SNP)

Enfin, les grands gagnants sont, sans nul doute, David Cameron lui-même, maintenu et même renforcé à son poste de Premier Ministre, et Nicola Sturgeon. Cette dernière avait accédé à la tête du parti indépendantiste écossais (le SNP) après la démission d’Alex Salmond à la suite de son échec lors du référendum pour l’indépendance de cette nation constitutive du Royaume-Uni.  Mais bien que victorieuse, elle ne siègera pas à Westminster. Menant le parti majoritaire au parlement local, elle occupe le poste de Premier Ministre d’Écosse.

Ces changements à la tête des principaux partis sont loin d’être anecdotiques. En cas de victoire électorale, ce sont eux qui sont destinés à occuper les premières places. Et leur désignation n’a rien d’un vote interne symbolique – on oublie trop souvent que c’est un scrutin interne qui a expulsé Margaret Thatcher du 10 Downing Street…

 

Au nom du Père et du fisc

Les récentes élections cantonales et les sondages en vue des élections fédérales de cet automne montrent une claire tendance à un renforcement des grands partis au détriment des petits. Sans l’admettre ouvertement, les responsables de ces derniers semblent plutôt inquiets face à leur avenir immédiat. Une exception confirme la règle : quasi-inconnu en Suisse romande et ignoré des instituts de sondage, le parti évangélique semble aujourd’hui avoir le vent en poupe. Outre un siège gagné au Grand Conseil zurichois (ce qui le place devant le PBD et à un siège du PDC), c’est surtout son influence sur les prochaines votations qui est remarquable.

On le mentionne rarement, mais c’est bien ce petit parti qui était à l’origine de l’initiative pour imposer les successions (soumise au peuple le 14 juin prochain) avant d’être rejoint par le PS et les Verts. Le PEV a trouvé là des relais à sa proposition. Mais, plus encore, il s’est ainsi affirmé comme une force de gauche au même titre que ses deux concurrents – un succès impressionnant pour un parti comptant seulement deux conseillers nationaux et 40 députés. Renforcé par la campagne qui débute, le parti va certainement s’imposer comme une nouvelle force à gauche et, peut-être, comme une alternative au parti socialiste !

Mais le PEV ne s’arrête pas là ; il se profile aussi fortement comme fer-de-lance de l’opposition au diagnostic préimplantatoire (également au menu des prochaines votations fédérales). Deux surprises dans ce début de campagne vont lui donner un nouvel élan. La première venait de sa droite : le 25 avril, les délégués du PDC se sont prononcés à 60% en faveur de l’article constitutionnel soumis au peuple. Les démocrates-chrétiens ont ainsi nettement tranché avec l’image de catho-conservateurs qui leur colle à la peau et renoncé à prendre place aux côtés de l’UDC dans l’opposition au progrès. Plus surprenant encore, malgré le soutien quasi-unanime de ses parlementaires (un seul sur 53 s’est opposé lors des votes finaux), le même jour, le parti socialiste a privilégié la liberté de vote sur cet objet, s’abstenant de prendre position. Suscitant l’étonnement de beaucoup, ce choix démontre surtout qu’il existe aussi, à gauche de l’échiquier, une tendance nettement moins progressiste que ce que revendiquent les directions politiques.

En se positionnant pour les prochaines votations fédérales, le parti évangélique a bien de la place : libéré de la concurrence religieuse du PDC contre le diagnostic préimplantatoire, soutenu sur ce même thème par une forte partie des socialistes et meneur des partisans d’un impôt fédéral sur les successions, le PEV s’est ainsi trouvé un créneau clair et distinct du reste de la mêlée. Concrétisera-t-il cela pour devenir une nouvelle alternative conservatrice, religieuse et socialiste ? La réponse sera connue le 18 octobre. 

 
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Éloge de la volonté

Certains affirment que le combat libéral n’est plus nécessaire. Qu'à l'inverse des barbares assassins qui frappent aveuglément, nous vivons, nous, sur une terre de libertés. Que celles-ci, à force de révolutions et de batailles, ont été gagnées par un peuple aujourd’hui affranchi de ses maîtres passés. Que chacun est désormais libre de ses choix et de son destin. Et donc, arguent-ils, que nos libertés sont à présent garanties, qu’il n’est plus nécessaire de les réclamer ou de les défendre ; que le temps est, maintenant, à d’autres débats et à d’autres enjeux. En vérité, il n’en est rien !

Cette escroquerie repose sur une erreur fondamentale : croire – sincèrement peut-être, mais aveuglément certainement –  que la liberté est la terre du possible. En d’autres termes, que celui qui peut, par ce simple potentiel, est donc libre. Mais qu’il serait bien avisé de se réjouir de cette éventualité, d’en tirer fierté et satisfaction, sans devoir pour autant ressentir le besoin de l’explorer.

Ainsi, la liberté d’expression est une valeur essentielle à notre société. Nulle démocratie, nul état de droit, nulle justice sans elle. La défendre ouvertement est devenu aujourd’hui une telle habitude qu’il semble presque qu’elle a toujours été présente comme une évidence indétrônable. Et pourtant, pour peu qu’un esprit contradicteur s’aventure dans un débat sensible ou qu’une imagination facétieuse use de quelque provocation dans ses traits d’esprit, les mêmes défenseurs auto-proclamés de la liberté d’opinion sont souvent prompts à regretter cette parole devenue encombrante. Tout comme un silence suivant du Mozart est encore de la musique, ils pensent que le mutisme est le meilleur usage de la liberté d’expression. Sous couvert de bons sentiments, ils en sont les fossoyeurs.


Il en va de cette liberté comme de tant d’autres : vantée par les conservateurs mais étouffée dès lors que ses actions ne suivent pas le sens de la foule, le sens de ce qui a toujours été, le sens du passé. Dans le monde du conformisme, les libertés ne se réclament pas plus qu’elles ne s’utilisent. On les établit comme des pièces de musée, enfermées derrière des vitrines, que chacun devra juger bon d’admirer, mais de ne surtout pas avoir l’outrecuidance d’effleurer et encore moins de les manipuler.

La liberté n’est pas une hypothèse, c’est une action. Être libre, c’est prendre son destin en main plutôt que de désirer sans entreprendre. Sénèque l’écrivait ainsi à Lucilius «Quand tu auras désappris à espérer, je t'apprendrai à vouloir.».


Trop souvent aujourd’hui, la volonté se brise sur l’écueil de l’égalitarisme – cette tendance au nivellement, forcément par le bas, afin que chacun se retrouve à l’identique. En la suivant, nul besoin de détermination, nul intérêt à entreprendre : il suffit d’attendre que d’autres agissent pour réclamer ensuite les mêmes avantages. Une demande vite confortée par des escadrilles de bien-pensants – jamais aussi généreux que lorsqu’il s’agit de distribuer ce qui ne leur appartient pas. La sclérose de leur pensée est de soutenir qu’il convient mieux d’exiger ce qu’a l’autre, plutôt que chercher à l’obtenir par soi-même. Car, comme le relevait Henry Becque, «le défaut de l’égalité, c’est que nous ne la désirons qu’avec nos supérieurs».


Ajoutée à cette vision primitive, incapable de percevoir la valeur de la différence et la richesse de la diversité, l’égalitarisme entrave les individus et paralyse leur volonté. Il ne mène qu’à une identité universelle dont on ne saurait déroger. Sous prétexte de solidarité, il sonne le glas des libertés.

Aujourd’hui, le joug qui nous menace est devenu insidieux. Il ne nous empêche pas de réclamer notre affranchissement. Au contraire, il s’en proclame le renfort en nous assurant l’autonomie de nos décisions. Mais, silencieusement, perfidement, il nous reprend ce qu’il feint de protéger ouvertement. Chantre du bien commun et du politiquement correct, il présente les libertés non pour émanciper mais pour asservir. Ainsi, il nous trouve bien avisés de renoncer à trop vouloir, à vouloir ce que ne veulent pas les autres, à vouloir par nous-mêmes plutôt que par les autres. Le joug nouveau est certes moins visible ; il en est encore plus pesant. C’est celui que nous imposent ceux qui veulent nous faire rentrer dans le rang.

Aujourd’hui, revendiquer les libertés, c’est les défendre. C’est réaffirmer le droit qu’a chacun de disposer de lui-même. Plus encore, c’est rappeler les mots de Guy Bedos, selon qui «la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas». C’est encourager chacun à être lui-même, à aller jusqu’au bout de ses aspirations, à ne pas se restreindre par les échecs des autres, mais bien à viser plus haut et plus loin. Aujourd’hui, défendre les libertés, c’est faire l’éloge de la volonté !

 

 

Myopie et politique

La politique, c’est un certain regard sur le monde et la volonté le défendre ou le transformer. Mais hélas, à l’image de la vue des hommes, ce regard est parfois affecté par une malformation ou une maladie…

Il y a peu, le PLR a proposé ses mesures pour lutter contre les effets du franc fort. Parmi celles-ci se trouvait notamment une TVA à taux unique – taux pouvant être abaissé en cas de crise économique pour relancer la croissance. Interrogé à ce sujet, un représentant de la FRC accueillait froidement cette idée, doutant que cette baisse soit pleinement répercutée sur le consommateur.
Inconsciemment, cet intervenant a fait preuve de myopie politique. Il ne regarde que de très près le consommateur qu’il souhaite défendre. Ainsi, il ne voit pas que celui-ci fait plus que de consommer. C’est souvent également un travailleur – son labeur lui permettant de financer ses dépenses. Ainsi, une mesure de relance économique ne profitera pas nécessairement à son porte-monnaie lorsqu’il fait ses courses. Et pourtant, en soulageant les entreprises, elle permet de sauvegarder de nombreux emplois – et, avec eux, de nombreux salaires. Au final, le porte-monnaie des individus est sauvegardé. La réelle défense du consommateur est là, pour peu qu’on voit l’entier de l’individu, et non seulement celui qui présente sa carte de fidélité à la caisse de son supermarché.

Dès que l’on obtient une vue d’ensemble, les raisonnements simplistes exposent leurs failles. Réduire les individus à un seul aspect est une faiblesse de réflexion évidente. Comment dissocier celui qui travaille la journée de celui qui fait ses courses le soir ? Comment séparer celui qui fréquente les bancs d’école dans sa jeunesse de celui qui cherche un emploi une fois atteint l’âge adulte ? Comment peut-on découper une seule et même personne afin de la faire correspondre à un programme de parti ? C’est absurde ! Et pourtant, la politique est remplie de ces raisonnements simplistes voulant, par commodité électoraliste, opposer les uns aux autres.

Souvent, d’ailleurs, le discours se poursuit par une autre faille : la vision d’un monde borné et fini. Après avoir opposé deux concepts de façon manichéenne, il se poursuit en prétendant défendre les intérêts de l’un face à l’autre. Il insinue ainsi que toute décision – soutenue ou combattue – ne fait que déplacer l’équilibre dans un sens ou l’autre. Ainsi, ce qui est donné à l’un doit forcément être pris à l’autre. On se trouve, en quelque sorte, à partager un gâteau ; la part de l’un ne peut augmenter qu’au détriment des autres. Que cette vision est fausse et réductrice !

Là aussi, une brève réflexion expose au grand jour la faiblesse de cet argumentaire. Sa contradiction est tellement évidente qu’elle échappe parfois aux yeux de quelques-uns. On peut la trouver, par exemple, dans les bases de la théorie économique : il ne peut y avoir d’échange que lorsque chacun y trouve son compte. Ainsi, en allant chez mon boulanger, j’échange mon argent contre son pain. Lui et moi en sortons gagnants : j’obtiens un croissant ou une pâtisserie qui me sert bien davantage que la pièce que je lui abandonne. À l’inverse, il me cède un produit dont il n’a guère besoin contre le salaire de son travail. Il ne s’agissait pas de partager quoi que ce soit entre nous ; par l’échange, nous nous sommes tous deux retrouvés en meilleure position.

Ce simple exemple se reflète dans la vie politique. Nombreux sont ceux qui, en cas de baisse d’impôt, considère qu’il s’agit de privilégier un groupe face à un autre. Si la fiscalité des entreprises est réduite, la gauche s’égosille contre ce cadeau fait au capital. Si c’est l’imposition des parents plaçant leurs enfants en crèche qui est adoucie, les conservateurs s’époumonent contre ce vol fait à ceux qui choisissent de garder les leurs à la maison. Et la liste serait bien longue…
Toute baisse d’impôt n’est pas nécessairement juste quelle que soit sa cible ; l’admettre serait reconnaître le corollaire qu’une hausse le serait également. Chaque projet est à juger en lui-même. Mais quel qu’il soit, il serait faux de le réduire à un gâteau fiscal à partager entre les uns et les autres. La force ou la faiblesse d’une décision revient souvent à en faire varier la taille davantage que la répartition.

C’est bien là l’enjeu essentiel de la politique : réfléchir avec une vision d’ensemble de la société et des individus plutôt que de les réduire à un seul élément ; adapter ses idées à la réalité et non l’inverse. La politique n’est pas – et ne doit pas être – la division pour opposer les uns aux autres, mais bien la volonté de rendre notre société, dans son ensemble, meilleure pour tous ses membres !

Syriza en Grèce: la gauche radicale encore loin du succès

Les élections législatives grecques du 25 janvier ont vu la victoire de la coalition de la gauche radicale, Syriza, fêtée comme il se devait par ses homologues européens. Résolument de gauche mais déçus par le socialisme de François Hollande ou par la sociale-démocratie de Gerhard Schröder, ces citoyens se sont tournés vers cette «gauche de la gauche», ce socialisme original, sans concession ni pragmatisme et dont, parfois, l’écart avec le communisme se résume à la marge. Au soir de l’accession triomphale d’Aléxis Tsípras et de son parti aux responsabilités, ils ont fêté la concrétisation de leur combat politique et, pour beaucoup, le succès de ce «vrai» socialisme en Europe. Et pourtant, rien n’est plus faux.

Loin de moi l’idée de vouloir minimiser l’importance du vote des grecs. Après des décennies d’alternance entre le PASOK (la gauche traditionnelle) et la Nouvelle Démocratie (la droite conservatrice), l’accession d’un autre parti à la tête du pays est un signe fort. Capitalisant sur le rejet populaire des mesures prises jusqu’alors, une coalition quasiment inconnue quelques années auparavant réussit triomphalement en manquant de justesse la majorité absolue au parlement. Assurément, un grand nombre d’électeurs a souhaité un changement radical de politique – souhait concrétisé dans les urnes. Mais si c’est une victoire pour Aléxis Tsípras et son parti, ce n’en est pas encore une pour le socialisme ou la gauche radicale. Pour ces idées, c’est à peine le commencement.

Les ambitions de Syriza ne sont a priori pas si différentes de celles de la plupart des politiciens européens. Dans son programme, la coalition affiche clairement sa volonté de soutenir la croissance économique et l’emploi tout en luttant contre la fraude et l’évasion fiscale et en sachant mieux utiliser les fonds européens. Des objectifs difficilement critiquables mais loin d’être aisés. Et si c’est bien sur la méthode que les courants politiques se différencient, ce sera sur les résultats qu’ Aléxis Tsípras sera jugé. Sera-t-il à même d’étendre massivement l’État social, de relancer l’économie ou de créer 300'000 emplois dans un pays où le quart des adultes – et même la moitié des jeunes – sont sans-emploi?

Mais la politique de la gauche radicale ne peut être un succès qu’à condition d’être durable. Cela impose donc d’équilibrer – enfin – les comptes publics de la Grèce. Pas une seule année de la Troisième République Hellénique ne s’est terminée sans déficit. Et les gouvernements successifs n’ont su régler ce problème – qui a enflé jusqu’à pousser le pays au bord de la faillite. L’histoire du pays montre aisément à quel point cet équilibre est important.

Cette tâche impose des réformes importantes auxquelles le gouvernement ne saurait échapper. En 1992, Stefanos Manos, alors ministre des finances avait affirmé publiquement que le système ferroviaire nécessitait tellement d’argent public qu’il coûterait moins cher de payer le taxi aux passagers. Vingt ans après, la BBC a calculé que, sous réserve que les voyageurs se partagent les taxis, cette affirmation demeurait exacte ! Et ce n’est qu’un des nombreux endroits où l’argent public coule à flots, coûtant si cher au contribuable et poussant le pays à s’endetter encore plus, sans que le service public si cher à la gauche s’en trouve un tant soit peu amélioré. Le même raisonnement peut être tenu sur la quantité incroyable de fraudeurs aux prestations sociales. Difficile, en effet, d’oublier ces chauffeurs de taxi qui, pourtant, percevaient une allocation d’aveugle. En réalité, c’est quasiment l’ensemble de l’administration grecque qui doit être revue de fond en comble!

Une politique ne peut être durable si un pays ne tient pas ses engagements. Les milliards d’euros de prêts que la Grèce a reçus doivent être remboursés. Il n’existe, en effet, pas de réel progrès social en faisant financer par ses voisins les politiques généreuses que l’on souhaite mettre en place; il n’existe guère de raison d’exiger des contribuables allemands ou polonais qu’ils assument, de leur poche, les manquements des gouvernements successifs d’Athènes.

D’aucuns, au sein de la gauche radicale, invoquent que ces dettes ont été souscrites par un autre gouvernement, menant une autre politique et, partant, qu’ils ne seraient guère tenus par ces obligations. Un tel argument est moralement inacceptable et politiquement intenable. Car si la logique tenait, quelle confiance pourrait-on accorder à une promesse de remboursement d’un gouvernement dont l’horizon temporel se mesure à court-terme? Et, plus largement, il faudrait conclure que la signature de la Grèce ne vaut guère le papier sur lequel elle s’inscrit?

Les engagements à tenir vont au-delà de la dette. Les gouvernements précédents, pour contrer la crise, ont promis des réformes en échange d’un financement qui, pour Athènes, constituait probablement la seule alternative à la faillite. Il n’est pas question, aujourd’hui, de faire table rase du passé et d’oublier ces promesses. Par ailleurs, un vaste plan de privatisation avait été lancé pour renflouer les coffres du pays. Certes, il ne tient qu’au nouveau gouvernement de décider de ne pas le poursuivre. Mais les contrats déjà signés et les engagements déjà donnés doivent être honorés. Faute de quoi il serait désespérant de naïveté que d’espérer l’arrivée de nouveaux investissements. Sans État de droit, il n’y a pas d’économie durable!

Aujourd’hui, la gauche radicale est loin du succès. À peine arrivée au pouvoir, elle n’est qu’au début de sa politique. À elle de concrétiser les pouvoirs auxquels elle a aspiré. Faute de quoi, c’est l’ensemble des tenants de ce courant qui seront décrédibilisés, donnant ainsi raison à Margaret Thatcher selon qui «le socialisme ne dure que jusqu'à ce que se termine l'argent des autres».