1969, année érotique (mais pas pour tout le monde)

1969, année érotique (mais pas pour tout le monde)

L’importance sociologique du travail de la documentariste Valaisanne Carole Roussopoulos, à qui je rendais hommage dans mon précédent article, saute aux yeux et aux oreilles à chaque visionnement d’une de ses vidéos, par exemple cette enquête-entretien qui date de 1969 sur le thème ‘Rester à la maison ou travailler’.

1969, IL Y A 50 ANS À PEINE

Pour mémoire, la femme, en Suisse, était encore une citoyenne de seconde zone et ne pouvait toujours pas voter (il lui faudra attendre deux ans de plus).

J’y suis d’autant plus sensible que ma mère, Nelly Vuillemin (1937-2014), Suissesse pure souche, originaire de Renan, dans le canton de Berne, divorcée, deux enfants, a d’abord fait trois ans d’apprentissage de vendeuse dans les magasins Uniprix, à Lausanne – elle y a obtenu son « Certificat Fédéral de Capacité » –, avant de chercher de meilleures conditions de travail, de salaire et d’horaires « dans les bureaux » comme on disait alors.

Concrètement, ça veut dire que jusqu’à l’âge de 34 ans, et pendant près de la moitié de sa vie professionnelle, sans compter des conditions matérielles compliquées, ma mère n’a pas été considérée comme une citoyenne à part entière.

Et ne parlons pas de mon père, Fernando Belluz (1938-2016), immigré italien de la région de Venise, divorcé, remarié et quatre enfants en tout, qui, lui aussi, après un brillant apprentissage de mécanicien en Suisse – couronné d’un « Certificat Fédéral de Capacité » –, a subi sa grosse part de discriminations et de difficultés matérielles pendant de très longues années.

Vous me direz que ça n’a rien à voir. Mais si, quand même.

MAI 68 : UNE RÉVOLUTION BOURGEOISE

C’est aussi la crue réalité sociologique de cette époque, la vie matérielle difficile des gens modestes, bien loin de la révolte bourgeoise de mai 68, qu’on perçoit dans les entretiens que filme Carole Roussopoulos, ce qui en fait la valeur inestimable.

C’est fascinant d’entendre ces femmes parler de leur vie, de leur envie de travailler, des raisons qui les poussent à travailler, qui ne sont pas seulement économiques. Le mot qui revient à chaque entretien c’est « indépendance ».

C’est effarant d’entendre un garçon, qui doit avoir dans les 8-10 ans, proférer des clichés sur la fragilité des filles, « qui de toute façon ne sauraient même pas manier un fusil ».

Ce gosse, qui ne fait que répéter ce qu’il entend autour de lui, a déjà intégré ce qui était transmis par la société de l’époque aux enfants, garçons et filles, que ce soit à l’école, à la télévision ou en famille, une certaine image de la femme et de l’homme imprégnée de l’air du temps, cette époque précise, juste un an après mai 68.

Ce qui transparait aussi dans ces entretiens, c’est tout le rapport de force, la violence même, économique, psychologique, physique, de la société à l’égard des gens modestes, et en particulier à l’égard des femmes.

Et c’est aussi la résistance à cette violence par l’humour, un côté malin, une vision lucide, narquoise quelquefois, et pleine d’optimisme pour un avenir personnel meilleur.

Les vidéos de Carole Roussopoulos nous rappellent combien ce combat, cette évolution vers plus d’équité pour tout le monde a été nécessaire et utile, qu’il a porté ses fruits, qu’il a été bénéfique à toute la société, tant pour les femmes que pour les hommes, et qu’aujourd’hui, par exemple, on n’imaginerait même pas se poser la question de savoir si la femme est capable d’être une citoyenne à part entière.

Ça n’a pas été facile, ça s’est passé il n’y a pas très longtemps et, à cause des fluctuations économiques, entre autres, ce n’est peut-être pas aussi permanent qu’on l’espérerait.

Ailleurs, c’est toujours un combat, et qui est loin d’être gagné.

Ne l’oublions pas.

Sergio Belluz

Sergio Belluz est l'auteur de «CH La Suisse en kit -Suissidez-vous!» (Xenia, 2012), de «Les Fables de la Fredaine» (Irida, 2016) et de «Balzac, c'est bien, mais les descriptions sont trop longues» (Irida, 2020). Écrivain, chanteur lyrique et comédien, il se produit régulièrement en Suisse et à l'étranger dans des spectacles mêlant musique et littérature. Il est membre d'Autrices et Auteurs de Suisse (AdS), de la Société suisse des auteurs (SSA), et de Pro Litteris. Photo: Wollodja Jentsch.

6 réponses à “1969, année érotique (mais pas pour tout le monde)

  1. C’est bien beau toutes ces réflexions sur la condition de la femme, tellement opprimée, avant mai 68, avant le féminisme, avant la pilule, avant ceci, avant cela. Et maintenant que tout le monde a été émancipé, les femmes, les hommes, les LGBT, les végétariens, et patati et patata, est-ce que la condition humaine a changé? Est-ce que le tragique de la vie a disparu ? Est-ce que personne n’est plus exploité? Est-ce que plus personne n’a faim dans ce monde? Est-ce qu’il n’y a pas des enfants, des femmes, des vieillards, des soldats, qui meurent absurdement dans toutes ces guerres faites au nom de la ‘’démocratie’’, par exemple en Irak, en Libye? Ca commence à devenir pénible ce discours larmoyant sur tout ce qu’on a souffert. Oui on souffre, tout le monde souffre, même les riches, qui souffrent différemment. Chaque époque, chaque société, invente une façon d’adoucir un peu la dureté de la vie. C’est ainsi depuis Néanderthal. Un peu plus de bien être un peu plus de civilisation matérielle, chaque solution trouvée doit se payer d’un prix, à un certain niveau. La famille patriarcale offrait une forme de protection. Et cela se payait par une moindre indépendance de la femme. La société féministe a augmenté une certaine indépendance et durci la compétition de tous contre tous sur le marché du travail. Elle a supprimé les aspects protecteurs de la vie familiale. Tout se paye. Moi je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu un réel progrès. ll y a eu des progrès sur certains points et des régressions sur d’autres. L’autre soir à la télévision il y a eu une émission sur l’AVS avec le titre : ‘’Quand je serai vieux, je serai pauvre’’. On y voyait des témoignages de gens qui s’aperçoivent qu’à lâge de l’AVS ils se retrouvent dans la plus grande précarité. Ce n’était pas le projet initial. Et demain, avec la flexibilisation totale et toute cette mobilité et libre circulation des personnes et désormais des peuples entiers qui se déplacent d’un continent à l’autre, est-ce que ça va être un progrès? Et le multiculturalisme est-ce que c’est un progrès? Allez demander à ces milliers de petites filles dans des quartiers populaires qui ont été violées et réduites en esclavage sexuel par des gangs pakistanais en Angleterre et quand leurs familles ont essayé de se plaindre tout le monde leur a tourné le dos, à commencer par les policiers qui avaient peur de ces gangs violents et ont préféré punir les victimes, et les journalistes qui ont eu peur d’être accusés de racisme ou de faire le jeu de l’extrême droite en révélant ces scandales. Ah il est beau le progrès, elle est belle la tolérance multiculturelle et antiraciste! Ce film ‘’50 nuances de gris’’, a lancé la mode du BDSM de masse, alors qu’avant il s’agissait d’un vice de riches. Est-ce un progrès ? Oui, si on considère que toute dépravation des moeurs traditionnelles est une forme d’émancipation humaine par rapport à une morale oppressive, mais ce film est surtout un symbole de la domination brutale de notre société ultracapitaliste mondialisée. Car la fille plonge dans le plaisir sadomasochiste avec son patron, qui est un jeune et beau milliardaire de la jet set propriétaire d’un jet privé, et qui la domine, elle, la petite employée sexy, socialement, économiquement et en plus sexuellement. Donc c’est une allégorie et une glorification d’une nouvelle forme de droit de cuissage, et d’une nouvelle forme d’exploitation et de domination, plus brutale au fond que celle du baron médiéval. Et tout le monde gobe ça comme une merveilleuse avancée sociétale. Des mères de familles vont au sex shop pour se procurer une panoplie sado maso et imiter les héros de ce film. Rien ne change, absolument rien. Les riches dominent les pauvres, les forts dominent les faibles, les puissants dominent les humbles, la seule différence est qu’aujourd’hui la domination se fait plus insidieuse et plus hypocrite parce qu’elle se pare des plumes du paon d’idées émancipatrices… Et on ne dit jamais l’hypocrisie qu’il y a là dedans. J’ai trouvé cet extrait de film de Miss Roussopoulos excellent, un magnifique témoignage sur une époque, celle des années soixante dont je me souviens. Mais je ne suis pas d’accord pour en faire un manifeste au nom duquel on viendrait idéaliser les évolutions morales, sociales et familiales des 50 dernières années car toutes ces évolutions n’ont été des progrès qu’en apparence et de toute façon elles n’étaient pas exemptes d’une ruse du pouvoir, pouvoir économique surtout, qui voulait changer la société pour pousser tout le monde au boulot et qu’il n’y ait plus que des salariées et plus de mères de familles au foyer. Dans les années 1960 en Amérique mais aussi en Europe, un ouvrier pouvait faire vivre une famille de 4 enfants avec son seul salaire et avec sa femme au foyer qui s’occupait de l’éducation des enfants. Et il pouvait encore se payer une voiture et aller en vacances à la mer avec sa famille. Oui, c’est vrai, ca a existé. Aujourd’hui aucune famille populaire ne peut vivre comme ça. Il faut que les deux travaillent et même qu’ils aient chacun deux ou trois boulots en même temps sans quoi ils ne peuvent plus joindre les deux bouts. Ce n’est pas pour rien que Trump a été élu. Il y a un taux de suicide effrayant chez les jeunes. Les banlieues ouvrières sont devenues de ghettos d’immigrés où on trouve un taux de chômage des jeunes de 40%. Beaucoup de ces jeunes issus du regroupement familial, soit sombrent dans le trafic de drogue ou autre prtite criminalité, soit se radicalisent dans l’lslam et on les retrouve jihadistes en Syrie. Quant aux prolos de souche ils ont du quitter ces quartiers de HLM qui avaient été construits pour eux, et ils sombrent dans la déprime. En plus ils votent Le Pen, évidemment. En Suisse c’est moins pire, paraît-il? Oui, peut-être, espérons. Mais pour combien de temps encore? Et puis est-ce vraiment tellement mieux qu’ailleurs? Non, je ne suis pas d’accord pour noiricir le tableau de l’horrible société patriarcale d’avant les années 60, ni pour idéaliser les soi disant ”progrès” qui ont suivi.

    1. Merci pour votre contribution, Martin et je ne suis pas forcément d’accord avec vous, à part sur un point: le monde n’est pas parfait. C’est d’ailleurs ce que je dis en conclusion: soyons attentif, les choses changent vite, et pas forcément en bien. Mais il y a aussi des choses qui ont changé, qui sont (pour l’instant) acquises, et qui vont dans le sens d’une plus grande équité pour tous les citoyens et citoyennes. Je trouve le travail de Carole Roussopoulos extrêmement important, parce qu’elle nous fait voir cette évolution, et comment était la société dans ces années-là.

  2. Quel argumentaire long et désordonné. Une injustice ne justifie pas une autre. Des progrès importants ont été accomplis pour donner aux femmes ce qu’elles sont en droit d’attendre et il reste pourtant énormément de choses à faire. Pour les femmes, et pour les humains en général. Je suis désolée de lire un tel discours plein d’amalgames et de juxtapositions.

    1. Merci pour votre contribution, Claire. Vous parlez de discours, je parle de vécu (je ne vois pas bien ce que vous voulez dire par amalgame?). Ce que vous dites est très juste: il reste énormément de choses à faire, et pas seulement dans nos sociétés. C’est ce que j’essayais d’exprimer en fin d’article.

  3. Petite confusion, je ne parlais pas de votre article, je répondais à Martin. Désolée. Je partage votre vision, en fait. Et continuons …

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