À lire et à entendre les opposants à l’Initiative populaire Davantage de logements abordables sur laquelle nous avons jusqu’au 9 février 2020 pour voter, tout ce blabla intéressé que le richissime lobby immobilier, les milieux économiques et une grosse partie de nos représentants politiques, à coup de millions, d’affiches, de tracts, de spots, de déclarations arrivent à faire passer pour un appel au bon sens – et à la bonne loi du marché, qui, comme chacun sait, équilibre tout, même si les bénéfices vont toujours aux mêmes –, on se dit que la démocratie suisse est bien mal barrée.
Sachez-le, si vous votez Oui à l’initiative, ce sera en gros la fin du monde! Le cataclysme final! Armageddon! L’Apocalypse!
Déjà, dans la brochure distribuée à tous les électeurs, on manipule le citoyen en lui fourguant de vieilles statistiques formulées de façon à faire croire que la situation n’est pas si grave, qu’elle s’est améliorée, qu’elle est même plutôt positive, que « Le marché des logements en location, dans son ensemble, (c’est moi qui souligne) a retrouvé un équilibre en 2016, c’est-à-dire que l’offre équivalait plus ou moins à la demande. Depuis, l’offre est légèrement excédentaire et le nombre de logements vacants continue d’augmenter. »
Plus loin, si l’on admet du bout des lèvres que « De 2008 à 2016, les loyers moyens ont augmenté, même si le taux d’intérêt a fortement chuté », on souligne que « Depuis 2016, les prix moyens pour les nouveaux logements et les logements remis sur le marché sont en baisse. Le marché des appartements les moins chers a lui aussi presque retrouvé un équilibre. »
J’adore ce « presque ».
RATS DES VILLES ET RATS DES CHAMPS
Le problème numéro un, c’est que dans notre pays qui se rêve toujours montagnard et rural – ah, la mystique Guillaume Tell… –, la majorité des citoyens vivent et travaillent dans les villes, qui n’ont aucune représentativité politique alors qu’elles concentrent tous les problèmes sociaux.
On nous serine qu’il y a des tas de logements vacants. Ça c’est sûr qu’à Frs 3000 balles le deux pièces-cuisine, on trouve.
On nous serine qu’il faut sortir des villes et qu’il y a des logements moins chers – attention, pas bon marché, hein ? juste moins chers – dans les petites villes ou les campagnes, mais justement ce « moins cher » devient largement ruineux à cause de transports publics hors de prix et déficients, en particulier le train, qui, en plus, ne s’arrête pas partout, est toujours en retard, est bondé aux heures de pointe, et laisse la priorité aux Intercity qui relient justement les grandes villes où il n’y a pas de logement abordable.
En parallèle, on condamne le voiture comme polluante, et, de toute façon, elle est condamnée dans les villes, ce qui suppose de payer (de plus en plus cher) un parking, en ville ou en périphérie.
Et ne parlons pas de qualité de vie : le fameux « trois 8 » quotidien (8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de sommeil), qui représentait un idéal social au XXe siècle, s’est changé en un 10 heures de travail avec disponibilité quasi permanente grâce à Internet + 3 heures de loisirs (à cause des 2 heures dans des transports publics (bus, trains) chers, aléatoires, interminables et inconfortables et 1 heure pour les courses à faire dans les magasins ouverts tard des gares de départs et d’arrivées + éventuellement 8 heures de sommeil quand on a de la chance…
LE LOGEMENT INABORDABLE : CINQUANTE ANS QUE ÇA DURE
Sachez-le : en Suisse, ça fait depuis les années 70 que le problème du logement abordable fait partie de la vie et de la lutte continuelle du contribuable moyen et pauvre.
Ça fait près de cinquante ans que tout logement accessible financièrement avec un petit salaire – ne parlons même pas de ceux qui ont la malchance d’avoir des dettes ou tout autre ennui administratif – est introuvable à moins d’avoir des pistons, voire de coucher avec la directrice ou le directeur (ou, à défaut, avec le ou la secrétaire de la gérance).
Cinquante ans qu’il faut faire des pieds et des mains pour s’inscrire sur des listes d’attentes auprès de gérances méprisantes, qui, chacune, ont leurs exigences particulières – un certificat de l’Office des poursuites qui n’est valable que trois mois et qu’il faut racheter, une lettre de motivation, un certificat d’assurance responsabilité civile, des recommandations de toutes sortes, la version moderne d’un « Certificat de bonnes mœurs », en somme (et pourquoi pas, une photo à poil sur une peau de bête devant une cheminée quelconque, pendant qu’on y est ?) – auxquelles il faut se plier sous peine d’être viré de la liste.
Cinquante ans qu’il faut tâcher d’atteindre le locataire partant, d’obtenir un rendez-vous pour la visite, et d’être le premier à faire des queues infinies pour visiter les rares appartements abordables.
Cinquante ans qu’il faut à chaque fois relancer la gérance, qui n’appelle jamais de son plein gré le locataire potentiel ou chanceux.
Cinquante ans qu’on se fait avoir à chaque fois qu’on emménage par une nouvelle hausse du loyer.
Cinquante ans que si on a le malheur de contester la hausse du loyer, comme on en a le droit dans le mois qui suit la signature du bail ou pour l’adaptation aux taux d’intérêts – que les gérances n’appliquent jamais spontanément, on se demande bien pourquoi ? – on se fait traiter comme un voleur, quand on n’est pas fiché définitivement sur des listes de « mauvais payeurs ».
Cinquante ans que, pour ce droit humain de base à un logement décent et accessible, il faut faire la cour à des gens et des entités commerciales qui ont tous les pouvoirs, abusent de leur position, ne respectent pas les lois, spéculent sur tout ce qui est possible et s’enrichissent sur le dos des plus pauvres.
Cinquante ans que la Constitution suisse, notre Constitution fédérale, celle qui concerne tous les citoyens, stipule dans son Chapitre III (Buts sociaux, article 41), sans jamais l’appliquer, que : La Confédération et les cantons s’engagent, en complément de la responsabilité individuelle et de l’initiative privée, à ce que toute personne en quête d’un logement puisse trouver, pour elle-même et sa famille, un logement approprié à des conditions supportables.
Vous n’en avez pas marre, vous ?
Moi aussi.
Alors votez oui.