Dans ce pays aussi parcimonieux en argent qu’en compliments, et aussi avare en reconnaissance qu’en admiration, on est toujours surpris de voir combien d’immenses artistes qui seraient ailleurs des fiertés nationales et des stars qu’un pays orgueilleux afficherait comme preuve de son excellence sont considérés au mieux comme des saltimbanques, au pire comme des demandeurs de subventions…
Il faut le dire et le redire : Gardi Hutter est l’une de nos plus grandes artistes de scène, dans la lignée et la grande tradition des clowns suisses universels – je ne parle pas des politiciens – un Grock, un Dimitri, qui savent à la fois faire rire, sourire et attendrir tout en donnant l’air de s’amuser avec leur personnage créé de toute pièce et qu’on retrouve à chaque fois comme on retrouverait l’amuseur de la famille, dans des univers qui leur sont particulier et qu’ils partagent avec tout leur talent et toute leur générosité.
Souris, souris : tout un fromage !
C’est au Théâtre Benno Besson d’Yverdon-les-Bains que l’extraordinaire Gardi Hutter présentait jeudi soir son nouveau spectacle Souris, souris, où tout est drôle, tendre, enfantin, et futé.
Le titre, d’abord : on peut le prendre dans le sens de « Fais un sourire, souris », ou d’un doublement du fait de sourire, ou de l’animal – et c’est bien de souris, et de sourires, et de rires aux éclats qu’il s’agit, puisqu’on suit les aventures et les mésaventures d’une souris dont toute la famille a été prise au piège par une souricière où se trouve un énorme et merveilleux fromage, au milieu de la scène.
À partir de là, c’est un festival de péripéties pour accéder à ce fromage sans se faire prendre au piège, puis de protéger ledit fromage de la convoitise des autres, tout en en convoitant un encore plus grand avec l’assistance du public…
Sitcom clownesque et universel
Tout comme ses fabuleux spectacles précédents (Jeanne d’ArPpo, La Couturière, La Souffleuse), tout fonctionne comme un sitcom : une situation de base, et ensuite tout ce que cette situation de base peut susciter de difficultés pour obtenir ce qu’on veut, avec cette différence que tout est grossi par les clowneries, dans le sens noble du terme – le gros nez, la tignasse hirsute, les rondeurs, les haillons, les petites manies, les détails fantasques, les enfantillages, les interactions avec le public, les attitudes, les onomatopées – qui font de ce spectacle une merveille de drôlerie.
Sachez-le : Gardi Hutter et son personnage de scène, cette femme qui a un faux air de Mme Mim, la sorcière du Merlin de Disney, tournent dans le monde entier et font rire autant les Chinois, les Latino-Américains que les Européens. Sous ses multiples avatars, cette sacrée bonne femme affronte un monde qui se rebelle contre elle, et le fait en toute humanité, mauvaise foi comprise.
On rit aux éclats, on se remémore nos inventions enfantines, on s’amuse en allant de surprise en surprise – le spectacle en a plein en réserve –, tout est cohérent, structuré et libre à la fois, jusqu’à un striptease final, où malgré l’astuce dévoilée, on reste enchanté par ce petit bout de bonne femme et cet immense talent.
C’est brillamment analysé, cher Sergio. Avec de toujours utiles considérations sur le peu de soin qui est pris ici de certains artistes du cru. Et tu fais la grâce à tes lecteurs – qualité rarissime dans la critique – de ne pas dévoiler toutes les péripéties du spectacle. On n’a qu’une envie, c’est d’aller dare dare se faire prendre dans cette souricière. Merci!