Ce septième chapitre – sur les treize que compte le traité -, fixe les précautions inhérentes aux mouvements des personnels/ troupes, en fonction de facteurs techniques, moraux et mentaux (psychologiques).
Son titre peut aussi être : ‘De l’affrontement direct et indirect’ ; ‘L’engagement’ ou ‘Manœuvres’ selon ses interprètes.
Il est écrit :
En règle général, après que le général aura reçu du souverain l’ordre de tenir la campagne, il mobilise ses troupes et prépare la population.
Il organise harmonieusement ses troupes avec homogénéité en portant une attention particulière à leur procurer un campement avantageux, car c’est de là principalement que dépend la réussite de ses projets et de toutes ses entreprises.
Rien n’est plus difficile que l’art des manœuvres. Une affaire d’engagement n’est pas d’une exécution sommaire car elle requiert une grande expérience dans la gestion des risques ; difficultés inhérentes aux nombreux risques et leurs variantes qu’il ne faut pas sous estimer afin de les aplanir et les surmonter.
Une fois en position, les difficultés consistent essentiellement à faire d’une voie longue ou tortueuse, une voie plus directe et avantageuse possible en sachant identifier les détriments pour les transformer en atouts et en tirer profit.
L’art de profiter du près et du loin consiste à tenir l’ennemi éloigné de tout ce qui pourrait lui être avantageux et à rapprocher de vous tous les postes dont vous pourriez tirer quelque avantage.
Il consiste ensuite à vous tenir continuellement sur vos gardes pour n’être pas surpris, et à activement veiller ses mouvements pour exploiter chaque occasion de le surprendre. C’est en cela que l’on convertit la lenteur apparente en diligence et efficacité, au plus près de vos adversaires, alors qu’ils vous croient loin et endormi par l’inactivité. C’est aussi ainsi, qu’en lui donnant le change, vous l’endormirez lui-même, se croyant à l’abri de toute attaque.
Ainsi prenez une voie indirecte en empruntant les voies détournées et divertissez l’ennemi en lui présentant un leurre : de cette façon vous pouvez vous mettre en route après lui, et arriver avant lui.
Celui qui est capable de faire cela comprend l’approche directe et indirecte.
Une manœuvre d’engagement comporte autant d’opportunités que de risques. Toute entreprise doit apprendre à identifier et composer avec les dangers et ainsi, savoir en extraire les avantages.
Toute action, aussi petite soit elle, doit être engagée à votre avantage mais engager toutes ses ressources sur une action majeure doit l’être avec l’assurance d’une victoire complète.
Les risques sont grands pour qui lance son armée entière dans la précipitation à la faveur d’un avantage. En abandonnant entièrement son camp dans une progression générale, on risque d’isoler le front de son arrière-garde ; les troupes solides étant plus rapides que les effectifs plus faibles on expose ses fourgons de ravitaillement et ses armements lourds restés à l’arrière.
Parcourir de longues distances à grande allure, armure sous le bras brûlant les étapes sans faire halte, expose invariablement les troupes de tête à s’isoler de l’arrière-garde ainsi qu’au risque de surexposition à un adversaire numériquement supérieur.
Informé des dispositions de vos adversaires et des distances qui vous sépare, préparé aux éventualités, vous vous affranchirez des aléas du hasard dans la préparation de votre expédition.
Si par votre discrétion, votre préparation et la rapidité des déplacements de vos troupes, votre adversaire vous croit encore suffisamment éloigné à 100 lieues de distance, fondant sur eux avec le bénéfice de l’effet de surprise, vos chances de victoire seront supérieures.
Si votre adversaire n’apprend que vous allez à lui que lorsqu’il ne vous reste plus que trente lieues à faire pour pouvoir le joindre, il est difficile que, dans le peu de temps qui lui reste, il puisse pourvoir à tout et se préparer à vous recevoir. Parcourir des distances importantes d’une seule traite implique de grands risques pour une armée. Car si, dans l’hypothèse d’être informé de vos mouvements, l’ennemi s’est avancé de moitié en distance, vos chances de vaincre seront réduites de moitié.
Un adversaire surpris est à demi vaincu ; il n’en est pas de même s’il a le temps de se reconnaître ; il peut alors trouver des ressources pour vous échapper et peut-être même pour vous perdre.
Il ne faut rien négliger de tout ce qui peut contribuer au bon ordre général et à la sûreté de votre chaîne logistique ; que les provisions comme les soutiens ne leur manquent jamais et puissent être rassemblées à temps ; que les hommes soient dispos et que leurs armes soient toujours en bon état.
N’oubliez pas d’entretenir des intelligences secrètes avec les ministres étrangers, et soyez toujours instruit des desseins que peuvent avoir les princes alliés ou tributaires dans leurs capacités d’influence ou de nuisance.
Ayez une connaissance exacte et de détail de votre environnement, de la nature du terrain – montueux et boisé, périlleux et accidenté ; marécageux ou aride, afin de conduire ou nuire aux troupes engagées.
S’il arrive que vous soyez hors d’état de pouvoir être instruit par vous-même de l’avantage ou du désavantage du terrain, ayez des guides locaux sur lesquels vous puissiez compter sûrement. Sans cela, il est impossible de tirer parti du terrain.
La force militaire est réglée sur sa relation au semblant. Elle a le mensonge pour fondement et le profit pour ressort.
Elle se déplace à son avantage et demande à savoir se diviser ou se regrouper au gré des mouvements adverses. Une armée doit savoir être preste comme le vent, impénétrable et sereine comme la plus dense des forêts ; aussi immobile et inébranlable qu’une montagne et insondable que les nuages. Lorsque, au contraire, il s’agira de faire mouvement, elle frappe avec la soudaineté de la foudre et le fracas du tonnerre ; semblable au feu lors d’incursions hostiles ; éblouir comme l’éclair mais secrète comme l’obscurité des ténèbres.
Pour éviter les mécontentements, faites toujours une exacte et juste répartition de tout ce que vous aurez enlevé à l’ennemi. Quand on pille une région, on partage le butin entre ses hommes ; lorsqu’on conquiert un territoire, on en distribue les profits. Se garder en toutes choses de ne faire jamais aucune sortie en vain sans avoir la certitude d’un avantage réel. On doit toujours peser les décisions avant d’agir et n’agir qu’en fonction de l’opportunité des circonstances.
Celui qui connaît l’art de l’approche directe et indirecte sera victorieux. Voilà l’art de la manœuvre et la prérogative à tout engagement.
Les manuels militaires précisent les modalités de communication par des signaux visuels et par des sons audibles : les voix étant inaudibles pendant les affrontements, elles ont été remplacées par les tambours et les cloches ; étendards et drapeaux pour les yeux.
Signaux sonores et visuels étant compris et perçus de tous, ils permettent la coordination des troupes et la convergence des forces lors de mouvements décisifs impliquant aussi bien les hommes les plus aguerris que les moins téméraires.
L’éclat d’un grand nombre d’étendards, la multitude de leurs évolutions, la diversité de leurs couleurs tiendront vos gens toujours en haleine pendant le jour alors que le fracas d’un grand nombre de tambours servira pendant la nuit autant à jeter l’épouvante parmi vos ennemis qu’à ranimer le courage de vos soldats.
Ainsi, outre l’avantage que vous aurez de faire savoir promptement toutes vos volontés à votre armée entière dans le même moment, vous aurez encore celui de lasser votre adversaire, en le rendant attentif à tout ce qu’il croit que vous voulez entreprendre, de lui faire naître des doutes continuels sur la conduite que vous devez tenir, et de lui inspirer d’éternelles frayeurs.
L’allant des armées peut être sapé comme la résolution du général ébranlée. On peut voler à une armée son esprit et lui dérober son adresse, de même que le courage de son commandant.
Au petit matin, les esprits sont pénétrants; durant la journée, ils s’alanguissent, et le soir : ‘ils rentrent à la maison’.
C’est pourquoi le stratège compose avec le moral et les humeurs. Belliqueuse au levant, indolente à midi et nostalgique au couchant, il prépare ses troupes à attaquer aux heures creuses quant l’adversaire est censé être faible et fatigué , vos propres troupes reposées et fraîches ayant de leur côté l’avantage de la force et de la vigueur. Tel est le contrôle du facteur moral.
Si vous voyez que l’ordre règne dans les rangs ennemis, attendez qu’il soit interrompu, et que vous aperceviez quelque désordre. Si vous voyez qu’ils ont de l’ardeur, attendez qu’elle se ralentisse et qu’ils soient accablés sous le poids de l’ennui ou de la fatigue. Si, gêné par leur trop grande proximité, éloignez-vous afin de vous placer dans des dispositions plus sereines. Tel est le contrôle du facteur mental.
Lorsque à votre tour vous verrez vos troupes bien disposées, ne manquez pas de profiter de leur ardeur: c’est à l’habileté du général à faire naître les occasions et à distinguer les conditions matérielles et environnantes favorables sans ne jamais négliger de prendre l’avis des officiers généraux.
- Lorsque les adversaires occupent des positions élevées, il est déconseillé d’y prendre position ou d’y établir ses quartiers. Et lorsque acculé au mur, ne vous opposez pas.
- Si, réduits au désespoir, ils viennent pour vaincre ou pour périr, évitez leur rencontre. Ne poussez pas un ennemi aux abois.
- À un ennemi encerclé vous devez ménager une issue et laisser une voie de sortie.
- On ne s’attaque pas à un corps d’élite.
- Si les ennemis réduits à l’extrémité abandonnent leur camp et veulent se frayer un chemin, ne les arrêtez pas.
- S’ils sont agiles et lestes, ne courez pas après eux ; s’ils manquent de tout, prévenez leur désespoir.
Voilà la posture, les stratagèmes et les règles de prudence à respecter lorsque à la tête d’une armée vous aurez à vous mesurer avec des adversaires qui, peut-être, seront aussi prudents et aussi vaillants que vous.
Fin du chapitre VII
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