Initiative populaire en préparation… il va bientôt falloir débattre sérieusement de la sainte neutralité suisse. On ne peut pas dire que l’ancienne cheffe des Affaires étrangères ait contribué à clarifier les choses dans l’interview donnée mercredi au Temps (27 juillet)*.
Cet entretien est à l’image de son livre publié l’an dernier sous le titre « Pour une neutralité active »** : alambiqué et difficile à suivre. La neutralité y apparaît comme une sorte de substance à base de juridisme stratifié. Une notion identitaire vague à force de complexité, de plus en plus insaisissable, plébiscitée néanmoins dans les sondages (comme le secret bancaire jusqu’à son dernier jour). Une matière qui devrait être réinterprétée continuellement, à grands renforts de contorsions notionnelles, jusqu’au reniement pur et simple, comme dans le cas de la guerre russo-ukrainienne. Et à condition de pouvoir proclamer d’autant plus fort, en toutes circonstances, son importance vitale pour la Suisse et la paix dans le monde. La neutralité nous a été donnée, il est de notre devoir d’en faire quelque chose, de la renouveler, de la perpétuer envers et contre tout. Venant de Micheline Calmy-Rey, on comprend surtout qu’il s’agit de protéger les institutions et carrières internationales basées à Genève, ce qui est tout à fait honorable. Mais est-ce bien nécessaire d’en arriver là ?
L’interview porte sur le projet d’initiative populaire des milieux conservateurs, visant une neutralité «intégrale et permanente» à inscrire dans la Constitution, ainsi définie : le Conseil fédéral renonce à toutes sanctions économiques, sauf celles décidées par les Nations Unies. Il rend en revanche impossible le contournement par la Suisse de sanctions imposées par d’autres Etats.
Extraits commentés (soit les passages clés, le reste se contentant de considérations politiciennes anti-UDC) :
(…) Quel serait le problème?
Lorsque l’agresseur est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies doté du droit de veto, ce dernier est impuissant. Dans le cas de l’Ukraine, la Suisse n’aurait pas pu reprendre les sanctions de l’UE, mais seulement choisir quelques mesures pour éviter leur contournement. Ce texte restreint la marge de manœuvre du Conseil fédéral dans l’application de notre politique étrangère et dans la défense de nos intérêts.
De quelle marge de manœuvre s’agit-il dans le cas de la guerre en Ukraine ? Quelle a été la marge de manœuvre du Conseil fédéral dans la reprise ou non des sanctions de l’UE ? Nulle à inexistante. Une inscription dans la Constitution lui eût peut-être permis de se référer à quelque chose pour résister aux pressions dix minutes de plus.
Et à quelle « défense de nos intérêts » se réfère l’ancienne conseillère fédérale ? Des intérêts économiques en premier lieu, la Suisse pouvant alors faire elle-même l’objet de rétorsions de la part de l’Union Européenne et des Etats-Unis. Les initiants ont précisément l’air de se moquer de ces intérêts-là. Leur reprocher de faire de la neutralité un « business model qui ne dit pas son nom » (expression reprise dans le titre de l’article), référence à la « neutralité profiteuse » chère à la gauche (qui a toujours détesté l’idée même de neutralité), montre à quel point la discussion est actuellement embrouillée.
Sur le fond, une position de réserve politique eût d’ailleurs été défendable, renvoyant les deux parties dos à dos. L’agression russe est bien entendu inacceptable sur tous les plans, mais les Etats-Unis, l’Union Européenne et l’OTAN portent une lourde responsabilité dans l’enchaînement des maladresses géostratégiques qui ont exacerbé le sentiment national russe au-delà des limites. Un statut de neutralité imposé à l’Ukraine – comme il l’a été à la Suisse en 1815 – aurait peut-être permis d’éviter l’immense gâchis qui nous accable. C’est ce que demandait la Russie. Les Etats tampons ont d’ailleurs souvent été des Etats heureux.
(…) En quoi la neutralité «intégrale» se distingue-t-elle du concept de neutralité «active» que vous défendez?
La neutralité a toujours pris des formes diverses, tant sa pratique a évolué au cours du temps. Aujourd’hui, la neutralité active se fonde sur le droit international et sur le multilatéralisme qui caractérise notre monde. C’est celle d’un juge, et non pas une neutralité partisane prenant position pour ou contre un pays. Elle se fonde sur le respect du droit international, des conventions internationales et des droits humains. Elle permet donc de réagir et de prendre des sanctions lorsque ceux-ci sont violés de manière crasse comme en Ukraine.
Oui, mais on ne saisit toujours pas pourquoi les sanctions économiques, qui sont un acte de guerre, s’imposent dans le cas de l’Ukraine, mais pas dans d’innombrables autres cas de violation du droit international, des conventions et des droits humains. Ce que l’on a compris, c’est que le Conseil fédéral ne voulait pas appliquer de sanctions contre la Russie, mais qu’il a admis que les dommages politiques et surtout économiques d’une telle politique ne seraient pas assumables. L’Union Européenne et les Etats-Unis ne l’auraient pas accepté. Dans ces conditions, à quoi bon ratiociner sur la neutralité ?
En reprenant les sanctions, la Suisse n’a-t- elle pas pris parti contre la Russie, comme le prétend Christoph Blocher?
Il est faux de prétendre qu’en s’abstenant de recourir aux sanctions, on ne prend pas parti.
Euh… alors pourquoi ne pas prendre parti sans recourir au sanctions, comme l’ont fait quelque cent cinquante Etats dans le monde (en se contentant de condamner l’agression russe aux Nations-Unies)? La réponse est évidente : des rapports de force ne permettent pas actuellement à la Suisse de faire bande à part sur ce genre de dossier. Comme on pouvait s’y attendre, sa position a immédiatement été instrumentalisée par le président des Etats-Unis : « Même la Suisse inflige des sanctions à la Russie » (1er mars). On pense aussitôt au « même la Suisse a renoncé au secret bancaire fiscal » du début des années 2010. C’est dire s’il ne reste rien de la neutralité. Sauf un terme, un pur cliché constitutif de l’image de la Suisse dans le monde. On le voit, il y a peut-être quelque chose à reconstruire ici pour la promotion de la paix, mais sur des bases forcément différentes.
(…) Si la Suisse avait procédé ainsi, elle se serait rangée aux côtés de l’agresseur russe. En tant que petit pays ne pouvant pas faire jouer les rapports de force, elle se devait de sanctionner cette violation du droit international. Rappelez-vous que son renoncement à des sanctions contre l’Afrique du Sud a été considéré comme une prise de position. Cela dit, l’interprétation de la neutralité diffère d’un cas à l’autre. Ce ne sont pas toujours les mêmes Etats qui violent le droit international. En 2003, les Etats-Unis ont envahi l’Irak en l’absence d’une résolution de l’ONU. La Suisse avait alors appliqué le droit de la neutralité. Il est à mon sens important d’éviter un alignement systématique de la Suisse sur un régime de sanctions particulier pris en dehors du cadre de l’ONU. A défaut, le principe de neutralité serait vidé de son sens.
Comprenne qui pourra. Des pays beaucoup plus grands n’ont pas appliqué de sanctions contre la Russie, et de loin pas seulement des Etats voyous. Oui, la Suisse n’a pas appliqué de sanctions contre les Etats-Unis en 2003 – personne ne le lui demandait – mais elle l’a fait contre la Russie en 2022. N’est-ce pas justement ce genre de différence qui vide la neutralité de son sens ? Ne serait-ce pas plus simple de le reconnaître ? Tout en revendiquant aux Nations Unies, avec d’autres petits Etats, le droit de ne pas appliquer les sanctions économiques des grandes puissances (pour autant que l’on ne favorise pas leur détournement) ? Le droit international (Conventions de la Haye de 1907) précise que la première obligation d’un Etat neutre est de ne pas participer à la guerre. Qui, encore une fois, peut nier que les sanctions contre la Russie sont des actes de guerre ? En tout cas pas Micheline Calmy-Rey :
(…) Le centre droit veut collaborer davantage avec l’OTAN. Ne voyez-vous pas là un risque de perte de crédibilité pour notre neutralité?
(…) Lors du dernier sommet de l’OTAN, la Russie a été ouvertement déclarée ennemie, ce qui fait que l’OTAN est désormais engagée dans une confrontation avec la Russie. Ce qui était au départ un conflit local limité au Donbass et au statut de l’Ukraine est devenu non seulement une guerre extrêmement destructrice au cœur de l’Europe, mais aussi une guerre par procuration non déclarée entre l’OTAN et la Russie qui peut échapper à tout moment à tout contrôle. Il faut donc rester prudent dans la mesure où l’OTAN n’est plus une organisation à but purement défensif.
S’il y a un risque de confrontation militaire entre l’OTAN et la Russie, à quoi peut bien servir une neutralité qui ne consisterait pas à s’abstenir de prendre officiellement parti ? Suite à l’alignement sur les sanctions européennes, n’est-il pas compréhensible que les Russes – et le reste du monde – ne considèrent plus les Suisses comme neutres? Revendiquer une quelconque neutralité dans ces conditions passerait pour une pure bouffonnerie.
Que pensez-vous de la « neutralité coopérative » dont parle désormais Ignazio Cassis?
Cela ne change pas vraiment la pratique actuelle. Notre neutralité resterait armée et permanente. Mais elle pourrait s’élargir dans la collaboration avec des Etats partageant les mêmes valeurs que nous.
Intéressant. Quel genre d’Etats plus précisément ? Et quelles valeurs ? C’est ce que l’on aimerait savoir. En attendant, non contente de considérations de plus en plus creuses sur la neutralité, Micheline Calmy-Rey veut en étendre la portée :
(…) Actuellement, le droit de la neutralité ne s’applique qu’aux guerres interétatiques. Mais aujourd’hui, beaucoup de conflits sont des guerres par procuration ou des guerres civiles. Lorsque vous voyez que la Suisse peut livrer des armes en Arabie saoudite, qui est à la tête d’une coalition menant une guerre au Yémen, alors qu’elle ne peut pas en exporter en Ukraine, c’est qu’il y a un problème.
(…) Nous devons donc réactualiser le droit de la neutralité. Je milite pour que nous l’appliquions non seulement pour des guerres interétatiques, mais aussi pour des conflits par procuration ou pour des conflits civils. De plus, il apparaît aujourd’hui difficile d’articuler le concept de neutralité avec le cyberespace en l’absence d’une régulation internationale.
(…) Mon autre grande préoccupation concerne la faiblesse du multilatéralisme. Nous assistons à un retour des rapports de force dans les relations internationales. Si la guerre en Ukraine avait pour conséquence la constitution d’un nouveau bloc Chine-Russie, ce serait une défaite pour l’Occident. Et si quelques-uns d’entre nous ont pu un jour rêver d’une troisième superpuissance Europe, aujourd’hui ce rêve se brise.
Madame Calmy-Rey, ne pensez-vous pas que c’est l’archi-domination des Etats-Unis qui a laissé penser que les rapports de force avaient disparu ? Aujourd’hui, il n’y a pas seulement la Chine et la Russie. Deux tiers de l’humanité forment un nouveau bloc informel qui se lève contre l’hégémonie de l’Occident. Ce processus ne requiert pas forcément la multiplication de conflits armés (même si ce serait un miracle qu’il ne passe pas un jour ou l’autre par quelque accident nucléaire). Il n’est pas nécessaire non plus que la Suisse fasse semblant de n’appartenir à aucun bloc. Il faudra simplement trouver autre chose qu’une neutralité historique lessivée.
Avec son image dans le monde, et sa taille exactement médiane, la Suisse a un potentiel énorme d’alliances et de mobilisation du côté des Etats secondaires cherchant à s’émanciper des grandes et super-puissances. Selon l’expression consacrée, il ne peut s’agir pour la Suisse que d’un changement de paradigme. Quant “au rêve brisé de super-puissance Europe”, qui a surtout été nié jusqu’ici par les européistes (l’Europe n’était qu’un inoffensif projet de paix), les événements viennent rappeler qu’en matière de guerre et de paix, les super-puissances font en général plutôt partie des problèmes que des solutions.
* https://www.letemps.ch/suisse/micheline-calmyrey-linitiative-christoph-blocher-un-business-model-ne-dit-nom
** Micheline Calmy-Rey : « Pour une neutralité active – De la Suisse à l’Europe », Presses polytechnique et universitaires romandes, coll. Savoir Suisse, 2021. L’ancienne conseillère fédérale développe dans cet ouvrage l’idée incongrue qu’une neutralité de type suisse pourrait être adoptée et adaptée par l’Union Européenne.
Il me semble que les sanctions, rapidement infligées à la Russie après le début de l’intervention en Ukraine, relevaient d’une morale punitive frisant l’hystérie, sans aucune analyse des conséquences plausibles qui allaient en découler: pour la Russie elle-même (qui paraît s’en accommoder plutôt bien) et ensuite pour l’Europe (qui semble s’être joliment tiré une balle dans le pied). L’alignement de la Suisse sur les sanctions ne paraît pas avoir été plus réfléchi et se résume à une panique devant d’éventuelles mesures de rétorsion prises contre nous. “Il faut garder la tête froide” déclarait Ignazio Cassis (comme si cela n’allait pas de soi), avant d’aller pleurnicher à la frontière polonaise.
Madame Calmy-Rey ne peut rien dire d’autre car elle est “adhésioniste” à l’UE . Un monument comme la Neutralité suisse, qui gagne toujours les faveurs de 89% de la population, ne peut être déraciné mais contourné pour arracher à l’UE un Accord-Cadre.
“Calmy-Rey l’ésotérique” …. tout à fait… c’est le mot qui convient.. la seule explication de ces “idées incongrues” qui n’ont aucun sens , c’est la volonté de combattre l’UDC , c-à-d Christophe Blocher qui lui a toujours donné de l’urticaire ..
J’aurais plutôt dit, Calmy-Rey l’exotérique. Toutes ces contorsions incompréhensibles n’ont pour but que d’amener le troupeau à penser qu’il n’y pas d’alternative à cette politique extérieure et de faire croire à une complexité telle qu’elle ne serait pas compréhensible pour la plèbe.
Calmy-Rey est mondialiste et adhésioniste, comme dit plus haut. Si elle livrait vraiment le fond de sa pensée ésotérique, son discours serait beaucoup plus simple, mais la majorité ne serait pas d’accord avec elle. Elle préfère donc jouer les absconses.
En marge de votre excellent article et des arguments que vous y développez, j’irais voir du côté du rôle que l’OTAN a joué en Europe méditerranéenne depuis 60 ans environ. Il y a, paradoxalement, de quoi questionner, non la position actuelle de l’UDC en matière de neutralité mais d’examiner avec attention si le PS et les Vert sont vraiment à même de diagnostiquer et de soigner leur urticaire. Les cris du coeur, on peut comprendre; l’engouement à gauche pour le déploiement de la force, du Kosovo au lac Ladoga, beaucoup moins.
“ANCIENNE” chef des affaires étrangères…
«…les Etats-Unis, l’Union Européenne et l’OTAN portent une lourde responsabilité dans l’enchaînement des maladresses géostratégiques qui ont exacerbé le sentiment national russe au-delà des limites.»
En effet, qu’avait à faire l’OTAN aux portes de la Russie avec ses tanks, ses troupes, ses lance-missiles, ses bombardiers et ses navires de guerre trente ans après la dissolution du Pacte de Varsovie? Et que faisait l’UE à Kiev pendant la révolution orange de 2004 et celle de Maïdan en 2014 ? Exacerbé de n’avoir reçu en réponse à ses offres d’intégrer la Russie à l’OTAN et au marché européen que mépris et arrogance de la part des Occidentaux, Poutine aurait perdu patience et décidé alors de virer de bord : de coopératif et ouvert qu’il affichait d’être aux débuts de sa présidence, il se serait replié sur son nationalisme, son conservatisme et son impérialisme guerrier – fait tout sauf rare dans l’histoire russe. Pensons à Nicolas 1er, l’un des phares du tsar de carnaval en place au Kremlin et pourtant responsable du désastre de la guerre de Crimée en 1855.
Or, Etats-Unis, Union Européenne et OTAN, qui n’était plus avant le 24 février dernier que l’ombre de ce qu’elle était en 1991, ont eu beau jeu de lui renvoyer la balle : Le Partenariat pour la paix OTAN-Russie, conclu au lendemain de la chute de l’URSS et dont les événements du 11 septembre 2001 ont démontré l’efficacité, a été rompu quand les Russes ont annexé la Crimée en 2014 et ses réunions annuelles remises «sine die» depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Après tout, le très discuté bouclier anti-missiles installé aux frontières de la Russie sous l’administration Bush, sous le prétexte de fournir une parade aux hypothétiques missiles iraniens, n’avait-il pas en face de lui le plus important et bien réel arsenal de missiles nucléaires existants, celui de la Russie ?
Dans la guerre de désinformation que se livrent Russes et Occidentaux, n’est-ce pas à qui mentira le mieux ?
“Un statut de neutralité imposé à l’Ukraine – comme il l’a été à la Suisse en 1815 – aurait peut-être permis d’éviter l’immense gâchis qui nous accable. ”
L’acte reconnaissant la neutralité de la Suisse et signé par les délégations des puissances sorties victorieuses des guerres napoléoniennes en 1815, à Vienne, a été rédigé par le genevois Charles Pictet de Rochemont, délégué de la Diète fédérale au Congrès de Vienne. Il a été transmis par le ministre russe des affaires étrangères, Capo d’Istria, ami et proche collaborateur de Pictet de Rochemont, aux représentants des puissances alliées qui l’ont ratifié tel quel, sans y avoir changé un seul mot. L’indépendance de la Suisse a ainsi été définie par un de ses citoyens parmi les plus éminents. On attend toujours avec intérêt de voir ce que le gouvernement de Kiev est capable de proposer en matière de “think tank” pour ébaucher un éventuel projet de neutralité de l’Ukraine.
«…on ne saisit toujours pas pourquoi les sanctions économiques, qui sont un acte de guerre, s’imposent dans le cas de l’Ukraine, mais pas dans d’innombrables autres cas de violation du droit international, des conventions et des droits humains.»
N’en déplaise à ceux qui soutiennent que ceux qui appliquent les sanctions se tirent une balle dans le pied et que c’est contre eux qu’elles se retournent, le fait est que ces sanctions ont un effet certain à moyen et long terme sur l’effort de guerre russe, comme le rappelle «Le Temps» d’aujourd’hui, citant une récente étude de l’université de Yale : selon cette analyse, “les départs des entreprises et les sanctions paralysent l’économie russe, à court et à long terme”. Les sanctions économiques, ainsi, dissuadent de nombreuses entreprises et pays de continuer à commercer avec la Russie. Et le pays peine à se fournir en pièces détachées et matières premières, ou à obtenir certaines technologies essentielles.
Le tableau est sombre: “Malgré les illusions d’autosuffisance et de substitution des importations (…), la production intérieure russe s’est complètement arrêtée et n’a pas la capacité de remplacer les entreprises, les produits et les talents perdus.» Les entreprises qui ont quitté le pays “représentent environ 40% de son PIB, annulant la quasi-totalité des trois décennies d’investissements étrangers”, avancent également les auteurs de cette enquête.
Pour pallier ces faiblesses, Vladimir Poutine “a recours à une intervention budgétaire et monétaire insoutenable”, et les finances du Kremlin “sont dans une situation bien plus désespérée que ce qui est admis”. Quant au “pivot vers la Chine” voulu par Vladimir Poutine, il pourrait se fonder sur «des hypothèses optimistes irréalistes”.
L’impact des sanctions occidentales sur l’économie russe est donc bien plus important que ce que montrent les chiffres officiels, selon l’étude de l’Université de Yale qui affirme que le “récit commun selon lequel les sanctions économiques imposées par les pays occidentaux auraient créé “une «guerre d’usure économique qui fait des ravages à l’Ouest”, étant donné la supposée “résilience” voire”prospérité” de l’économie russe» est tout simplement faux”.
Les experts de l’Ecole de management de Yale dénoncent des «”tatistiques sélectionnées” par le président russe, Vladimir Poutine. Statistiques d’autant plus problématiques que, pas plus que sur les retombées économiques et sociales, les Russes ne dévoilent leurs pertes en hommes et en matériel résultant du conflit en cours. Sur les premières, l’inégalité des salaires et la baisse du pouvoir d’achat des Russes ne sont plus à démontrer. Sur le front de la guerre, même le Kremlin a admis dès mars dernier des pertes que son porte-parole qualifiait, déjà à cette époque, d’”importantes”, admettant plus de 3100 soldats russes tués. Les état-majors occidentaux, eux, estiment les pertes russes en hommes à 15’000 hommes – chiffres invérifiables de part et d’autres, d’ailleurs.
Si l’on y ajoute les douze généraux et le second commandant en chef de la flotte russe de la mer Noire tués, ainsi que les pertes matérielles au ralentissement bien réel de l’économie russe, ce n’est pas à grands renforts de parades navales et de bataillons défilant au pas de l’oie – étrange réminiscence de modes militaires d’autres régimes – devant des officiers bedonnants, aux costumes flambants neufs, que les Russes vont retrouver un mode de vie décent – ni que la liberté d’expression aura quelque chance de renaître dans un régime qui en a fait un délit contre l’État, passible de quinze ans de prison.
Pour s’adapter à un tel contexte, la neutralité suisse n’est-elle pas condamnée à devenir de plus en plus à géométrie variable?
@A.LN.. il faudrait demander à cette université américaine – dans quelle mesure est-elle impartiale ?- de faire une étude sur la situation de l’Europe . La Russie regorge de richesses naturelles : pétrole, gaz naturel, minerais : plomb, étain, fer , nickel, cuivre , aluminium… uranium ,et j’en passe, dont notre Vieux Continent est dépourvu , des ha de terres arables. Certes, ne pouvant plus exporter autant qu’elle pouvait le faire avant les sanctions , il est clair que son économie va s’en ressentir fortement, mais elle aura toujours assez de ressources “à domicile” pour sa population.. ce qui n’est pas certain pour l’Europe qui “roule des mécaniques” mais qui risque bien de voir sa population manquer de certains produits , (attendons cet hiver !) et voir son pouvoir d’achat dégringoler.. c’est déjà le cas… voir l’inflation déjà grandement amorcée…L’université de Yale parle pour sa propre paroisse : donner des mauvaises nouvelles concernant la Russie laisse croire que le reste du monde est moins touché qu’elle…Les Américains décident , ils ne seront pas touchés par les sanctions, eux !’ Et les voilà maintenant partis pour aller jeter du poil à gratter sur les Chinois…
Merci pour votre réponse. Bien entendu, comme tout rapport scientifique celui de l’université de Yale n’engage que ses auteurs. Aucune recherche n’est neutre. Du moins celle-ci peut-elle être évaluée et critiquée, voire contestée au besoin, ce qui n’est plus possible avec les sources russes depuis que, dans leur quasi-unianimité, les recteurs des universités russes a apporté leur soutien à la politique de Poutine en mars dernier. On n’a rien vu de pareil depuis l’abdication lâche des universités allemandes face à la montée du nazisme.
Et comme la plupart des universités occidentales ont rompu leurs relations avec les institutions de recherche russes, les scientifiques, qu’ils soient affiliés ou non à un centre de recherche, n’ont plus accès aux travaux de leurs homologues russes. A cet égard, qui est gagnant?
Vous avez raison, la Russie regorge de ressources naturelles. Mais leur exploitation n’est entre les mains que d’une minorité, issue de l’ancienne nomenklatura soviétique qui, malgré le bref intermède de la Perestroïka, n’a jamais été capable de renouveler ses méthodes datant de l’économie planifiée et centralisée. Résultat: la population est loin d’en voir les fruits et le gouffre entre hauts et bas revenus ne cesse de croître. A un enseignant qui lui demandait pourquoi son salaire n’augmentait pas, Dmitri Medvedev, qui fut président par interim entre deux termes de Poutine et aujourd’hui numéro deux du Conseil de Sécurité, a répondu: “L’enseignement est une vocation. Si vous voulez gagner de l’argent, faites des affaires”.
Enseignants, comme chercheurs et journalistes, sont aujourd’hui réduits au silence par la répression de toute remise en question de la politique va-t-en-guerre du Kremlin, au risque de peines sévères. Cette politique archaïque et absurde a fait reculer la Russie, pourtant premier pays à avoir envoyé un homme dans l’espace et pépinière de savants et d’artistes depuis toujours – il n’y a pas que les ressources naturelles qui comptent -, de deux siècles.
Et ce n’est pas avec un président plus doué pour les concours de judo que d’histoire, qu’il interprète à sa façon, ou de philosophie – pouvez-vous citer un seul dirigeant européen qui ait le ridicule de se rouler les mécaniques avec autant de zèle, surtout devant les caméras, que le Rambo russe à la tête du plus grand pays du monde? – que les choses vont changer. Qu’en pensez-vous?
@A.LN : Je que j’en pense ? Je connais un dirigeant européen qui, s’il ne se “roule pas les mécaniques” devant les caméras, s’est aussi ridiculisé d’une façon rien moins choquante devant d’autres caméras.. Ceci dit si nous voulons parler de choses plus sérieuses :
“Le FMI reconnaît que les sanctions contre la Russie affaiblissent… l’Europe.
L’économie russe devrait, cette année, être moins pénalisée par les sanctions internationales que ce qui était attendu, a souligné mardi le FMI, précisant que les pays européens, en revanche, en souffrent plus que prévu. La croissance du produit intérieur brut (PIB) de la Russie devrait se contracter de 6,0% en 2022, anticipe le Fonds monétaire international, soit bien moins que le plongeon de 8,5% sur lequel il tablait lors de ses précédentes prévisions, publiées en avril.”
https://www.bilan.ch/story/le-fmi-reconnait-que-les-sanctions-contre-la-russie-affaiblissent-leurope-230771004508
Le FMI précise aussi dans son rapport que les effets des sanctions “devraient en revanche se faire sentir plus que prévu en 2023, année pour laquelle le FMI anticipe une récession de l’économie russe de 3’5% soit 1,2 points de moins que ses prévisions précédents.”
Les sanctions visent un effet à long terme. N’est-il pas bien normal que leurs retombées immédiates aient un effet négatif, “par retour de courrier”, sur les économies occidentales?
Après tout, ne serait-il en effet pas grand temps de “dégraisser le mammouth”, comme disait l’ancien ministre français de l’Education Claude Allègre à propos de son dicastère?
Le FMI parle au conditionnel : “les sanctions “devraient” se faire sentir en 2023″… donc, rien n’est moins sûr… Par contre l’université de Yale parle au présent , elle donne donc des informations fausses ! FMI et Yale décrivent chacun un scénario dont ils rêvent …
L’idée même que l’on puisse décider d’être neutre est incongrue. On peut certes décider de prendre parti, mais la neutralité, c’est-à-dire la non vassalisation, est un cadeau des puissances. Pour cette raison, la Suisse ne peut pas plus en décider de manière indépendante qu’elle ne la obtenue par elle-même dans le passé.
Nous observons donc à la guerre d’Ukraine que la Suisse a été vassalisée par l’Europe sur laquelle elle s’est alignée. Etant donné l’incompétence notoire des dirigeants de Bruxelles et l’absence de démocratie de ce système, les heures sombres sont devant nous. La fin de la neutralité se comprend aisément par le fait que la situation géopolitique a changé depuis le traité de Vienne: la Suisse n’est plus une position stratégiques au milieu des puissances.
Etant encerclée totalement, comment pourrait-elle ne pas s’aligner sur ses voisins ?
S’aligner sur ses voisins signifie qu’elle entre dans le processus du “gouvernement mondial” dont l’UE n’est qu’une étape; il en sera fini pour pour elle, de son indépendance, de son autonomie, de sa démocratie directe , c’est à dire de cette VRAI démocratie ” le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple”
Et pourquoi le monde ne s’alignerait-il pas sur la Suisse ?.. Je sais , c’est un rêve naïf , mais pas plus ridicule que le rêve d’un gouvernement mondial sous l’égide des USA…C’était le rêve de la mère d’Albert Cohen, qui pensait qu’alors, “il n’y aurait plus de guerres”…