Cet article est le dernier à paraître sur le blog « A propos de souverainisme non identitaire » hébergé par le site du Temps (qui a annoncé la suppression de son espace blogs au 30 juin). Depuis son ouverture il y a quatre ans (septembre 2019), notre blog a totalisé plus de 170 000 visiteurs uniques et près de 300 000 visites (1).
« A propos de souverainisme non identitaire » se poursuivra depuis le 1er juillet sur la plateforme WordPress, à l’adresse https://schaller-blog.com (déjà active). Les articles publiés depuis 2019 sur le site du Temps y ont été transférés (2).
Nous avons la vanité de penser que les recherches, vérifications, mises en perspective, lors de la première année en particulier, ont contribué aux débats intenses sur la politique européenne de la Suisse. Tant en Suisse alémanique qu’en Suisse romande d’ailleurs, du côté de la Berne fédérale surtout, où nos travaux ont été suivis depuis le début.
Aucune évaluation économique des Accords sectoriels bilatéraux I n’avait été aussi accessible, concrète et complète. Dans le flot continu et ritualisé d’explications apocalyptiques à ce sujet (3), notre background factuel et de bon sens a permis de mieux se rendre compte à quel point l’importance très relative de ces accords ne justifiait pas que l’on cherche à les préserver à tout prix et dans la précipitation. Le réalisme incite également à garder son sang-froid face aux sanctions économiques et menaces continuelles exercées par la Commission européenne depuis la présidence Juncker.
La fréquence de nos articles s’est réduite depuis deux ans, l’actualité de la politique européenne ayant baissé en intensité. Nous attendons sans impatience que le nouveau cycle de négociations entre Berne et Bruxelles avance vers un projet d’accord susceptible d’être soumis à référendum. D’ici là, de nouveaux épisodes intermédiaires vont à coup sûr requérir certains suivis de notre part.
A ce stade, nous constatons avec pas mal de soulagement, et même de… fierté, que les divers combats menés contre le projet d’Accord institutionnel (Insta) ont produit d’importants effets. En passant enfin d’une logique d’intégration à une optique de coopération, la politique européenne de la Suisse a même connu un véritable changement de perspective. Cette réorientation, après trois décennies de vaines tentatives de rattrapage par rapport à l’échec de l’adhésion aux institutions de l’EEE, demande encore à se concrétiser dans des accords formels acceptables.
Précisons : la lettre et l’esprit de l’Insta finalement abandonné relevaient d’une approche intégrative des relations Suisse-UE. Cet accord institutionnel devait ouvrir une nouvelle phase dans l’intégration de la Suisse par subordination accélérée au droit européen unifié. Il s’agissait encore de la « voie » bilatérale ouverte après le vote historique de décembre 1992. Voie menant au lent alignement de la Suisse sur l’Espace économique européen (EEE), en mode individuel toutefois, c’est-à-dire « bilatéral » par opposition à « multilatéral » (avec les autres membres de l’AELE).
Le terme « voie bilatérale » est aujourd’hui conservé en politique intérieure, par souci de continuité (bien qu’il suffirait de parler de bilatéralisme). Il n’est plus question cependant d’intégration, mais de « coopération » à approfondir. C’est-à-dire d’un ensemble d’accords dotés de différents dispositifs de mise à jour et de règlement des différends (par « paquets » selon le terme de l’administration fédérale, cette approche institutionnelle étant qualifiée de « verticale »).
En ce sens, il semblerait que la relation s’achemine vers quelque chose s’apparentant aux accords de « coopération » entre l’UE d’une part, le Royaume-Uni et le Canada de l’autre. Coopération certainement plus étroite, la Suisse ayant une position plus centrale, ne serait-ce que sur le plan géographique. Elle pratique surtout la libre circulation des salariés et indépendants avec l’UE, et fait partie de l’espace Shengen/Dublin, ce qui n’est pas le cas des deux autres.
Encore faudra-t-il que l’Union Européenne supporte de négocier sur une base d’égalité entre Etats (au sens juridique du terme). L’optimisme n’est pas incongru en l’occurrence. La Commission n’a-t-elle pas fini par abandonner son objectif d’intégration tardive du partenaire suisse ? Ne paraît-elle pas aujourd’hui résignée à envisager une certaine verticalité institutionnelle (4) ?
En créant une sorte de précédent indirect, le Brexit a certainement contribué à rendre enfin la chose possible. Si la grande et glorieuse Europe peut vivre avec un « autre » Etat à quelque trente kilomètres de ses côtes, elle devrait également pouvoir fonctionner, sur des bases assez différentes, avec un corps bien moins étranger enclavé dans son territoire. (Quant au Royaume-Uni, même l’incurie de ses gouvernements conservateurs successifs n’est pas encore parvenue à provoquer l’effondrement post-Brexit annoncé.)
Trois groupements interpartis issus de milieux économiques (5), aux objectifs à peu près similaires, ont émergé en Suisse alémanique depuis l’abandon du projet d’accord cadre institutionnel en 2021. Constatant l’équivalence de vue, je me suis aussitôt affilié au premier, autonomiesuisse.ch, qui regroupe des dirigeants d’entreprise, indépendants ou encore économistes soucieux d’une relance de la relation Suisse-UE entre égaux et sur des bases désidéologisées.
Pour une Suisse ouverte sur le monde en d’autres termes, libre et performante, plutôt que de se lier plus que nécessaire à une Union Européenne de plus en plus défensive, protectionniste, passablement larguée dans les technologies et le renouvellement industriel par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie. Garder ses distances sur le plan du droit devient une condition nécessaire au maintien d’un système social performant, finançable et durable en Suisse. Je suis membre depuis cette année du comité d’autonomiesuisse, ce qui n’entrave en rien ma liberté de pensée et d’expression.
—————
(1) 171 553 visiteurs uniques le 29 juin 2023, et 299 894 visites.
(2) Le blog hébergé par La Temps, dans son état au 30 juin 2023, sera toujours accessible sur https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/
(3) Il s’agit en premier lieu des Accords industriels de reconnaissance mutuelle (ARM) et de la recherche subventionnée, qui ont fait récemment l’objet d’interventions susceptibles de recadrage dans les médias romands. Nous y reviendrons prochainement.
(4) C’est en tout cas l’impression que le commissaire européen Maros Sefcovic a laissée lors de son passage à Fribourg et Berne à la mi-mars. Les circonstances du retrait de la secrétaire d’Etat Livia Leu, annoncé deux mois plus tard, ont en revanche suggéré que la Commission n’évoluait pas dans sa perception du dossier.
(5) Voir autonomiesuisse.ch, kompasseuropa.ch (dont je suis également membre) et fairerbilateralismus.ch (de création plus récente).