Le corps chauffe, surchauffe et s’arrête. Mais je reprends le risque.

Cycliste, ma principale angoisse à l’abord de ma compétition à Huntsville, aux États-Unis, est le coup de chaleur. La douleur. L’évanouissement. La crainte d’aller trop loin. “Il fera chaud. Tu en as de la chance, de quoi bien profiter !” Combien de fois l’ai-je entendu ? Sauf que ma température corporelle pourrait augmenter parallèlement à l’intensité de l’effort fourni. À Québec, en août dernier, mon âme s’est arrêtée à 41°. Sous l’impact d’un effort démesuré, tellement je voulais gagner. De la déshydratation. Au point que cela m’a plongé cinq heures dans le coma, m’étant évanouie à l’arrivée. Inconsciente, je n’avais pas réalisé que cela pouvait être fatal au-delà d’un certain seuil. Ni que la température extérieure pouvait être dangereuse d’ailleurs. Les conséquences étaient lourdes : pas de championnats du monde, de fortes douleurs, plusieurs mois pour me remettre d’aplomb. Cela ne doit plus jamais arriver. Pour assurer ma participation aux Championnats cet été aussi et peut-être même gagner ? Pour ne pas abuser de mon corps. Pour l’épargner.

Prévenir plutôt que guérir

La leçon ayant été très (trop ?) dure, j’ai pris les précautions nécessaires, ne sous-estimant aucun facteur. A commencer par m’acclimater en amont. La météo ne permettant pas de se mettre dans des conditions similaires, mon médecin m’a recommandé le sauna. Lorsqu’un après-midi plus chaud s’est présenté, j’en ai profité pour courir sous le soleil, la charge physique et mentale que ce sport m’impose étant plus importante. En plus, pour attester ma bonne forme, je gravis deux fois le Salève à vélo la même semaine, dont la dernière sur le gros plateau. Bon pour l’ego, je parviens à mettre d’autres (des sportifs valides) dans le dur. Tout ça pour dire que je pense être prête. Sur place, j’aurai quatre jours pour m’entraîner sous le soleil américain. La veille et le jour de la compétition, je m’économiserai le plus possible. Mais je n’oublie pas le plus important, pour moi, qui est à la fois mon plus grand allié et mon pire ennemi, parfois.

La force du mental

Puissant, il peut l’être. Le mien peut prendre le dessus sur mon corps, sur mon ressenti, sur la sensation de souffrance. Il suffit de me mettre sur une ligne de départ pour que mon esprit soit tourné vers la compétition !  En plus, étant première du classement général de la Coupe du monde 2023, j’aimerais bien le rester et la gagner à l’issue des deux dernières épreuves. Ayant gagné toutes les courses de la saison, ce serait “trop beau” de renouveler encore cela, bien que j’aie de la marge et que je pourrais me permettre de restreindre mon effort. L’essentiel est de considérer que ces facteurs peuvent me pousser à l’extrême. De me méfier de mes propres capacités mentales. De les anticiper.

Pas de place à l’improvisation !

Dans la préparation. De plus, il faut être prêt à s’adapter à chaque instant et à trouver des solutions, collectivement : une multitude de personnes est mobilisée lors de la course d’un athlète. De l’échauffement jusqu’au départ, je porterai une veste rafraîchissante munie de glace dans les poches. Sortie du congélateur, elle se conserve dans un sac isotherme. C’est aussi le dernier moment pour m’arroser la tête, comme une plante pour qu’elle se transforme en lionne prête à partir à l’attaque. Je me permets un peu d’imagination pour rester détendue. J’aurai bu des électrolytes à l’échauffement, mangé une barre énergétique pour remplir le “réservoir” et je serai approvisionnée en boisson isotonique.

Deux courses ; deux modèles

À l’épreuve du contre-la-montre, ma stratégie réside principalement en le fait de ne pas en faire plus que nécessaire. Pas besoin de gagner avec beaucoup d’avance. Nul doute que ma performance sera bonne, bien que j’en fasse un peu moins. Mais comment savoir que je suis dans les clous ou à l’inverse, en retard ? Étant la plus forte, je serai la dernière à prendre le départ, à une minute d’intervalle. Lorsque je m’approcherai de ma principale adversaire, championne du monde actuelle, des personnes du staff de l’équipe suisse seront mobilisées à plusieurs endroits spécifiques du parcours, appelées des zones d’approvisionnement (feedzones). Elles m’indiqueront l’écart lors de mes passages, bien que leurs missions principales soient autres. Elles seront munies d’un bidon d’eau (si mon “kamelbag” ne devait pas fonctionner ou si je devais ne pas en avoir suffisamment sur moi), d’une ou deux autres bouteilles froides pour m’asperger ainsi que de deux roues de réserve (une avant et une arrière, les deux étant différentes pour mon tricycle) afin de pallier une éventuelle crevaison. Même processus pour la course en ligne. A la différence près, la course étant plus longue, que je suis munie d’une barre énergétique supplémentaire pour éviter une fringale.

Finalement : comment brider ma volonté ?

Question étrange. Parfois, mes proches pourraient le souhaiter par mesure de sécurité. Souvent, on me dit de ne pas trop en faire. Bref, de ne pas aller à l’extrême. Je m’y suis préparée grâce à un exercice mental, le but étant de maîtriser les pensées qui m’inciteraient à une prise de risque trop importante et de les remplacer par d’autres, plus raisonnables. Autre mesure de prévention : dire quelques mots ou faire un signe aux personnes du staff suisse lors de mes passages. Tant que je réponds, c’est que je vais bien. Sinon, ils doivent agir. M’arrêter. Ce qui serait terrible pour moi, contre ma volonté.

M’intéresser à la problématique

J’ai trouvé un petit appareil qui mesure la température corporelle, attachée à la ceinture cardiaque en-dessous de la poitrine. En l’essayant à l’entraînement, j’ai vu le curseur augmenter, sans trop m’inquiéter pour autant. Bien que mon médecin me dise que ce système est imprécis et pas viable, cela m’a permis de m’intéresser aux phénomènes physiologiques qui interviennent lors d’un effort intense. J’ai compris, en tout cas par rapport à ce système, qu’il était normal, dans mon cas, de voir les chiffres grimper facilement jusqu’à 39°. Bon ou mauvais ? Je n’en sais rien. Mais j’ai ressenti que j’allais bien. Néanmoins, cela m’a rendu encore plus attentive à aux mesures à prendre afin d’éviter la catastrophe. Je compte sur mes capacités physiques et mentales pour franchir l’arrivée le plus vite possible et sur les mesures entreprises pour y arriver dans les meilleures conditions possibles. Non, dans des bonnes conditions. Mon objectif ? Gagner. Et remporter la Coupe du monde 2023.

En résumé, les thématiques abordées sont la problématique du coup de chaleur vu par l’athlète, la préparation en trois étapes (celle en amont de l’événement, la préparation mentale, et celles avant et pendant la course) et l’apprentissage en continu pour favoriser la prévention.

 

Photo: Anne-Karelle Hocq

Un pas en arrière, trois en avant

Dans une bonne passe, les opportunités s’alignent. Elles se créent aussi. Comme les trois dernières, pour moi : ma sélection par l’Armée suisse en sport d’élite, mon diplôme en éthique et mon élection au Grand Conseil de Genève.

Des aboutissements, ou plutôt des étapes, à travers un engagement sans faille dans les activités et pour les causes que j’ai choisies. Pour chacune d’elles, on peut la saisir ou la laisser passer. C’est un choix qu’il est nécessaire d’assumer. Jusqu’au bout. Mais il faut déjà voir les opportunités qui se profilent. Comment ?

Philosophie de la vie

En restant ouvert à toutes les possibilités à laquelle une situation précise pourrait conduire. Au résultat d’une action ou d’un événement de vie. En quelque sorte cela mènera toujours à autre chose. Mais ça, c’est une musique d’avenir. Focalisons-nous sur l’instant présent. Ma force est de considérer les éléments positifs dans ce qu’il y a de plus dur. Ce qui touche à ma santé notamment. Ce qui perturbe ma carrière sportive ou professionnelle, bien que cela reste anecdotique. D’ailleurs, “ce qui ne tue pas, rend plus fort”, dit-on. C’est vrai. Les émotions bouleversent. Pour faire la part des choses et prendre le recul nécessaire pour maintenir une vision objective d’une situation, j’appellerai cela le fait d’être “émotionnellement rationnel”. Cela me permet de garder la tête hors de l’eau à travers les défis du quotidien. De garder la tête haute lors d’échecs que je ne considère pas comme une fin en soi, mais plutôt comme une étape. Nous en vivons tous. Qu’ils soient nombreux ou non, ils ne doivent pas être sous-estimés. Ils pourraient vous gâcher la vie si vous n’êtes pas prêts à les affronter, les dépasser. Il n’y a pas de miracle ; il faut travailler. Gérer vos émotions. En faire quelque chose d’utile.

Mettez des priorités

Si quelque chose me plaît, je vais investiguer. Si je choisi d’y aller, je ne laisse pas tomber. Comment faire s’il y en a trop ? Je me concentre sur mes activités, sans m’éparpiller, malgré cette forte tendance, stimulée par ma potentielle hyperactivité qui n’a, certes, jamais été diagnostiquée. Pour garder ma ligne, les maîtres mots sont : sport et handicap. Toutes mes activités en découlent : sport de haut niveau en cyclisme, l’entreprise Lead 2 Progress SA, mes engagements associatifs, l’éthique, la politique. Comment expliquer que les choses s’alignent magnifiquement bien ? Les sollicitations ? J’essaie d’y répondre favorablement à chaque fois. Sans m’épuiser ; c’est là le plus important. Mon hygiène de vie et ma capacité de planification sont mes plus grandes forces. Ma santé est essentielle. Pourtant, je dois être forte mentalement. Mon plus grand ennui, mon handicap, est devenu ma plus grande motivation, une source d’inspiration pour moi et pour les autres. Toutes mes activités viennent de là et font donc sens. Des éléments importants : faire une chose après l’autre, les programmer soigneusement dans l’agenda, en assurant des moments de bien-être (pour moi, cela peut être un massage, un sauna ou une simple pause-café).

Faites des choix

Soit on en fait. Soit on n’en fait pas. La vie étant une succession de choix, ceux que j’ai fait il y a plusieurs mois et années influencent ceux d’aujourd’hui. Si je n’avais pas maintenu une activité sportive suite à mon arrêt brutal en athlétisme, je n’aurais jamais gagné la Coupe du monde en cyclisme. Si je n’avais jamais milité aux côtés d’associations, je n’aurais jamais imaginé faire de la politique un jour. Ainsi, j’ai décidé, il y a moins d’une année, de porter ma candidature auprès de la population genevoise pour l’élection au Grand Conseil de Genève. Menant ma carrière sportive de front, parallèlement à plusieurs engagements associatifs, je tenais à élargir mon champ d’action vis-à-vis de la population genevoise via son parlement. Un choix, une implication, un engagement : ce processus pousse à évoluer plutôt que de stagner. Je me suis ouverte à cette possibilité, sans aucune garantie. Et elle s’est concrétisée ! Sans prétentions aucune, je savoure chaque victoire, qu’elle soit minuscule ou très concrète pour maintenir ma motivation intacte.

Finalités

Le 2 avril, j’ai été élue au Grand Conseil de Genève. Étant d’avis de prendre mon destin en main et de créer l’avenir plutôt que de se laisser bercer et de le subir, j’ai semé les graines qui, en étant irriguées, deviendront grandes. La vie a un sens. Pour moi, les résultats actuels me poussent à aller dans la bonne direction. N’étant pas naïve, je sais qu’il me faudra adapter mes activités. Gérer mon agenda. Planifier soigneusement mes absences. Pour mener à bien le mandat qu’on m’a confié. Ça, c’est le sens de ma vie. Régulièrement, un peu de philosophie me permet de lui la donner.

Le goût d’une session

J’ai pu siéger au Conseil national en tant que l’une de quarante-quatre parlementaires d’un jour. Expérience incroyable. Un succès. Accéder au Palais fédéral, y entrer, siéger, que d’émotions !

Retour sur la première session des personnes handicapées :

« Une meilleure application de la Convention des droits des personnes handicapées se passe avec vous », a statué Monsieur le Président du Conseil national, Martin Candinas, dès l’ouverture de la session.

Madame la Présidente du Conseil des États, Brigitte Häberli-Koller, incite à la participation politique et espère voir certains d’entre-nous élus aux élections fédérales cet automne (je ne serai pas candidate).

Monsieur le Président de la commission des personnes handicapées, Christian Lohr, marque ce moment historique au Parlement : « Il faut se battre pour nos droits avec les bons et justes arguments, l’échange et le dialogue étant le plus important. Nous sommes les experts du handicap. Pas sans nous, pour nous ».

Seul Conseiller national en situation de handicap depuis 2011 et pourtant, le handicap touche 22% des citoyens selon l’OFS, il faut une meilleure représentativité en politique, à tous les échelons ! Une vie sans obstacle pour toutes et tous doit devenir une réalité, une évidence. Aujourd’hui, un signal fort a été donné à la Suisse, à la société et au politique ! Sur deux-cents sièges, cela ferait justement quarante-quatre. Néanmoins, Christian Lohr est le seul élu au Conseil national depuis 2011. Anecdote : « Quand on m’a attribué la place 179 au dernier rang, je ne me doutais pas que c’était pour cacher mon handicap, le mettre, comme toujours, dans l’ombre. Mais j’ai appris, plus tard, que les places arrière étaient pour les personnes les plus importantes d’un parti. J’étais d’un coup privilégié. »

Comme c’est le cas pour toutes les minorités, le handicap est souvent délaissé. Sauf qu’il touche plus d’une personne sur cinq. Une place a été attribuée à quarante-quatre personnes en situation de handicap. Pour faciliter l’écriture, j’utiliserai la première personne du pluriel « nous ». Faisons donc en sorte de tendre vers ce chiffre à l’avenir pour donner une impulsion à la société. Au Parlement, nous avons montré notre volonté à participer à la politique. Nous n’étions pas dans le Palais fédéral pour nous plaindre. Nous étions là pour montrer notre désir à participer à la politique. Le but de la résolution est là : il s’agit de sauvegarder des principes importants. C’est le départ d’une nouvelle réalité. Les premières briques sont désormais posées. Plusieurs Conseillers-ères nationaux-ales et Conseillers-ères des États étaient présents. Nous avons démontré notre capacité à siéger et à être considérées. En leur présence, nombreuses sont les propositions qui ont été faites traitant toutes les dimensions touchant à la participation politique : de nombreuses propositions ont été faites : accessibilité, droit de vote, implication dans la politique, finances, discriminations, institutions et l’extension à d’autres domaines de la vie. J’ai traité des finances (une marque PLR) : « L’Etat garantit que les personnes élues retrouvent les prestations sociales antérieures après leur mandat ». Ma prise de parole :

« Monsieur le Président du Conseil national, Madame la Présidente du Conseil des Etats, Monsieur le président de la Commission des personnes handicapées, chers collègues,

L’aspect financier est un frein à l’engagement politique des personnes en situation de handicap. Une grande partie d’entre-elles bénéficient de prestations sociales. Dans la situation actuelle, le revenu ponctuel d’élu-e politique à l’échelon communal, cantonal ou fédéral pourrait impliquer une diminution voire la suppression de ces prestations, ce qui pourrait générer des difficultés financières si elles ne sont rétribuées après leur mandat. De nombreuses personnes ne veulent pas courir ce risque. L’Etat doit leur garantir de retrouver leurs prestations sociales antérieures. Par conséquent, elles seront davantage incitées à participer à des élections. La représentation en politique des personnes en situation de handicap ne pourra ainsi qu’augmenter. Je vous remercie de votre attention et d’accepter cet ajout. »

Je suis touchée : les deux élus fédéraux me félicitent pour ma « très bonne » intervention qui a eu lieu juste avant la pause, contents d’apprendre ma candidature au Grand Conseil de Genève. Durant la session, j’ai échangé quelques messages avec la Conseillère nationale genevoise, Simone de Montmollin. Cette fonction, le temps d’une session, m’a permis de donner du sens à mon engagement politique : agir sur le cadre légal pour renforcer le lien social, pour la meilleure intégration et qualité de vie possible. Je reçois plusieurs messages de personnes qui ont suivi la session en direct. Leur remarque partagée : nous étions sérieux et studieux. Normal, nous prenons notre mandat à cœur, représentant 1,8 millions de citoyens. Quand la résolution finale a été votée, il y a eu un tonnerre d’applaudissement. Cela a duré quelques minutes. Le public, composés d’élus fédéraux et de journalistes principalement, s’est levé. L’espoir est désormais permis : c’est aux élus d’appliquer la résolution par le biais de proposition, de motions, etc. Tout cela pour dire que ce ne sera pas la dernière session des personnes handicapées ! Avec nous, pour toutes et tous.

Conclusion : venant de rendre mon travail de diplôme pour le « CAS en éthique, santé et environnement » à l’Université de Lausanne sur « l’engagement politique au sein d’un parti pour le bien des citoyens » et le présentant vendredi, je me sens obligée de marquer la cohésion des parlementaires. Le sujet du handicap nous rassemble : nous avons démontré comment parvenir au consensus. Nous œuvrons pour l’humain, pour l’humanité. Est-il encore utile de dire que les parlementaires étaient issus d’une multitude de cantons suisses, qu’ils avaient des handicaps différents, des lignes et couleurs politiques divergentes ?

Photo: Pro Infirmis

La résolutien: lien

Vidéo: lien (mon intervention après 2:14)

 

La route pour siéger à Berne, pour une session extraordinaire

Une séance préparatoire a réuni les parlementaires romands de la première session des personnes handicapées au Grand Conseil vaudois, il y a un mois. Ils – nous – avons été élu, par votations. La question de la participation politique nous réunit.

Le chemin est long

Il m’aura fallu des années pour m’engager en politique, comme on l’entend au sens propre, intégrer un parti et prétendre à une fonction. Vivre une « jeunesse handicapée » m’aura confronté aux nombreuses limites que la société impose, des barrières architecturales aux comportements humains. Menant une politique militante depuis mon élection de Miss Handicap 2012 et mon rôle de porte-parole, je rempli ma mission en apportant des changements sur le terrain à travers des associations. Le social étant devenu mon domaine de prédilection, en plus du sport (deux domaines dans lesquels je baigne), il m’a fallu aller plus loin ! C’est ainsi que je soumets ma candidature au Grand Conseil de Genève le 2 avril prochain. Faire acte de candidature à la session extraordinaire du Parlement à Berne était une évidence.

La réalité du terrain montrée par l’ONU

Il a critiqué largement la mise en œuvre de la Convention des droits des personnes handicapées : la Suisse, pas un pays « pauvre » à priori, n’est pas à la hauteur, loin de là. Au contraire, elle démontre un grand retard. Par où faut-il commencer ? Par le début, évidemment. Pour espérer une avancée concrète, les personnes en situation de handicap doivent participer à tous les débats et ainsi se retrouver à tous les niveaux de l’échiquier politique – communal, cantonal et fédéral. Il est donc question de rendre possible et de faciliter l’exercice des droits civiques ainsi qu’inciter aux fonctions politiques. Au pouvoir législatif, il y en a, bien qu’on le compte souvent, selon les cantons, sur les doigts d’une main. À l’exécutif ? Je n’en connais pas ! Une adaptation du poste pour inclure une personne talentueuse, bien qu’en situation de handicap, semble hors de question à ce stade. Jusqu’où arriverons-nous à influencer et à « ouvrir » la loi ?

En route

Avant de prendre la route, en tant que sportive d’élite, je suis soumise, comme n’importe quel athlète, à un contrôle anti-dopage. Heureusement que mes affaires sont prêtes et que mon planning est fixé. Je bois un café au bistrot du coin. Je découvre l’article de la Tribune de Genève dans lequel je me suis exprimée. Le soleil étant levé, je profite de la bonne luminosité pour prendre le train, avant que l’on passe à l’heure d’été. Je ressens un stress. C’est une nouvelle expérience pour moi. Siéger au Palais fédéral… Ça fait rêver. Avoir un impact pour la bonne qualité de vie est bel et bien le fruit de mon engagement en politique.

Handicap, réfugié, jeune ou plus âgé, nous avons tous une place dans la société

Sans distinction, toutes les personnes ont le droit de vivre une vie bonne, qu’il s’agisse du 22% de personnes en situation de handicap, de celles que la Suisse a accueillie ou des citoyens originaires de Suisse. Tous devraient être égaux devant la loi : les droits humains s’appliquent à tous ; s’il existe des droits, il y a des devoirs correspondants, sans exceptions. Il est question d’exercer ses droits. D’ailleurs, venant de rendre mon travail de diplôme en éthique sur l’engagement politique au sein d’un parti pour le bien des citoyens (j’y reviendrai après les élections cantonales à Genève).

Marathon médiatique

Sans prétention aucune, les nombreuses sollicitations m’ont marquée, un peu comme avant les JO. Mais elle marque surtout l’intérêt pour la question du handicap. Enfin ! Il aura fallu prouver, encore une fois, de quoi nous sommes capables grâce au fait d’accéder à ce qu’il y a de plus haut, l’organe suprême du pays : le Conseil national. Première demi-journée de tournage était la semaine précédant la session extraordinaire du Parlement. Une visio-conférence pour Le Temps. Puis, la veille, je rencontrait les médias locaux. La couverture est exponentielle : jamais autant de personnes et de décideurs auront été sensibilisés. Le handicap concerne tout le monde et peut tous nous frapper. En plus, la société est vieillissante et les pathologies augmentent… Rendons donc notre avenir meilleur ! Se plaindre n’en vaut pas la peine.

Photo: Handicap International Suisse

Diriger une entreprise et veiller à la santé de ses employés : bouger, c’est bon pour le stress

Quand on m’a demandé d’intervenir sur le bien-être et la prévention pour le dirigeant d’entreprise, c’était mercredi dernier.

J’ai pensé au sport. À ses bénéfices. Mais aussi au quotidien souvent mouvementé des entrepreneurs. Aux coups durs qu’ils peuvent ressentir. Au manque de dynamisme. Ou pas. Ils se dopent alors au café pour tenir. Comme si la grande majorité d’entre-nous ne courait pas assez. D’une réunion à l’autre. D’un dossier à l’autre. Comme si on ne le faisait pas assez, au sens propre comme au sens figuré. Je dirais plutôt que le sport est bon « contre » le stress.

Une question de volonté ? Pas vraiment. En faire bien vous aurait permis d’être certainement plus efficace et de vous sentir mieux. Ça ne se refuse pas ! Soyez honnête, vous ne le faites pas car ce n’est pas votre priorité. Vous préférez vous laisser entraîner par le stress du quotidien… Il vous faut continuer si vous ne souhaitez pas améliorer votre santé. Si la famille est prioritaire, la raison est bonne. Si c’est pour allez au bistrot, il y a de quoi négocier ! Réfléchissez à ce qui est le mieux pour vous : investir dans votre bien-être sur le long terme ou sur un court plaisir. Sans mettre de priorité tout court, vous risquez de vous surcharger ou éventuellement même de vous surmener.

La réalité d’aujourd’hui : la cour des comptes de Genève, selon une étude, a récemment relevé des chiffres terrifiants (Cqe-de-presse_Surpoids-et-obesite_Final.pdf). Plus de 10% de la population suisse est considérée comme obèse et près d’un tiers en surpoids ! C’est dire qu’on s’approche des USA ! Les causes principales ? Une alimentation trop riche et un manque d’activité physique.  Les répercussions sur la santé sont graves et entraînent des coûts importants. Il y a de quoi se remettre en question ! Vite, malgré que la situation ne s’est pas dégringolé du jour au lendemain. N’attendons pas l’urgence pour agir !

Tout est question d’éducation, d’accessibilité, de plaisir et de priorité, qu’on parle du sportif amateur ou d’élite d’ailleurs. Ces quatre principes étant liés, ils permettraient d’influencer la santé positivement. Il faut trouver les moyens d’agir dessus ! La prévention gagnera en efficacité. Rappelons que nous vivons à Genève où nous avons des moyens : plein de fitness à disposition, des infrastructures sportives publiques… Et la politique du sport ? C’est une grande question.

Comment agir en tant que dirigeant d’entreprise ? Ils représentent une part du gâteau et doivent prendre leur part de responsabilité. A commencer par veiller à la santé physique et mentale de leurs collaborateurs : trop de stress ou trop de charge de travail peut être néfaste. Cela passe ensuite par une culture d’entreprise à incarner : inciter à faire du sport, récompenser ceux qui en font, proposer de la souplesse dans l’aménagement des horaires, intégrer l’activité physique à votre stratégie de bien-être de vos collaborateurs et créer une dynamique de groupe. Pour retenir des talents, pensez-y, ça compte aussi ! Rappelez-vous, ce qui est bon pour vos collaborateurs est bon pour votre business ! On dit « un esprit sain dans un corps sain ». Carpe diem !

 

Extrait repris de mon intervention de mercredi 1er mars 2023 pour le CREG à l’hôtel Mövenpick: Prévention et bien-être pour le chef d’entreprise ; intervenants: Dr Vincent Burki (médecin du sport), Dr Pierre Conne, Dr Charler Selleger (cardiologue) et Dr David Jakubec (psychiatre)

L’autonomie vis-à-vis de l’Etat favoriserait le bonheur ; et vice-versa

La dépendance financière d’un ami, de la banque, de son assurance ou de l’aide sociale peut vite devenir un cercle vicieux pour bon nombre de personnes. Étant en situation de handicap, j’ai pu toucher à cette limite, entre l’assistance totale et l’autonomie maximale, selon mes capacités et mes limites. J’ai aussi pu l’expérimenter auprès d’autres personnes. Certaines sont engouffrées dans le système. Est-ce que, elles seules, y peuvent quelque chose ? Pourtant, la majorité des plaintes porte sur les personnes qui ne devraient pas (ou plus) être en droit d’être à l’aide sociale.

Rôle de l’aide sociale

Elle devrait se positionner comme un leader. Les justes bénéficiaires devraient être mieux accompagnés, ce qui leur éviteraient des dépenses d’énergie inutiles (le processus est souvent ressenti comme un lourd combat) et leur permettraient de mieux vivre, pour autant que l’objectif, des fonctionnaires et des bénéficiaires à la fois, soit une vie bonne. Il arrive de se sentir humilié par des interlocuteurs de l’aide sociale qui ne nous (les demandeurs) croient pas. Nous sommes déjà dans une position suffisamment délicate, parfois au fond du trou. Ils ont, certes, des protocoles à respecter et probablement peu de marge de manœuvre. Utopiquement, il ne faut pas oublier que le non-recours à l’aide sociale des personnes dans le besoin, que ce soit pour des raisons d’intégrité ou non, représente également un coût !

Il me semble nécessaire de mentionner, bien que je ne m’étalerais pas sur ce point, la problématique des conditions de travail, le bien-être des collaborateurs de l’Etat et leur taux de motivation. Est-il affecté par les demandeurs qui n’ont souvent pas le moral ou par les mensonges des personnes qui en profitent ?

A priori, d’après mon expérience et des simples notions de psychologies, il ne me semblerait pas facile de travailler avec des personnes tristes ou malhonnêtes et de garder le moral, le positivisme – comme le fait d’être négatif – se propageant sur les autres. Comment peut-on aider les personnes à s’en sortir et à retrouver cette si précieuse autonomie, bien qu’elle soit partielle dans beaucoup de situations ? Cela pourrait-il pousser à l’accomplissement de soi, synonyme du bonheur ? Quoi qu’il en soit, l’Etat ne devrait pas perdre de vue toutes les personnes mentionnées précédemment et les envoyer aux bons endroits, l’objectif étant de les accompagner vers un degré d’indépendance maximale propre à chacun, grâce à la formation notamment, et les soutenir financièrement pour les besoins de base s’ils ne parviennent pas totalement à les assurer par eux-mêmes.

Un gain pour les bénéficiaires est un gain pour l’organisation étatique

En regagnant un degré d’indépendance maximale selon ses capacités physiques, mentales et émotionnelles, les bénéficiaires de l’aide sociale devraient avoir quelque chose à y gagner : il faudrait les récompenser pour leurs efforts. Cela les inciterait aussi à en fournir plus et cet élan découragerait potentiellement aussi les abus (ou les limiterait tout au moins). Mais l’organisation concernée (souvent l’AI ou l’Hospice) devrait rester prête à fournir à nouveau l’aide requise si un essai n’aboutirait pas. L’Etat devrait encourager les personnes à entreprendre, sans dégouter pour autant.

Exemple pour un bénéficiaire de l’AI, en situation de handicap : s’il tente de travailler plus et gagne plus d’argent ponctuellement, son dossier sera clôturé. Sachant que les difficultés vis-à-vis du handicap peuvent évoluer, il ne devrait pas avoir besoin de soumettre une nouvelle demande et parfois attendre des années jusqu’à obtenir une réponse ! S’il ne peut plus assurer ses besoins, son dossier devrait être réenclenché de suite. Cela enlèverait la peur de se lancer, permettrait à plus de personnes d’essayer et, qui sait, à plus de personnes d’y arriver.

Conclusion : une personne qui travaille selon ses capacités, ni plus ni moins, sera accomplie et satisfaite. Logiquement, elle deviendrait une charge plus petite pour l’Etat. Et si ce phénomène se démultipliait ? C’est plus facile à dire qu’à faire ! Un long combat politique s’annonce, le dossier étant conséquent, comptant un nombre indéfini d’éléments à inclure. Mais le but est d’arriver à une meilleure situation pour toutes les parties sans que ce soit au détriment de l’un (les bénéficiaires) ou de l’autre (l’Etat). C’est d’autant plus important, les demandes concernant une grande proportion de la population, quasiment le 10% jusqu’en 2021 (voir statistiques).

Vivre grâce à l’aide sociale : il est compliqué de retrouver l’indépendance face à l’Etat. Un cercle vicieux !

Ma famille, néerlandaise d’origine, dira que c’est le luxe, que nous sommes bien aidés. Trop ? De l’argent est-il jeté par la fenêtre ? Cela nous rend-il vraiment service ? C’est beau dans les faits au premier abord. Les conséquences sont pourtant désastreuses.

Réformer le système ? Oui, c’est amplement nécessaire. Mais pas n’importe comment. Pour aboutir à un meilleur fonctionnement, il est nécessaire d’y passer du temps. De mener des débats. Qui pourront parfois être longs. Difficiles. Mais indispensables à mon sens. Surtout que le dossier est grand. Selon Le Courrier, 15% de la population bénéficie de l’aide sociale. En dix ans, la durée moyenne de prise en charge est passée d’un peu moins de deux ans à plus de quatre ans et demi. Problèmes avec un « s » ! Il ne faut pas traîner. Pour le bien de la population. Pour la sérénité de la société. Pour les comptes de l’Etat. C’est l’essence même de mon engagement politique et de ma candidature au Grand Conseil.

Ayant eu un grave accident, vivant avec un handicap, côtoyant de nombreuses personnes soutenues par l’aide sociale qu’elles soient en situation de handicap ou réfugiées et enfin, ayant un certain recul vis-à-vis les défaillances du système, mes expériences m’ont donné la « chance » de le voir et le « toucher » de l’intérieur. D’avoir un œil critique. D’apporter un éclaircissement. Il faut arrêter de se voiler la face : cette aide qui devrait être ponctuelle dans une grande partie des cas (elle est permanente lors d’une « incapacité totale de travailler) tend à y maintenir les bénéficiaires plus longtemps, voir toute leur vie. Ça, ce sont des sacrés coûts. Je lève le voile : tous savent de quoi on parle, mais peu de personnes osent en parler, particulièrement les bénéficiaires.

Comment en arriver là ?

Quelque soit la manière dont on arrive à l’aide sociale – l’AI et l’Hospice générale fonctionnent sur le même modèle (bien que la réforme ne traite que des aspects cantonaux et non fédéraux) -, on y est plutôt bien. Indemnisé. Tous les mois. Au bénéfice de subsides d’assurance-maladie, eux-mêmes basés sur son revenu ; souvent, il n’y en a pas et l’assistance est maximale. Plus le droit aux prestations complémentaires. Selon la capacité de travailler de ladite personne, une formation sera proposée au cours de ce que l’on appelle une réinsertion professionnelle. Encore mieux. Tout est payé. Encore mieux qu’une rente (c’est stimulant), nous obtenons des indemnités journalières, une aide pour les transports si nécessaire…

Des exceptions

Étudiant à mi-temps et sans autre activité lucrative, je pouvais payer mon loyer et me payer une semaine de vacances par an. Mais je me dois de les féliciter pour avoir été visionnaire avec moi (bien qu’il m’a fallu un avocat) : comme mon éducation familiale le favorisait, je me devais d’aller à l’université. Chose faite. Cet investissement m’aura permis d’avoir plus d’autonomie et, de garder l’espoir d’être une fois pour toute, quand je serai capable de l’assumer (tout en gardant mon 50%), indépendante vis-à-vis de l’AI, des prestations complémentaires et donc de l’Etat. Car, pour moi, tenir sur mes propres jambes dans tous les sens du terme mène à la satisfaction. À la fierté aussi. La petite partie des personnes dans la même situation que moi devrait pouvoir le faire. Les autres doivent y être encouragées. Petit-à-petit. Étape par étape. D’une manière sereine. Impossible pour l’instant !

Dans la réalité

Ça ne se passe pas d’une façon limpide : tant qu’on est aidé, payé, la situation est confortable.  La majorité du temps, on touche une rente. Plus d’éventuelles autres prestations. Nous devons travailler, conformément aux barèmes fixés (pourcentage d’invalidité, capacités, etc). Que se passe-t-il ? Il suffit de faire le minimum requis. Et si on travaillait plus ? On n’y gagne rien. C’est déduit. Pourquoi alors le faire ? Cela n’a pas de sens ! Idem quand on est un travailleur indépendant et que notre bilan a évolué d’une année à l’autre. Sauf que là, les charges d’une année entière seront bien plus importantes à inclure (montant à rembourser), d’un coup, sans avoir pu les prévoir. Si on avait épargné plus afin de les anticiper, ça ne pouvait qu’être pire. Pourquoi alors être plus motivé et booster sa santé pour espérer plus travailler et mieux gagner sa vie ? Inutile. Ce n’est pas valorisé. Le risque à prendre de perdre l’aide attribuée lors d’un simple essai est largement supérieur au gain estimé (quasi inexistant et il ne se mesure pas financièrement). C’est tout ou rien. On est toujours perdant dans l’histoire. On sera toujours mieux à l’aide sociale, avec peu de moyens, mais quasi sans travailler. De toute façon, on n’y gagne rien d’essayer ! Pourquoi alors faire plus ? On devrait plutôt parler d’accompagnement et d’autonomisation.

Quel modèle ?

Je n’ai pas la solution sous la main. Une chose est certaine : les travaux vont se poursuivre et je serai heureuse d’y apporter mes idées du terrain. L’Aide sociale est une charge importante pour la société. Les attentes d’un système meilleur pressent. Bien qu’il soit important de prendre le temps pour apporter la meilleure solution possible à ce dossier à la fois lourd et crucial. Conclusion : si le bien-être de la population augmente, nous avons peut-être la clef… C’est le délicat mélange entre la santé, l’emploi, l’environnement, l’accès au sport, à la culture… Malgré l’urgence de révolutionner le système social. Rendre les personnes heureuses. Point qui me tient le plus à cœur. Pour moi, cela passe par les valeurs citées dans cet article : indépendance, autonomie, satisfaction. Les conditions doivent être instaurées, permettant d’y mener.

 

Confiance aveugle ? Il faut doser, compter sur ses ressources personnelles et entreprendre au bon moment

Qui sait combien il est difficile pour moi de faire confiance. à la vie après avoir failli y passer. À un ami après avoir été trahie. À la politique après avoir expérimenté un système défaillant. Comment est-ce encore possible de vivre avec sérénité et espoir ?

Puis-je croire à la bonne évolution du monde alors que les catastrophes s’alignent les unes après les autres ? Puis-je prier pour vivre une relation sans manquement et en toute honnêteté, qu’elle soit amoureuse ou amicale ? Enfin, peut-on faire confiance à tout le monde ? Certainement pas. Mensonge et trahison sont souvent liés à des “événements”, des actions entreprises soi-même ou à des paramètres extérieurs qu’on ne contrôle pas et qu’on préfère cacher. Que me réserve la vie ? Elle est remplie d’incertitudes, “bonnes” et “mauvaises”. Chacun fera sa propre interprétation du bien et du mal, de ce qui est juste pour lui (ce qui ne l’est pas nécessairement pour une autre personne, plus exigeante – ou moins – dans sa définition).

C’est mal parti. Comment faire pour coexister en « tandem » ? Il peut s’agir de son partenaire de vie, d’affaires, d’un groupe ou encore de faire de la bicyclette à deux. On garde une part de contrôle dans bon nombre de situations malgré le fait que chacun porte sa part de responsabilité. A vélo, il y a le pilote et l’autre personne est souvent aveugle ou malvoyante. Comment en suis-je arrivée là ?

L’entraîneur national de para-cyclisme était devant la première fois que j’ai essayé. En plus, nous prévoyons de rouler sur la piste du vélodrome. 250 mètres. Virages serrés. C’est raide. La vitesse est bien plus élevée que sur mon tricycle de route. En plus de la légitimé de sa fonction, je savais qu’il avait l’expérience requise pour me mettre à l’aise. Il tenait à ma progression, à m’intégrer à l’équipe et je l’avais déjà rencontré lors des Jeux Paralympiques de Rio de 2016, que j’ai disputé en équitation. L’accumulation des éléments positifs m’a donné confiance : tous les feux étaient aux verts. Premier essai satisfaisant. L’expérience était marquée par ces facteurs qui ont influencé notre performance, en plus d’une bonne dose de motivation des deux côtés. Le rôle du matériel ? Je n’y ai même pas pensé puisque tout était bien. M’en soucier ne m’aurait pas aidé ; je ne m’y connais pas.

Lors d’un autre entraînement, tout était organisé pour que je puisse rouler avec une pilote féminine, prénommée Anne-Karelle. Frayeur. Dès le début. Aucune résistance dans les jambes. Je pédalais dans le vide. Je me sentais constamment en perte d’équilibre.  J’avais peur de tomber. Et je ne connaissais pas cette personne. Je voulais arrêter, m’étant promise de ne rien faire contre ma volonté. La sécurité n’est-elle pas la condition primordiale (y compris le fait de se sentir en sécurité) ? nous ne nous connaissions pas avant. C’était peut-être ça la première chose à faire, non ? Le stage durait quatre jours. Nous avions le temps de discuter, de préparer le tandem ensemble et d’ajuster la mécanique pour que je me sente bien. Un petit réglage a suffi. C’est mieux de communiquer sur les difficultés, surtout si, par chance, on peut avoir les solutions sous la main.  Nous avons progressé jusqu’à simuler une course de 3000m et de 1000m, à l’entraînement. Nous avons atteint une vitesse au-delà des 40km/h. Elle me communiquait « garde la ligne », « plus » ou « moins ». Ainsi, je savais ce que je devais faire pour qu’elle se sente bien et améliorer la qualité de notre duo.

Saison sur route. En solo sur mon tricycle. Victoires. Double championne d’Europe. Vainqueur de la Coupe du monde 2022. J’ai confiance en moi. Peut-être un peu trop. Cela m’a coûté un coup de chaleur. Un sacré frein. Si la confiance devait être une aventure, elle ressemblerait à un parcours de montagnes russes. Parfois, la barre est haute. D’autres fois, elle est plus basse. Mais jamais tout en bas. C’est pour ça qu’il est nécessaire de se rappeler les dernières expériences positives. J’ai développé la capacité à être plus flexible, sans doute grâce la concordance de l’ensemble des paramètres qui m’a permis de réaliser la meilleure saison de ma carrière. En tandem ou sur mon tricycle, je dois compter sur des ressources humaines essentielles (entraîneur, mécanicien, physio, etc). Il y a aussi l’équipement, la nutrition qui doit être testée avant une course… pour se sentir bien ! Voyez-vous, la confiance est partout.

Remise, c’est peut-être pour ça qu’il m’a fallu gravir le Salève. Pour regagner confiance en mon corps, en mes capacités…J’ai repris le tandem avec une association au Vélodrome de Genève – Taupenivo – qui s’occupe de personnes malvoyantes et aveugles. Bien qu’elle soit conçue pour le sport amateur, j’y ai trouvé mon compte, surtout un pilote – Fred – avec les compétences requises. En plus, je pouvais à présent m’adapter ; chacun ayant son style de conduite et chaque vélo étant différent.

Le président des “4 Jours de Genève”, Loïc Hugentobler, qui me soutient, m’a proposé d’y faire un événement pour mes sponsors. Une course avant le repas. Un test sur 3km avec “ma” pilote Anne-Karelle. Bien que nous ne pouvions nous entraîner ensemble plus d’une fois avant, nous nous sentions prêtes. Elle a témoigné de ma progression, ayant amélioré ma stabilité et la technique de pédalage. Nous étions suffisamment confiantes pour réaliser une bonne course. Tout se ressent, nos pédales étant reliées. La difficulté était que la piste de Genève est plus courte. Plus raide. J’en avais l’habitude. Elle l’avait essayé en “solo”. Lors de notre course, en tandem, c’était différent. Ça bougeait dans tous les sens ! Je poussais fort, étant assise à l’arrière. Je devais rester la plus alignée, la plus gainée possible pour ne pas trembler. Pas de place pour la peur. La course était maintenant. 4 minutes. 4 minutes dans le dur. Il fallait « se faire mal » pour être performant sur cette distance. En compétition, rien ne peut me perturber, concentrée, focalisée sur ce que je dois faire à l’instant « T ». J’étais dans ma bulle. Une bonne expérience de plus dans la boîte ! Lors des entraînements suivants, nous avons roulé à 45km/h derrière la moto, cumulé les exercices techniques, les sprints… Tant que la confiance est là, qu’elle se travaille et qu’elle se développe… Tout est possible !

 

Les éléments influençant la notion de confiance, évoqués dans cet article :

– la sécurité

– la communication

– la légitimité

– les expérience personnelles

– l’accumulation des expériences positives

– ce dernier point peut compenser un autre, inconnu

– Se concentrer sur ce qu’on maîtrise

 

Celine, essai libre 

Si quelqu’un me connaît un peu, c’est certainement Jacques. Oui, Jacques a dit. Sans mauvaise interprétation. Il m’a accompagné lors de la relecture de mon dernier livre dans lequel je me suis… livrée, vécu à nouveau mes succès, confronté parfois à ce que j’aurai préféré ne pas savoir, en jurant ne dire que la vérité. C’était le pari.

Mais Jacques a dit, comme le jeu de société. Le maître de jeu endosse le rôle de Jacques. Le principe ? Il donne des ordres comme : « Jacques a dit : touchez-vous le nez ! » ou encore « Jacques a dit : pointez l’index vers le genou gauche ! » Les autres joueurs ne doivent exécuter l’ordre que lorsque la phrase commence par « Jacques a dit ». Si le maître de jeu a ordonné autre chose, par exemple « Sautez sur place ! », ceux qui ont exécuté l’ordre sont éliminés. Si l’ordre est correctement donné, mais mal exécuté, il est aussi éliminatoire.
Je me mettais souvent dans sa peau. Mon nouveau rôle de “Jacques”, cause de bon nombre de “bêtises” alignées et d’un humour particulier, nous a apporté une énergie d’enfer jusqu’à boucler le manuscrit. Voici ce qui suit :

Attablée au «Vroom», restaurant à Genève où travaillent des personnes sourdes et malentendantes, je parle à mon sans fil collé à l’oreille droite. La discussion porte sur un projet de livre. Un autre. À ma gauche, un homme, digne, écoute ou fait semblant. Est-il dérangé, entendez par là, cela l’importune-t-il, ce Monsieur, occupé à manger une soupe à la courge, que je téléphone, ma voix portant au-delà du raisonnable? Je l’ignore et peu m’importe si je l’empêche de se concentrer. Il lit un journal. J’ignore si ce canard est du coin ou pas.

Sur une chaise repose mon ordinateur. Il était chaud, il faut dire que cela faisait une heure que je lui tapais dessus. Comme il n’est pas rancunier mais de marque suisse,  il demeure à une portée de clics au cas où. Depuis ce matin tôt, je n’arrête pas, les rendez-vous s’additionnent, les courriels aussi et ça fait des semaines que ça dure.

« Celine, et si tu t’arrêtais de travailler cinq minutes? » Je sursaute, regarde à droite, puis à gauche, fonctionnement que je respecte et qui est sans connotation politique. Personne. Stupéfaite, je me rends compte que cette injonction est partie de ma serre intérieure, de mon cerveau qui gère tout ce que nous faisons. Là, pour me dire ça, il a dû frissonner, trouvant qu’une pause s’imposait, que je devrais m’en octroyer souvent, histoire de me reposer un peu. Suis-je capable de respecter çà, est-ce que je le veux? Le peux? Mon quotidien est soutenu, comme si j’étais mon propre sponsor, partenaire de mon corps, orienté entre l’hôpital, le sport et la politique, les soucis qui passent; et ma vie privée qui existe, mais oui. J’en ai une.

« Celine, et si tu t’arrêtais de travailler cinq minutes? » Je l’avoue, j’ai tressailli, mais pas bondi, parce que personne ne m’a dit cela depuis bien longtemps. Si je suis ainsi, c’est parce que, peut-être, j’ai dû temps à rattraper. Si j’ai peur du vide? Mais qui ose me demander ça? Mon cerveau? Toi? Vous que je ne connais pas? Je suis active, une jeune femme hyper-active et alors? Le travail est pour moi une protection, me permet d’oublier d’innombrables choses, certaines me hantent encore, un passé décomposé, remplacé aujourd’hui par plein d’amour que je sens, que je perçois, entend, malgré le brouhaha de la ville et les multiples agressivités qu’elle engendre et propose. La Cité de Calvin n’est pas la seule à en souffrir.

« Celine, et si tu t’arrêtais de travailler cinq minutes? » Aujourd’hui, c’est cinq et dix, demain? Non, mais! Je suis à l’écoute, chez moi l’ouïe est très développée. Mais pourrais-je un jour dire “oui”, je m’incline, à ce que je considère pourtant comme une outrecuidance de la part de mon cerveau?

“Non mais, tu as entendu , Celine. ce qu’on vient de te dire?” Comment pourrais-je me résoudre à lever le pied alors que mes jambes tournent, assise sur mon vélo? Quand on aime la vie, on est vite accroc à elle.

Jacques a dit. Risque prit et assumé. Il a dit comment il me voit, en retraçant notre dernière rencontre. Je clos cet instant de méditation. C’est le 24 décembre. Il est 23h37. Je vais me coucher.

Plasticité cérébrale : pour qui, quand, quoi, comment ?

Cérébrolésée à l’âge de 17 ans, j’ai dû réapprendre tous les gestes du quotidien. On dit que j’avais la chance d’être jeune et que mon potentiel de récupération était grand, ne tenant pas compte d’autres paramètres, comme celui de la motivation. Pourquoi ? Sans en être certaine (c’est l’interprétation que j’en fait, n’étant pas médecin), les capacités d’apprentissage sont grandes ; on se construit. Les leçons apprises sont ensuite stockées toute la vie. Quand on les perd par accident ou maladie, il y a trois options : les apprendre à nouveau, développer des facultés différentes ou un mélange des deux. Pourquoi attendre l’incident alors qu’il est possible de se développer et d’apprendre à tout âge et à tout moment ?

J’aimerais vous parler de mon récent accident. J’étais à vélo, une voiture m’a percutée. Avant d’aller plus loin, j’insiste sur le port du casque, acte qui m’a sauvé la vie. Et le renforcement des cervicales (en physiothérapie) m’a potentiellement sauvé d’une tétraplégie. Mais mon épaule gauche a été blessée. Pas de bol, bien que cela reste anecdotique. C’est mon côté droit qui a été le plus touché lors de mon accident en 2008 (tétraplégie partielle). Comment assurer toutes les activités du quotidien d’une seule main, avec le membre qui fonctionne le moins bien ? N’oublions pas que ces difficultés de coordination et de dextérité sont habituellement compensées par l’autre côté, momentanément blessé. Surgit une opportunité : développer le plus “mauvais” !

Première victoire : enfiler une chaussette de la main droite. Ensuite, il fallait s’habiller d’une seule main, se laver, cuisiner. Mission accomplie. Ma maman m’a aidé à faire les tâches ménagères qui me faisaient mal, même à une main. Certes, je me suis vite adaptée. Mon bras le plus lourdement handicapé a été très sollicité. Figurez-vous qu’il a évolué très vite ! Une semaine après le récent accident, les scores des exercices de précision et de vitesse pour l’entraînement de la perception de mon environnement sollicitant aussi la motricité fine (neurovision), étaient proche de ceux du mois de mai dernier, à deux mains. Nous sommes plus de 14 ans après l’accident qui m’a causé ces difficultés et il est toujours possible d’évoluer.

D’habitude, je dois solliciter mon côté « faible » régulièrement pour le garder à niveau. Mais là, le sur-solliciter a eu un effet inattendu : je tremble moins et je contrôle désormais mieux mes mouvements. Que ce soit en prenant de la monnaie (plus rapide, plus précis), en me déplaçant avec une tasse pleine ou en tapant sur le clavier de l’ordinateur à une main.

Puis-je maintenir ce rythme de récupération toute la vie ? Oui et non. Il faut choisir les aptitudes prioritaires. Tout faire tout le temps serait une charge trop conséquente. En m’adaptant à mon état de santé et mes possibilités du moment (l’usage de tout mon corps ou non ; il  a toujours une opportunité), cela me permet de gagner du temps sur l’avenir, au niveau des facultés possibles, n’ayant aucune certitude de l’évolution. Une chose est sûre : il me faut continuer à travailler tous ces gestes. Possible ? Ma recommandation est de le faire encore et encore, peu importe les circonstances. Ces dernières ne peuvent que stimuler la progression ou éviter d’oublier certaines capacités avec le temps. Conclusion : on peut apprendre à tout âge, à tout moment.

Le constat lié à mes accidents (celui de 2008 et le plus récent) et à mon handicap ayant été fait auparavant, la reprise du vélo en partie à une main m’a montré à nouveau que la plasticité cérébrale n’est pas un mythe. Vivant depuis deux semaines avec un seul bras réellement utile, cela m’a permis de le développer davantage. Au début de l’année, il était impensable d’imaginer tenir le guidon seulement de la main droite. Cela aurait pu provoquer une chute. Bizarrement, je me sentais prête à l’essayer à nouveau (en cas de doute, je n’aurais évidemment pas persévéré). Je conduisais mon vélo d’une main durant la majeure partie de l’entraînement, ayant testé, en cas d’urgence, mes réflexes du bras opposé auparavant. Cela m’a poussé à travailler différemment : l’effort ressenti était plus intense pour une puissance identique. Je l’ai ressenti aux jambes, surtout. Ces séances étaient intéressantes, me poussant à développer des aptitudes complémentaires et de poursuivre ma progression.

L’adaptation à ce mode de conduite a été rapide. J’appelle cela de la flexibilité d’esprit. Il s’agit de rester ouverte au changement, d’être créative pour trouver des solutions et développer la capacité à s’adapter rapidement. Idem dans tous les domaines. La vie, qui peut être compliquée et remplie d’inconnues, ne sera plus qu’une joie. Les périodes difficiles sont désormais transformées en quelque chose d’utile. La satisfaction est ressentie et « ces » passages obligatoires sont mieux vécus. Les victoires ne sont qu’encore plus savourées. Vous avez tout à y gagner !