Le corps chauffe, surchauffe et s’arrête. Mais je reprends le risque.

Cycliste, ma principale angoisse à l’abord de ma compétition à Huntsville, aux États-Unis, est le coup de chaleur. La douleur. L’évanouissement. La crainte d’aller trop loin. “Il fera chaud. Tu en as de la chance, de quoi bien profiter !” Combien de fois l’ai-je entendu ? Sauf que ma température corporelle pourrait augmenter parallèlement à l’intensité de l’effort fourni. À Québec, en août dernier, mon âme s’est arrêtée à 41°. Sous l’impact d’un effort démesuré, tellement je voulais gagner. De la déshydratation. Au point que cela m’a plongé cinq heures dans le coma, m’étant évanouie à l’arrivée. Inconsciente, je n’avais pas réalisé que cela pouvait être fatal au-delà d’un certain seuil. Ni que la température extérieure pouvait être dangereuse d’ailleurs. Les conséquences étaient lourdes : pas de championnats du monde, de fortes douleurs, plusieurs mois pour me remettre d’aplomb. Cela ne doit plus jamais arriver. Pour assurer ma participation aux Championnats cet été aussi et peut-être même gagner ? Pour ne pas abuser de mon corps. Pour l’épargner.

Prévenir plutôt que guérir

La leçon ayant été très (trop ?) dure, j’ai pris les précautions nécessaires, ne sous-estimant aucun facteur. A commencer par m’acclimater en amont. La météo ne permettant pas de se mettre dans des conditions similaires, mon médecin m’a recommandé le sauna. Lorsqu’un après-midi plus chaud s’est présenté, j’en ai profité pour courir sous le soleil, la charge physique et mentale que ce sport m’impose étant plus importante. En plus, pour attester ma bonne forme, je gravis deux fois le Salève à vélo la même semaine, dont la dernière sur le gros plateau. Bon pour l’ego, je parviens à mettre d’autres (des sportifs valides) dans le dur. Tout ça pour dire que je pense être prête. Sur place, j’aurai quatre jours pour m’entraîner sous le soleil américain. La veille et le jour de la compétition, je m’économiserai le plus possible. Mais je n’oublie pas le plus important, pour moi, qui est à la fois mon plus grand allié et mon pire ennemi, parfois.

La force du mental

Puissant, il peut l’être. Le mien peut prendre le dessus sur mon corps, sur mon ressenti, sur la sensation de souffrance. Il suffit de me mettre sur une ligne de départ pour que mon esprit soit tourné vers la compétition !  En plus, étant première du classement général de la Coupe du monde 2023, j’aimerais bien le rester et la gagner à l’issue des deux dernières épreuves. Ayant gagné toutes les courses de la saison, ce serait “trop beau” de renouveler encore cela, bien que j’aie de la marge et que je pourrais me permettre de restreindre mon effort. L’essentiel est de considérer que ces facteurs peuvent me pousser à l’extrême. De me méfier de mes propres capacités mentales. De les anticiper.

Pas de place à l’improvisation !

Dans la préparation. De plus, il faut être prêt à s’adapter à chaque instant et à trouver des solutions, collectivement : une multitude de personnes est mobilisée lors de la course d’un athlète. De l’échauffement jusqu’au départ, je porterai une veste rafraîchissante munie de glace dans les poches. Sortie du congélateur, elle se conserve dans un sac isotherme. C’est aussi le dernier moment pour m’arroser la tête, comme une plante pour qu’elle se transforme en lionne prête à partir à l’attaque. Je me permets un peu d’imagination pour rester détendue. J’aurai bu des électrolytes à l’échauffement, mangé une barre énergétique pour remplir le “réservoir” et je serai approvisionnée en boisson isotonique.

Deux courses ; deux modèles

À l’épreuve du contre-la-montre, ma stratégie réside principalement en le fait de ne pas en faire plus que nécessaire. Pas besoin de gagner avec beaucoup d’avance. Nul doute que ma performance sera bonne, bien que j’en fasse un peu moins. Mais comment savoir que je suis dans les clous ou à l’inverse, en retard ? Étant la plus forte, je serai la dernière à prendre le départ, à une minute d’intervalle. Lorsque je m’approcherai de ma principale adversaire, championne du monde actuelle, des personnes du staff de l’équipe suisse seront mobilisées à plusieurs endroits spécifiques du parcours, appelées des zones d’approvisionnement (feedzones). Elles m’indiqueront l’écart lors de mes passages, bien que leurs missions principales soient autres. Elles seront munies d’un bidon d’eau (si mon “kamelbag” ne devait pas fonctionner ou si je devais ne pas en avoir suffisamment sur moi), d’une ou deux autres bouteilles froides pour m’asperger ainsi que de deux roues de réserve (une avant et une arrière, les deux étant différentes pour mon tricycle) afin de pallier une éventuelle crevaison. Même processus pour la course en ligne. A la différence près, la course étant plus longue, que je suis munie d’une barre énergétique supplémentaire pour éviter une fringale.

Finalement : comment brider ma volonté ?

Question étrange. Parfois, mes proches pourraient le souhaiter par mesure de sécurité. Souvent, on me dit de ne pas trop en faire. Bref, de ne pas aller à l’extrême. Je m’y suis préparée grâce à un exercice mental, le but étant de maîtriser les pensées qui m’inciteraient à une prise de risque trop importante et de les remplacer par d’autres, plus raisonnables. Autre mesure de prévention : dire quelques mots ou faire un signe aux personnes du staff suisse lors de mes passages. Tant que je réponds, c’est que je vais bien. Sinon, ils doivent agir. M’arrêter. Ce qui serait terrible pour moi, contre ma volonté.

M’intéresser à la problématique

J’ai trouvé un petit appareil qui mesure la température corporelle, attachée à la ceinture cardiaque en-dessous de la poitrine. En l’essayant à l’entraînement, j’ai vu le curseur augmenter, sans trop m’inquiéter pour autant. Bien que mon médecin me dise que ce système est imprécis et pas viable, cela m’a permis de m’intéresser aux phénomènes physiologiques qui interviennent lors d’un effort intense. J’ai compris, en tout cas par rapport à ce système, qu’il était normal, dans mon cas, de voir les chiffres grimper facilement jusqu’à 39°. Bon ou mauvais ? Je n’en sais rien. Mais j’ai ressenti que j’allais bien. Néanmoins, cela m’a rendu encore plus attentive à aux mesures à prendre afin d’éviter la catastrophe. Je compte sur mes capacités physiques et mentales pour franchir l’arrivée le plus vite possible et sur les mesures entreprises pour y arriver dans les meilleures conditions possibles. Non, dans des bonnes conditions. Mon objectif ? Gagner. Et remporter la Coupe du monde 2023.

En résumé, les thématiques abordées sont la problématique du coup de chaleur vu par l’athlète, la préparation en trois étapes (celle en amont de l’événement, la préparation mentale, et celles avant et pendant la course) et l’apprentissage en continu pour favoriser la prévention.

 

Photo: Anne-Karelle Hocq

Celine van Till

Celine van Till défie l’impossible. Du dressage équestre au cyclisme sur route, en passant par le 100 mètres sprint, valide et handisport, elle court d’un extrême à l’autre. L’ennui n’existe pas. Les surprises attendent. Les limites sont remises en question. Elle gagne la Coupe du Monde 2022 et est aussi auteure et conférencière.