Plasticité cérébrale : pour qui, quand, quoi, comment ?

Cérébrolésée à l’âge de 17 ans, j’ai dû réapprendre tous les gestes du quotidien. On dit que j’avais la chance d’être jeune et que mon potentiel de récupération était grand, ne tenant pas compte d’autres paramètres, comme celui de la motivation. Pourquoi ? Sans en être certaine (c’est l’interprétation que j’en fait, n’étant pas médecin), les capacités d’apprentissage sont grandes ; on se construit. Les leçons apprises sont ensuite stockées toute la vie. Quand on les perd par accident ou maladie, il y a trois options : les apprendre à nouveau, développer des facultés différentes ou un mélange des deux. Pourquoi attendre l’incident alors qu’il est possible de se développer et d’apprendre à tout âge et à tout moment ?

J’aimerais vous parler de mon récent accident. J’étais à vélo, une voiture m’a percutée. Avant d’aller plus loin, j’insiste sur le port du casque, acte qui m’a sauvé la vie. Et le renforcement des cervicales (en physiothérapie) m’a potentiellement sauvé d’une tétraplégie. Mais mon épaule gauche a été blessée. Pas de bol, bien que cela reste anecdotique. C’est mon côté droit qui a été le plus touché lors de mon accident en 2008 (tétraplégie partielle). Comment assurer toutes les activités du quotidien d’une seule main, avec le membre qui fonctionne le moins bien ? N’oublions pas que ces difficultés de coordination et de dextérité sont habituellement compensées par l’autre côté, momentanément blessé. Surgit une opportunité : développer le plus “mauvais” !

Première victoire : enfiler une chaussette de la main droite. Ensuite, il fallait s’habiller d’une seule main, se laver, cuisiner. Mission accomplie. Ma maman m’a aidé à faire les tâches ménagères qui me faisaient mal, même à une main. Certes, je me suis vite adaptée. Mon bras le plus lourdement handicapé a été très sollicité. Figurez-vous qu’il a évolué très vite ! Une semaine après le récent accident, les scores des exercices de précision et de vitesse pour l’entraînement de la perception de mon environnement sollicitant aussi la motricité fine (neurovision), étaient proche de ceux du mois de mai dernier, à deux mains. Nous sommes plus de 14 ans après l’accident qui m’a causé ces difficultés et il est toujours possible d’évoluer.

D’habitude, je dois solliciter mon côté « faible » régulièrement pour le garder à niveau. Mais là, le sur-solliciter a eu un effet inattendu : je tremble moins et je contrôle désormais mieux mes mouvements. Que ce soit en prenant de la monnaie (plus rapide, plus précis), en me déplaçant avec une tasse pleine ou en tapant sur le clavier de l’ordinateur à une main.

Puis-je maintenir ce rythme de récupération toute la vie ? Oui et non. Il faut choisir les aptitudes prioritaires. Tout faire tout le temps serait une charge trop conséquente. En m’adaptant à mon état de santé et mes possibilités du moment (l’usage de tout mon corps ou non ; il  a toujours une opportunité), cela me permet de gagner du temps sur l’avenir, au niveau des facultés possibles, n’ayant aucune certitude de l’évolution. Une chose est sûre : il me faut continuer à travailler tous ces gestes. Possible ? Ma recommandation est de le faire encore et encore, peu importe les circonstances. Ces dernières ne peuvent que stimuler la progression ou éviter d’oublier certaines capacités avec le temps. Conclusion : on peut apprendre à tout âge, à tout moment.

Le constat lié à mes accidents (celui de 2008 et le plus récent) et à mon handicap ayant été fait auparavant, la reprise du vélo en partie à une main m’a montré à nouveau que la plasticité cérébrale n’est pas un mythe. Vivant depuis deux semaines avec un seul bras réellement utile, cela m’a permis de le développer davantage. Au début de l’année, il était impensable d’imaginer tenir le guidon seulement de la main droite. Cela aurait pu provoquer une chute. Bizarrement, je me sentais prête à l’essayer à nouveau (en cas de doute, je n’aurais évidemment pas persévéré). Je conduisais mon vélo d’une main durant la majeure partie de l’entraînement, ayant testé, en cas d’urgence, mes réflexes du bras opposé auparavant. Cela m’a poussé à travailler différemment : l’effort ressenti était plus intense pour une puissance identique. Je l’ai ressenti aux jambes, surtout. Ces séances étaient intéressantes, me poussant à développer des aptitudes complémentaires et de poursuivre ma progression.

L’adaptation à ce mode de conduite a été rapide. J’appelle cela de la flexibilité d’esprit. Il s’agit de rester ouverte au changement, d’être créative pour trouver des solutions et développer la capacité à s’adapter rapidement. Idem dans tous les domaines. La vie, qui peut être compliquée et remplie d’inconnues, ne sera plus qu’une joie. Les périodes difficiles sont désormais transformées en quelque chose d’utile. La satisfaction est ressentie et « ces » passages obligatoires sont mieux vécus. Les victoires ne sont qu’encore plus savourées. Vous avez tout à y gagner !

Celine van Till

Celine van Till défie l’impossible. Du dressage équestre au cyclisme sur route, en passant par le 100 mètres sprint, valide et handisport, elle court d’un extrême à l’autre. L’ennui n’existe pas. Les surprises attendent. Les limites sont remises en question. Elle gagne la Coupe du Monde 2022 et est aussi auteure et conférencière.