Entrepreneur de lui-même, il a 20 ans et gagne «12’000 balles» (et frime un peu)

Installé à la terrasse d’un café, je me laisse distraire par une conversation téléphonique qui démarre quelques tables plus loin:

« Tcho mec, c’est incroyable ce qui m’arrive [mec] (son mode de ponctuation) J’ai tellement bien fait de quitter mon patron [mec] Je bosse comme un taré maintenant (rires…); 14 heures par jour, même le samedi, t’imagines [mec]?!..»

C’est un gamin d’environ vingt ans, musculeux et outrageusement bronzé, qui s’entretient avec celui qui j’imagine être son meilleur ami: 

« Tu le croiras pas [mec] à la fin du mois je vais toucher 12’000 balles, net sur mon compte à la poste! Encore une semaine et viva la fiesta à Pattaya! Eh, pis après [mec] j’ai un autre mandat à 50’000 qui m’attend. C’est de la folie [mec]!.. »

Trahi par son bermuda de travail, je comprends que ce garçon est un ouvrier du bâtiment. J’apprendrai au fil de sa conversation qu’il est monteur de fenêtres sur un chantier, un peu plus loin dans la rue.

Au-delà de l’amusement que me suscite le personnage avec son « parler jeune », je m’interroge sur cette fameuse génération Y qui a été étiquetée de tous les noms d’oisif: démotivée, ingérable, anar… Toute une tranche d’âge qui serait carrément désintéressé, pas moins que ça. Une stigmatisation que je crois largement exagérée; et si le comportement décrié n’était que la démonstration d’une capacité d’adaptation? Dans les entreprises, cela fait un moment qu’on a jeté les plans de carrière aux oubliettes. Pour qui donc, ou pour quoi, ces jeunes nés à la fin des trente glorieuses voudraient-ils mouiller la chemise, en sachant qu’ils n’atteindront probablement pas les revenus de leurs parents?

Le monde du travail a amorcé sa profonde mutation, pour le meilleur ou pour le pire (les avis divergent). L’activité indépendante est en essor; selon une étude, 40% de la main-d’oeuvre aux États-Unis gagnera sa vie sous ce régime en 2020. J’ai 45 ans et cela fait presque cinq ans que je suis indépendant (quinze ans comme entrepreneur). Jamais je ne me suis senti aussi stable professionnellement: il y a en effet peu de chance que je perde tous mes clients en même temps. Et vous savez quoi? Il est plus facile d’en acquérir de nouveaux que de passer au travers d’hasardeux processus d’embauches.

Je suis convaincu que notre économie en mutation réserve un trésor d’opportunités à ceux qui ont décidé de prendre en main leur destin professionnel. Devenir « entrepreneur de soi », c’est créer un contrepoids à l’évaporation de la sécurité de l’emploi. Une posture que les employés devraient adopter sans tarder, ne sachant à quelle sauce ils seront prochainement mangés. Tout le monde n’est certes pas prédisposé à voler de ses propres ailes, où la frontière entre vie professionnelle et privée demeure ténue. Pourtant, se lever chaque matin passionné par son métier avec une flexibilité absolue dans l’organisation de son temps permet de jouir d’une autre forme de liberté; beaucoup plus épanouissante qu’attendre chaque jour le coup de sifflet qui marque la fin du temps de travail réglementaire.

Dans le secteur des services, la désintermédiation bat son plein. Des plateformes comme Upwork, Toptal, ou Freelancer (et bien sûr Linkedin) accueillent déjà plusieurs dizaines de millions de freelancers à travers le monde: informaticiens, rédacteurs, traducteurs, architectes, designers, etc. Si dans le tertiaire la compétition se joue désormais à l’échelle globale, le secteur secondaire devrait suivre fatalement le mouvement, mais avec un avantage de taille: déléguer à l’étranger des missions via internet s’avère logiquement plus compliqué pour des travaux manuels. Un répit qui ne sera que de courte durée, quelques années avant le boom de l’impression en 3D des matériaux transformés qui permettra, par exemple, la production à moindre coût de n’importe quel élément de construction.

Sur les chantiers, on posera bientôt des fenêtres imprimées en 3D aussi facilement qu’on assemble des LEGO. Parmi les ouvriers, on observera quelques robots ayant atteint l’âge de maturité. Environ une vingtaine d’années.

Blaise Reymondin

Blaise Reymondin est tombé dans la marmite numérique quand il était petit. Expert en marketing digital depuis une quinzaine d’années, il est le cofondateur de Blaise & Bruno Acquisition Marketing. Au travers de ses chroniques et le partage d'expériences, il nous interroge sur un monde en profonde mutation par le numérique.

Une réponse à “Entrepreneur de lui-même, il a 20 ans et gagne «12’000 balles» (et frime un peu)

  1. Bonjour,
    Votre article est très intéressant… Cependant il y a un métier du bâtiment, l électricité, ou cela n existe quasiment pas…Car il y a énormément de loi interdisant cela…évidemment créée par les maîtres électriciens…
    Et puis notre jeune homme, va vite se rendre compte qu en Suisse, la personne qui a la force d éventuellement se lancer… va être surpris par tout ce qu il faut faire avant d être en règle (AVS, etc)….ensuite il va découvrir que les caisses d impôts
    n ‘aiment pas les indépendants… Et qu il n a pas droit au chômage, au allocation familiale… Et qu il a intérêt à être blindé en cas d incapacité de travail (plus de 1mois arrêt par exemple)…
    En plus… de bien faire attention à ses nouveaux contrats… On est pas forcément payer dans les temps, si on est payé… !
    Et comme en Suisse , la justice, vous demande le payement des frais de procédure d avance …avant d avoir peut être la chance, d’enfin récupérer votre argent durement gagné. Et pour conclure,
    Pas de problème, Il pourra travailler ses 14 ou 16h par jour, jusqu’à ce que sa santé
    l ‘abandonne…faut pas oublier non plus, que pour avoir du job, faut prendre du temps pour cela…Et crac, faut engager une personne…moins d’argent pour soi…Et dès que l on engage une personne…bon courage…Et vous n êtes plus indépendant !
    Et il n est pas marié, pas d enfant…Pas bon pour l état…Je vois laisse réfléchir..

    La Suisse n est pas un pays pour ce développement de travailleur, dans le secteur du bâtiment..dans d’autre métier, sûrement.
    En faite, ceci est un résumé de mes 15 ans de vie de travailleur indépendant…

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