Illustration générée avec Midjourney 5.

La fin de l’hégémonie de Google dans les moteurs de recherche?

En trois mois à peine, les assistants conversationnels intelligents ont conquis des millions d’utilisateurs grâce à des compétences encore jamais vues. La nouvelle version de Bing Search, propulsée par ChatGPT 4, constitue une avancée majeure dans la manière dont nous pouvons obtenir une réponse instantanée à quasiment n’importe quelle question, même complexe. Il associe les résultats de recherche prélevés sur le web, en exploitant simultanément les capacités de ChatGPT à formuler des réponses détaillées à partir d’une large base de connaissances.

La fin imminente des moteurs de recherche traditionnels ?

L’adoption de ces assistants conversationnels intelligents pourrait-elle signifier la fin des moteurs de recherche classiques? Il est trop tôt pour le dire, mais Microsoft a acquis un avantage significatif sur Google en intégrant avec succès ChatGPT à son moteur de recherche Bing, surmontant les problèmes initiaux rencontrés par ChatGPT 3.5 qui générait trop souvent des réponses inappropriées. Un tour de force réalisé avec des mécanismes de contrôle au sein de son architecture de modèle linguistique.

A titre personnel, j’utilise désormais en priorité ChatGPT ou Bing GPT pour répondre à toutes sortes d’interrogations. Il ne me semble pas fantaisiste d’envisager la fin de la domination de Google. Microsoft aurait alors l’opportunité de s’approprier une part significative du marché publicitaire en ligne, auparavant monopolisée par le géant de la recherche.

Le virage est décisif pour la société de Redmond qui fut longtemps considérée comme une société phare du numérique, mais distanciée sur le web. Ce changement met également en évidence une forme de courage entrepreneurial que Google a perdu au fil des ans. Au lieu de se concentrer sur l’innovation, Google est devenu un mastodonte qui se focalise sur la réduction des risques pour préserver son modèle économique principalement basé sur la publicité en ligne (ce qui, en réalité, ne demande pas beaucoup d’efforts). Sous les feux des projecteurs politico-médiatiques, Google a l’air aujourd’hui paralysé. 

De la publicité dans les agents conversationnels?

Pour profiter de Bing Search amélioré par la technologie GPT, il est indispensable de se connecter avec un identifiant, sans quoi il est impossible d’entamer une conversation. Bing pouvant enregistrer toutes les interactions avec son agent intelligent, il serait dès lors en mesure de dresser un profil détaillé de chaque utilisateur en fonction de l’historique de ses questions. Des informations que Bing pourrait vouloir utiliser à des fins publicitaires, que ce soit sur son propre moteur de recherche ou dans l’univers plus large de Microsoft.

La firme autrefois fondée par Bill Gates a les cartes en main pour devenir un acteur de tout premier plan dans le secteur de la publicité en ligne. Sans compter qu’elle est aussi propriétaire du réseau social professionnel LinkedIn qui recense plus de 900 millions de membres, dont la quasi-totalité de la classe moyenne supérieure. Une gigantesque mine d’or qui paraît à ce jour sous exploitée.

À l’heure actuelle, Bing n’affiche pas de publicités lors des interactions avec son assistant conversationnel. Mais les utilisateurs sont-ils prêts à accepter de la publicité dans les réponses d’une intelligence artificielle censée incarner l’objectivité? Une telle présence pourrait être perçue comme une tentative d’influence de la part d’intérêts économiques.

Un autre aspect qui ne peut être négligé: l’exploitation et la maintenance des assistants conversationnels intelligents sont plus onéreuses qu’avec les moteurs de recherche traditionnels. Ainsi, le coût d’une requête peut être jusqu’à dix fois plus élevé sur un agent conversationnel intelligent. Pour Google, cela constitue une perte nette en comparaison avec ses activités habituelles. La question se pose alors: seront-ils tentés de répercuter ces coûts additionnels sur les annonceurs? Il n’est pas certain qu’ils en aient les moyens si les utilisateurs se dirigent désormais vers Bing et que les annonceurs leur emboîtent le pas…

A noter que le partenariat entre Open AI et Microsoft n’est pas le seul défi auquel Google doit faire face dans le domaine des agents conversationnels. De nombreuses startups, comme You, Perplexity ou Neeva (fondées par d’anciens employés de Google), exploitent des technologies similaires et parfois de manière plus audacieuse que les géants du net (elles ont moins de contraintes à respecter).

En résumé, Microsoft est à l’abri car la publicité ne représente qu’une faible part de ses revenus, tandis que Google doit impérativement maintenir le niveau de ses revenus publicitaires.

Du placement de produits à la place des annonces traditionnelles?

Assisterons-nous à une évolution des encarts publicitaires classiques vers des placements de produits dans les réponses fournies par l’intelligence artificielle? Peut-être, mais dans tous les cas ils devront être, d’une manière ou d’une autre, clairement mentionnés dans les réponses pour éviter toute ambiguïté.

Les risques sur le contrôle demeurent trop importants. En effet, des hallucinations d’IA (réponses crédibles contenant des erreurs factuelles) pourraient lier une marque à de fausses informations, une situation inacceptable pour les annonceurs. De plus, si le prompt (la question) est formulé de manière négative et entraîne la mention d’une marque dans la réponse, celle-ci pourrait être liée à la connotation négative de l’échange, ce qui ne serait pas non plus acceptable.

Les entreprises pourraient potentiellement faire face à un «bad buzz» si des réponses inappropriées sont associées à leur marque. Cela souligne l’importance cruciale du contrôle des réponses (outputs) pour que les agents conversationnels puissent être monétisés avec de la publicité. L’absence actuelle de publicité témoigne probablement d’un niveau de maîtrise encore insatisfaisant.

Le format des annonces sponsorisées pourrait évoluer et venir s’immiscer dans les conversations en fonction d’un contexte, proposant par exemple des services pratiques en complément d’une réponse élaborée. Cependant, le défi de l’expérience utilisateur (UX) sur mobile reste considérable, car les réponses de ChatGPT peuvent s’étendre sur plusieurs longueurs d’écran d’un smartphone, rendant ainsi plus difficile la captation de l’attention de la publicité.

Et si l’absence de publicités devenait un atout compétitif durable pour Microsoft? Cela pourrait offrir un nouveau modèle attractif pour les utilisateurs lassés des publicités envahissantes, qui seraient peut-être prêts à débourser 20 $ par mois pour un assistant-robot façon superhéros, capable de gérer le courrier, organiser les vacances, aider les enfants dans leurs devoirs et résoudre bien d’autres problèmes quotidiens.

En attendant, la stratégie du couple Microsoft/OpenAI vise à soustraire un maximum d’utilisateurs de leur concurrent en proposant des intelligences artificielles gratuites ou des abonnements payants pour des versions plus avancées (comme ChatGPT Plus à 20 dollars par mois). Microsoft perçoit probablement une occasion de gagner des parts de marché face à Google à travers l’ensemble de son écosystème (Edge, Bing, Office via Copilot).

 

[Mise à jour du 31 mars 2023]

La rapidité avec laquelle les événements s’enchaînent est stupéfiante. Moins d’une semaine après la publication de ce billet, les premières publicités sponsorisées ont émergé dans les résultats de Bing Search propulsé par GPT 4. Dans cet exemple, on remarque la mention [Ad] à côté de la réponse [1].

 

 

 

Les horlogers sonnés par l’Apple Watch

Cet été en Suisse, je la voyais partout : aux terrasses des cafés, en ville, à la plage, à la montagne. Il n’y avait qu’à lorgner les poignets pour constater la part de marché phénoménale qu’a gagné la montre connectée d’Apple en 6 années seulement.

Des chiffres qui donnent le vertige: la firme à la pomme a vendu 30,7 millions d’Apple Watch en 2019 dans le monde, avec une forte progression observée encore en ce début d’année (+22.6% au 1er trimestre 2020).

Du côté des exportations suisses, l’année 2020 s’annonce elle catastrophique avec un recul de 30,5% pour la période de janvier à août.

A ce rythme, Apple pourrait avoir vendu trois fois plus de montres que toute l’industrie horlogère suisse à la fin de l’année.

L’industrie horlogère sur le point de se faire «kodakiser»?

Comment ne pas voir un lien entre le succès insolent de la marque à la pomme et la baisse significative des exportations horlogères helvétiques ?

Pas besoin de chercher midi à quatorze heures pour comprendre que c’est l’Apple Watch qui vient mettre des bâtons dans les rouages de nos chers horlogers.

Du secteur, j’entends ce lancinant refrain depuis l’apparition des premières montres connectées : « Ce ne sont pas des produits concurrents. On ne joue pas dans la même catégorie. On n’achète pas une montre suisse ou une Apple Watch pour les mêmes raisons. Il y a de la place pour ces deux produits sur le marché. »

En tout cas moi je n’ai pas vu pas beaucoup de personnes qui portent une Apple Watch et une belle montre suisse à l’autre poignet. Pour le consommateur, cela sera logiquement l’une ou l’autre.

« L’effet Kodak est le risque qu’une entreprise qui est forte sur son marché n’intègre pas la numérisation de son secteur d’activité dans son plan stratégique. Elle veut préserver à tout prix son modèle d’affaires traditionnel, par crainte de cannibaliser son cœur de métier, et ne se positionne pas sur l’avenir. Dans cette configuration, les employés et les dirigeants résistent fréquemment au changement, tandis que les souhaits des clients sont souvent mal interprétés. » — Damir Filipovic, professeur à l’EPFL et au Swiss Finance Institute.

Pourquoi je ne porte plus de montre traditionnelle

Pourquoi est-ce que je ne mets plus de montres mécaniques, alors que j’en possède pourtant quelques-unes (qui me plaisent esthétiquement plus que mon Apple Watch) ?

C’est très simple: je ne voudrais plus me passer de l’expérience que m’offre cette montre connectée.

Génies du marketing, les ingénieurs de Cupertino maîtrisent l’art de créer de nouveaux besoins et ils nous refont, dix ans après, le même coup qu’avec l’iPhone. Certains trouveront cela futile et n’y adhéreront jamais, mais le constat est qu’elle séduit toujours plus de personnes.

Les 10 fonctionnalités incontournables pour moi sur l’Apple Watch (et pourquoi mes autres montres restent dans un tiroir) :

Parmi les milliers d’applications que l’on peut télécharger sur la montre connectée d’Apple (sur le même principe que sur son smartphone), on trouvera certes beaucoup de gadgets inutiles, mais une dizaine a cependant réussi à changer mon quotidien:

  1. Lorsque je fais de la course à pied (et d’autres sports), je n’ai pas besoin d’emporter mon smartphone pour écouter de la musique, des podcasts ou des livres audio (avec les écouteurs AirPods de la même marque).
  2. J’effectue quasiment tous mes paiements dans les magasins, les restaurants, à la plage, etc. sans contact avec ma montre (via Apple Pay). De cette manière, je n’ai pas besoin de saisir un code, et cela même pour des montants élevés. Voilà qui est bienvenu en période de pandémie.
  3. Lorsque je fais mes courses, je coche sur l’excellente app Bring! (une application suisse) les articles dès que je les ai ramassés dans les rayons. C’est très utile lorsqu’on porte un masque et qu’il est compliqué de déverrouiller son smartphone avec la reconnaissance faciale (par exemple avec le scanner du magasin en main).
  4. La nuit je me sers de la fonction Lampe pour m’orienter et prendre des objets sans risquer de réveiller ma conjointe. De même avec la fonction de réveil qui, par une vibration, ne réveille que moi.
  5. J’ai désactivé quasiment toutes les notifications sur ma montre, du coup celles qui demeurent actives sont vraiment importantes pour moi, par exemple des alarmes pour la maison, des alertes incendie, de température ou d’humidité, ainsi que des SMS restreints à quelques proches.
  6. Si je reçois un appel urgent, je peux y répondre immédiatement même si mon smartphone n’est pas sous la main (par exemple avec les mains occupées, avec les enfants, au sport, etc.)
  7. Lorsque j’ai égaré mon smartphone dans la maison, je peux le faire sonner d’un clic sur ma montre. Une fonctionnalité qui s’avère utile au moins une fois par semaine…
  8. Je déverrouille tous mes ordinateurs Mac sans mot de passe, simplement en m’approchant de l’écran avec ma montre au poignet.
  9. Avec l’Apple Watch, j’ai découvert les vertus de la respiration consciente, que je pratique régulièrement en synchronisant mon souffle avec les vibrations au poignet (sans écran).
  10. Mon Apple Watch détecterait si je chute brusquement et appellerait les services d’urgence en notifiant ma position GPS. Je ne suis pas dans l’âge cible, mais trouve la fonctionnalité plutôt rassurante.

Quelle succession aux amateurs de (vraies) montres?

Nul doute qu’il y aura toujours un marché pour le beau et l’émotionnel, pour de véritables bijoux mécaniques. La question est plutôt de savoir quelle part du gâteau il restera à l’industrie horlogère traditionnelle, notamment en comparaison avec ses plus grandes années.

Reste à espérer que les jeunes, la Génération Z et les suivantes, sauront conserver le goût pour la chose horlogère alors que des écosystèmes numériques font tout pour nous retenir captif dans de nouvelles habitudes et la promesse d’usages infinis.

Google enterre les cookies (et se débarrasse au passage de la concurrence)

Google a annoncé la fin imminente de l’acceptation des cookies en provenance de sites tiers sur son navigateur Chrome. Est-ce là un pas en direction d’une meilleure protection de la sphère privée ou plutôt un habile coup pour renforcer une position déjà hégémonique sur le marché de la publicité en ligne ?

Rappel: qu’est-ce qu’un cookie ?

Un cookie est un petit fichier informatique que le navigateur vient déposer sur votre ordinateur lorsque vous visitez un site web.

Il en existe 2 types : 

  • Le cookie propriétaire, déposé par le site que vous visitez, la plupart du temps pour assurer son bon fonctionnement (maintenir une connexion active, conserver le contenu d’un panier d’achat, etc.)
  • Le cookie tiers, déposé par une entité tierce (comme Google ou Facebook), la plupart du temps à des fins de reciblage publicitaire.

Qu’est-ce que le reciblage publicitaire ?

En voici le principe, par un exemple.

Vous avez regardé plusieurs paires de chaussures sur le site de vente Zalando, mais vous n’êtes pas encore prêt(e) à passer à la caisse.

Vous allez ensuite apercevoir ces mêmes chaussures dans des publicités un peu partout sur internet, comme si elles vous suivaient à la trace… Ca vous rappelle quelque chose ?  

En parcourant le site de Zalando, votre navigateur a reçu un cookie tiers généré par la plateforme publicitaire Google Ads. Lorsqu’ensuite vous visiterez d’autres sites qui accueillent des espaces publicitaires gérés par Google, vous verrez à nouveau apparaître les même escarpins. 

Google annonce la fin des cookies tiers dans son navigateur Chrome 

Tout a démarré avec les initiatives en faveur de la vie privée, telles que le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Celles-ci soumettent notamment l’utilisation des cookies à l’acceptation préalable de l’internaute lors de sa première visite sur un site.

Apple avait saisi l’occasion de se démarquer de la concurrence avec son navigateur Safari, en faisant de la protection de la vie privée un nouvel argument marketing. Safari fut ainsi le premier à bloquer les cookies tiers, espérant devenir un modèle dans la protection des données et attirer de nombreux utilisateurs échaudés par les récents scandales en la matière.

Il a ensuite rapidement été suivi par l’outsider Firefox. 

Cette semaine, c’est donc au tour de Chrome de suivre le mouvement. Ce qui ne manque pas de nous interroger sur les motivations de Google, le leader avec 70% de parts de marché.

Un changement sans véritable impact pour les consommateurs 

Le reciblage publicitaire ne va disparaitre pour autant.

Les cookies sont depuis longtemps sur la sellette et les GAFA n’ont pas attendu l’heure d’une réglementation pour élaborer d’autres techniques de suivi comme le fingerprinting.

Google et Facebook sont les seuls à disposer de bases de données gigantesques, constituées de plusieurs milliards d’utilisateurs qu’ils connaissent parfaitement grâce à un profilage systématique.

Comment procèdent-ils? En nous identifiant lors de l’utilisation des services gratuits auxquels nous sommes connectés en permanence: Gmail, Google Maps, le navigateur Chrome, etc. Sans compter les propriétaires des smartphones qui fonctionnent sous le système d’exploitation Android, soit plus de 9 utilisateurs d’appareils mobiles sur 10 dans le monde

Rien de bien nouveau: en utilisant des produits «gratuits», c’est nous qui sommes le produit (on se souvient du fameux mantra de l’économie numérique).

Mais qu’est-ce qui change alors avec cette annonce ?

Google est, l’air de rien, en train de tuer la concurrence 

Pour les acteurs de la publicité numérique, l’abandon des cookies tiers est vécu comme un tsunami. La majorité de ceux-ci ne disposant pas des services de l’ampleur de ceux de Google ou Facebook.

Prenons l’exemple du Français Criteo, une entreprise spécialisée dans le reciblage publicitaire. Son cours s’est aussitôt effondré à la bourse après l’annonce de GoogleElle propose en effet aux propriétaires de sites web d’installer un cookie tiers, pour recibler les visiteurs qui n’auraient pas effectués une action déterminante sur leur site (par exemple une demande de contact ou un achat en ligne). 

Criteo est une alternative à Google comme il en existe d’autres. Sauf que son modèle d’affaire repose historiquement sur l’usage des cookies tiers. Leur tentative de résistance, sous la forme d’une ultime «bidouille» parait fort limitée et sans doute éphémère. 

Si les cookies tiers disparaissent, les acteurs de la publicité numérique auront vraisemblablement de la peine à survivre. Ce qui pourrait logiquement faire les affaires de Google qui s’arrogera inévitablement une plus grande part du gâteau publicitaire.

Alors, l’abandon des cookies tiers est-il au final une aubaine pour Google ? Probablement, d’autant plus qu’ils ne sont pas à l’origine de ce mouvement et peuvent dès lors faire mine de se plier aux nouvelles pratiques de l’industrie et à la réglementation naissante.

Les incitations au respect de la vie privée ne font que renforcer les GAFA

Au final, il semble que toutes les initiatives visant à augmenter le respect de la vie privée ne font que renforcer les GAFA.

Ceux-ci sont les seuls à disposer d’écosystèmes comptant plusieurs milliards d’utilisateurs connectés en permanence à leurs services. D’un côté nous avons Google avec Gmail, Google Chrome, Google Maps, Youtube. Et de l’autre côté Facebook avec aussi Instagram et WhatsApp. Mais Google a l’avantage de pouvoir capitaliser sur les données de tous les propriétaires de smartphones sous Android, ainsi que des billions de signaux provenant de son outil de mesure Google Analytics.

Quelle ironie, notamment si l’on se rappelle que le règlement européen RGPD existe aussi pour tenter de freiner la domination absolue des GAFA. 

Un marché de la publicité numérique plus concentré que jamais

Google, Facebook et (de manière croissante) Amazon dominent toujours plus le marché de la publicité numérique.

Et leur leadership n’est pas prêt de s’arrêter: en plus des utilisateurs et de leurs données, ils ont une longueur d’avance dans le développement des algorithmes intelligents (qui se nourrissent de ces données pour progresser).

Une intelligence artificielle qui est en théorie capable d’identifier des utilisateurs uniques, sans même qu’ils se soient inscrits à des services

Avec une telle avance, il est difficile d’imaginer comment l’insolante domination des GAFA pourrait être remise en question dans un avenir proche, si ce n’est par la volonté d’une action politique. 

 

A écouter sur le même sujet: l’interview de Bruno Guyot à l’émission Forum (RTS) du 15 janvier 2020

J’ai testé Revolut, la révolution annoncée des services bancaires

On entend beaucoup parler de la monnaie virtuelle de Facebook (la Libra) depuis ce printemps. Elle est cependant menacée par des projets de régulation et on ne sait si elle déferlera un jour sur l’économie mondiale. En attendant, c’est l’application Revolut qui doit donner des cheveux blancs aux banquiers traditionnels. Lancée à Londres en 2014 par deux ex du Crédit suisse, elle a conquis quelques 5 millions de clients en Europe et cela presque sans publicité, portée par l’enthousiasme de ses utilisateurs et le bouche-à-oreille. Revolut a construit sa réputation en proposant des services bancaires sans facturer de frais ou de commissions sur la plupart des opérations.

Une application convaincante

Lors de ma première utilisation – tout se passe via l’application mobile – je suis séduit par l’interface qui est d’une grande clarté et qui ne ressemble pas vraiment à une plateforme bancaire. Ouvrir un compte virtuel s’avère d’une simplicité déconcertante (il faut néanmoins fournir une preuve d’identité comme une photo passeport). Ensuite, c’est un jeu d’enfant de transférer de l’argent ou d’échanger des cryptomonnaies avec son smartphone. Un environnement ludique que l’on pourrait à la limite trouver pernicieux, s’agissant d’argent bien réel.

Une version payante rentable à l’étranger

Je souscris assez rapidement à l’offre payante pour bénéficier des avantages réservés aux détenteurs de la carte «Metal» , facturée 160 CHF par année. En plus de l’envoi et de la réception d’argent, elle permet d’échanger des cryptomonnaies, d’effectuer des retraits aux distributeurs de billet dans le monde entier (jusqu’à 600€ par mois sans frais), donne l’accès à un concierge virtuel, à des assurances (dégâts smartphone, médicales, pertes de bagages), offre un cashback immédiat (remboursement) de 0,1 à 1% sur les dépenses et promet un accès facilité aux salons des aéroports.

Mais est-ce cher payé? En ce qui me concerne, mon investissement de départ a été amorti en moins de 3 mois (et surtout après 3 voyages).

Revolut a désormais remplacé l’usage de mes cartes de crédit traditionnelles pour toutes les transactions en monnaies étrangères, et pour cause: contrairement à ma banque traditionnelle qui me charge 1,75%, il n’y a chez Revolut pas de majoration sur les taux de change, ni frais de transaction; ainsi seul le cours interbancaire est appliqué lors d’un achat à l’étranger.

Lors d’un séjour à San Francisco, j’ai également reçu un cashback de 1% sur toutes mes dépenses, y compris pour une note d’hôtel de plusieurs milliers de dollars.

En supprimant les frais de traitement sur les transactions en monnaie étrangère, Revolut met en quelque sorte fin à ce qu’on pourrait appeler le «roaming bancaire».

Il est piquant de constater que PayPal, le vétéran des plateformes de paiement en ligne, se voit lui aussi «disrupté» par Revolut. Lors d’une commande en ligne effectuée sur un site en Angleterre, j’économise 8,50 CHF sur une commande de 176 CHF en payant en directement en Livre Sterling avec ma carte noire-métal. C’est bien plus intéressant que la conversion en francs suisses qui m’était proposée par PayPal.

Et comment ajoute-t-on de l’argent à son compte Revolut? Deux possibilités: en effectuant un virement à partir d’un compte bancaire classique (à un n° IBAN, en l’occurence en Suisse) ou plus étonnant, en débitant une carte de crédit standard sans frais additionnels (expérience faite avec mon émetteur de carte, mais ce n’est apparemment pas le cas chez tout le monde!). Dans le second cas, l’avantage réside dans le transfert instantané du montant sur son compte Revolut, ce qui est fort pratique lorsqu’on souhaite recharger son compte à sec, par exemple au moment où l’on s’apprête à effectuer un règlement dans une boutique.

L’ouverture à Apple Pay: la seconde révolution

Pour nous autres en Suisse, Revolut fait sauter un verrou en autorisant l’utilisation d’Apple Pay pour les paiements sans contact. Les acteurs bancaires helvétiques ont tout fait pour barrer la route à la pomme et imposer leur propre service (TWINT). Mais voilà qu’elle arrive sur le marché par la porte de derrière, avec Revolut.

Dernièrement, c’est avec mon Apple Watch (Revolut + Apple Pay) que j’ai effectué la majorité de mes paiements dans des établissements physiques: restaurants, hôtels, cafés, magasins, stations-service, paillotes de plage, etc. Le taux d’acceptation de ce moyen de règlement a été très élevé: 100% à San Francisco et à Londres, environ 90% lors de mes vacances en Corse cet été (c’est tellement pratique de se promener sans argent liquide à la plage, sans même une carte de crédit ou un smartphone).

L’expérience d’achat avec l’Apple Watch a quelque chose de quasi magique, notamment pour ceux qui n’ont en jamais entendu parler; un restaurateur corse qui découvrait ébahi ce moyen de paiement m’a demandé «où j’avais garé ma soucoupe volante»  ?.

Un avenir pourtant incertain

Revolut ajoute régulièrement de nouveaux services, avec apparemment l’idée de toujours changer la donne. Si l’achat et la vente de cryptomonnaies sont déjà d’actualité, il est désormais possible de boursicoter pour se constituer un portefeuille d’actions avec l’application (toujours sans frais). Quelle est la révolution ici? L’option d’acheter des fractions de valeurs boursières, démocratisant l’accès à des titres onéreux comme ceux d’Amazon ou Apple.

Revolut ne va sans doute pas s’arrêter en si bon chemin et l’on peut raisonnablement imaginer qu’ils revisiteront à leur manière l’intégralité des services bancaires classiques (prêts, hypothèques, etc.). A moins qu’ils ne soient d’ici là rattrapés par les rumeurs de liens avec la Russie, susceptibles de compromettre leur licence bancaire européenne?

 

Note: Revolut appliquerait une légère majoration sur les échanges de monnaie durant les week-ends. Bon à savoir!

Pourquoi on ne peut échapper au profilage des géants du net

Vous faites partie de ces personnes réfractaires aux réseaux sociaux et vous n’avez aucun profil sur Facebook, Instagram ou Linkedin? Que ce soit par conviction ou comme un principe de précaution pour préserver votre vie privée, les scandales à répétition vous ont peut-être donné raison: le bénéfice du doute est désormais révolu pour les géants du net.

Mais si vous croyez passer entre les filets en fuyant leurs services en ligne, détrompez-vous: il est quasiment impossible de se soustraire au profilage des GAFA. Si ce ne sont pas vos propres données personnelles qui vous ont trahi, vous aurez été démasqué par celles de vos proches et de vos connaissances…

Les non-utilisateurs sont aussi identifiés, traqués

Facebook est capable de dresser le portrait «virtuel» des non-utilisateurs de ses plateformes. Ainsi, si vous n’y êtes pas présent, il y a de fortes chances qu’une majorité de vos connaissances soit inscrite sur Facebook/Instagram, WhatsApp ou encore sur Gmail. Dès lors, votre numéro de téléphone et votre e-mail auront été capturés par ces applications mobiles qui sont programmées pour siphonner le carnet d’adresses de chaque utilisateur, et donc vos données qui se trouvaient certainement dans les appareils de vos amis.

Avec d’autres techniques comme le pixel tracking, le réseau social parvient à profiler les internautes bien au-delà des 2,7 milliards de membres que comptent Facebook, WhatsApp et Instagram réunis. La fiabilité du procédé est redoutable si l’on pense que nos numéros de téléphone et adresses e-mail fonctionnent comme des identifiants uniques, au même titre que notre numéro de passeport.

Boycotter les services en ligne des géants du net pour éviter d’être profilé s’avère vain. Même en ne figurant sur aucun réseau social, en fuyant leurs systèmes de messagerie, en utilisant des alternatives au moteur de recherche de Google ou à Gmail; les plateformes peuvent recomposer les chaînons manquants dans leur base de données à partir des autres utilisateurs. Un enfant de 4 ans parvient à terminer un puzzle d’un millier de pièces s’il n’en reste que quelques-unes à placer et si on lui indique encore quelle pièce est voisine de l’autre. Ce jeu-là ne présente aucune difficulté pour une intelligence artificielle avec de grandes quantités de données.

Au final, les GAFA ont certainement cartographié les connexions sociales de toute la population occidentale, et c’est sans précédent dans l’histoire.

Nos photos sont des passeports biométriques

Un autre point contribue à rendre irréaliste l’anonymat numérique: les photographies de nous-mêmes qui ont été aspirées par les moteurs de recherche et transférées ou stockées dans le cloud. Il suffit d’une seule photographie publiée sur le net dans les vingt dernières années, associée avec son nom dans une légende, pour que l’on puisse être identifié pour l’éternité par les techniques de reconnaissance faciale (des progrès notables sont prévisibles à court terme dans ce domaine).

Aviez-vous utilisé votre plus beau portrait pour votre profil Linkedin? Et quid de cette photo publiée il y dix ans dans un quotidien régional, lorsque que vous participiez innocemment à la course à pied du village? Dans sa forme numérique, un article de presse n’a plus rien d’éphémère; il ne finira plus avec les épluchures de légumes mais résidera pour toujours dans le ventre d’un moteur de recherche.

Connaissez-vous le site web PimEyes.com? Il permet de rechercher une personne sur le web à partir d’un simple cliché, pourquoi pas pris à l’insu d’une personne dans le métro. S’il se révèle encore moyennement efficace, les GAFA disposent eux des données et des algorithmes pour rendre le procédé quasi infaillible.

Et si vous avez réussi à rester invisible dans les moteurs de recherche d’images, il est probable qu’un membre de votre famille ou une connaissance vous ait «tagué» dans une application de photo (par ex. Lightroom, Google Photos, Apple Photos, etc.) ou sur un réseau social. Votre image avec ses caractéristiques biométriques appartiennent dorénavant aux géants du net, sans aucune transparence sur l’usage qu’ils en feront.

Du capitalisme de surveillance à l’autocratie robotisée?

Les GAFA, biberonnés avec nos données, se conduisent comme des grands gamins immatures qui utilisent leurs pouvoirs de Big Brother à des fins économiques.

Des garde-fous doivent être érigés pour éviter le dérapage de ce capitalisme de surveillance vers une société de surveillance, qui n’attendrait qu’un basculement géopolitique pour être validée. Le glissement graduel des plus grandes nations vers l’autocratie ne sont pas les signaux les plus rassurants.

 

«Croire qu’une société cotée puisse internaliser le bien social dans ses choix stratégiques, et accepter, sans y être forcée, de freiner le développement de ses recettes pour améliorer le bien-être commun est un pari déraisonnable. À l’inverse, l’histoire récente montre qu’une menace coordonnée de régulation à l’encontre des géants du net peut être aussi efficace qu’un texte imposé.»

La civilisation du poisson rouge, Bruno Patino (Ed. Grasset & Fasquelle)

Sans but précis un algorithme restera stupide

L’un des problèmes avec l’intelligence artificielle réside dans la difficulté à transmettre les bons objectifs à la machine. C’est pourtant un élément clé pour son utilisation, alors qu’elle n’est nullement dotée de ce que nous appelons le «bon sens commun» pour déduire ce qui est important et ignorer ce qui ne l’est pas. Sans but à atteindre, un algorithme demeurera stupide!

C’est un principe aussi important que la quantité de données que nous mettons à disposition de l’IA pour son autoapprentissage ou encore la qualité des algorithmes.

Pour l’illustrer autrement qu’avec le jargon de mon domaine du marketing numérique, je vais vous raconter une anecdote personnelle que chacun pourra expérimenter avec son smartphone.

J’utilise l’application Apple Musique pour écouter de la musique en streaming. Comme son rival Spotify, elle recourt à l’intelligence artificielle pour apporter des recommandations et faciliter les recherches.

Chaque semaine, l‘application me propose une playlist avec les nouveautés musicales qui sont censées me plaire. Cette liste je l’attends avec une certaine impatience, car grâce à elle j’ai déjà découvert de nombreuses perles musicales.

Mais voilà qu’un beau matin en écoutant ma liste hebdomadaire de recommandations, je tombe sur le titre Zuma Zoum de Patrick Sébastien :

Je peux vous assurer que j’ai zéro affinité avec l’oeuvre du chansonnier français. Mais comment un algorithme supposément intelligent est-il parvenu à me proposer cette chanson?

Non, ce n’est pas un bug informatique: l’algorithme intelligent est programmé pour atteindre un but prédéfini par un ingénieur (celui que j’appelle le dresseur d‘IA). Chez Apple, quelqu’un lui a certainement donné pour objectif de me proposer des morceaux similaires à ceux que j’écoute. Mais il se trouve que c’est un très mauvais choix: cela ne signifie aucunement que ce sont ceux-là que je préfère!

Heureusement, à la fin de l’histoire mon honneur est sauf et j’ai finalement compris pourquoi mon smartphone m’avait proposé cette rengaine de bal musette: j’ai une fille de cinq ans et cet été elle a invité ses camarades à la maison pour une petite fête. Les mouflets ont guinché sur de la musique dans le genre «Disco Kids». C’était donc ça, mais hélas le mal était fait: l’IA l’avait pris pour un signal de préférence personnelle et depuis, influencé par ces écoutes parasites, elle me propose sans vergogne des titres similaires. Une vraie plaie.

Et persévérant dans son erreur, il me propose également des «musiques pour la relaxation». C’est vrai que j’en écoute régulièrement en travaillant, mais le genre ne présente aucun intérêt musical pour moi et dès lors ce n’est pas la peine de m’en proposer dans une playlist de « découvertes musicales ».

Ce résultat est d’autant plus absurde qu’Apple connait mes morceaux préférés, j’en ai ainsi signalé plusieurs milliers par des ❤️ (j’aime) depuis une quinzaine d’années. Manifestement, chez Apple ils ne prennent pas en compte les bons signaux pour éduquer leur algorithme de recommandation. Ou en tout cas pas pour moi.

L’avènement de l’intelligence artificielle nous rappelle l’importance de fixer les bons objectifs et de les prioriser.

Si par exemple dans une entreprise les objectifs n’ont pas été clairement définis, s’ils sont ne sont pas connus de tous les collaborateurs ou s’il s’avère que les dirigeants ne sont pas alignés avec ces objectifs, il est fort probable qu’elle ne les atteindra jamais!

 

 

Tous dresseurs d’intelligence artificielle?

Lorsque nous nous penchons sur un problème pour le résoudre, nous n’avons pas conscience des millions de neurones qui s’activent dans notre cerveau. Ainsi, nous ignorons presque tout sur le fonctionnement de notre intelligence; d’où nous provient tel éclair de lucidité et quels sont les mécanismes qui régissent nos réflexions. Être méthodique, avoir un haut QI et être instruit peut certes aider, mais avant tout nous devons savoir ce que nous cherchons à élucider.

La boîte noire de l’intelligence artificielle

On découvre une étonnante similitude dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA): les chercheurs parviennent à mesurer l‘efficacité des algorithmes de machine-learning pour résoudre un problème, mais ils peinent à démontrer leur logique, à entrevoir ce qui pourrait ressembler à un«raisonnement» derrière le cheminement pris par la machine. En marche, la créature échapperait à ses créateurs.

Dans mon activité professionnelle, lorsque j‘interroge mes contacts chez Google sur certains comportements de la plateforme publicitaire Adwords, j’entends de plus en plus fréquemment: «Navré, on n‘en sait pas pourquoi cela fonctionne de cette façon». Et parfois d’avouer: «Avec le machine learning, personne ne sait en fait vraiment comment ça marche.»

«Des techniques d’autoapprentissage qui font penser à une nouvelle forme d’alchimie», raconte au magazine Science un chercheur en IA chez Google. L’IA fonctionne de manière plus empirique que mathématique et avance par des millions de tâtonnements successifs («computers learn through trial and error») jusqu’à atteindre sa finalité. Alimentée par un océan de données, elle s’oriente avec des signaux qui lui indiquent si elle est sur la bonne piste pour un succès, ou si au contraire elle s’en éloigne.

Dompter la machine pour qu’elle atteigne le but fixé

Comme nous autres, la machine restera improductive sans une mission précise, sans un cap qu’elle pourra garder dans son viseur. Les livres sur le management et le développement personnel rappellent l’importance de fixer des objectifs clairs et atteignables. Une étape incontournable avant de démarrer avec un plan d’action.

«Setting goals is the first step in turning the invisible into the visible.» — Tony Robbins

Vers des managers d’IA

Le rôle du manager d’IA consiste à définir les objectifs pour la machine, de s’assurer qu’ils sont les plus pertinents et vérifier qu’elle en fera le meilleur usage. Le cas échéant, il devra revoir ses objectifs ou prévoir des buts intermédiaires, par exemple si l’objectif initialement fixé se révèle trop élevé, hors d’atteinte d’un premier coup.

Sans intention préalable, la machine n’est capable d’aucun miracle technologique; elle échouera et encore plus rapidement que si les décisions avaient été humaines.

Alors que l’automatisation va transformer les métiers en profondeur, les écoles doivent former sans tarder les étudiants à devenir des coaches d’intelligence artificielle. Les entreprises ont désormais besoin de leaders qui savent intégrer, diriger et accompagner les cerveaux de silicium. Et, qui sait, un jour les inspirer.

«In a company, hundreds of decisions get made, but objectives and goals are thin.» — Ben Horowitz

SSR-Billag: et si le péril venait du budget des consommateurs connectés?

Attaché à la mission du service public dans le paysage médiatique, je voterai non à No Billag. Je crois pourtant que l’initiative a des chances d’être acceptée pour un argument quelque peu différent de ceux entendus jusque-là.

Le poste qui a décuplé en vingt ans dans le budget des ménages, c’est celui des coûts liés aux nouveaux médias et au numérique.

Dans les années quatre-vingt, l’abonnement à la télévision par câble marquait une première augmentation significative par rapport à ce que coûtait la seule télévision hertzienne.

Depuis l’émergence de l’internet à haut débit et du smartphone, le consommateur souscrit à une multitude de services et médias en ligne. Souvent pour un prix qui paraît dérisoire: une dizaine de francs par mois par-ci et par-là. C’est ainsi que la douloureuse gonfle progressivement. Insidieusement.

Le budget mensuel d’un foyer composé de deux adultes et de deux adolescents peut désormais ressembler à ça:

  • 1 abonnement de base Swisscom (S) Internet+TV, avec 4 abonnements de téléphonie mobile: 265 CHF par mois
  • 1 abonnement familial Spotify pour la musique illimitée: 19,90 CHF par mois
  • 1 abonnement Netflix HD: 15,90 CHF par mois
  • 1 abonnement Playstation Plus: 5 CHF par mois
  • 1 abonnement Apple iCloud (sauvegarde des données et photos 2TB): 10 CHF par mois

Total : 315 CHF par mois, soit 3’780 CHF par an.

A ceci, il faut ajouter le prix pour l’achat ou le renouvellement des smartphones pour chaque membre de la famille (cela fait un moment qu’un téléphone portable ne sert plus à téléphoner). Sans compter le coût des tablettes, des ordinateurs portables, des applications mobiles et autres jeux achetés au cours d’une année. Actuellement, ce sont les cours en ligne (bien sûr avec abonnement) qui sont en vogue: cours de langues, de cuisine, de programmation, de piano, de yoga, etc.

Le poste «média et numérique» peut apparaître aujourd’hui disproportionné au bilan d’une famille moyenne. Dans ce contexte, il est particulièrement risqué de venir lui demander si elle préfèrerait se passer d’une facture de 450 CHF pour Billag.

A l’heure où nombre de consommateurs doivent faire des choix économiques, ils adhéreraient certainement à une offre SSR qui ne serait pas au rabais, mais réaménagée ou sur un modèle à options. Car qu’on le veuille ou non, la consommation des médias «à la carte» s’est déjà imposée dans les esprits. Dommage que nous n’ayons pas de plan B, semblent-ils dire…

Mon expérience patient en 2035

Ce billet est celui d’un patient hyperconnecté qui imagine son rapport à la santé dans une vingtaine d’années.

7 Avril 2035, mon fils vient d’avoir 18 ans. Une notification fait vibrer ma montre: c’est mon médecin qui me propose une téléconsultation. L’indicateur principal sur mon état de santé vient de passer du vert à l’orange.

Mon assistant de santé personnel s’appelle Hector et c’est un produit de la division Google Health avec laquelle j’ai souscrit un abonnement Premium (celui avec un minimum de publicité).

Hector vient d’identifier un risque d’AVC. Heureusement pas pour tout de suite, mais il pourrait survenir dans une période estimée entre 8 et 12 ans. L’alerte est annoncée avec un taux de fiabilité de 93%; il n’y a pas de temps à perdre.

Hector me propose trois spécialistes pour m’accompagner (dont deux sont localisés dans ma ville). J’ai cependant préféré recevoir l’avis de mon médecin de famille qui a réagi rapidement; il est déjà installé dans mon salon via une projection holographique. Son ton se veut rassurant: « un traitement préventif associé à des modifications dans votre comportement alimentaire, des exercices physiques ciblés et de la relaxation seront capables d’endiguer la menace avec 86% de chances de succès ». Sournois et souvent détecté trop tard, cela m’aurait sans doute été fatal au siècle dernier.

Dopé à l’intelligence artificielle, Hector m’a instantanément préparé un programme sur mesure. Mon praticien le supervisera et m’assistera dans son application; je peux compter sur lui pour répondre à mes questions d’humain à humain, pour me guider et me motiver, sans prise de rendez-vous.

Quand la santé devient la première préoccupation du quotidien

Chaque matin au réveil, Hector me concocte un podcast personnalisé (ce que nous appelions jadis une « émission de radio »). Après la météo et les actualités, j’écoute le bulletin de santé du jour, avec un plan d’action pour les 24 prochaines heures. Il contient diverses mises en garde, des conseils nutritionnels (adaptés à l’état du stock de mon frigo). Il me suggère notamment des activités sportives accommodées selon la météo et mon emploi du temps, des conseils pour influer sur mon niveau de stress ou un sentiment de fatigue naissant. Il me dicte la posologie des éventuels médicaments à prendre au cours de la journée (une notification sur ma montre me le remémorera au moment venu).

En tout temps, il est possible de demander des explications ou d’interroger son conseiller de santé virtuel. Normal, Hector est un agent conversationnel; il comprend et parle un langage tout à fait naturel. Et en cas de doutes ou d’incompréhension, mon médecin se joindra à notre dialogue.

La santé n’a jamais occupé une place aussi significative dans notre quotidien, devenant la principale préoccupation chez les biens portants. Prendre soin de soi peut par moments être ludique, à la manière du jeu vidéo des Sims ou les Tamagotchis de mon enfance; ces personnages dont il fallait s’occuper et ne pas laisser mourir en surveillant quelques indicateurs.

La file d’attente du cabinet médical appartient au passé; comme d’ailleurs les journaux et les brochures commerciales qui jonchaient les salles d’attente. La consultation est moins associée à un état de santé défaillant ou à la maladie, mais elle a évolué en une sorte d’assurance vie, au sens littéral.

Au-delà d’un thérapeute, on va consulter l’équivalent d’un coach de vie. Ce guide humain, que certains considèrent comme leur « ange gardien » dans un monde dématérialisé et robotisé, m’aide dans mes démarches curatives. Il m’oriente dans la fabrication d’obstacles face aux maladies du vieillissement, afin d’inhiber la maladie d’Alzheimer, de repousser les limites de ma mort et des usures du corps. Pour au final profiter pleinement d’une espérance de vie inédite dans l’histoire de l’humanité.

Longtemps décrié par les professionnels de la santé, l‘autodiagnostic par les données s’est naturellement imposé par son efficacité sans égal, et inévitablement pour des raisons économiques. Si cela a créé au passage toute une série de nouveaux défis à la société, le fantasme d’une médecine d’abord préventive est finalement devenu réalité.

Mon corps, cette source intarissable de données

Auparavant, on m’envoyait faire des analyses de sang (ou d’urine) à la fréquence d’une ou deux fois par décennie. Elles sont maintenant réalisées en temps réel, tout au long de la journée. Des micro-capteurs mesurent mon taux de glycémie, ma masse graisseuse et musculaire, le nombre de globules et de plaquettes, les minéraux et autres marqueurs d’infection ou d’inflammation. Ils détectent des anomalies dans ma tension ou mon rythme cardiaque et tout indice de fatigue ou de stress. La nuit, ils jaugent l’efficacité de mon sommeil. En bref, ils scrutent ma qualité de vie.

Avec l’essor des nanocapteurs, je transporte l’équivalent d’un laboratoire d’analyse de niveau hospitalier du début du siècle dans un tout petit centimètre carré. Plus discret qu’un piercing, on le distingue à peine sous la peau de ma nuque où sont logées les cellules électroniques qui veillent sur mon état de santé 24/7. Énergiquement autonomes, elles se rechargent lors de chaque mouvement de mon corps. Ce sont elles qui transmettent des millions de données chaque jour au système de santé.

La recherche de symptômes a toujours comporté une part de subjectivité. Un élément que la société et les organes de régulation ont décidé de ne plus tolérer (à l’instar de la conduite de véhicules en mode manuel qui est bannie depuis une dizaine d’années). Elle a progressivement été remplacée par le diagnostic d’une intelligence artificielle guidée par trois types de données: les signaux produits en nombre par notre corps, le génome, la corrélation d’un cas avec des millions de précédents à travers le monde.

Il serait impossible de traiter manuellement, ne serait-ce qu’une infime partie, de la montagne de données recueillies. Imprimé, mon dossier médical tiendrait sur plusieurs millions de pages au format A4. La tâche dépasse désormais l’entendement humain.

Le traitement de nos données médicales par les géants de l’intelligence artificielle (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Yandex, Baidu, etc.) a bien rencontré des résistances au début, mais la majorité d’entre nous a préféré choisir les bénéfices de ces nouvelles technologies, notamment dans les régions où les médecins avaient disparu.

Un nouveau rôle pour le médecin

Dans le domaine de l’aviation, les pilotes de ligne naviguent depuis longtemps en mode automatique. Ils supervisent des instruments de vol et sont formés pour intervenir en cas de grave complication. Ils rassurent l’équipage et les passagers lorsque survient un imprévu. Mon médecin veille sur moi comme l’aiguilleur du ciel qui suit des centaines d’avions sur son écran radar. Il est alerté dès les premiers signes de turbulence, avant même la dégradation de l’état de santé de ses patients. En aval d’un diagnostic automatique, il entre en scène suivant les recommandations dictées par le système de santé.

Jour après jour, c’est une véritable collaboration qui s’instaure avec mon health manager. On partage et l’on échange autour d’une connaissance largement accessible via les systèmes experts de santé et les communautés en ligne. Il m’accompagne ainsi dans toutes les étapes de ma vie et m’aide à interpréter, à relativiser l’expertise implacable des systèmes intelligents de santé.

Le professionnel a dû simplifier son discours, naguère trop professoral, pour endosser un rôle de pédagogue. L’empathie n’est plus une qualité en option chez mon docteur, elle est au coeur de sa prestation.

Avec des progrès certainement trop brutaux, les gens rechignent à s’en remettre complètement à la décision des machines, aussi fiables soient-elles. Sa première mission est alors d’expliquer et de recréer des liens de personne à personne, par un dialogue constant.

Débarrassé des tâches répétitives et sans valeurs ajoutées, le praticien peut se concentrer sur ce qui le rend irremplaçable: un regard humain et extérieur sur la façon dont je « traite mon corps », avec le sens critique qui le distingue encore de la machine.

La santé, au-delà de la fatalité

Avec une expertise médicale qui s’est démocratisée et des systèmes de santé intelligents nourris au big data, l’espérance de vie a été repoussée au-delà de ce que nous pouvions autrefois considérer comme des limites franchissables.

La maladie et le vieillissement ne sont plus considérés comme des fatalités, mais des erreurs de parcours. Des fautes par négligence qui incombent souvent à sa propre responsabilité plutôt qu’à un coup du sort. La mort est une notion toujours plus lointaine; on en viendrait à culpabiliser qu’elle arrive un jour.

 

 

A paraître également dans la revue Swiss Sports & Exercise Medicine, 4/2017

Facebook: la grosse fatigue?

Je viens d’être papa pour la seconde fois; le plus heureux des événements avec son cortège d’émotions. Mais pour annoncer l’arrivée du petit dernier, je me suis contenté d’envoyer quelques messages via SMS et WhatsApp.

Pourquoi n’ai-je pas partagé ce moment privilégié sur Facebook, alors qu’il était évident d’y communiquer la naissance de ma fille il y a quatre ans? Il semblerait que notre relation avec le réseau social se soit compliquée.

De réseau social à média dépersonnalisé

A ses débuts, Facebook n’était qu’une plateforme d’échange pour les étudiants américains. Avec presque 2 milliards de membres actifs par mois (et moins de 5% de faux profils), Mark Zuckerberg peut se targuer d’avoir constitué la plus grande communauté de l’Histoire.

Le réseau social s’est profondément transformé en une dizaine d’années, pour devenir le premier média de la planète. De «social», il ne reste aujourd’hui pas grand-chose depuis que les gens ont emporté leurs affaires personnelles sur les messageries instantanées WhatsApp et Messenger.

Les statuts individuels ont petit à petit cédé la place à des publications rédigées par les médias traditionnels et des leaders d’opinion; bref, par tous ceux qui trouvent un intérêt dans l’histoire. Rares sont les utilisateurs qui contribuent encore avec du contenu personnel, un tantinet original. La plupart de mes amis se servent du réseau en mode passif, en rasant les murs. Quant aux commentaires, ce sont à peu près toujours les mêmes qui «ramènent leur fraise» (dont je fais partie).

Il y a bien Instagram pour susciter un regain de créativité auprès d’un large public, mais il n’assume pas un rôle de «média social» avec un usage qui reste majoritairement anonyme, limité à la diffusion de photos et vidéos.

Sur Facebook, de nouvelles fonctionnalités apparaissent régulièrement pour tenter d’apporter un second souffle à nos récits personnels. Pourtant, ni les souvenirs (ce jour-là), les filtres ou les récentes Stories ne sont parvenus à endiguer ce manque d’engagement sur la plateforme.

Crise de confiance

Facebook paierait-il l’addition pour son manque de transparence dans l’exploitation de nos données personnelles? Au-delà d’une certaine lassitude, la curiosité des débuts a cédé la place à l’anxiété; chacun craignant de se voir déposséder de sa vie privée, d’une atteinte à sa réputation en ligne, ou d’être même un jour poursuivi par ses enfants pour avoir publié quelques anodines photos de famille.

Et si les utilisateurs comprennent le principe de «quand c’est gratuit c’est que je suis le produit», beaucoup le considèrent comme un marché de dupe.

Un empire publicitaire au stade embryonnaire

Le désengagement visible des utilisateurs n’est pas sans répercussion sur la stratégie marketing des entreprises. Frileux et repus d’information, les consommateurs refusent désormais de suivre aveuglément telle marque de pâte à tartiner ou le salon de coiffure du quartier. L’époque où il fallait à tout prix bâtir sa communauté de «fans» est révolue.

Les publicitaires doivent changer leur fusil d’épaule et cibler des communautés plus authentiques, comme les véritables centres d’intérêt des consommateurs. Des données disponibles à foison sur le réseau, qui recoupés avec des critères sociodémographiques représentent une mine d’or numérique. Ce n’est pas par hasard si Facebook domine actuellement le marché mondial de la publicité en ligne, conjointement avec Google.

Malgré la dépersonnalisation qui affecte son réseau principal, Facebook est en mesure de tirer sur toutes les cordes étant donné que les messageries WhatsApp et Messenger lui appartiennent également. Une annonce est aussi attendue le mois prochain dans le domaine de la télévision; un autre média traditionnel qui risque de passer quelques nuits blanches…

 

 

Statistiques Facebook (mai 2017)