Illustration générée avec Midjourney 5.

La fin de l’hégémonie de Google dans les moteurs de recherche?

En trois mois à peine, les assistants conversationnels intelligents ont conquis des millions d’utilisateurs grâce à des compétences encore jamais vues. La nouvelle version de Bing Search, propulsée par ChatGPT 4, constitue une avancée majeure dans la manière dont nous pouvons obtenir une réponse instantanée à quasiment n’importe quelle question, même complexe. Il associe les résultats de recherche prélevés sur le web, en exploitant simultanément les capacités de ChatGPT à formuler des réponses détaillées à partir d’une large base de connaissances.

La fin imminente des moteurs de recherche traditionnels ?

L’adoption de ces assistants conversationnels intelligents pourrait-elle signifier la fin des moteurs de recherche classiques? Il est trop tôt pour le dire, mais Microsoft a acquis un avantage significatif sur Google en intégrant avec succès ChatGPT à son moteur de recherche Bing, surmontant les problèmes initiaux rencontrés par ChatGPT 3.5 qui générait trop souvent des réponses inappropriées. Un tour de force réalisé avec des mécanismes de contrôle au sein de son architecture de modèle linguistique.

A titre personnel, j’utilise désormais en priorité ChatGPT ou Bing GPT pour répondre à toutes sortes d’interrogations. Il ne me semble pas fantaisiste d’envisager la fin de la domination de Google. Microsoft aurait alors l’opportunité de s’approprier une part significative du marché publicitaire en ligne, auparavant monopolisée par le géant de la recherche.

Le virage est décisif pour la société de Redmond qui fut longtemps considérée comme une société phare du numérique, mais distanciée sur le web. Ce changement met également en évidence une forme de courage entrepreneurial que Google a perdu au fil des ans. Au lieu de se concentrer sur l’innovation, Google est devenu un mastodonte qui se focalise sur la réduction des risques pour préserver son modèle économique principalement basé sur la publicité en ligne (ce qui, en réalité, ne demande pas beaucoup d’efforts). Sous les feux des projecteurs politico-médiatiques, Google a l’air aujourd’hui paralysé. 

De la publicité dans les agents conversationnels?

Pour profiter de Bing Search amélioré par la technologie GPT, il est indispensable de se connecter avec un identifiant, sans quoi il est impossible d’entamer une conversation. Bing pouvant enregistrer toutes les interactions avec son agent intelligent, il serait dès lors en mesure de dresser un profil détaillé de chaque utilisateur en fonction de l’historique de ses questions. Des informations que Bing pourrait vouloir utiliser à des fins publicitaires, que ce soit sur son propre moteur de recherche ou dans l’univers plus large de Microsoft.

La firme autrefois fondée par Bill Gates a les cartes en main pour devenir un acteur de tout premier plan dans le secteur de la publicité en ligne. Sans compter qu’elle est aussi propriétaire du réseau social professionnel LinkedIn qui recense plus de 900 millions de membres, dont la quasi-totalité de la classe moyenne supérieure. Une gigantesque mine d’or qui paraît à ce jour sous exploitée.

À l’heure actuelle, Bing n’affiche pas de publicités lors des interactions avec son assistant conversationnel. Mais les utilisateurs sont-ils prêts à accepter de la publicité dans les réponses d’une intelligence artificielle censée incarner l’objectivité? Une telle présence pourrait être perçue comme une tentative d’influence de la part d’intérêts économiques.

Un autre aspect qui ne peut être négligé: l’exploitation et la maintenance des assistants conversationnels intelligents sont plus onéreuses qu’avec les moteurs de recherche traditionnels. Ainsi, le coût d’une requête peut être jusqu’à dix fois plus élevé sur un agent conversationnel intelligent. Pour Google, cela constitue une perte nette en comparaison avec ses activités habituelles. La question se pose alors: seront-ils tentés de répercuter ces coûts additionnels sur les annonceurs? Il n’est pas certain qu’ils en aient les moyens si les utilisateurs se dirigent désormais vers Bing et que les annonceurs leur emboîtent le pas…

A noter que le partenariat entre Open AI et Microsoft n’est pas le seul défi auquel Google doit faire face dans le domaine des agents conversationnels. De nombreuses startups, comme You, Perplexity ou Neeva (fondées par d’anciens employés de Google), exploitent des technologies similaires et parfois de manière plus audacieuse que les géants du net (elles ont moins de contraintes à respecter).

En résumé, Microsoft est à l’abri car la publicité ne représente qu’une faible part de ses revenus, tandis que Google doit impérativement maintenir le niveau de ses revenus publicitaires.

Du placement de produits à la place des annonces traditionnelles?

Assisterons-nous à une évolution des encarts publicitaires classiques vers des placements de produits dans les réponses fournies par l’intelligence artificielle? Peut-être, mais dans tous les cas ils devront être, d’une manière ou d’une autre, clairement mentionnés dans les réponses pour éviter toute ambiguïté.

Les risques sur le contrôle demeurent trop importants. En effet, des hallucinations d’IA (réponses crédibles contenant des erreurs factuelles) pourraient lier une marque à de fausses informations, une situation inacceptable pour les annonceurs. De plus, si le prompt (la question) est formulé de manière négative et entraîne la mention d’une marque dans la réponse, celle-ci pourrait être liée à la connotation négative de l’échange, ce qui ne serait pas non plus acceptable.

Les entreprises pourraient potentiellement faire face à un «bad buzz» si des réponses inappropriées sont associées à leur marque. Cela souligne l’importance cruciale du contrôle des réponses (outputs) pour que les agents conversationnels puissent être monétisés avec de la publicité. L’absence actuelle de publicité témoigne probablement d’un niveau de maîtrise encore insatisfaisant.

Le format des annonces sponsorisées pourrait évoluer et venir s’immiscer dans les conversations en fonction d’un contexte, proposant par exemple des services pratiques en complément d’une réponse élaborée. Cependant, le défi de l’expérience utilisateur (UX) sur mobile reste considérable, car les réponses de ChatGPT peuvent s’étendre sur plusieurs longueurs d’écran d’un smartphone, rendant ainsi plus difficile la captation de l’attention de la publicité.

Et si l’absence de publicités devenait un atout compétitif durable pour Microsoft? Cela pourrait offrir un nouveau modèle attractif pour les utilisateurs lassés des publicités envahissantes, qui seraient peut-être prêts à débourser 20 $ par mois pour un assistant-robot façon superhéros, capable de gérer le courrier, organiser les vacances, aider les enfants dans leurs devoirs et résoudre bien d’autres problèmes quotidiens.

En attendant, la stratégie du couple Microsoft/OpenAI vise à soustraire un maximum d’utilisateurs de leur concurrent en proposant des intelligences artificielles gratuites ou des abonnements payants pour des versions plus avancées (comme ChatGPT Plus à 20 dollars par mois). Microsoft perçoit probablement une occasion de gagner des parts de marché face à Google à travers l’ensemble de son écosystème (Edge, Bing, Office via Copilot).

 

[Mise à jour du 31 mars 2023]

La rapidité avec laquelle les événements s’enchaînent est stupéfiante. Moins d’une semaine après la publication de ce billet, les premières publicités sponsorisées ont émergé dans les résultats de Bing Search propulsé par GPT 4. Dans cet exemple, on remarque la mention [Ad] à côté de la réponse [1].

 

 

 

Google enterre les cookies (et se débarrasse au passage de la concurrence)

Google a annoncé la fin imminente de l’acceptation des cookies en provenance de sites tiers sur son navigateur Chrome. Est-ce là un pas en direction d’une meilleure protection de la sphère privée ou plutôt un habile coup pour renforcer une position déjà hégémonique sur le marché de la publicité en ligne ?

Rappel: qu’est-ce qu’un cookie ?

Un cookie est un petit fichier informatique que le navigateur vient déposer sur votre ordinateur lorsque vous visitez un site web.

Il en existe 2 types : 

  • Le cookie propriétaire, déposé par le site que vous visitez, la plupart du temps pour assurer son bon fonctionnement (maintenir une connexion active, conserver le contenu d’un panier d’achat, etc.)
  • Le cookie tiers, déposé par une entité tierce (comme Google ou Facebook), la plupart du temps à des fins de reciblage publicitaire.

Qu’est-ce que le reciblage publicitaire ?

En voici le principe, par un exemple.

Vous avez regardé plusieurs paires de chaussures sur le site de vente Zalando, mais vous n’êtes pas encore prêt(e) à passer à la caisse.

Vous allez ensuite apercevoir ces mêmes chaussures dans des publicités un peu partout sur internet, comme si elles vous suivaient à la trace… Ca vous rappelle quelque chose ?  

En parcourant le site de Zalando, votre navigateur a reçu un cookie tiers généré par la plateforme publicitaire Google Ads. Lorsqu’ensuite vous visiterez d’autres sites qui accueillent des espaces publicitaires gérés par Google, vous verrez à nouveau apparaître les même escarpins. 

Google annonce la fin des cookies tiers dans son navigateur Chrome 

Tout a démarré avec les initiatives en faveur de la vie privée, telles que le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Celles-ci soumettent notamment l’utilisation des cookies à l’acceptation préalable de l’internaute lors de sa première visite sur un site.

Apple avait saisi l’occasion de se démarquer de la concurrence avec son navigateur Safari, en faisant de la protection de la vie privée un nouvel argument marketing. Safari fut ainsi le premier à bloquer les cookies tiers, espérant devenir un modèle dans la protection des données et attirer de nombreux utilisateurs échaudés par les récents scandales en la matière.

Il a ensuite rapidement été suivi par l’outsider Firefox. 

Cette semaine, c’est donc au tour de Chrome de suivre le mouvement. Ce qui ne manque pas de nous interroger sur les motivations de Google, le leader avec 70% de parts de marché.

Un changement sans véritable impact pour les consommateurs 

Le reciblage publicitaire ne va disparaitre pour autant.

Les cookies sont depuis longtemps sur la sellette et les GAFA n’ont pas attendu l’heure d’une réglementation pour élaborer d’autres techniques de suivi comme le fingerprinting.

Google et Facebook sont les seuls à disposer de bases de données gigantesques, constituées de plusieurs milliards d’utilisateurs qu’ils connaissent parfaitement grâce à un profilage systématique.

Comment procèdent-ils? En nous identifiant lors de l’utilisation des services gratuits auxquels nous sommes connectés en permanence: Gmail, Google Maps, le navigateur Chrome, etc. Sans compter les propriétaires des smartphones qui fonctionnent sous le système d’exploitation Android, soit plus de 9 utilisateurs d’appareils mobiles sur 10 dans le monde

Rien de bien nouveau: en utilisant des produits «gratuits», c’est nous qui sommes le produit (on se souvient du fameux mantra de l’économie numérique).

Mais qu’est-ce qui change alors avec cette annonce ?

Google est, l’air de rien, en train de tuer la concurrence 

Pour les acteurs de la publicité numérique, l’abandon des cookies tiers est vécu comme un tsunami. La majorité de ceux-ci ne disposant pas des services de l’ampleur de ceux de Google ou Facebook.

Prenons l’exemple du Français Criteo, une entreprise spécialisée dans le reciblage publicitaire. Son cours s’est aussitôt effondré à la bourse après l’annonce de GoogleElle propose en effet aux propriétaires de sites web d’installer un cookie tiers, pour recibler les visiteurs qui n’auraient pas effectués une action déterminante sur leur site (par exemple une demande de contact ou un achat en ligne). 

Criteo est une alternative à Google comme il en existe d’autres. Sauf que son modèle d’affaire repose historiquement sur l’usage des cookies tiers. Leur tentative de résistance, sous la forme d’une ultime «bidouille» parait fort limitée et sans doute éphémère. 

Si les cookies tiers disparaissent, les acteurs de la publicité numérique auront vraisemblablement de la peine à survivre. Ce qui pourrait logiquement faire les affaires de Google qui s’arrogera inévitablement une plus grande part du gâteau publicitaire.

Alors, l’abandon des cookies tiers est-il au final une aubaine pour Google ? Probablement, d’autant plus qu’ils ne sont pas à l’origine de ce mouvement et peuvent dès lors faire mine de se plier aux nouvelles pratiques de l’industrie et à la réglementation naissante.

Les incitations au respect de la vie privée ne font que renforcer les GAFA

Au final, il semble que toutes les initiatives visant à augmenter le respect de la vie privée ne font que renforcer les GAFA.

Ceux-ci sont les seuls à disposer d’écosystèmes comptant plusieurs milliards d’utilisateurs connectés en permanence à leurs services. D’un côté nous avons Google avec Gmail, Google Chrome, Google Maps, Youtube. Et de l’autre côté Facebook avec aussi Instagram et WhatsApp. Mais Google a l’avantage de pouvoir capitaliser sur les données de tous les propriétaires de smartphones sous Android, ainsi que des billions de signaux provenant de son outil de mesure Google Analytics.

Quelle ironie, notamment si l’on se rappelle que le règlement européen RGPD existe aussi pour tenter de freiner la domination absolue des GAFA. 

Un marché de la publicité numérique plus concentré que jamais

Google, Facebook et (de manière croissante) Amazon dominent toujours plus le marché de la publicité numérique.

Et leur leadership n’est pas prêt de s’arrêter: en plus des utilisateurs et de leurs données, ils ont une longueur d’avance dans le développement des algorithmes intelligents (qui se nourrissent de ces données pour progresser).

Une intelligence artificielle qui est en théorie capable d’identifier des utilisateurs uniques, sans même qu’ils se soient inscrits à des services

Avec une telle avance, il est difficile d’imaginer comment l’insolante domination des GAFA pourrait être remise en question dans un avenir proche, si ce n’est par la volonté d’une action politique. 

 

A écouter sur le même sujet: l’interview de Bruno Guyot à l’émission Forum (RTS) du 15 janvier 2020