Vous faites partie de ces personnes réfractaires aux réseaux sociaux et vous n’avez aucun profil sur Facebook, Instagram ou Linkedin? Que ce soit par conviction ou comme un principe de précaution pour préserver votre vie privée, les scandales à répétition vous ont peut-être donné raison: le bénéfice du doute est désormais révolu pour les géants du net.
Mais si vous croyez passer entre les filets en fuyant leurs services en ligne, détrompez-vous: il est quasiment impossible de se soustraire au profilage des GAFA. Si ce ne sont pas vos propres données personnelles qui vous ont trahi, vous aurez été démasqué par celles de vos proches et de vos connaissances…
Les non-utilisateurs sont aussi identifiés, traqués
Facebook est capable de dresser le portrait «virtuel» des non-utilisateurs de ses plateformes. Ainsi, si vous n’y êtes pas présent, il y a de fortes chances qu’une majorité de vos connaissances soit inscrite sur Facebook/Instagram, WhatsApp ou encore sur Gmail. Dès lors, votre numéro de téléphone et votre e-mail auront été capturés par ces applications mobiles qui sont programmées pour siphonner le carnet d’adresses de chaque utilisateur, et donc vos données qui se trouvaient certainement dans les appareils de vos amis.
Avec d’autres techniques comme le pixel tracking, le réseau social parvient à profiler les internautes bien au-delà des 2,7 milliards de membres que comptent Facebook, WhatsApp et Instagram réunis. La fiabilité du procédé est redoutable si l’on pense que nos numéros de téléphone et adresses e-mail fonctionnent comme des identifiants uniques, au même titre que notre numéro de passeport.
Boycotter les services en ligne des géants du net pour éviter d’être profilé s’avère vain. Même en ne figurant sur aucun réseau social, en fuyant leurs systèmes de messagerie, en utilisant des alternatives au moteur de recherche de Google ou à Gmail; les plateformes peuvent recomposer les chaînons manquants dans leur base de données à partir des autres utilisateurs. Un enfant de 4 ans parvient à terminer un puzzle d’un millier de pièces s’il n’en reste que quelques-unes à placer et si on lui indique encore quelle pièce est voisine de l’autre. Ce jeu-là ne présente aucune difficulté pour une intelligence artificielle avec de grandes quantités de données.
Au final, les GAFA ont certainement cartographié les connexions sociales de toute la population occidentale, et c’est sans précédent dans l’histoire.
Nos photos sont des passeports biométriques
Un autre point contribue à rendre irréaliste l’anonymat numérique: les photographies de nous-mêmes qui ont été aspirées par les moteurs de recherche et transférées ou stockées dans le cloud. Il suffit d’une seule photographie publiée sur le net dans les vingt dernières années, associée avec son nom dans une légende, pour que l’on puisse être identifié pour l’éternité par les techniques de reconnaissance faciale (des progrès notables sont prévisibles à court terme dans ce domaine).
Aviez-vous utilisé votre plus beau portrait pour votre profil Linkedin? Et quid de cette photo publiée il y dix ans dans un quotidien régional, lorsque que vous participiez innocemment à la course à pied du village? Dans sa forme numérique, un article de presse n’a plus rien d’éphémère; il ne finira plus avec les épluchures de légumes mais résidera pour toujours dans le ventre d’un moteur de recherche.
Connaissez-vous le site web PimEyes.com? Il permet de rechercher une personne sur le web à partir d’un simple cliché, pourquoi pas pris à l’insu d’une personne dans le métro. S’il se révèle encore moyennement efficace, les GAFA disposent eux des données et des algorithmes pour rendre le procédé quasi infaillible.
Et si vous avez réussi à rester invisible dans les moteurs de recherche d’images, il est probable qu’un membre de votre famille ou une connaissance vous ait «tagué» dans une application de photo (par ex. Lightroom, Google Photos, Apple Photos, etc.) ou sur un réseau social. Votre image avec ses caractéristiques biométriques appartiennent dorénavant aux géants du net, sans aucune transparence sur l’usage qu’ils en feront.
Du capitalisme de surveillance à l’autocratie robotisée?
Les GAFA, biberonnés avec nos données, se conduisent comme des grands gamins immatures qui utilisent leurs pouvoirs de Big Brother à des fins économiques.
Des garde-fous doivent être érigés pour éviter le dérapage de ce capitalisme de surveillance vers une société de surveillance, qui n’attendrait qu’un basculement géopolitique pour être validée. Le glissement graduel des plus grandes nations vers l’autocratie ne sont pas les signaux les plus rassurants.
«Croire qu’une société cotée puisse internaliser le bien social dans ses choix stratégiques, et accepter, sans y être forcée, de freiner le développement de ses recettes pour améliorer le bien-être commun est un pari déraisonnable. À l’inverse, l’histoire récente montre qu’une menace coordonnée de régulation à l’encontre des géants du net peut être aussi efficace qu’un texte imposé.»
La civilisation du poisson rouge, Bruno Patino (Ed. Grasset & Fasquelle)