Tant d’années s’étaient écoulées que le projet semblait voué à ne jamais devoir se concrétiser. Et pourtant : le 31 mai 2019, près de treize ans après son annulation abrupte par HBO, la série Deadwood est revenue sur les écrans sous la forme d’un téléfilm conclusif d’1h50. Le western de David Milch est donc finalement parvenu à s’extraire des limbes de la production télévisuelle pour s’ouvrir le chemin d’un au-delà qui saura lui rendre grâce. Qu’à cela ne tienne, ça valait le coup d’attendre.
Attention ! Il est préférable d’avoir vu la série et le téléfilm conclusif de Deadwood avant de lire ce billet.
Nous les avions quittés en 2006, nous les retrouvons treize ans plus tard comme si c’était hier. Leurs traits se sont creusés, leurs paupières se sont alourdies, leur tignasse a blanchi, mais les « citoyens » de Deadwood n’ont pas cessé de vivre durant cet intervalle de temps au cours duquel nous-mêmes avons grandi. Tous sont restés en ville ou y effectuent un retour ponctuel à l’occasion de la fête d’indépendance du Dakota du Sud, à l’exception de Silas Adams (son interprète Titus Welliver, pris par la série d’Amazon Bosch, était indisponible pour le tournage) et de Cy Tolliver (Powers Boothe est décédé en 2017, alors qu’il figurait dans une première version du scénario de ce téléfilm). Jane est toujours une « calamité » qui picole comme un trou en pleurant ses amours perdues, Alma n’a rien perdu de sa prestance et de son port de tête altier, Al Swearengen continue de repérer les nouvelles recrues potentielles au premier coup d’œil. David Milch est au stylo (avec un coup de main de Nic Pizzolatto, à qui il a rendu la pareille sur la saison 3 de True Detective), Daniel Minahan à la caméra (après s’être déjà occupé de quatre épisodes de la série), Carolyn Strauss à la production (place qu’elle occupait déjà sur Luck, autre création de David Milch). Bref, tout concourt à nous replonger dans cette atmosphère pré-civilisation, post-ruée vers l’or, en un simple battement de porte de saloon.
Les choix narratifs opérés par David Milch contribuent d’ailleurs à entretenir cette sensation de familiarité à peine brouillée par le changement d’époque qu’a connue HBO entre le brusque arrêt de la série et le succès retentissant d’une création d’un autre genre telle que Game of Thrones. L’action se situe en 1889, soit dix ans après le dénouement de la saison 3 qui avait vu Al Swearengen sacrifier la vie de la pauvre Jen pour sauver celle d’une autre prostituée du Gem, plus chère à son cœur : Trixie. Pourtant, ce subterfuge revient sur le tapis dès le début du téléfilm avec l’arrivée en ville de George Hearst (le dindon de la farce), devenu sénateur en quête d’un nouveau terrain pour déployer les lignes téléphoniques dans lesquelles il a investi une partie de sa fortune. Plutôt que d’entreprendre un classique reboot ou sequel à l’histoire bouclée (avec un début, un milieu et une fin), Milch assume de reprendre le cours de son récit exactement là où il l’avait arrêté, et de le mener à terme comme s’il était simplement resté en suspens et attendait que l’on daigne le sortir de sa tanière. Cela ne signifie pas pour autant que l’auteur oblitère le temps passé : par de saisissants inserts en forme de flashbacks, il n’hésite pas à confronter le corps de ses acteurs à leur propre vieillissement, tout en faisant ressurgir de notre mémoire de spectateurs sursollicités par la profusion sérielle à l’ère numérique des images que l’on croyait à jamais ensevelies. Treize années se écoulées pour nous, dix pour les personnages, mais de la série à son téléfilm conclusif c’est comme s’il n’y avait jamais eu qu’une allée centrale boueuse à traverser.
Cela rend d’autant plus poignante la maladie d’Alzheimer dont a confié être atteint David Milch en avril 2019, après plusieurs années de signes avant-coureurs. « Cela s’apparente à l’œuvre d’un auteur qui a pleinement conscience qu’il s’agit sans doute là de sa dernière création, mais qui refuse de la clore dans la facilité, écrit joliment Brian Tallerico à propos du film. La fin n’est pas forcément synonyme de sentimentalisme. Parfois, on arrête de saigner quand on guérit. Parfois, on arrête de saigner quand on meurt. » Confronté à l’un des plus terribles affres qui puisse toucher un artiste – perdre la maîtrise de son pouvoir créatif –, Milch sera tout de même allé au bout de son rêve : apporter à son invention la plus mémorable la conclusion qu’elle méritait. Et redonner à cette expression désuète qu’est devenue le « western crépusculaire » toute sa justesse et toute son authenticité, tant elle colle parfaitement à la destinée de Deadwood et d’un genre qui semblait pourtant définitivement rangé dans les archives. Typiquement fordien dans son classicisme formel et son désenchantement tonal (le langage gratiné à base de « fuck », de « cocksucker » et de « cunt » en plus), Deawood le film donne lieu à de réjouissantes retrouvailles – entre Alma et Seth Bullock, entre Jane et Joanie Stubbs, entre Al et M. Wu –, pour mieux nous permettre de faire nos adieux à cette bande de doux dingues qui ont peu à peu appris à vivre ensemble sans (trop) se tirer dessus au moindre litige.
« Let Him fucking stay there », rétorque Al à sa fidèle Trixie lorsque celle-ci invoque la clémence divine avant son ultime passage de frontière. Comme épitaphe, ça a de la gueule.
“la censure cinématographique”
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