Chaque amateur de sport le sait bien: le sport est organisé de façon très hiérarchisée. Dans chaque sport, une fédération internationale dispose d’un monopole et gouverne sa discipline dans le monde entier. Ainsi, le football est placé sous l’égide de la FIFA, le volleyball sous celui de la FIVB et le ski est dirigé par la FIS, pour ne citer que quelques exemples connus. La légitimité de ces monopoles est admis car il est opportun qu’un sport soit pratiqué dans le monde entier selon les mêmes règles. Il est aussi juste que les meilleurs sportifs au monde puissent concourir les uns contre les autres sous une même bannière. Il serait par exemple fâcheux qu’il existe plusieurs Coupes du monde de football avec, à la clé, des “champions du monde” différents.
Certes, il existe des exceptions: ainsi, les boxeurs peuvent être champions du monde dans plusieurs organisations distinctes (WBA, WBO, WBC, IBF, etc…). Les ligues privées américaines (NBA, NHL, etc…) consacrent aussi leurs propres champions du monde. Un tel système n’est pas idéal.
Ces dernières années, les organisations officielles voient de plus en plus de sociétés commerciales concurrentes venir marcher sur les plates-bandes, histoire de venir leur grappiller des parts sur un marché très juteux. Plusieurs procès retentissants ont déjà eu lieu, ou sont en cours, et la question est globalement toujours la même: est-il juste que des organisations sportives jouissent d’un tel monopole, sachant que les grands événements sportifs sont sources de profits par millions? Ainsi, en 2017, la Commission Européenne a sanctionné la Fédération internationale de patinage (ISU) en estimant qu’il était contraire aux règles sur la concurrence d’exclure à vie des sportifs participants à des compétitions rivales. Une telle entrave n’était ni justifiée, ni proportionnée. L’UEFA fait toujours face aux velléités d’une organisation concurrente qui souhaite organiser une “Super League” européenne réunissant les plus grand clubs dans une ligue fermée. Le projet n’est pas enterré et il pourrait y avoir des rebondissements.
Dans le monde de la natation, la fédération internationale (“World Aquatics”, précédemment la “FINA”) se bat depuis 2018 contre l’International Swimming League (ISL), laquelle souhaite aussi organiser des manifestations internationales réunissant les meilleurs nageurs. Or, World Aquatics vient de gagner une manche devant un tribunal à San Francisco. Dans son verdict, le juge américain a rejeté les allégations de boycott: il se trouve que l’ISL avait pu organiser des compétitions, sans la bénédiction de World Aquatics, et que les menaces de sanction de la fédération internationale contre des nageurs acceptant de concourir pour une organisation tierce n’avaient pas été établies. Certes, il est bien possible que l’ISL fût confrontée à des difficultés pour organiser des compétitions sans l’aval de World Aquatics, mais le droit de la concurrence n’exige certainement qu’un concurrent en aide un autre:
La Cour reconnaît que le dossier regorge de preuves de la préoccupation de la FINA concernant la concurrence de l’ISL. Mais, et alors ? Les lois sur la concurrence déloyale n’exigent pas qu’un concurrent aide un autre à lui faire concurrence ; au contraire, elles n’interdisent que les restrictions déraisonnables du commerce.
Il est parfois bon de rappeler certaines évidences: ce n’est pas parce qu’il est difficile de faire concurrence à un géant que la concurrence devient déloyale. Autrement dit, les monopoles sont admissibles; ce n’est que l’abus d’une position dominante qui ne l’est pas.
Dans l’Union Européenne, il est reconnu depuis longtemps que le sport n’échappe pas au droit de la concurrence. Néanmoins, l’UE reconnaît dans son “livre blanc sur le sport” que le sport présente certaines spécificités. Ces dernières peuvent être examinées sous deux perspectives:
- la spécificité des activités sportives et des règles qui s’y appliquent, comme l’organisation de compétitions distinctes pour les hommes et les femmes, la limitation du nombre de participants aux compétitions ou la nécessité d’assurer l’incertitude des résultats et de préserver l’équilibre compétitif entre les clubs participant à une même compétition;
- la spécificité des structures sportives, notamment l’autonomie et la diversité des organisations sportives, la structure pyramidale des compétitions du sport de loisir au sport de haut niveau, les mécanismes de solidarité structurée entre les différents niveaux et les différents intervenants, l’organisation du sport sur une base nationale et le principe d’une fédération unique par sport.
Ces spécificités, qui sont légitimes, doivent être prises en compte dans le droit communautaire.
En conclusion, chacun est libre d’organiser de grands événements sportifs à la lumière du principe de la libre concurrence. Les fédérations internationales au bénéfice d’un monopole ne peuvent pas s’y opposer en mettant des entraves illégitimes. En somme, que cela soit en sport ou en droit (de la concurrence), les principes fondamentaux sont les mêmes: que le meilleur gagne… et que les tricheurs soient sanctionnés!