Les démêlés entre Sasha Zverev et son ancienne petite amie font régulièrement les gros titres, surtout depuis le reportage publié par Slate le 25 août dernier (à lire ici). Les épisodes de violence domestique qui se seraient produits en marge de plusieurs tournois en automne 2019, font frémir et entraîneraient certainement une condamnation si elles devaient être avérées dans le cadre d’une enquête pénale. Prise à partie et fustigée pour son inaction, l’association des joueurs de tennis professionnels (ATP) a finalement réagi en publiant un communiqué de presse le 4 octobre 2021 informant qu’une enquête était désormais ouverte contre le joueur allemand. L’ATP va ainsi devoir se muer en procureur et enquêter sur la vie privée de Zverev. L’ATP risque bien de se griller les doigts en tentant d’éteindre l’incendie alimenté par les réseaux sociaux et en voulant s’aventurer dans un rôle qui n’est fondamentalement pas le sien.
Il n’y a pas si longtemps, mais bien avant les réseaux sociaux, les instances sportives ne s’encombraient pas tellement de considérations juridiques et semblaient même parfois considérer qu’elles étaient en marge du droit. Les fans d’athlétisme se souviennent peut-être de la coureuse Sandra Gasser qui avait remporté la médaille de bronze du 1’500 mètres des Championnats du monde de Rome. Magnifique performance avant que l’IAAF ne la déclasse pour usage de stéroïdes. Retrait de la médaille et suspension de deux ans, sans aucune forme de procès. A l’époque, la suissesse avait simplement été informée oralement de sa sanction, sans avoir ni le droit de consulter les analyses du laboratoire anti-dopage, ni d’apporter des explications. Il aura fallu l’intervention d’un juge bernois pour rappeler à l’IAAF qu’elle ne pouvait pas imposer une telle sanction sans permettre à l’athlète de se défendre. C’était encore l’époque où le sport considérait que les “règles de jeu” échappaient à la justice. Or, il n’y a pas de règles de jeu qui tiennent quand les droits de la personnalité d’un sportif sont en péril, notamment son droit à l’honneur, de même que son avenir économique.
On assiste donc à un changement de paradigme puisqu’après avoir tenté de fuir la justice, les autorités sportives prétendent désormais remplacer celle-ci.
Le comportement de l’ATP en est une belle illustration: il faut rendre justice au nom de la protection des victimes. Coûte que coûte. Sauf que tel n’est pas le rôle de l’ATP et qu’elle ne dispose pas des ressources d’un ministère public pour mener une enquête digne de ce nom. En vérité, l’ATP s’est retrouvée piégée: l’ancienne compagne de Zverev a décidé de s’exprimer sur les réseaux sociaux, ce qui a rapidement enflammé la toile. Le procès de Zverev a donc lieu sur la place publique, avec toutes les dérives que cela entraîne, et l’ATP s’est sentie obligée de réagir. Pourtant, la victime présumée n’a pas déposé plainte: elle dit en effet agir pour la vérité et non pour obtenir une sanction ou réparation.
En choisissant d’ouvrir une procédure, l’ATP agit avant tout pour faire taire les critiques et sauvegarder son image car elle n’est pas armée pour faire face à la situation. Sa vocation est de régir un sport et de s’assurer du bon déroulement de ses compétitions. Son but n’est pas de s’immiscer dans la vie privée des joueurs, de donner des leçons de morale et de faire la police. On comprend bien que l’ATP aimerait des joueurs au comportement irréprochable, sur et en dehors des courts, histoire de vendre un beau produit et de ne pas fâcher les sponsors. On comprend aussi bien que si un joueur franchit certaines limites, il n’est plus le bienvenu dans la famille du tennis. Mais où fixer le curseur?
Il est à craindre que l’ATP soit en train d’ouvrir une boîte de pandore et que sous la pression de la vox populi, chaque faux-pas soit désormais sanctionné même si le comportement reproché a lieu dans un cadre strictement privé. Il n’est pas souhaitable qu’une organisation privée dispose de pouvoirs sur les joueurs en dehors de leur sport. Si un comportement est répréhensible sur le plan pénal, il faut laisser les tribunaux agir. Et si aucune plainte n’est déposée, il faut respecter le choix de la victime.
Dans le cas d’espèce, la réaction de l’ATP, deux ans après les faits, est d’autant plus surprenante qu’elle ne peut pas s’appuyer sur des règles contraignantes pour justifier sa décision d’ouvrir une enquête. Elle ne dispose pas, comme certaines ligues professionnelles américaines, d’un code de conduite, notamment en matière de violences conjugales. Elle doit donc se raccrocher à une règle disposant que les joueurs ne doivent à aucun moment abuser physiquement les officiels, adversaires, spectateurs ou toute autre personne dans l’enceinte du site du tournoi. On comprend donc bien que l’ATP peut sanctionner des agressions physiques qui surviennent sur les lieux d’un tournoi, notamment au cours d’un match; par contre, lorsque des violences ont lieu dans un cadre privé, on ne voit pas en quoi l’ATP aurait son mot à dire. Certes, certains soutiendront que l’hôtel fait partie du site du tournoi, mais un tel rattachement est pour le moins artificiel, pour ne pas dire audacieux. De surcroît, il est peu cohérent que des violences conjugales puissent être sanctionnées si elles ont lieu en marge d’un tournoi, mais qu’elles ne le soient pas le reste du temps. Mais aujourd’hui, l’heure est à la communication, pas au droit.
Au final, l’ATP pourrait bien se mordre les doigts d’avoir voulu répondre à la pression de certains milieux en vue de polir son image de marque. Elle peut difficilement s’en sortir gagnante. Si les charges sont abandonnées, l’ATP sera déclarée coupable de ne pas venir en aide aux victimes. Si l’affaire est classée pour des raisons de procédure, l’association sera taxée de laxisme pour ne pas s’être dotée de règles adéquates. Et si Zverev est condamné, il aura beau jeu de dire qu’aucun juge ne l’a jamais reconnu coupable et que l’ATP a uniquement agi sous la pression populaire.
On ne peut enfin pas exclure que la décision de l’ATP, quelle qu’elle soit, puisse un jour être contredite par la justice dans l’hypothèse, loin d’être improbable, que l’affaire finisse devant les tribunaux, que ce soit dans le cadre d’une action en diffamation ou en réparation du tort moral. Une raison de plus pour soutenir que l’ATP s’est montrée aventureuse en ouvrant la porte à une sanction contre le joueur allemand en absence de toute condamnation pénale ou de jugement rendu préalablement par un tribunal ordinaire.
Au Moyen-Age, l’exposition publique, par la mise au pilori, était une peine infamante prononcée par les seigneurs, notamment contre les blasphémateurs. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont les nouveaux piloris et les dégâts qu’ils causent n’ont rien de virtuel. De là à dire que les réseaux sociaux nous ramènent au Moyen-Age, il n’y a qu’un pas. Quoi qu’il en soit, c’est bien en raison de l’incroyable caisse de résonance que procurent de tels réseaux que Zverev encourt désormais le risque de goûter au bannissement.