A quand un Bosman chaussant des patins à glace?

Le 14 novembre 2018, les clubs de hockey de National League ont rejeté la proposition d’élargir leur contingent à six joueurs étrangers. Ces clubs continueront donc à aligner un maximum de quatre joueurs étrangers sur la feuille de match, comme le précise l’article 1.3.1 des directives pour le déroulement du championnat Sport d’élite 2018/19.

Quatre joueurs étrangers, n’est-ce pas singulier à l’heure de la libre circulation des personnes? Pourquoi diable le marché est-il libéralisé sur le continent européen pour le football alors que les clubs de hockey suisses restent tenus par des clauses de nationalité?

La réponse est simple: il s’agit de la volonté des clubs, volonté qui n’a pas encore été mise à mal par un joueur de hockey qui voudrait nous refaire un coup à la Bosman!

L’occasion est belle de revenir sur le fameux arrêt Bosman rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes, arrêt qui a transformé à jamais le visage du football européen.

A l’époque des faits, en 1995, l’UEFA appliquait la règle dite “3+2” prévoyant la possibilité, pour les associations nationales, de limiter à trois le nombre de joueurs étrangers qu’un club pouvait aligner lors d’un match de première division de leurs championnats nationaux, plus deux joueurs ayant joué pendant une période ininterrompue de cinq ans dans le pays de l’association nationale concernée, dont trois ans dans le secteur junior. Les règles sur les transferts internationaux de joueurs alors en vigueur prévoyaient par ailleurs la délivrance par l’ancienne fédération nationale d’un certificat de transfert. Alors qu’il jouait au FC Liège, Bosman n’a pas obtenu son certificat de transfert, ce qui l’a empêché de rejoindre le club français de Dunkerque. Estimant avoir été entravé dans son embauche, Bosman a saisi les tribunaux en invoquant le principe de la libre circulation des travailleurs.

De son côté, l’UEFA plaidait que l’entrave était justifiée et que les clauses de nationalité étaient indispensables pour les raisons suivantes:

(1) elles servent à préserver le lien traditionnel entre chaque club et son pays, qui revêt une grande importance pour permettre l’identification du public avec son équipe favorite et assurer que les clubs participant des compétitions internationales représentent effectivement leur pays;

(2) elles sont nécessaires pour créer une réserve de joueurs nationaux suffisante pour mettre les équipes nationale en mesure d’aligner des joueurs de haut niveau dans tous les rôles de l’équipe;

(3) elles contribuent à maintenir l’équilibre sportif entre les clubs, en empêchant les plus riches d’entre eux de s’attacher les services des meilleurs joueurs.

On le sait, ces arguments n’ont pas ému les juges de la Cour qui ont considéré qu’il n’y avait aucun motif suffisant “de mettre à néant le droit fondamental de tout travailleur d’accéder librement à un emploi dans la Communauté”. En particulier, l’argument de l’équilibre sportif n’a pas résisté à l’examen car les clubs les plus riches pouvaient de toute façon déjà recruter les meilleurs joueurs nationaux.

Avec le recul, on peut se demander si le raisonnement de la Cour reste toujours valable. Depuis l’arrêt Bosman et la complète libéralisation sur le marché des transferts, les salaires des meilleurs joueurs de football se sont envolés, tout comme les sommes de transferts, et les clubs les plus riches sont devenus tellement puissants que l’équilibre sportif n’est plus qu’une illusion. Le FC Liège doit du reste toujours se mordre les doigts d’avoir refusé de laisser partir son joueur à Dunkerque. Une sacrée histoire belge ou plutôt un bel exemple de l’effet papillon appliqué en droit du sport.

Dans ce contexte, la décision des clubs de National League de refuser une certaine libéralisation répond à une certaine sagesse. Reste à savoir jusqu’à quand le gentlemen agreement des clubs tiendra-t-il?

En tout cas, si Monsieur Bosman décide de chausser des patins à glace et de venir faire valoir son droit d’accéder à un emploi dans un club de hockey suisse, il est acquis que le système actuel implosera.

 

PS: merci à Angélique pour la photo de couverture; In Albon, prochaine star du LHC!

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

5 réponses à “A quand un Bosman chaussant des patins à glace?

  1. Je ne suis pas certain qu’un arrêt Bosman soit actuellement possible dans le hockey suisse.
    Première raison: la plupart des joueurs dit étrangers (les joueurs ne possédant pas de licence suisse pour être précis) sont traditionnellement plutôt extra-communautaires (Amérique du Nord), et ne tombent donc pas sous le coup d’un nouvel arrêt Bosman.
    Deuxième raison: Les joueurs de hockey vont la plupart du temps au bout de leur contrat et il n’est quasiment jamais question d’indemnité de transferts.
    Troisième raison: Je ne suis pas certain qu’un joueur communautaire puisse exiger un contrat d’une équipe (ou écrit plus généralement, personne ne peut exiger d’être engagé dans une entreprise).
    Quatrième raison: Les clubs s’engagent par écrit à respecter les règlements et directives de la ligue (et notamment la question des étrangers). S’ils rompent ce contrat, ils prennent le risque d’être exclus (au moins un temps) du championnat. La lutte en vaut-elle la chandelle? Pas certain.

    1. Cher Monsieur,
      Je rejoins votre analyse et il est peu probable qu’un cas Bosman puisse prochainement survenir car le club ou le joueur qui voudrait faire le forcing en plaidant la libre-circulation des travailleurs se heurterait à de nombreuses difficultés, peut-être même sur le plan disciplinaire. Cela dit, les clauses de nationalité ne sont pas valables au regard du droit européen et de nos accords sur la libre-circulation.

  2. Très mauvaise idée d’autoriser deux joueurs – étrangers – supplémentaires pour une raison très simple : que faites-vous de la relève, de tous ces jeunes qui sont passionnés ?
    Ils prendront systématiquement les deux places revenant à des joueurs formés ici lorsque l’équipe sera en difficulté (infériorité ou supériorité numérique, gardien remplacé par un sixième jour en champ en cas d’égalité à une voire deux minutes de la fin du match, tirs au but si nécessaire), soit le meilleur moyen de désorganiser l’équipe nationale qui, je vous le rappelle, est vice championne du monde 2017 !
    Actuellement, si vous allez sur le site de la Ligue Suisse de Hockey, vous y constaterez que les juniors y apparaissent dès l’âge de 13 ans = formation de la relève !
    M. Benjamin Chollet a parfaitement résumé la situation des joueurs étrangers qui sont en principe libres de “casser” leur contrat (le dernier, Prince/HC Davos l’a fait la semaine dernière) !
    Je comprends qu’un avocat spécialisé en droit du sport se pencherais volontiers sur la question … heureusement que le bon sens des dirigeants des clubs l’a emporté il y a quelques jours !

      1. Merci pour votre réponse.
        Un peu distraite parce que l’équipe de Suisse est vice-championne du monde 2018 (et non 2017) … toutes mes excuses pour cette faute de … frappe !!!
        Bonne journée à vous

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