Erreur d’arbitrage manifeste: le cas James Harden

Le plus célèbre barbu de la NBA, James Harden, ne fait pas seulement parler par ses exploits à répétition, deux matches à plus de 50 points les 12 et 14 décembre dernier par exemple, mais il est aussi le sujet bien involontaire d’une question juridique fondamentale en droit du sport: peut-on revenir sur une erreur d’arbitrage?

Retour sur les faits: lors d’un match contre les San Antonio Spurs, Harden claque un dunk (à voir ici) alors que son équipe menait 104-89. Le dunk est si puissant que le ballon donne l’impression de ressortir du cercle comme si le panier était raté. L’arbitre ne valide pas les deux points. Rien de grave à ce moment du match: les Houston Rockets mènent de 15 points et il reste moins de dix minutes à jouer. Autant dire que le match semble plié. Mais le sport peut se montrer imprévisible: alors que la victoire tend les bras aux Rockets, les Spurs font une remontée spectaculaire, entraînent Houston en double prolongation et finissent par gagner le match 135-133 au terme d’un final haletant.

Après la fin du match, l’arbitre reconnaît qu’il aurait dû comptabiliser les deux points pour le dunk de Harden et les Rockets déposent protêt auprès de la ligue. Faut-il rejouer le match au vu d’une erreur d’arbitrage avérée? Le commissaire de la NBA en décide autrement. Estimant que les Rockets avaient eu suffisamment de temps pour surmonter l’erreur d’arbitrage et que le protêt doit être un remède exceptionnel, la NBA rejette la plainte des Rockets.

Si l’issue du protêt constitue tout sauf une surprise, les motifs du rejet sont en revanche intéressants puisqu’ils signifient que la NBA a accepté d’entrer en matière pour changer l’issue d’un match à la suite d’un fait de jeu. Cette décision démontre aussi que le commissaire dispose d’une liberté d’appréciation considérable: si l’erreur était arrivée en toute fin de match et que l’équipe lésée n’avait plus eu la chance de compenser l’erreur de l’arbitre, il aurait vraisemblablement ordonné que le match se rejoue. Vu de ce côté de l’Atlantique, cela aurait constitué une véritable hérésie.

Sous nos contrées, le principe veut que les “règles de jeu” ou les décisions de jeu (“field of play” decisions) ne sont pas revues. En droit suisse, le principe est ancré à l’article 513 du Code des obligations qui dispose que “le jeu et le pari ne donnent aucun droit de créance”. Derrière cette disposition bien obscure, se cache tout un mécanisme qui veut que l’on ne touche pas aux résultats d’une compétition sportive, erreur d’arbitrage ou pas. Le Tribunal fédéral le dit très bien:

(…) L’ordre juridique est destiné à régler des rapports de nature patrimoniale et économique ou des droits attachés à la personnalité, non les rapports ludiques, même si ce caractère tend à disparaître dans les sports de haute compétition. L’art. 513 CO repose en outre sur la considération – valable également pour le sport de haut niveau – que le jeu ne doit pas être constamment interrompu par des recours au juge. Les épreuves doivent avoir lieu sans discontinuer et les résultats être aussitôt proclamés, surtout lorsqu’elles impliquent d’autres participants. Il devient alors essentiel que les décisions des directeurs de la compétition soient immédiates et irrévocables (…).

L’arbitre peut bien commettre une erreur – il peut même la reconnaître après coup – mais cela n’affectera pas l’issue de la compétition. Le résultat proclamé doit être irrévocable.

Il existe d’innombrables exemples démontrant cette doctrine. Certains sont fameux : “la main de Dieu”, à savoir le but de la main de Maradona en quart de finale de la Coupe du Monde en 1986. Le but anglais en finale de la Coupe du monde en 1966, alors que le ballon n’était pas rentré dans le but. Plus récemment, la main de Thierry Henry lors du match de barrage contre l’Irlande, etc…

Même lorsqu’un jury a la compétence de revoir un fait de jeu, les chances de succès sont quasi inexistantes. Demandez à la française Aurélie Muller, disqualifiée lors du 10 km nage en eau libre lors des Jeux Olympiques de Rio en 2016, alors qu’elle tenait la médaille d’argent. Selon les juges, elle aurait gêné sa poursuivante lors du sprint final, ce qui était tout sauf évident. Le Tribunal arbitral du sport a rejeté son appel, en estimant qu’il ne pouvait pas revoir une décision technique:

“La Formation s’abstiendra de revoir toute décision d’ordre technique, partant de l’idée que “le jeu ne doit pas être constamment interrompu par des recours au juge”

Les rares cas où des résultats sont revus à la suite de problèmes d’arbitrage restent les cas où il y a une mauvaise foi manifeste, ou pire, corruption. L’exemple emblématique est celui du scandale ayant entaché la compétition de patinage artistique aux Jeux Olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City: les Russes Elena Berezhnaya et Anton Sikharulidze qui remportent l’or devant les Canadiens Jamie Salé et David Pelletier, à la stupéfaction de beaucoup. Certains juges ayant fait preuve de déloyauté, le CIO accepte finalement de réparer l’injustice en octroyant également l’or olympique au couple canadien. Une solution inédite qui a le mérite de rétablir une certaine équité.

La décision de la NBA dans le cas des Houston Rockets vient nous rappeler que les lignes pourraient être appelées à bouger ces prochaines années, ce qui ne serait au fond pas surprenant compte tenu des enjeux démentiels que connaît désormais le sport professionnel. Ce n’est pas être prophète que de deviner que des juges ou des jurys pourraient prochainement être tenté d’accepter de revoir des résultats en cas d’erreur d’arbitrage flagrante si un sportif ou une équipe est flouée d’un sacre important, avec toutes retombées économiques que cela entraîne.

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

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