Faudra-t-il décliner son identité de genre pour toucher des subventions à Lausanne ?

Mardi soir, après un débat nourri, le Conseil communal de Lausanne a adopté une résolution demandant la mise à disposition d’argent public pour financer des œuvres créées par des « artistes femmes et/ou de genres minorisés » afin de les exposer dans l’espace public. L’objectif étant de « permettre à un large public d’être confronté à de l’art produit par des personnes peu mises en avant habituellement ». Il s’agit d’une profonde erreur d’appréciation.

Avant toutes choses, précisons-le : je ne souhaite aucunement faire un procès d’intention à l’auteur de cette proposition qui agit à l’évidence pour une cause qui lui tient à cœur, soit la lutte contre les inégalités, et souhaite limiter certaines disparités dans l’espace public.

Mon commentaire vise à mettre en exergue le glissement dangereux du dogme égalitariste qui conduit de plus en plus visiblement à un cloisonnement de la société sur le modèle américain et, in fine, se montre contreproductif et néfaste.

Les personnes catégorisées comme « minorités de genre » devraient s’annoncer comme telles

Avant les appréciations sur le fond, commençons par aborder l’application pratique. Dans l’hypothèse où la Municipalité décidait d’appliquer la résolution afin d’orner l’espace public d’œuvres n’étant pas créées par des hommes s’identifiant comme hommes, elle devrait réserver des financements spéciaux aux femmes et aux minorités de genre.

Si cela ne devrait pas poser de problèmes pour la première catégorie (quoi que…), la seconde interpelle : comment sera déterminé le cercle des personnes minorisées ? Devront-elles signer un formulaire ou s’inscrire sur un registre ? Le changement d’état civil fera-t-il foi ? Une déclaration sur l’honneur suffira-t-elle ou l’autorité aura-t-elle la compétence d’exclure les abus évidents, donc d’enquêter ?

Dans tous les cas, cette proposition ferait la différence entre les personnes minorisées qui souhaitent se déclarer, s’afficher comme telles, et les autres, qui ne le souhaitent pas. Cette obligation de coming out exemplifie la pente glissante du débat égalitariste, qui ne bénéficiera assurément pas aux premiers concernés.

Notons ici qu’il existe aussi des artistes qui ne créent pas au nom d’une cause ou d’une identité, mais par pure expression artistique intrinsèque – ces derniers devront se raviser ou se passer d’argent public.

Les artistes masculins qui acceptent leur sexe biologique portent-ils le poids de l’histoire ?

S’il est vrai qu’à travers les siècles, les femmes artistes n’ont eu que peu de place et que cela peut se ressentir aujourd’hui dans les espaces publics, la solution proposée crée une nouvelle discrimination. En excluant les hommes qui s’identifient comme hommes (plus de 99,5% d’entre eux, donc[1]) du programme de subventions, on choisit de leur faire porter le poids de l’histoire.

Est-il juste qu’un prometteur artiste lausannois né au XXIe siècle se voie exclu d’un programme public dans un but de réparation du cheminement de notre société à travers son histoire ? Non, à l’évidence. Prétendre le contraire, c’est perdre de vue la noble cause de l’égalité en droit et la remplacer par le vil dessein de revanche et d’une nouvelle forme de ségrégation, qui fait des ravages outre-Atlantique.

Je passe sur le fait que la résolution présuppose que les artistes masculins de ces derniers siècles étaient tous en phase avec leur identité de genre – ce qui est un comble, avouons-le – et sur les potentielles violations de la loi sur l’égalité, voire de la norme pénale sur la discrimination, si de tels débats venaient à s’étendre à l’orientation sexuelle des artistes.

Un cloisonnement « à l’américaine » de la société, symbole de la génération Netflix

Pour ma part, comme l’immense majorité de la population, je ne vois pas, au musée ou dans la rue, un tableau peint par un homme cis, une statue sculptée par une femme trans ou l’œuvre d’une personne menstruée non-binaire. J’apprécie des créations, je m’intéresse à des auteurs.

Je prends acte du fait que l’immense majorité d’entre eux n’a pas souhaité mettre en avant sa perception de soi ou son orientation sexuelle et je souhaite qu’elle n’ait pas à le faire à l’avenir. Si l’invisibilisation de certaines ultra-minorités peut être un problème réel, l’obligation d’identification est tout aussi intrusive et peut s’apparenter à une forme de voyeurisme.

J’appréhende donc avec méfiance le mouvement actuel visant à ne plus apprécier l’œuvre sans juger l’auteur, à ne plus considérer l’auteur sans le cloisonner dans une catégorie fondée sur l’appartenance de genre ou de race et à ne plus voir cette catégorie sans l’opposer à toutes les autres.

Ce débat, certainement lancé de bonne foi au Conseil communal, pouvait paraître anodin. Il posait en fait les bases de la nouvelle lutte des classes de la génération Netflix, forçant les gens à s’auto-cloisonner pour les opposer les uns aux autres.

[1] « Panorama de la société 2019 : les indicateurs sociaux de l’OCDE », OCDE, 2019, p.10.

Yohan Ziehli

Né à Lausanne en 1993, Yohan Ziehli a grandi entre les vignes de Lavaux et de la Riviera. Amateur de produits du terroir, lecteur compulsif et pianiste à ses heures perdues, il travaille pour le groupe de son parti au parlement fédéral en tant que juriste, spécialisé dans les questions de politique extérieure, institutionnelle et démographique. Il est conseiller communal et vice-président de l’UDC Vaud.

19 réponses à “Faudra-t-il décliner son identité de genre pour toucher des subventions à Lausanne ?

  1. Tout est dit et bien dit … et les méfaits de l empire semblent imprégner notre quotidien chaque jour un peu plus – sans beaucoup de bruit mais avec méthode. Merci d avoir informé avec conviction et respect.

    1. « Je ne comprends plus ce monde »

      Je crains que nous assistions à l’avènement du règne implacable de la loi du plus con.

  2. Cher Monsieur, je vous remercie de votre page nuancée et bienveillante. Il semble que l’Autre (toutes les phrases qui suivent valent pour tous les genres et non genres, évidemment) comme habitant la même planète a été pendant des millénaires si méconnu et si refoulé, puis si préoccupant à mesure que les distances s’amenuisaient qu’aujourd’hui l’occidental Blanc (trop schématique, j’en conviens) n’a plus de traits à sa disposition pour caractériser qui que ce soit dans son entourage. Égaré dans ses approches de l’Autre, il en vient à produire du même, du presque même, se croyant plus humain et plus sensible dans une perpétuelle distinction. La pandémie devrait permettre la mise en cause de la globalisation mais pas autoriser le repli. En effet, l’art comme toute forme de création véritable ne peut se réclamer d’une “identité” ni être appréciée d’une minorité plutôt que plaire à telle communauté. J’espère sincèrement que les politiques cessent de jouer les anthropologues à la petite semaine ou alors se mettent sérieusement à l’étude. Penser à la place des autres, accorder une importance et un financement public au nom de l’égalité nuit gravement à l’exercice de la citoyenneté. Le projet d’inclure, terme en vogue, ne sert qu’à poursuivre la colonisation avec d’autres moyens.

  3. Félicitations pour votre analyse. A force de vouloir trop bien faire pour une minorité (et combien je soutien les minorités) on finit par faire mal à la majorité.

  4. Le terme que vous avez utilisé « personne menstruée non-binaire » est dégradant et irrespectueux.
    Vous dénoncez l’obligation de s’identifier que vous trouvez intrusive et voyeuriste, pourtant en parlant d’une personne d’une telle manière, vous exposez ses organes génitaux.
    Personnellement, je trouve cela encore plus intrusif.

    1. Je vous remercie pour votre commentaire, mais dois tout de suite clarifier les choses: je n’ai pas créé ce qualificatif mais utilise simplement une expression issue des mouvements LGBTIQ+. Certains militants utilisent le terme “menstruateur” ou l’expression “personne trans qui a ses règles” à des fins d’inclusion.

      Vous remarquerez que pour cet article, j’ai laissé de côté mon appréciation personnelle des questions d’identité de genre (elle n’intéresse certainement pas grand monde) pour faire place au débat sur la discrimination “positive” et l’égalité de résultat, débat qui correspond bien plus à mon domaine de compétence. Il est naturel que j’emploie, un tant soit peu tout du moins, la terminologie des associations concernées.

      1. Non, ces termes ne sont pas utilisés à des fins d’inclusion. Mais uniquement dans un cadre médical légitime ou de manière militante pour défendre un meilleur accès aux soins appropriés.

        Personne ne va dire « l’œuvre d’une femme cis menstruée ». C’est pareil pour les personnes transgenre et non-binaire.

        1. Navré de vous décevoir, mais il s’agit d’une expression que l’on retrouve hors du milieu médical, dans la presse et la blogosphère militante. Pas pour parler d’accès au soin, mais utilisé par des personnes pour se définir. Comme je l’ai dit, mon avis sur les questions d’identité de genre n’intéresse probablement personne et c’est pour cela que je me borne à utiliser des expressions reprises des principaux intéressés.

          Toutefois, je note que l’utilisation de cette expression n’impacte aucunement le contenu de mon article. L’argumentation que je soulève (je le rappelle, au sujet des dérives de l’égalitarisme dogmatique) n’est pas touchée par cette utilisation. Partant, si tout ce que l’on trouve à critiquer dans mon texte, c’est cette expression que j’ai reprise au cercle militant, c’est que je peux être satisfait.

  5. La gauche suisse / européenne suit les conseils de Terra Nova, depuis qu’elle a perdu son électorat pour ne garder que les bobos.
    Il n’est pas étonnant qu’un PS qui fond comme un glacier cherche à capter des minorités et les femmes.
    La gauche a faillit parce qu’elle n’a pas voulu écouter le peuple qui ne goûte guère l’universalisme guimauve qui apporte chômage et insécurité.
    D’où une série de délires (voir Genève aussi), pour inverser une tendance négative. Or la discrimination du genre ne fait de loin pas l’unanimité chez les femmes, qui certaines se déplacent chez les Verts, et des Verts vers les Verts Libéraux.

    Une gauche croit avoir besoin de buzzer en pensant à tort que ça lui amènera des électeurs alors qu’en fait, elle en fait fuir plus.
    Bref, la gauche qui buzz, c’est le nouveau mantra de la gauche perdante de Terra Nova, on peut donc s’attendre à une longue suite de délires.

  6. Si j’ai bien compris, cette proposition viserait à soutenir des artistes peinant à être reconnus en raison de leur genre… Il est possible d’apprécier une œuvre littéraire, musicale, ou une peinture en ignorant la vie sexuelle de son auteur. S’il devait avoir des minorités de genre défavorisées dans le domaine artistique, alors en toute logique les catégories majoritaires seraient chanceuses, mais favorisées par qui ou par quoi ?.. Les grands couturiers sont presque tous homosexuels, ils savent habiller les femmes ravies de porter leurs créations. Et les couturiers hétérosexuels, sont-ils de pauvres inconnus qui mériteraient d’être subventionnés ? Posons la question aux femmes qui peut-être ignorent qu’elles pourraient trouver aux ateliers de cette minorité de créateurs sous-estimés de merveilleuses robes !

  7. Iels n’apprennent jamais des erreurs de la France ?

    https://www.rts.ch/info/suisse/12856381-pour-jacqueline-de-quattro-les-discriminations-doivent-etre-poursuivies-doffice-quel-que-soit-lage-le-sexe-ou-la-religion.html

    Les normes pénales contre la discrimination … s’est donner une arme nucléaire aux lobbies des minorités… c’est détruire le vivre-ensemble au profit de l’instrumentalisation du droit par les victimes professionnelles…

    Il faut lutter contre les discriminations via les moeurs et l’école.

    1. Comment Genève peut-elle tomber dans une discrimination aussi crasse ?

      https://www.tdg.ch/ne-repondons-pas-a-une-discrimination-par-une-autre-discrimination-722471169406

      Comment, en 2022, un législatif peut-il se regarder dans le miroir et dire: j’ai une bonne raison pour discriminer sur la base du genre ?

      Comment est-ce possible ?????

      J’appelle à l’intervention du Conseil d’Etat et du Conseil fédéral pour la dissolution des institutions de la ville de Genève et leur mise sous tutelle par le canton.

      La ville de Genève a montré son dysfonctionnement, une fois de trop !

    2. Et on attend la réaction des autorités vaudoises, maintenant que des cadres de leur administration ont été condamnés en 1e instance… Ils sont présumés innocents, certes, mais l’Etat ne devrait-il pas prendre des mesures provisoires et dans le respect de cette présomption d’innocence après une telle condamnation de 1e instance ?

      https://www.blick.ch/fr/news/manifestation-dextinction-rebellion-douze-militants-de-la-cause-climatique-ont-ete-condamnes-a-lausanne-id17227525.html

    1. J’abandonne ! je quitte ce canton!!

      La radio publique vient de donner la parole à un groupuscule de gauche qui a réuni – tenez-vous bien – 50 signatures ! et le présentateur s’est montré d’une complaisance hallucinante… c’était presque: c’est fachiste de prévoir un parking pour la police et les douanes …

      https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/controverse-autour-d-un-grand-centre-des-polices-a-lausanne-debat-entre-franziska-meinherz-et-yann-glayre-25802519.html

      J’en ai marre de ce canton, de cette tv/radio de gauche… je quitte Vaud et vais aller vivre en Suisse.

  8. Lausanne se meurt par la faute des politiciens de gauche. Lausanne se paupérise socialement financièrement et intellectuellement. Nous y allions dépenser dans les commerces mais nous n’y retournerons plus dans la capitale des bobos gauchistes. On dirait qu’ils font un concours pour celui qui trouvera l’idée la plus imbécile à faire voter par ses congénères de gauche.

  9. Je dois être honnête, j’ai toujours voté à gauche, mais ces dérives sur l’identité de genre sont troublantes. Je lisais aujourd’hui dans Fémina que le canton de Vaud veut maintenant (et je cite) ‘inculquer la diversité’ à ses élèves. Et une enseignante de primaire de déclarer, toute fière, que ses gamins de 9 ans ont déjà appris que le sex n’est pas binaire. Apparemment, ils ‘peinent à comprendre’ l’homosexualité mais pas la transidentité. Et elle ajoute que bien sûr, les dyslexiques ont plus de peine avec l’écriture inclusive mais voilà, pas grave. Concrètement, on peut faire quoi pour s’opposer à tout ça? Merci de votre réponse.

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