Réfugiés, déplacés de guerre et « statut spécial S » : de quoi parle-t-on ?

Depuis quelques jours, la presse helvétique relaie les discussions autour d’un certain « statut spécial S » pour les « réfugiés ukrainiens » arrivés en Suisse. Face à un vocabulaire imprécis ou méconnu, le lecteur romand peine à savoir de quoi il en retourne. Qu’est-ce donc que ce statut de protection et quelle est sa portée ?

Tout d’abord, il faut définir ce qu’est un réfugié. Selon l’article 3 de la loi sur l’asile, sont des réfugiés « les personnes qui, dans leur Etat d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques ».

On se rend compte qu’en dehors de l’exposition à de sérieux préjudices, il faut également que ces préjudices découlent d’un motif de persécution personnel, tel que l’appartenance à un groupe social ou la race.

Ainsi, si une personne persécutée par un régime autoritaire en raison de sa foi ou de ses opinions politiques peut être reconnue comme étant réfugiée et obtenir l’asile, une personne qui fuit des combats ne revêt pas de ce seul fait la qualité de réfugié. En principe, l’asile lui est refusé et la question de l’admission provisoire se pose alors.

A première vue, malgré la sémantique de langage courant utilisée par la presse et les partis politiques, l’immense majorité des Ukrainiens fuyant les combats ne sont pas des réfugiés au sens du droit international et de la loi suisse.

Qu’est-ce que le « statut S » ?

Le permis S, en allemand « S-Status », a été introduit à la fin des années 1990 afin « d’accorder la protection provisoire à des personnes à protéger aussi longtemps qu’elles sont exposées à un danger général grave, notamment pendant une guerre ou une guerre civile ou lors de situations de violence généralisée ».

Il avait à l’époque été combattu par référendum par divers comités et partis de gauche, qui critiquaient l’aspect temporaire de l’autorisation. Après son acceptation par plus de 70% du corps électoral, il n’a jamais été utilisé.

Concrètement, il s’agit d’une protection accordée à des groupes de personnes lorsque l’on estime que le « danger général grave » sera de courte durée. En outre, cette protection peu bureaucratique n’étant pas destinée à des réfugiés, les personnes qui en bénéficient ne rentrent en principe pas dans le processus d’asile.

Parler d’un « statut de protection spécial » pour les « réfugiés ukrainiens » est donc imprécis si ce n’est incorrect – il faudrait préférer l’expression « déplacés de guerre », afin d’éviter la confusion avec les requérants qui obtiennent l’asile dans l’optique d’une installation durable.

Les enjeux sont cruciaux

Nous l’avons vu, le statut de protection S est une nouveauté. Nous ne connaissons donc pas encore précisément sa portée pratique, qui ne manquera pas d’être discutée durant les prochains mois. Il y a fort à parier que les décisions qui seront prises ces prochains jours feront école dans le futur. Quelques points peuvent d’ores et déjà être relevés.

L’une des caractéristiques notables du permis S est la possibilité de procéder au regroupement familial sans délai – à l’instar des réfugiés qui bénéficient de l’asile – alors que les requérants déboutés mais admis à titre provisoire (permis F) doivent attendre trois ans pour cela. La raison est que la protection spéciale est accordée à titre temporaire pour un danger général : il est donc vraisemblable que les proches des bénéficiaires courent le même danger général.

Quant à la question de la durée, elle est cruciale. Au vu de la procédure simplifiée conduisant à l’octroi du statut spécial, il semble qu’un retour au pays doive être privilégié dès que possible. Toute autre décision pourrait être comprise comme une discrimination à l’égard des personnes fuyant d’autres conflits et devant passer par de longues procédures administratives avant d’obtenir – ou pas – une protection.

Mesures en Ukraine et dans les pays voisins

Elément intéressant qu’il faudra suivre : la situation actuelle conduira à la première application de l’article 67 de la loi sur l’asile, qui prévoit que la protection provisoire accordée en Suisse doit être autant que possible accompagnée d’une assistance dans l’Etat d’origine et les pays voisins. L’objectif est de « créer les conditions propices au départ sans danger des personnes à protéger ».

Il s’agit d’éviter à tout prix une fuite durable d’une génération entière, synonyme de paupérisation à long terme du pays et d’incapacité à reconstruire ses infrastructures, ses institutions et son économie.

Se retrouvant une fois encore face à une situation de crise, la Suisse devra démontrer sa capacité à réagir. Outre la problématique de la mise en danger de ses bons offices par l’abandon de la neutralité, nous devrons affronter une question humanitaire tout sauf intuitive, lors de laquelle la Susse sera appelée à montrer son humanité sans céder à une naïveté contreproductive.

Au vu des discussions pointues et essentielles qui attendent les organes de la Confédération et le peuple souverain, une dénomination précise des éléments semble essentielle. Il sera notamment important que les relais médiatiques fassent l’effort de différencier l’admission provisoire et la protection provisoire, les réfugiés et les déplacés de guerre ou encore le regroupement familial fondé sur le statut S et sur d’autre causes.

 

Yohan Ziehli

Né à Lausanne en 1993, Yohan Ziehli a grandi entre les vignes de Lavaux et de la Riviera. Amateur de produits du terroir, lecteur compulsif et pianiste à ses heures perdues, il travaille pour le groupe de son parti au parlement fédéral en tant que juriste, spécialisé dans les questions de politique extérieure, institutionnelle et démographique. Il est conseiller communal et vice-président de l’UDC Vaud.

15 réponses à “Réfugiés, déplacés de guerre et « statut spécial S » : de quoi parle-t-on ?

  1. La Suisse lutte encore contre les passeurs ?

    Ou encourage-t-elle à aller chercher des réfugiés pour les ramener en Suisse ? Ou seulement s’ils sont blancs et chrétiens ?

      1. Si vous prenez la peine de lire mon article, vous comprenez que les Ukrainiens ne sont précisément pas traités comme des réfugiés, mais comme des déplacés de guerre. En tant que pays proche, cette interprétation fait du sens.

        1. J’ai pris la peine de vous lire.

          Vous m’invitez à user de vos termes. J’utilise les miens et pose mes questions. La qualité de déplacés de guerre n’exclut pas la qualité de réfugié. Le CF propose d’ailleurs de faire une exception au cadre légal afin de permettre aux permis S de déposer une demande d’asile. Ils sont donc des réfugiés jusqu’à preuve administrative du contraire.

          Donner le permis S est par ailleurs ouvrir la boîte de pandore. Cela va immanquablement conduire à une réforme, pour finalement faire comme en France. Quelque soit le motif de protection, elle accorde l’asile.

          Il faut leur donner un permis B-UE, pour les sortir de l’asile, pas créer un précédant avec le permis S ! Sinon, tant faire venir tous les Yéménites et les Ethiopiens en Suisse…

  2. Au fait, vu l’abandon de notre neutralité et la prise de milliers de réfugiés, la Suisse a au moins obtenu de l’UE la fin des mesures de rétorsion ? Et l’accès aux accords sur la recherche, les étudiants, la reconnaissance de nos normes, etc…

    Ou le CF a tout ababdonné sans contre-partie, priant maintenant pour un geste de bonne volonté de l’UE ?

    1. @Eva: 1/ Lorsqu’on prend des mesures visant à (tenter de) mettre fin à une guerre injustifiée faisant de nombreuses victimes civiles innocentes, on ne les marchande pas, heureusement encore pour l’honneur de notre pays!! 2/ La Suisse n’a nullement abandonné la neutralité (imposée à l’origine par le Congrès de Vienne en 1815, rappelons-le, et non résultant d’une décision souveraine) car celle-ci lui impose seulement de ne pas intervenir de manière ARMEE en faveur d’une des parties à un conflit, et par ailleurs notre pays étant dépositaire de plusieurs conventions concernant les Droits de l’Homme et le Droit international il est TENU de sanctionner ceux qui les violent.

      1. “la Suisse est TENUE de sanctionner ceux qui les violen”

        Comme vous écrivez “tenue” en majuscule, vous êtes certainement en mesure de sourcer votre affirmation et de me montrer par un lien précis au texte quelle convention nous oblige à violer notre neutralité et à sanctionner la Russie.

        😹

  3. En rapport avec le commentaire d’Eva / 21h37.

    Je n’aurais effectivement jamais pensé que la neutralité de la Suisse était à vendre, ou plutôt jetée en faisant des vœux sur un hypothétique bénéfice. Comment est-il possible, à partir de maintenant, de prétendre à une neutralité qui serait valable dans certains cas et pas d’autres, c’est grotesque, nous nous discréditons complètement ! Avec colère j’ai lu deux autres articles d’auteurs dans le journal, pour qui notre neutralité est depuis longtemps « à géométrie variable », en évoquant la livraison d’armes à des pays en guerre, donc la décision actuelle dans le contexte des sanctions contre la Russie « ne change en réalité pas grand-chose ». Les longues hésitations ou l’attente dans les prises de décisions du gouvernement, je peux les comprendre, selon la situation ce n’est pas un défaut, mais casser la neutralité en croyant pouvoir la recoller ensuite, c’est nous briser d’un jour à l’autre. Il est à prévoir que de futures invitations à des pourparlers, concernant l’Ukraine ou portant sur d’autres sujets, soient moquées ou méprisées. Ce n’est pas pour ceci que nous payerons le plus, mais pour n’être ni vraiment quelque chose ni rien quand il s’agit de se présenter digne dans le cadre de négociations nous concernant directement. En voulant faire plaisir à l’Europe, nous avons opéré une parfaite démonstration de faiblesse qui renforcera le chantage pour nous contraindre à l’adhésion.

    1. “nous avons opéré une parfaite démonstration de faiblesse qui renforcera le chantage pour nous contraindre à l’adhésion.”

      Bien dit !

  4. Réponses en citant Ceiltach / 5 mars 10h06.

    « Une guerre injustifiée »
    — « Juste est ce qui est bon pour l’Ukraine » aurait pu déjà déclarer Zelensky durant ces huit dernières années où les Russes de ce pays ont été méprisés et agressés par son armée, mais il n’a pas eu besoin d’en faire trop puisque l’Europe restait passive malgré les accords de 2014. Cette Europe qui se mobilise maintenant pour déclarer « ce qui est juste » tout en censurant les informations d’origine russe. Où sont les témoignages des habitants de Donetsk et de Lougansk ? Hitler a choisi aussi le moment où il pouvait se sentir suffisamment d’aplomb pour gonfler les esprits : « Juste est ce qui est bon pour l’Allemagne ».

    « L’honneur de notre pays… »
    — …qui se manifeste pour faire cesser les combats en Ukraine, choisissant son camp huit ans après que Didier Burkhalter, alors président de l’OSCE, validait les accords de Minsk. Le sens de l’honneur s’affirme et se déploie quand les conditions s’y prêtent.

    « La neutralité impose de ne pas intervenir de manière armée en faveur d’une des parties… »
    — Serrer la main à ceux qui tiennent les armes fournies par d’autres pour leur souhaiter bonne chance, les aider dans leur parcours en participant aux sanctions qui affaiblissant les russophones d’Ukraine et ceux des zones indépendantes reconnues pourtant par la Suisse ne pose pas problème à ce particulier sens de l’honneur… Il est un sens qui ne suit pas les mêmes voies vers le sentiment d’honneur pour se constituer : celui du dégoût de la malhonnêteté intellectuelle.

  5. C’est impressionnant l’arrogance des milieux de l’asile…

    https://www.blick.ch/fr/news/suisse/nos-autorites-sont-depassees-par-les-situations-desordonnees-le-chef-de-la-commission-federale-des-migrations-critique-la-gestion-suisse-des-refugies-id17412752.html

    Ils ont faux sur tout depuis 50 ans; mais veulent être encore plus écoutés… tellement sûrs que c’est la réalité qui se trompe.

    Pourquoi cette commission existe ? Et un fonctionnaire n’a pas un minuscule devoir de réserve ?

    Que fait l’UDC pour éviter que le chaleureux accueil des femmes et des enfants ukrainiens ne soit instrumentalisé par le business de l’asile au profit des jeunes hommes qui laissent, eux, leurs femmes et enfants dans des pays en guerre ?

    Et vous avez vu? La Tunisie a découvert qu’elle pouvait sauver des embarcations à la dérive dans sa zone d’influence puis soigner l’équipage et même les loger. Le business de l’asile doit en faire des cauchemars… ne pas amener en Europe l’équipage d’un bateau qui a des problèmes dans les eaux territoriales tunisiennes…

    ” Les autorités tunisiennes ont évacué l’équipage se trouvant à bord du navire en détresse.”

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