Doubler le milliard de cohésion : une erreur stratégique majeure

Après la validation du versement inconditionnel d’un second milliard durant la session parlementaire d’automne, la commission de politique extérieure du Conseil national a détonné dans la presse avec une proposition pour le moins cavalière : le versement n’ayant pas eu l’effet escompté sur les négociations, les commissaires proposent de… doubler la mise. Il s’agit d’une erreur stratégique que l’on peut résumer en trois mots : infondée, inopportune, inefficace.

Revenons tout d’abord sur les faits. C’est après la chute du mur de Berlin que la Suisse a décidé, sur une base volontaire, de financer des projets de coopération ponctuels. Le but était de soutenir les États membres du bloc soviétique qui « ont émergé de plusieurs décennies de régime communiste dans un état de dévastation économique, sociale et environnementale impressionnant »[1]. Outre les versements traditionnels d’aide au développement, la Suisse a déboursé entre 1991 et 2002 près de 700 millions pour soutenir la transition de l’économie planifiée à l’économie libre.

La nature de cette contribution a changé quelque peu au début des années 2000. La Suisse a été conviée par Bruxelles à participer à la politique de cohésion de l’Union européenne pour les nouveaux pays membres. Concrètement, refusant tout automatisme et tout lien avec les accords bilatéraux, Berne a consenti à verser un milliard de manière volontaire.

L’UDC – entre autres milieux – a alors lancé un référendum, craignant que les versements ne s’enchainent et ne s’automatisent, mais le peuple finissait par valider le généreux don. Le Conseil fédéral n’avait-il pas promis que cette contribution serait faite « en toute autonomie », « sur une période de dix ans » et qu’elle ne créerait « pas d’obligations pour la Suisse à l’égard de futurs membres de l’UE »[2] ?

La contribution de 2021 est un échec

En 2018, le Conseil fédéral est revenu à la charge : la Suisse devrait verser une seconde contribution d’un milliard en faveur de la cohésion européenne. Encore une fois, la nature volontaire de ce cadeau était explicite : « la Suisse octroie sa deuxième contribution de manière autonome. Cette contribution ne présente aucun lien direct avec d’autres dossiers européens »[3]. Le milliard n’était toujours pas perçu comme une condition quelconque à l’accès au marché européen ou comme un prérequis à quelque négociation que ce soit.

Le Parlement a alors validé le don, tout en y ajoutant des conditions sous la pression de l’UDC : rien ne serait payé tant que l’Union européenne maintiendrait des mesures discriminatoires à l’égard de la Suisse (comme la non-reconnaissance de l’équivalence boursière ou la mise à l’écart du programme Horizon).

Coup de théâtre l’automne dernier, lorsque la majorité parlementaire est revenue sur ses conditions, décidant de tenter un coup de poker : octroyer une contribution financière inconditionnelle à l’UE afin de la voir revenir à la table des négociations sous les meilleurs auspices. Pourtant, malgré le coûteux revirement helvétique, l’Union européenne a rapidement exprimé aux négociateurs suisses que rien n’allait changer. Chou blanc, donc.

Une erreur stratégique infondée…

C’est dans ce contexte que la commission de politique extérieure du Conseil national a proposé, lors de sa séance du 22 novembre, de faire passer la seconde contribution de 1,3 à 2 milliards de francs en contrepartie d’une intégration entière dans les programmes Horizon et Erasmus.

Une telle idée est juridiquement infondée car, comme nous l’avons vu, il n’existe aucun lien entre les contributions suisses et les divers programmes de l’UE. Alors qu’une suspension du milliard était une bonne carte en main suisse, proposer un versement supplémentaire pour débloquer les questions européennes, c’est reconnaître le tour de force de l’UE selon lequel un ticket d’entrée est désormais nécessaire à la Suisse pour participer – un cas unique, alors que les autres Etats peuvent y accéder gratuitement.

Quant à Erasmus+, rappelons ici que c’est la Suisse qui a décidé renoncer au programme, estimant que le rapport entre les investissements et les retours lui était défavorable. A la suite du retrait Suisse en 2014, le nombre d’échanges a battu plusieurs records successifs et les coûts à la charge de notre pays ont été historiquement bas. Quitter Erasmus fut une stratégie gagnante sur tous les plans.

…inopportune…

Nous l’avons vu, il n’y a pas de lien entre les contributions autonomes, volontaires et non-liées que la Suisse peut consentir librement d’une part et les programmes internationaux de recherche et d’études d’autre part. En proposant de faire dépendre les seconds de l’augmentation des premières, la majorité de la commission tire une balle dans le dos de nos négociateurs. La Suisse serait ainsi le seul pays au monde qui devrait payer un ticket d’entrée pour pouvoir discuter de ces accords.

Pire : des parlementaires de gauche comme de droite reprennent désormais à leur compte la rhétorique européenne – toujours fermement refusée par le Conseil fédéral jusque-là – selon laquelle un versement au titre de la cohésion serait un prérequis à l’accès au marché européen et à la table des négociations.

… et inefficace

En plus d’être infondé et inopportun, le doublement du milliard est proprement inefficace. L’UE a déjà fait connaître sa position selon laquelle le renouveau des accords passera par le règlement de la question institutionnelle, d’une manière ou d’une autre. La seule chose que cette augmentation pourrait amener, c’est une réouverture de certaines discussions avec nos voisins de Bruxelles.

Certes, mais il s’agirait d’une perception deux fois erronées. Erronée sur sa base : en politique internationale, les bons espoirs et versements inconditionnels sont à peu près aussi fiables que la lecture dans le marc de café. Erronée sur ses effets ensuite : l’octroi en automne du milliard (non-doublé) sans condition visait aussi le retour des négociations. Cela n’a pas fonctionné, l’UE ne pouvant que se réjouir de voir la Suisse céder l’un de ses atouts sans contrepartie.

Il est regrettable que l’aveuglement idéologique d’une partie de la classe politique conduise à de tels non-sens – l’Union européenne doit certainement se pincer pour y croire. Cette manière de faire fonde un dangereux précédent qui compliquera durablement notre position : désormais, si le Parlement venait à refuser une contribution supplémentaire tombée du ciel, nos voisins pourraient l’interpréter comme un acte malveillant qui réduirait à néant toute la bonne volonté affichée en automne.

 

[1] Votations du 26 novembre. Une histoire de milliard, Le Temps, 30 octobre 2006, https://www.letemps.ch/opinions/votations-26-novembre-une-histoire-milliard.

[2] Votation populaire du 26 novembre 2006, Explications du Conseil fédéral (brochure de votations).

[3] Message du Conseil fédéral  du 28 septembre 2018 relatif à une deuxième contribution de la Suisse.

Yohan Ziehli

Né à Lausanne en 1993, Yohan Ziehli a grandi entre les vignes de Lavaux et de la Riviera. Amateur de produits du terroir, lecteur compulsif et pianiste à ses heures perdues, il travaille pour le groupe de son parti au parlement fédéral en tant que juriste, spécialisé dans les questions de politique extérieure, institutionnelle et démographique. Il est conseiller communal et vice-président de l’UDC Vaud.

24 réponses à “Doubler le milliard de cohésion : une erreur stratégique majeure

  1. D’accord avec vous sur la futilité de cette approche purement “financière” du problème. En comparaison de son budget, un milliard de plus ou de moins ne fait pas une grande différence pour l’UE. C’est typiquement suisse de penser qu’on peut tout régler avec de l’argent. L’UE l’a dit et redit, ce qu’elle veut maintenant est que la Suisse définisse clairement sa position en ce qui concerne ses relations avec l’Union, l’assume, et cesse de tourner autour du pot et vouloir le beurre et l’argent du beurre. L’UE a été trop longtemps menée en bateau par notre pays, qui faisait miroiter une future adhésion qu’elle n’avait absolument pas l’intention de finaliser, ce qui lui a permis d’obtenir des concessions et avantages que les Britanniques nous envient d’ailleurs. Ce temps béni est aujourd’hui terminé.

    1. Du moment où le Droit Européen est supérieur au Droit National, la Suisse ne peut tout simplement pas adhérer, sauf si on veut modifier en profondeur la Constitution Suisse, pour annuler les possibilités du referendum ô combien cher aux cœurs des suisses. La Pologne vient d’être appelé à l’ordre à ce sujet.

  2. Ils ont dit non.

    https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-fk-n-2021-11-29.aspx

    En revanche, j’aimerais bien vous entendre sur ce point:

    “ATTAQUES CONTRE LES POLICIERS
    Le National a également refusé de limiter la capacité d’appréciation des juges en ce qui concerne les violences et les menaces contre les policiers ou autres représentants d’une autorité. Une peine pécuniaire devrait toujours pouvoir être prononcée contre les auteurs de telles violences.

    Suivant le Conseil des Etats, l’UDC et le Centre souhaitaient limiter la possibilité d’une peine pécuniaire aux cas de peu de gravité. Le nombre et l’intensité de ces violences augmentent chaque année, le droit doit avoir un effet de dissuasion accru et mieux protéger les fonctionnaires, a plaidé en vain Sidney Kammerzin (Centre/VS).

    La Chambre du peuple souhaite en revanche tenir compte de la hausse des attaques contre les bancomats. L’utilisation d’explosifs devrait être considérée comme une circonstance aggravante et être punie d’une peine de six mois à dix ans de prison. La gauche n’est pas parvenue à limiter cette peine aux vols avec une arme à feu.”

    https://www.parlament.ch/fr/services/news/Pages/2021/20211129175039909194158159038_bsf117.aspx

    1. Attention : la Commission des finances a dit non. Mais le Parlement va se prononcer le 1er décembre – le débat promet d’être animé.

      Concernant la deuxième question, je ne pourrai guère en dire plus que ce qui est déjà public (je ne travaille pas pour la commission des affaires juridiques et je n’ai donc pas traité le dossier en amont, contrairement à ce qui se fait en politique extérieure, institutions politiques et politique de sécurité).

      Mais je pourrai peut-être profiter du passage de cet objet au Conseil des Etats pour faire un billet dessus, s’il cela peut vous intéresser.

      1. Le parlement n’a refus cette horreur que par 93 voix contre 84. On n’est pas loin de la haute trahison par nos élus…

        1. Un peu de modération dans le choix des mots ?

          L’UE n’est pas l’empire Palpatine. C’est juste un truc technocratique, déconnecté des réalités, et promouvant bisounoursland. Il faut passer de l’union des consommateurs, à l’union des citoyens, avec droits et devoirs 😍

  3. pas une erreur stratégique , mais tactique : il faut d’abord présenter une vue d’ensemble avant de séduire le partenaire avec un cadeau … de mariage …
    Les Européens veulent d’abord savoir jusqu’où la Suisse veut s’impliquer dans le projet européen .
    Et en Suisse , il faut peut-être poser la question différemment :
    ” Ne demandez pas ce que l’Europe peut faire pour la Suisse , mais ce que la Suisse peut apporter à l’Europe ? ”
    Ce qui n’exclut pas de chercher à modifier les rapports entre les Etats membres …
    La Suisse ne serait en aucun cas Etat vassal de l’Europe, qui n’est pas un bloc homogène …

  4. Chaque fois que la Suisse essaye de faire une démarche diplomatique, elle se prend les pieds dans le tapis car nos patauds politiciens et fonctionnaires n’ont pas grande compétence en diplomatie visiblement.
    On est à coté de la plaque encore une fois !
    Au lieu de consacré ce 1 milliards à favoriser la recherche en Suisse par des initiatives intelligentes pour maintenir nos cerveaux et développer nos unis !

  5. De Gaulle disait, “Les états n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts”. L’Europe ne montre aucune hésitation à faire valoir les siens (face à la Suisse du moins) et nous nous bornons à ne pas voir les atouts dont nous disposons dans ces négociations.

    Délier les cordons de sa bourse, sans conditions, dans l’espoir d’amadouer nos partenaires européens semble un bien dangereux pari qui risque d’aiguiser les appétits et de renforcer des stéréotypes sur la Suisse à Bruxelles.

    Tous les projecteurs sont braqués sur ce(s) milliard(s) de cohésion tandis qu’en coulisses et depuis près de 10 ans la Banque Nationale Suisse, dans le but de faire perdre de la valeur à notre devise, a financé les gouvernements européens par l’achat de bons de leurs trésors respectifs pour plus de 260 milliards de francs (source : https://www.snb.ch/fr/iabout/assets/id/assets_reserves ).

    Imposer à la BNS de ne continuer à financer que les dettes des états coopératifs et traitant la Suisse sur un pied d’égalité ou même de revendre des dizaines de milliards de dettes qu’elle détient de partenaires hostiles à nos intérêts aura certainement un effet bien plus important sur nos relations diplomatiques.

    L’indépendance d’une banque centrale vis à vis du politique est importante, mais la BNS la première s’est mêlée de politique (malgré elle) en optant pour la dépréciation du franc et des achats démesurés d’actifs étrangers. Il est accessoirement important, aussi, que le monde politique recadre sa mission.

  6. J’ai regardé les 5 premiers épisodes de la série La Roue du temps. 🤢

    On signe où pour rejoindre l’UDC?
    Sérieux. C’est ça l’avenir de la télévision? Les 323 lettres des lgbt, avec toutes les couleurs des peuples de la Terre, et des stars anti grossophobie… et un scénario tellement nul pour ne blesser aucune minorité…

    Ils ont conscience que les séries étaient notre dernier exécutoire? pour échapper à notre quotidien de m… et que ça va entraîner des vagues de rejet…

    Quel avenir de m… ils nous réservent !
    Je boycotte Amazon + Netflix !

    1. Vous n’êtes pas sans savoir que pour se prononcer sur un cas concret, il faut avoir accès au dossier. Le contraire reviendrait à faire une affirmation émotionnelle et sans intérêt. En l’occurrence, une procédure régulière semble avoir été menée et il apparaît que ces personnes ne remplissent pas les conditions de l’asile et, selon toute vraisemblance, ne sont donc pas des réfugiés.

      A moins que l’on ait des éléments nouveaux, on ne peut pas prétendre le contraire. Je n’ai donc aucun décision hypothétique à prendre, étant donné que le SEM s’en est chargé en application des conventions internationales en vigueur.

      1. La décision de rejet de la demande d’asile est antérieure au départ des Américains.

        Je reformule:

        Assumez-vous le poids politique d’exécuter le renvoi d’une famille avec deux enfants, dont un nourrisson, en Afghanistan ?

        1. Comme vous le savez certainement, la Suisse n’exécute pas de renvois vers l’Afghanistan, et cela depuis 2019 déjà (et encore, il s’agissait d’exceptions). Il y a donc rien à assumer ici car rien n’indique qu’un renvoi attend cette famille (bien au contraire).

          Si une telle décision devait être prise à l’avenir (ce qui n’est pas le cas, mais le journal entretient le flou, certainement pour déclencher des réactions révoltées), la généreuse pratique juridique suisse admet le réexamen des demandes. Une aide juridique gratuite peut alors être accordée. Mais encore une fois, rien n’est indiqué dans l’article et il faut avoir connaissance du dossier pour savoir si cette famille, par exemple, bénéficie déjà de l’asile dans un pays sûr comme l’immense majorité de celles qui déposent une demande en Suisse.

          1. 1.
            Pourquoi la Suisse s’est soumise à ce comité ?

            https://www.amnesty.ch/fr/pays/europe-asie-centrale/suisse/docs/2021/droits-des-enfant-l-onu-epingle-la-suisse

            Vous avez lu les motifs de la condamnation de la Suisse ???? Et il n’y a pas de réactions au parlement ???

            La Suisse ne peut pas renvoyer une famille syrienne en Bulgarie, où ils y disposent d’un titre de séjour, notamment parce qu’il n’est pas certain qu’ils puissent y obtenir la nationalité ! 🤣🤣🤣🤦

            Qu’est-ce qui a pris à la Suisse de soumettre son droit migratoire à ce comité ?? Avec ce genre de décisions, je vote Zemmour dans moins de 10 ans ! Car la Suisse sera devenue entre-temps… la France…

            2.
            Et pourquoi personne ne dénonce le fait que ces rapporteurs de l’ONU, censés indépendants, acceptent des mandats d’Amnesty contre la Suisse ??

            https://www.20min.ch/fr/story/des-experts-de-lonu-critiquent-lintervention-du-canton-a-la-zad-694608167387

            Pourquoi les politiciens ne défendent jamais les policiers vaudois ??

  7. 1992 dans ma classe uni. il y a eu q.q. jeunes soc. nous avons fait des banderoles OUI OUI OUI… nous étions jeunes idéaliste ( tout a été beau)
    maintenant nous sommes des cinquantaines bientôt à la retraite , grosse déception , la C E. est dans la mauvaise voie ( dictature antidémocratique autoritaire bureaucratique…, heureusement la Suisse n’ y est pas.
    A l’époque, l’entrée C.H. ne se pose pas la question pour quelle intérêt ou quoique ce soit….mais il fallait y entrer….

  8. Ce matin, les Verts ont exercé une pression incompatible avec l’Etat de droit. Ils ont voulu refuser l’élection d’une femme juge UDC au motif qu’une étude de l’epfz avait montré que les juges jugeaient selon un biais politique. En faisant leur les conclusions de cette étude, ils ont politisé l’élection, et fait pression (a contrario) sur leurs propres juges en envoyant le signal qu’ils devaient défendre la ligne de leur parti en matière d’asile.

    Je demande humblement à ce que les représentants Verts quittent la Commission judiciaire.

    https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55429

    1. En effet, le comportement des Verts n’a pas été noble sur ce coup. Mais leurs représentants ont bien été remis à leur place au plenum – une véritable leçon institutionnelle.

      1. “sur le coup”?

        Et si on discutait de la facture électrique ? nous manquons de centrales nucléaires de nouvelle génération, nous ne sommes pas prêts pour la transition électrique et ils nous ont vendu des voitures hybrides qui coûtent plus chers et consomment plus d’essence !

        Et ne parlons même pas des programmes scolaires, là où ils sont majoritaires…

        Mais ils possèdent la bienveillance des médias…

        1. Je dis “sur le coup” car dans ce dossier, la position des Verts est clairement intenable. Cela ne signifie pas que je sois d’accord avec eux le reste du temps – loin s’en faut.

          Je suis tout à fait opposé à la vision des Verts concernant, notamment, l’énergie et l’école. Je publierai certainement quelque chose à ce sujet prochainement.

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