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Juges étrangers et trous de mémoire

Impossible de l’ignorer, le 25 novembre, le peuple se prononcera sur une initiative dite «pour l’autodétermination». Ce qui est sidérant, c’est l’espèce de rideau de fumée que les initiants développent autour de leur propre texte. Et la mémoire sélective dont certains semblent faire preuve…

En 2015, l’UDC lançait une initiative contre les «juges étrangers», également appelée «pour l’autodétermination». Le texte partait d’un constat clair : le droit international, et la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) en particulier, aurait bloqué certaines revendications du parti. Dès lors, ce droit international devenait problématique, et il fallait s’en libérer. Mais plutôt que de réclamer explicitement la dénonciation de la CEDH, l’UDC a préféré un texte plus général et plus confus.

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Et voici qu’aujourd’hui, alors que la votation populaire s’approche, le discours des initiants a bien changé. Ils répètent à l’envi que leur texte n’implique pas de dénoncer un quelconque accord international, en particulier pas la CEDH. Puis ils arrivent, dans la même foulée, à expliquer toutes les raisons pour lesquelles il ne faudrait ne plus appliquer cette convention… mais que ce n’est pas ce qu’ils réclament. Enfin, confinant au comique, ils répètent finalement inlassablement que ce texte ne remet nullement en cause les accords passés ou présents, ni le droit international lui-même.

Heureusement que la campagne se termine prochainement ; d’ici peu, ils nous auraient expliqué qu’en fait, ils ont été incompris, et que ce texte visait purement et simplement à réguler l’arrosage du gazon devant le Palais fédéral !

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Soyons sérieux : ce texte a été lancé pour que la Suisse puisse s’affranchir du droit international (et, en particulier, de cette fameuse convention européenne des droits de l’homme). C’est sur ce point que le peuple est appelé à voter, et toute tentative de l’oublier (ou de le faire oublier) n’est rien d’autre qu’un refus d’obstacle face à un débat qui leur semble difficile.

Mais un autre point doit nous interpeler. Les initiants, jusque dans leurs affiches de campagne, affirment que le texte défend la démocratie directe. Là aussi, leur mémoire semble les trahir : aucun élément de ce texte n’implique un quelconque droit démocratique supplémentaire ou l’organisation d’une quelconque votation de plus !

(source : Comité NON à l’initiative de l’ASIN de 2012)

À vrai dire, si le but était réellement d’accroître la démocratie directe, les initiants ne réclameraient pas la remise en cause des accords internationaux sur un plan juridique ; ils demanderaient simplement que ce soit le peuple qui tranche systématiquement. Oh surprise, l’ASIN avait déjà déposé une initiative en ce sens. Le 17 juin 2012, plus de 75% des votants ont balayé cette proposition. Mais, à nouveau, le respect de cette volonté populaire semble faire les frais d’une certaine amnésie sélective…

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Clap de fin pour «No Billag»

C’est fait : après une campagne longue et intense, le peuple a largement rejeté l’initiative «No Billag». Avec plus de 71% des suffrages, les Suisses ont montré un fort attachement à l’existence d’un service public dans les médias. C’est désormais malgré cette initiative et non grâce à elle que le débat doit continuer…

Début décembre, un sondage provoquait un véritable tremblement de terre : 57% des Suisses approuveraient l’initiative «No Billag» ! L’idée de s’affranchir d’une facture de plusieurs centaines de francs semblait séduire : le texte avait des chances sérieuses et menaçait donc de tirer la prise du service public dans l’audiovisuel.

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Le tournant s’est produit fin janvier : les partisans de l’initiative présentaient leur plan B pour la SSR en cas de succès de leur texte. Incapables de présenter des alternatives crédibles pour l’avenir des médias, les opposants au recours à l’argent public de la Confédération proposaient même, sans ciller, de le remplacer par celui des cantons.
Ce flou s’opposait à un discours bien plus clair du côté des spécialistes (tant privés que publics) du secteur : une acceptation de l’initiative signifierait la mort de la SSR, sans certitude qu’une partie de ses activités puissent être poursuivies ou reprises. Cette démonstration a fait basculer l’opinion public – tant dans les sondages qu’aujourd’hui dans les urnes. Le vote des Suisses est particulièrement clair : le texte est balayé avec plus de 71% des suffrages !

À peine leur échec connu, les initiants se sont félicités d’avoir provoqué un débat. Pourtant, rien n’est plus faux. En réalité, le débat sur l’audiovisuel public avait commencé avec la modification de la LRTV lancée en 2013 et acceptée par le peuple, de justesse, le 14 juin 2015. Lancée entre les deux, «No Billag» ignorait totalement la discussion, au profit d’une proposition extrême.

Plus encore, le véritable débat aurait pu trouver sa place dans le cadre du rapport sur le service public dans les médias, demandé par le Conseil des États le 28 avril 2014. Celui-ci, justement, réclamait une réflexion sur l’avenir des médias. Mais, las, l’initiative est arrivée au Parlement à peine le rapport remis. Occultant toute nuance et empêchant toute discussion sur les contours d’un service public, elle ne proposait qu’une chose : tirer la prise de la SSR.

© Vincent Arlettaz

À l’heure de la digitalisation, une nouvelle loi tenant compte des enjeux d’avenir doit être présentée rapidement. C’est dans ce cadre que pourra enfin débuter une discussion sérieuse sur la mission de l’audiovisuel public. Enfin, après des années perdues en débats tendus sur une proposition extrême. La réflexion peut donc commencer, malgré l’initiative «No Billag» et certainement pas grâce à elle !

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Pourquoi un libéral peut refuser «No Billag»

Telle que présentée par ses auteurs, l’initiative «No Billag» est une lutte pour les libertés individuelles. En conséquence, tout «bon libéral» semble sommé de partager ce point de vue ; les voix divergentes étant hélas souvent soumises à un «procès en libéralisme» et accusées de trahir cet idéal pour des motifs égoïstes. Pourtant, à bien y réfléchir, il est plutôt simple, pour un libéral, d’être convaincu de rejeter ce texte…

Le but évident de tout «bon libéral» est de garantir à chacun autant de libertés que possible. Tout adulte devrait donc pouvoir former son opinion comme il l’entend et faire ses propres choix. Et là, embrayent sans hésiter les partisans de «No Billag», devrait être inclus le choix de consommer ou non les médias du service public, et donc, par voie de conséquence, le choix de ne pas les payer le cas échéant. Pourtant, à bien y réfléchir, il est plutôt simple, pour un libéral, d’être convaincu de rejeter ce texte…

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Pour être à même de faire ses propres choix, chacun doit pouvoir en appréhender les tenants et aboutissants. Pouvoir décider entre des possibilités aux issues inconnues n’est pas une liberté ; c’est un simple mirage. La vraie liberté, elle, se définit au moment où l’on peut comprendre ce qu’un choix représente et le faire en connaissance de cause. En d’autres termes, il ne peut y avoir de réelle liberté sans information.

Mais cette information ne tombe pas du ciel. Elle peut souvent être produite par des médias privés et achetée (ou non) par ceux qui en expriment le besoin. Mais cette offre repose sur la nécessaire existence d’un marché suffisamment grand pour financer, par la vente ou par la publicité, le travail journalistique nécessaire.

CC Tschubby / modifiée

Or, la Suisse est un petit pays, partageant quatre langues et formé de nombreuses régions aux réalités bien diverses. Dès lors, le constat est simple : elle ne dispose pas toujours la taille critique nécessaire pour offrir une information suffisante à l’ensemble de nos concitoyens par la seule loi du marché. C’est conscient de cette réalité qu’un service public a été mis en place dans les médias – et c’est bien son avenir que nous allons décider le 4 mars prochain.

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Ainsi, l’initiative «No Billag» n’est pas un vote pour plus ou moins de libertés. Ce n’est, en réalité, rien d’autre qu’un arbitrage entre deux libertés : d’une part, celle de ne pas payer l’information qu’on ne souhaite pas consommer, et d’autre part celle, pour chaque citoyen de notre pays, quelle que soit sa langue et quel que soit son domicile, de pouvoir accéder à une information suffisante et de qualité.

S’il faut trancher entre les deux, mon choix est évident : je préfère accepter la contrainte d’un financement public et obligatoire lorsqu’il permet de garantir à chacun de s’informer et donc de pouvoir faire, en toute connaissance de cause, ses propres choix – en toute liberté.

C’est donc en libéral convaincu que, le 4 mars prochain, je glisserai un «non» résolu dans l’urne – et que je vous invite à faire de même !