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Transports publics gratuits : un coûteux malentendu

Une nouvelle initiative parlementaire propose «la gratuité des transports publics» dans le canton de Vaud. L’idée est presqu’un marronnier, tant elle fleurit régulièrement dans la presse et les organes politiques. Mais elle est, surtout, le fruit d’un terrible malentendu savamment entretenu.

Une chose gratuite est une chose que l’on ne paie pas, ni directement, ni indirectement. Cette stricte définition peut sembler une évidence. Mais dès que le mot «gratuit» est lâché en politique, il devrait être soumis à un strict examen pour s’assurer de sa signification concrète et réelle. Et, bien souvent, ce mot ne saurait être plus éloigné de la réalité…

© Guilhem Vellut

Ainsi, pour que les transports publics soient gratuits, il conviendrait donc que leurs conducteurs aient la gentillesse de venir bénévolement, nuit et jour, aux commandes de véhicules qu’ils auraient eux-mêmes acheté avec leurs propres deniers et dont ils supportent à leurs propres frais l’entretien et l’opération. Qu’il me soit permis de douter que cela se produise un jour. Et, en fait, nul ne l’imagine ni ne le réclame réellement.

Ce que proposent les promoteurs de la «gratuité des transports publics» n’a en fait rien à voir avec la gratuité. Il s’agirait simplement d’éviter que l’usager ne paie directement le prix de sa mobilité. Ainsi, le mot «gratuit» signifie véritablement dans cette initiative «payé autrement». Ce malentendu nuisant au débat s’amplifie même lorsque certains populistes tentent même de le faire rimer avec «payé par quelqu’un d’autre». Après tout, comme le disait Margaret Thatcher, le problème de certaines politiques est que finalement, elles viennent à bout de l’argent des autres.

Markus Eigenheer

Si l’on voulait donc être honnête, on ne parlerait non pas de gratuité des transports publics, mais plus simplement de la répartition de la facture entre l’usager, directement servi, et la collectivité, bénéficiant indirectement en termes d’environnement, de trafic ou d’aménagement du territoire. Et à ce moment-là, il conviendrait de rappel qu’aujourd’hui déjà, l’usager des transports publics ne prend en charge en moyenne qu’environ 44% de leur coût. Plus de la moitié, donc, est issu de l’argent des contribuables, quels que soient leurs déplacements.

Faudrait-il supprimer totalement la contribution de l’usager au coût de son propre mobilité ? Je ne le pense pas, mais c’est un débat qui mériterait d’être posé en termes honnêtes. Car à vendre le mirage de la gratuité, on ment au citoyen croyant économiser ce qu’il devra, in fine, payer indirectement. Ce serait là un bien coûteux malentendu…

© Vincent Arlettaz

Cette si chère égalité…

Hier, profitant du 1er août, la jeunesse socialiste vaudoise a tenté un coup d’éclat en proposant de remplacer sur le drapeau vaudois sa devise «Liberté et Patrie» par «Solidarité et Égalité». Mais que révèle, en fait, une telle proposition ?

À chaque fois que j’entends le mot «égalité» me revient l’expression d’Henry Becque «le défaut de l’égalité, c’est que nous ne la voulons qu’avec nos supérieurs». En politique, c’est hélas également le cas : quiconque invoque ce principe si cher à la gauche ne le fait bien souvent que lorsque c’est à l’avantage de ses électeurs, sinon de lui-même. Dans le cas contraire, ce principe égalitaire disparait souvent derrière un paravent de prétextes.

 

Drapeau suisse actuel (g.) et tel que pourrait le redessiner la jeunesse socialiste (d.)

 

La jeunesse socialiste vaudoise, comme bon nombre de socialistes, invoque volontiers cette notion d’égalité pour demander à d’autres de payer davantage d’impôts ou de contribuer davantage à la collectivité – mais, bien sûr, exclusivement lorsqu’il s’agit de réclamer un effort d’autrui plutôt que de soi-même.

Ainsi, cette même jeunesse socialiste vaudoise s’oppose vertement, par exemple, à ce qu’hommes et femmes aient le même âge de départ à la retraite – à tel point qu’ils avaient même combattu le projet PV2020, pourtant conçu et porté par le parti socialiste suisse. Là, étrangement, il n’est plus question de défendre l’égalité, lorsqu’elle imposerait d’aller l’expliquer à celles qui en seraient perdantes…

Cette position est d’ailleurs souvent justifiée en invoquant les différences de salaire qui peuvent exister entre hommes et femmes. Tant que celles-ci ne sont pas corrigées, hors de question alors de supprimer une différence de traitement en matière de retraite, nous dit-on. Là, imperceptiblement mais sûrement, l’égalité s’est transformée en une sorte de valeur à géométrie variable, à laquelle il est finalement aisé de déroger. Tout d’un coup, une inégalité peut devenir aisément justifiable, au bon vouloir de qui s’exprime.

CC0

Il y a une forme d’égalité que je chéris, c’est l’égalité de départ : égalité des droits et égalité des chances. Celle qui met chacun sur le même pied, et lui permet ensuite de faire ses propres choix – et de les assumer.

Mais souvent, hélas, le socialisme pousse à réclamer une égalité de résultats. Quels que furent nos comportements, il faudrait que nous retrouver tous, in fine, dans une même situation – ou, à tout le moins, dans une situation proche. Et si ce n’est pas le cas, la contrainte étatique toute-puissante n’aura qu’éliminer les différences.

Réclamer cette égalité perpétuelle, c’est donc, par définition, réclamer que nos propres choix n’importent finalement pas. Somme toute, ce n’est certainement pas un hasard si, dans le monde que réclament ces jeunes socialistes, le mot «liberté» doit être effacé – de nos drapeaux, comme de nos vies…