© Mattia Landoni

Dix ans après Lehman Brothers…

C’était il y a dix ans, dans la nuit du 14 au 15 septembre 2008. Richard Fuld est dans son bureau, au 31ème étage du siège de Lehman Brothers. Au milieu de la tempête financière, il voit sa banque vivre ses derniers instants. Et dix ans après ?

Le 15 septembre 2008, à 1h45 du matin, heure de New York, la banque Lehman Brothers déposait son bilan et se mettait sous la protection du chapitre 11 du code américain des faillites après 158 années d’existence. Cette décision venait au terme d’un week-end marathon au siège de la Réserve fédérale de New York, où les directeurs des plus grandes firmes de Wall Street avait été convoqués pour tenter sans succès de mettre sur pied un plan de sauvetage. Au plus fort de la tempête financière, la disparition d’un des plus important acteur du monde de la finance agissait tant comme un symptôme que comme une prise de conscience de l’ampleur de la crise la plus destructrice depuis 1929. La masse totale en faillite représentait près de 640 milliards de dollars !

© World Resources Institute Staff

Aux côtés de Richard «Dick» Fuld, à la tête de Lehman Brothers depuis 1994, la cupidité des banques d’investissement était pointée comme la cause principale de la crise des subprimes qui allait faire s’envoler plus d’un quart de la fortune nette des Américains et s’effondrer plusieurs géants de la finance. Mais pourtant, avec le recul, une telle conclusion ne tient pas. Car si la cupidité régnait certainement au siège de Lehman Brothers, elle n’était certainement pas absente  de ses concurrentes ayant survécu à la crise, pas plus qu’elle n’était inconnue des milliers d’investisseurs qui avaient parié – en connaissance de cause ou non – sur le marché de l’immobilier américain, ou même des millions de simples acheteurs qui s’étaient endettés de façon démesurée pour devenir propriétaires de leur logement.

© Fibonacci Blue

Dix ans après, les enseignements nécessaires ont-ils été tirés par ces géants de la finance brassant des milliards comme certains mélangent les corn-flakes au petit-déjeuner ? La question demeure légitime. En démontrant douloureusement la limite des modèles statistiques, la crise de 2008 a remis en question une partie de leur fonctionnement. Tout comme, en parallèle, les réformes dites «Bâle III», décidées au lendemain de la crise, ont mis en place des exigences accrues en matière de liquidités et de solidité financière. Seul l’avenir permettra de savoir si les efforts ont été suffisants, mais il faut reconnaître que de gigantesques pas en avant ont été faits.

Malheureusement, dans cette volonté générale de faire des banques les boucs émissaires de l’effondrement économique de 2008, une autre cause est – hélas – bien souvent négligée. Si des millions d’Américains se sont endettés de façon déraisonnable au début du XXème siècle, sans forcément être en mesure de pouvoir faire face aux mensualités en cas de coup dur, ce n’était pas le simple fruit du hasard. C’était également le résultat d’une volonté politique mise en place à Washington pour tenter de soutenir la croissance économique, en imposant des taux d’intérêt réduits, un cadre légal favorable et en promettant que les institutions semi-publiques mises en place pour favoriser et garantir le crédit seraient là pour voler au secours des créanciers malchanceux.

© Eric Salard

De ce côté-là, a-t-on réellement tiré les conclusions nécessaires au-delà des commissions d’enquête et des grands discours ? On peut légitimement en douter. Dix ans après, une bonne partie de la réglementation en vigueur n’a jamais été remise en cause. Et le choix de miser sur la consommation intérieure – recourant massivement au crédit – pour soutenir la croissance du PIB n’a pas changé. Au risque non seulement d’une fragilité accrue, mais également d’être victime de politiques court-termistes hasardeuses. Et sur ce dernier point, le locataire de la Maison blanche n’offre guère de motifs de se rassurer…

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Des CoCos à la noix : vers une nouvelle crise financière ?

Mardi 20 juin, la Bremer Landesbank – une banque régionale allemande – a annoncé qu’elle annulait le paiement des intérêts sur deux obligations spéciales dites CoCo bonds. La nouvelle est passée presqu’inaperçue dans la presse, et pourtant, les questions qu’elle pose pourraient faire trembler le monde de la finance…

Vous n’avez rien compris à ce charabia* ? Pas de panique, on va tenter de clarifier tout ça !

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CoComençons par le commencement…

Pour simplifier, on peut résumer le métier d’une banque (outre ses conseils, bien sûr) à recevoir l’épargne de certains clients et à prêter de l’argent à d’autres clients. Pour que le système fonctionne, il faut toutefois que la banque soit toujours capable de rembourser les épargnants lorsque ceux-ci viennent retirer leurs fonds.

En raison de cette contrainte, et afin de pouvoir prêter suffisamment d’argent (que ce soit des crédits commerciaux, hypothécaires, du leasing, …), la banque ne peut pas compter uniquement sur l’argent des épargnants. Elle se finance donc également sur les marchés financiers.

D’accord, mais CoComment ?

© Vincent Arlettaz

Il existe essentiellement deux manières de se financer : D’une part, les actions, dont les détenteurs sont copropriétaires de la banque. Ils se partagent les bénéfices (sous forme de dividendes), mais sont aussi les premiers à perdre leur mise en cas de déficit ou de faillite.

D’autre part, les obligations, dont les détenteurs sont de simples créanciers prêtant de l’argent pour une période donnée, et en échange d’intérêts définis à l’avance. C’est un investissement généralement moins rentable (sur le long-terme) que les actions, mais qui est prioritaire pour être remboursé, et donc encourt également moins de risques.

Ce n’est pas si CoCompliqué !

Certes ! Mais la science financière ne s’arrêtant pas là, elle a inventé, au milieu du XIXème siècle, les «obligations convertibles». Il s’agit, de fait, d’une obligation (comme on l’a vu ci-dessus), mais que le détenteur peut, librement, décider de transformer en un nombre prédéfini d’actions. L’instrument est intéressant car il permet, grâce à cette conversion, de profiter des bons résultats économiques, le cas échéant, ou de rester simple créancier sinon.

Et c’est à partir de là qu’on a imaginé les CoCos…

Les CoCos ? KésaCoCo ?

Les «CoCo bonds», ou «contingent convertible bonds», sont un type particulier d’obligations convertibles. Mais là, la conversion en action ne dépend pas de la volonté du détenteur, mais se produit automatiquement si un événement prédéfini se produit.

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L’idée est née en 1991, pour faire face à certaines crises financières, et a été popularisée (et plus largement utilisée) après la crise des subprimes. L’idée est assez simple : tant que tout va bien, ses détenteurs ne sont que de simples créanciers, qui n’ont pas droit à une part des bénéfices. Mais si la banque a des problèmes de capitalisation (par exemple lorsque de nombreux clients viennent retirer leur épargne), la conversion se déclenche et transforme ces créanciers en copropriétaires, améliorant immédiatement la situation financière de la banque.

Mais alors, CoComment ça peut poser problème ?

Les CoCo bonds sont, naturellement, des instruments risqués. En effet, en cas de problèmes, les créanciers se retrouvent directement transformés en actionnaires, pouvant donc très rapidement perdre l’entier de leur investissement. Mais, à ce moment-là, précisément parce qu’ils deviennent copropriétaires de la banque, il peuvent donc désormais participer direction de celle-ci.

En outre, en échange du risque accru, les intérêts de ces CoCos sont plus élevés que ceux offerts pour une obligation normale. Jusque là, tout va bien…

CoComme toujours, le diable se niche dans les détails.

L’exemple de la Bremer Landesbank est particulièrement criant : la banque a décidé, suite à des problèmes financiers, d’annuler le paiement des intérêts.

CC BY-SA 4.0 - Jürgen Howaldt
Siège de la Bremer Landesbank, à Brême

Mais les conditions générales de ces CoCos (ce qu’on appelle, en finance, le prospectus) définissent clairement que cette annulation n’entraîne pas la conversion en actions. Les créanciers perdent donc une partie importante de leur investissement, sans, pour autant, devenir co-décisionnaires.

Pire encore, ce même prospectus prévoit que la banque est libre d’utiliser les sommes ainsi économisées comme bon lui semble – et ce, sans restriction.

Le risque est donc important qu’une banque lèse les détenteurs de CoCo bonds pour poursuivre d’autres objectifs que ceux pourquoi les CoCos ont été conçus (e.g. payer davantage de dividendes à ses actionnaires ou de rémunérations à ses dirigeants). Ceux-ci passeraient donc, en quelque sorte, d’assureurs à dindons de la farce.
Si cela se généralise, on ne trouvera bientôt plus grand monde pour souscrire à ces instruments, et les banques redeviendront beaucoup plus vulnérables…

Du coup, CoComment on évite ça ?

Il faut donc s’assurer que ces CoCo bonds ne puissent pas être détournés de leur but premier : servir de coussin de sécurité en cas de crise. Pour cela, il faudrait renforcer les règles prévues par le prospectus, par exemple en s’assurant que le non-paiement des intérêts force la conversion en action, ou que l’argent ainsi économisés ne puisse être utilisés que dans des buts bien spécifiques.

CC0

La marge de manoeuvre des banques s’en trouverait certes réduite. Mais, in fine, c’est une condition nécessaire pour garantir leur survie en cas de coups durs…

 

 

* Si vous avez compris ledit charabia, l’auteur vous remercie vivement pour l’indulgence de votre lecture…