Pierre Hazan,
La paix en Israël/Palestine est tournée en dérision tant elle paraît dans l’impasse. Pourtant, depuis des années, un groupe de Palestiniens et d’Israéliens réfléchit ensemble à la nature du conflit qui les oppose. Avec le soutien de la diplomatie suisse, ils ont recours aux outils de la justice transitionnelle et travaillent sur les Accords de Genève ll
Lors d’un récent voyage à Jérusalem, une amie journaliste m’a offert un T-shirt où l’on voit le dessin de quatre hommes en train de s’esclaffer, se tenant le ventre de rire. Leur hilarité répond à la question inscrite en haut du T-shirt : « La paix au Proche-Orient ? » Ce dessin résume l’impossibilité de croire aujourd’hui en la paix entre Palestiniens et Israéliens. Les faits sont là et ils sont têtus : la colonisation et l’occupation israélienne se poursuivent en Cisjordanie, de violents affrontements opposent périodiquement Gaza et l’armée israélienne et aucune lueur d’espoir d’un règlement pacifique n’apparaît à l’horizon, alors que chacun sait pertinemment qu’il n’y aura jamais de solution militaire. Quant aux élections israéliennes, en avril prochain, elles ne devraient rien apporter de très réjouissant.
MIEUX COMPRENDRE LE RÉCIT DE L’AUTRE
C’est pourtant dans ces moments de désespoir que la résistance à la haine et au rejet de l’autre est le plus nécessaire. Ici comme ailleurs, la mémoire est un enjeu stratégique : si chacun est élevé dans l’idée que l’autre est un irrémédiable ennemi – soit un colon usurpateur de la terre palestinienne, soit un terroriste qui veut assassiner des juifs – la paix restera toujours hors de portée. Travailler la mémoire est donc une nécessité pour avancer sur le chemin de la paix. Il ne faut pas attendre une hypothétique solution politique pour commencer le difficile travail d’humaniser l’ennemi. C’est ce qu’avaient compris deux psychologues, Dan Bar On et Sami Adwan, qui, à travers le projet « Learning Each Other’s Historical Narrative » au début des années 2000, avaient rassemblé des professeurs d’histoire palestiniens et israéliens pour mieux comprendre le récit de l’autre.
C’est à ce même impératif de travailler conjointement la mémoire du conflit qu’ont abouti les négociateurs israéliens et palestiniens qui avaient conclu en 2003 le plan de paix alternatif connu sous le nom des Accords de Genève. Conduit sous les auspices de la diplomatie suisse, ce plan de paix s’était attaqué aux questions les plus épineuses du conflit, soit le retrait d’Israël de Cisjordanie, le partage de Jérusalem et le droit au retour des Palestiniens. Ce plan avait été rejeté par le gouvernement Sharon ainsi que par le Hamas. L’Autorité palestinienne, sans y être hostile, ne l’avait pas non plus adopté. Cet échec diplomatique était attendu. En revanche, la mauvaise surprise fut le fait que les Accords de Genève n’avaient pas bénéficié du soutien des populations israélienne et palestinienne alors que, en majorité, elles aspiraient à la paix. Comment comprendre leur rejet ?
LA PAIX MANQUÉE DES TECHNOCRATES
Dans un colloque intitulé « Justice transitionnelle et Politique globale » qui s’est tenu le 29 novembre dernier à l’Université hébraïque à Jérusalem, l’un des négociateurs palestiniens, Mostafa Elostaz, a tiré la leçon de l’échec populaire des Accords de Genève. « Nous avions fini par trouver des solutions techniques sur les questions les plus difficiles du conflit israélo-palestinien, mais nous n’avions jamais pris en compte le vécu et les souffrances des populations », a-t-il confié. Et le négociateur israélien, Gadi Baltiansky, d’ajouter : « Notre échec fut de n’avoir pas réussi à créer les conditions d’une réceptivité du public aux Accords de paix. Il est vrai aussi que les racines du conflit plongeaient bien plus profondément que la teneur des Accords de Genève. »
De fait, l’une des leçons de l’échec des Accords de Genève fut de se focaliser sur une approche technocratique de la paix. Cela était compréhensible, au vu de la difficulté d’élaborer des compromis face à des questions d’une énorme complexité et aux enjeux politiques, sécuritaires et symboliques considérables. Mais c’était au risque de se couper des populations, en ignorant leurs souffrances, leurs blessures, leurs peurs et leurs attentes. D’où l’idée, ces dernières années, de compléter les Accords de Genève par un texte, qui par le biais des principes de la justice transitionnelle, s’attaquerait aux racines du conflit et à la responsabilité de chacune des parties.
DANS L’ATTENTE D’UN MOMENT PLUS FAVORABLE
C’est dans cet esprit que, pendant sept ans, Israéliens et Palestiniens ont réfléchi à la nature du conflit qui les oppose autour du droit à la justice, aux réparations et aux garanties de non-répétition. Avec le soutien actif de la diplomatie suisse, ils ont développé des pistes pour faire la lumière ensemble sur des événements historiques, pour reconnaître les souffrances infligées, quitte à procéder à des excuses publiques lorsqu’il y a lieu, pour conduire des réformes de l’éducation et des manuels scolaires. A ce jour, le texte des Accords de Genève II n’a pas été rendu public. Les parties attendent le moment favorable pour le lancer et force est de constater que l’environnement politique ne s’y prête guère.
Il n’empêche. Lorsque la logique de conflit prédomine, il est essentiel que des hommes et des femmes des deux bords issus de la société civile s’engagent dans des initiatives qui visent à briser le cycle mortifère où sont engagés deux peuples qui possède chacun un droit historique sur la même terre. C’est notamment l’engagement de la galerie et bientôt du musée d’Um-el-Fahem, lieu de culture palestinien et d’échange en Israël, du Cercle des parents endeuillés, de Combatants for Peace, du mouvement palestinien de la non-violence Taghyeer, de Breaking the silence et d’autres initiatives encore, comme les Accords de Genève ll. Combattre la haine et la déshumanisation implique de refuser que la mémoire soit asservie à un ethos victimaire capable de justifier le pire au nom de la rhétorique du « Jamais plus ».