Attentats du 13 novembre : la dérive de la famille Clain

Pierre Hazan,

Ce fut au palais de justice de Paris ce jeudi 16 décembre le récit de l’itinéraire vertigineux de la famille Clain racontée par une mère et l’une de ses filles. L’histoire d’une famille catholique établie dans une petite ville normande qui se convertit à l’Islam radical jusqu’à l’un de ses membres revendique depuis Raqqa les attentats du 13 novembre 2015.

En vidéo, depuis sa cellule, apparaît Anne-Diana Clain : 46 ans, de longs cheveux blonds et bouclés, attentive, elle répond posément aux questions. Elle explique sa soif d’absolu et de spiritualité qui l’a conduit d’abord à trouver le curé de la petite ville normande d’Alençon, « mais ses réponses ne m’ont pas satisfaites ». Elle se convertit alors à l’Islam, la foi de son mari. Ses deux jeunes frères, Fabian et Jean-Michel la suivent, puis leur mère, leur épouse, leurs enfants… Les voilà partis pour Toulouse, « car on voulait vivre entre musulmans ». Sa mère épouse – apparemment brièvement – le père de Mohammed Merah. Ce dernier assassine froidement en 2012, un instituteur et trois enfants d’une école juive et des militaires français à Toulouse.

Dans ce monde qui vit en vase clos dans le quartier de Mistral, Anne Diane ne parle pas l’arabe, « mais je crois aveuglement ce qu’on me disait ». Elle comprend que « l’Islam est une religion de combat et qui dit combat dit batailles ». Ses deux frères vont à Bruxelles, puis huit mois avant la proclamation de l’état islamique rejoignent l’organisation à Raqqa en Syrie avec tout le clan familial : « Mes frères, mes belles-sœurs, tous les enfants de mes frères, ma petite sœur avec sa famille, ma fille Jennifer et ses enfants, ma fille Fanny… toute la famille quoi ». Jean-Michel se bat, puis il rappe sur les ondes de la radio salafiste appelant « à tuer des Français ». Dans la foulée des attentats contre Charlie-Hebdo et l’Hyper-Casher, il chante : « Il faut taper la France, il est temps de l’humilier, on veut de la souffrance et des morts par milliers ». Fabian, plus charismatique que Jean-Michel, devient le porte-parole de l’EI pour la France. Il diffuse les vidéos de décapitation, du pilote jordanien brûlé vif dans une cage, d’autres exécutions… Le lendemain des tueries du 13 novembre qui font 130 morts et 400 blessés, il revendique « l’attaque bénie contre la France croisée ».

“Les chevaliers des médias”

Entretemps, Anne-Diana essaie de les rejoindre à Raqqa avec son mari et quatre de leurs enfants. Mais faute de papier, ils n’y arriveront jamais. Arrêtée en Turquie, renvoyée en France, Anne-Diana purge une peine de neuf ans de prison pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme ». De son parcours, elle dit aujourd’hui l’effroyable gâchis. En prison, elle « a réfléchi » avec un imam, des éducateurs et des psychologues. Elle reconnait « avoir de la difficulté à faire face à tout le mal que mes frères ont fait ». Aujourd’hui, elle avoue « avoir gâché la vie de ses enfants » : « Ils n’ont pas choisi. Nous, on a choisi de vivre cette guerre, on a fait des choix ». Ses deux frères ont finalement été tués dans une frappe ciblée. Le leader de Daesh, el-Bagdadi les a célébrés comme « des chevaliers des médias ». Comme leur corps n’a jamais été retrouvés, ils sont toujours poursuivis dans le cadre de l’enquête sur les attentats du 13 novembre. Sa fille Fanny et ses enfants croupissent dans une prison kurde… Le président du tribunal lui demande si elle a des nouvelles de son père, militaire de carrière. C’est le seul instant qui prête à sourire dans la dérive sectaire de la famille Clain : « Non, pensez, avec trois enfants terroristes… »

Apparaît ensuite Jennifer, 30 ans, cinq enfants, dont le dernier est né en Syrie. Jennifer est incarcérée dans une autre prison française, à Bauvais, en attente de jugement. Elle raconte la vie à Raqqa, les exécutions en pleine ville retransmis sur des écrans géants, la foule qui applaudit… Elle prend ses distances avec les chefs de Daesh, non à cause des attentats qu’elle approuve, mais « parce qu’ils étaient corrompus ». La vidéo du pilote jordanien supplicié ? Elle la voit, comme toutes les autres vidéos diffusées par son oncle. « Je trouvais ça normal. Il avait largué des bombes incendiaires. C’était la loi du talion ». Aujourd’hui, elle dit qu’elle « avait oublié de penser par elle-même », ajoutant : « sans doute, une manière de me protéger ». Son mari a été condamné à mort par un tribunal irakien. Lorsqu’une partie civile lui demande à quoi ressemble l’idéologie de Daesh, elle réfléchit un instant avant de répondre « au régime nazi, même si je ne le voyais pas comme ça à l’époque ». Elle ne croit pas que ses oncles, Fabian et Jean-Michel, ont joué un rôle dans la préparation des attentats du 13 novembre. « Sinon, ils auraient été fiers ». Elle ajoute encore : « On est coupables de ce qu’on a fait ou de ce qu’on a voulu ».

Pierre Hazan

Pierre Hazan est conseiller senior en matière de justice de transition auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire, une organisation spécialisée dans la médiation des conflits armés. Il a couvert de nombreux conflits comme journaliste avant de se spécialiser sur les questions de justice dans les sociétés divisées. Il a été chercheur à la Faculté de droit de Harvard et a travaillé au Haut Commissariat aux droits de l’homme. Pierre Hazan est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la justice pénale internationale.