Le mouvement français des gilets jaunes, de moins en moins contrôlable, sonne-t-il le glas du système parlementaire représentatif? Un système dans lequel la nation entière élit des représentants chargés de contrôler les dépenses publiques, de voter l’impôt et de concourir à la confection des lois? La question peut sembler singulièrement provocatrice. Mais, visiblement, une partie toujours plus importante de la population française ne fait plus confiance en ses représentants. Sitôt élus, ces derniers sont vite désavoués. Qu’ils soient de droite ou de gauche. Attendre le sauveur qui prendrait la suite d’Emmanuel Macron, si ce dernier devait être “dégagé”, c’est attendre Godot ou l’Arlésienne.
En Suisse, autre pays, autres moeurs. Le régime des initiatives populaires et des référendums permet une consultation régulière de la population, ce qui donne une relative moindre importance aux représentants élus. Par ailleurs, le système politique de ce pays fortement décentralisé désamorce toute attaque frontale contre «le pouvoir» incarné en France par une «élite parisienne». Enfin, la structure du Conseil fédéral qui rassemble différentes tendances (bien que la droite soit généralement majoritaire) donne l’image d’un pays à l’écoute de sa diversité. Même si la réalité est moins glorieuse qu’il n’y paraît, eu égard à l’influence déterminante de lobbies économiques très puissants.
Séparation de l’Autorité et du Pouvoir
Rien de tel en France (hormis pour les lobbies!). Pourtant, ce pays pourrait faire l’expérience d’un autre système de gouvernance qui implique notamment la séparation de l’Autorité et du Pouvoir. L’Autorité appartient à quiconque enseigne quelque chose de bon et personne ne peut l’en déposséder. Un médecin fait par exemple «autorité» en matière de médecine et sa compétence ne peut être déléguée à une personne qui n’a aucune connaissance médicale. Le pouvoir au contraire doit être délégué par une personne ou un groupe ayant autorité et on peut le retirer. Ce système s’appelle la synarchie. Il a été analysé en profondeur par Saint-Yves d’Alveydre, à la fin du 19ème siècle.
Il y a quelque 40 ans, j’ai rencontré à Paris le polytechnicien Jacques Weiss (aujourd’hui décédé) qui a synthétisé les oeuvres de Saint-Yves d’Alveydre dans un livre aujourd’hui épuisé (La Synarchie, Robert Laffont). J’ai aussi abordé ce thème avec Michel Jobert, fondateur du Mouvement des démocrates auquel j’ai appartenu. L’ex-ministre français des affaires étrangères trouvait l’idée intéressante mais bien difficile à réaliser!
Convocation régulière des États généraux
La synarchie suppose une convocation régulière des États généraux, comme ceux qui se sont déroulés en France du 14ème au 16ème siècle. Le peuple écrivait ses doléances dans des cahiers, revendications purement sociales et exprimées par profession avant d’être synthétisées dans les trois ordres d’alors, le clergé (qui serait aujourd’hui l’enseignement), la noblesse (la justice et la police) et le tiers état (l’économie). Selon Saint-Yves d’Alveydre, en négligeant de convoquer les États généraux, les rois de France auraient dès le 16ème siècle contribué à alimenter la Révolution. A l’anarchie d’en haut (gouvernement sans principe) aurait suivi l’anarchie d’en bas.
Il serait bien sûr absurde de reproduire au 21ème siècle la synarchie telle qu’elle a fonctionné dans le passé en France. Mais, à la faveur du développement du Web et des réseaux sociaux, permettre aux citoyens de se consulter eux-mêmes sur leurs propres besoins et souhaits serait une piste sérieuse à explorer. Par le biais notamment de nouveaux États généraux. Certes, la synarchie vue par Saint-Yves d’Alveydre (qui n’a rien à voir avec des mouvements contemporains occultes qui l’ont travestie) pourrait entraîner un regain de corporatisme. C’est en effet un risque à ne pas négliger. Mais un tel risque pourrait être surmonté si l’on associait aux thèmes traités par des personnes compétentes dans leur domaine professionnel des citoyens particulièrement motivés.
Fin de la politique spectacle ?
Assurément, la synarchie signerait la fin de la politique spectacle, des promesses non tenues car intenables et des postures électoralistes à court terme. D’où, sans doute, le manque d’intérêt qu’elle pourrait susciter auprès de nos pseudo «élites»! Mais le temps est peut-être venu de s’y intéresser. Avant qu’il ne soit trop tard et qu’une vilaine forme de dictature, de droite ou de gauche, ne nous fasse regretter le temps où les gilets jaunes pouvaient encore donner de la voix…