L’humour, grenade offensive de la résistance

Dans ces temps troublés, l’humour commence – comme dans toute tragédie – à poindre comme une perce-neige sous le tapis de tristesse. Et le seul Tribunal que l’on a envie d’entendre ces jours-ci est celui des flagrants délires, cher à Pierre Desproges et dont l’irrésistible phrase amorce était, rappelons le, “Françaises, Français, Belges, Belges”.

L’humour, donc, reprend des forces et se ragaillardit, notamment nourri des réponses improbables fournies par le présumé logeur de la cellule terroriste de Saint-Denis. Un certain Jawad, que l’on a vu faire mine de s’étonner – en direct sur BFM TV – du fait que son appartement se soit transformé en véritable camp retranché pour jihadistes en dèche de matelas pour la nuit. Il est vrai que les réponses de l’individu portaient, avant même tout détournement, une indéniable charge comique.

DCapture d’écran 2015-11-20 à 10.07.00‘un ton excessivement poli et mièvre et avec une risible conviction de façade, il indiquait être parfaitement étranger à tout ce charivari: “On m’a demandé de rendre service, j’ai rendu service, je n’étais pas au courant que c’étaient des terroristes”. Quelques poignées de secondes plus tard, il se faisait embarquer manu militari par les gros bras de la police, toujours sous l’oeil des caméras.

Il n’en fallait pas davantage pour que le réseau multiplie les parodies, provoquant l’hilarité. Parmi les perles, citons les phrases apocryphes suivantes: “Quand ils m’ont parlé de la Syrie, je croyais que c’était le mec dans l’iPhone”, “Quand ils ont dit qu’ils allaient ouvrir le feu, je pensais qu’ils allaient utiliser la cuisinière pour faire des pâtes” ou encore “Effectivement, j’ai entendu le mot grenade mais j’ai d’abord pensé à ce délicieux fruit exotique”.

Du rire aux larmes

A la lecture de la presse francophone, l’hilarité fait parfois place à une certaine sidération: les services de renseignements belges ne comprendraient pas de locuteurs arabophones en leur sein, ou presque. Pour un pays qui connaît des difficultés notoires de radicalisation, il y a effectivement de quoi hésiter entre le rire et les larmes. De quoi aussi souffler, un peu tragiquement, sur la braise des blagues belges.

Mais le dernier mot de ce billet, plus grinçant, plus embarrassant, reviendra là encore à Pierre Desproges, pour une citation cette fois tristement prophétique, extraite du “Manuel de savoir vivre à l’usage des rustres et des malpolis” publié au Editions du Seuil en 1981:

«Ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne guerre!
Nombreux sont autour de nous les gens qui lâchent cette petite phrase en soupirant. Mais l’instant d’après, ils retournent vaquer à leur petite vie mesquine et n’y pensent plus. Or, si nous voulons vraiment la guerre il ne suffit pas de l’appeler de nos vœux en levant les yeux aux ciel d’un air impuissant.
Ne rêvons pas : la Troisième guerre mondiale n’aura pas lieu ces jours-ci. Alors, pourquoi n’organiserions-nous pas une guerre FRANCAISE, dans laquelle les forces en présence seraient toutes françaises? Et puisque la haine est le moteur de la guerre, apprenons à nous haïr entre nous. Ah ! certes, il est plus facile de haïr les Arabes ou les Anglais dont les mœurs incroyablement primitives ont de quoi révulser.
Mais chaque région de notre pays a ses rites et coutumes qui ne sont pas les mêmes que ceux de la région d’à côté. Ainsi, pour bien, nous haïr entre Français, nous devons tenter d’oublier ce qui nous unit, et mettre l’accent sur ce qui nous sépare.»

#DELTACHARLIEDELTA

Que dire ? Les mots, naturellement, manquent, malgré la surabondance des récits, des bilans provisoires, des analyses savantes distillées par des experts de tous bords, des voisins-bien-sous-tous-rapports placés en garde à vue par des hommes robots ployant sous le kevlar noir, des fleurs fanées par le chagrin des proches et de ceux qui veulent l’être et, enfin, de l’inextinguible union nationale, dernier tigre de papier face à la barbarie inconnue, dernière pensée magique pour adultes désemparés.

Au fil de ces derniers jours, l’observation des réseaux a livré des récits tantôt glaçants, tantôt réconfortants, toujours troublants. Elle a également révélé un véritable changement de paradigme.

Lors des attentats de janvier dernier, la technologie avait été blâmée, souvent à raison. La couverture et la diffusion en continu d’informations précises et sans cesse remises à jour avaient en effet nourri les critiques, notamment du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui estimait que les médias avaient parasité certaines actions policières, lesquelles requéraient par essence un certain effet de surprise. Dans certains cas, ce direct poussé à son paroxysme avait même pu mettre des vies humaines en danger.

Chacun ayant appris de ses erreurs, les chaines de télévision ont, cette fois-ci, fait preuve d’une extrême prudence dans leurs comptes-rendus en direct pour ne pas entraver les actions du Raid et du GIGN; ainsi, l’assaut du Bataclan n’a-t-il pas été diffusé en direct par les chaînes, et ce à la demande expresse des autorités de police.

Mais il y a plus. Les réseaux, et en particulier Twitter, ont endossé tout à tour le rôle de sentinelle, en relayant des appels au secours et les consignes de la préfecture de police de Paris, de main tendue, en permettant aux parisiens d’offrir spontanément des refuges temporaires (près d’un million de tweets #PortesOuvertes ont ainsi été recensés), de bouteilles à la mer pour tenter de localiser des proches (#rechercheParis) et, depuis que certaines âmes se sont envolées, de lieu de souvenir (#PriezPourParis).

De son côté, Facebook a mis en œuvre un dispositif permettant aux membres localisés à Paris de confirmer via un bouton ad hoc qu’ils étaient sains et saufs et de le porter à la connaissance de leurs proches.

Depuis quelques heures, la devise de Paris, Fluctuat Nec Mergitur, envahit le pavé et les réseaux, façon de montrer que, même battue par les flots sanglants et frappée au coeur par le glaive de l’obscurantisme, la Ville Lumière ne sombrera pas.

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