Des poêles…à l’Himalaya

La semaine passée, l’émission Temps Présent à diffusé un reportage sur le scandale de la pollution au téflon dans la région de Parkersburg aux Etats-Unis. Dans les années 80 et 90, l’entreprise DuPont a ainsi déversé quelques 7000 tonnes de substances toxiques dans les eaux de la région, impactant de manière durable la santé des habitants.

Cet exemple dramatique de pollution industrielle concernait un composé utilisé dans le téflon et portant le doux nom d’acide perluorooctanoïque, “PFOA” pour les intimes. Ce composé fait partie de la famille des Polluants Organiques Persistants (POPs) dont je vous ai déjà parlé dans d’autres articles.

Les POPs sont des substances chimiques, souvent inventées entre le début et le milieu du XXème siècle, et utilisées pour leurs propriétés de stabilité. En effet, que ce soit sous l’effet de la chaleur ou du temps, elles gardent cette stabilité.

Et c’est bien là le problème, une fois dans l’environnement, ces composés sont aussi très stables. On estime leur persistance à plusieurs dizaines, voir plusieurs centaines d’années. Autant dire qu’ils nous survivront.

Pourquoi sont-ils persistants? Parce que ce sont des molécules complexes, contenant des éléments toxiques comme le chlore, le brome, ou encore le fluor dans le cas du PFOA. Les bactéries ne sont pas bêtes, et avant de s’attaquer à des molécules qui, d’une part, leur demanderont beaucoup d’énergie à dégrader et qui, d’autre part, pourraient être toxiques, elles vont chercher d’autres sources de nourriture.

Ce qui m’amène à mon deuxième point, ces molécules sont toxiques voir très toxiques. Elles sont souvent cancérigènes et ont des effets sur la reproduction (malformation du foetus, stérilité, etc.). Ainsi le reportage de Temps Présent présente le cas dramatique d’un enfant né avec la moitié du nez et ayant subi de multiples opérations dans son enfance. Sa mère a travaillé dans une usine produisant du téflon (et du PFOA) et il a été exposé à cette substance pendant toute la période in utero.

Enfin, de part leurs caractéristiques physico-chimiques, les POPs ont tendance à s’accumuler dans les graisses et leurs effets peuvent être amplifiés le long de la chaîne alimentaire. C’est le cas bien connu du DDT que j’ai traité dans l’article “Les douze salopards”.

Une partie de ces composés sont donc réglementé au niveau mondial par la Convention de Stockholm (pour la Suisse). Les pays signataires d’engager à ne pas produire, vendre, acheter ou utiliser de tels substances.

En 2009, s’est ajouté à la liste des 12 salopards, l’acide perfluorooctanesulfonique ou PFOS, un cousin du PFOA.

Ces deux substances font partie de la grande famille des perfluorés. Ce sont des substances chimiques dont les atomes de carbones sont saturés en fluor. Parmi la vingtaine de composés perfluorés, le PFOS et le PFOA sont actuellement ceux dont la toxicité est la plus importante. Pour ce qui est connu…

Le PFOS est inclu dans la Convention de Stockholm, donc réglementé, mais pas le PFOA. Cependant des pays comme la Norvège appellent à sa réglementation car sa grande toxicité ne semble plus faire de doutes.

Mais n’est-ce pas un peu tard? En 2015, Greenpeace a ainsi montré qu’on trouvait des composés perfluorés même sur le toit du monde.

Alors quelles sont les sources et que peut-on faire?

On a déjà parlé des poêles en téflon. On peut en trouver sans PFOA, mais se pose alors la question de la substances utilisée à sa place et de sa dangerosité? Sinon il est possible d’utiliser des poêles en fonte par exemple.

Cependant, les poêles ne sont de loin la source principale de composés perfluorés. Ils sont en effet utilisés largement dans les textiles pour leurs effets “repellents”. Vous savez, quand l’eau que vous versez sur votre canapé ne pénètre pas le tissu, mais coule dessus…

Ainsi, dans une autre campagne, Greenpeace a montré en 2013 que ces composés étaient présents dans la majorité des vestes de montagne…celles dont on veut qu’elles résistent à la pluie et à la neige. Par association, on peut se douter qu’on les trouvent aussi dans les vestes et les chaussures résistants à la pluie…que l’on utilise tout l’hiver.

Certes, ces vêtements et textiles high tech sont intéressants. Plus besoin de se préoccuper de prendre un parapluie ou de frotter pour détacher des salissures sur le tapis, le liquide coule sur le tissu et ne l’imprègne pas. Mais ce confort a peut-être un prix que nous ne connaissons pas encore au vu de la toxicité des composés perfluorés.

A mon sens, les composés perflorés devraient être réservés pour des utilisations spécifiques. Par exemple en médecine, il est important d’avoir des habits qui n’absorbent pas les liquides au contact du sang ou des vomissures des malades.

Mais nous n’en avons pas vraiment besoin dans nos habits de tous les jours.

 

Du cuivre à revendre!

En ce début d’année, parlons un peu de la pollution par les métaux, thème que je n’ai pas beaucoup abordé jusqu’à maintenant.

Les problèmes de pollution métalliques et leurs impacts sur l’homme et l’environnement ne sont pas nouveaux. Au Moyen-Âge déjà, les tanneries rejetaient leurs effluents dans les rivières, et notamment du chrome, très toxique pour le vivant. Actuellement, 1.8 millions de personnes dans le monde, et notamment en Inde et au Bangladesh, sont encore impactées par les effluents de tanneries (source: worstpolluted).

L’arsenic est également un problème pour la sécurité d’approvisionnement en eau dans le monde. Plusieurs communes valaisannes sont d’ailleurs concernées, ceci à la suite de la révision de la valeur limite de l’OMS pour l’eau potable. Notons cependant que dans le cas de l’arsenic, il ne s’agit pas d’une pollution environnementale. L’arsenic présent dans l’eau est de source géogène, non liée à des rejets anthropiques.

Mais parlons un peu du cuivre. C’est un métal qui pollue de manière récurrente nos cours d’eau. On connaît la source de pollution agricole, le cuivre étant utilisé dans la vigne pour lutter contre le mildiou. Mais en milieu urbain, on en trouve également beaucoup. Et ceci n’est pas dû au traitement de la vigne.

En 2011, nous avions établi un bilan du cuivre rejeté par la région lausannoise dans la Baie de Vidy. En tout, 1500kg y sont rejetés chaque année, dont quelques 900kg finissent dans les sédiments.

La majorité de ces rejets se font lors des pluies, soit environ 10kg par évènement de pluie.

Mais pourquoi le cuivre est-il emmené par la pluie?

Si on regarde en détail les sources de pollution, on s’aperçoit qu’environ 1000kg/an sont liés au trafic routier. En premier lieu l’usure des lignes aériennes de bus qui entraîne une pollution de 670kg/an. L’usure des freins des voitures contribue quant à elle pour pas moins de 140 kg/an.

Ces particules de cuivre se déposent sur les routes et sont entrainées vers le milieu naturel par les pluies. En effet, en milieu urbain, une grande parties des eaux de route est rejetée directement dans les cours d’eau lors d’évènements pluvieux.

Il existe des solutions pour limiter ces rejets. Le nettoyage des routes en est un. Il permet de récupérer les poussières et d’éviter la pollution des eaux. Un autre système consiste à placer des “chaussettes” filtrantes dans les bouches d’égouts. Assez cher, et demandant un entretien régulier, ce système n’en est pas moins efficace.

Les bateaux contribuent quant à eux pour près de 43kg par an. En effet, les coques sont maintenant recouvertes de cuivre pour éviter le développement d’algues ou de coquillages. Bien moins toxique que les précédents produits “anti-foulings” comme le tributhylétain ou l’irgarol, le cuivre n’en est cependant pas moins également un polluant.

Mais dans la région lausannoise, c’est l’usage du cuivre pour les toitures et les chenaux qui contribue le plus à la pollution de la Baie de Vidy. Pas moins de 840 kg par an sont ainsi entrainés par les eaux de pluie.

Dans la construction, le cuivre est utilisé pour limiter le développement d’algues ou de moisissures sur les toitures ou dans les évacuations d’eau. Comme pour les bateaux, ce métal est utilisé pour son action toxique. Il n’est donc pas surprenant qu’il puisse ensuite être également toxique pour l’environnement.

Comme dans le cas des routes, il existe des solutions pour retenir le cuivre au bas des façades par des matériaux filtrants. Malheureusement, cette pratique n’est que rarement mise en place.

Avec les estimations que nous avons faites, nous pouvons évaluer le pollution des sédiments de la Baie de Vidy à 250 mg/kg en moyenne, ce qui n’est pas loin de la réalité. Or cette valeur se situe en dessus des valeurs d’effets pour les organismes aquatiques. Le cuivre a donc certainement un impact non négligeable sur la biologie de la Baie.

Le cuivre, mais également d’autres métaux comme le zinc, peuvent donc être un problème pour nos écosystèmes en milieu urbain. Comme dans le cas des eaux de routes, des solutions sont cependant possibles pour réduire les charges de ce qui est rejeté dans les eaux. A nous de les mettre en place!

 

Référence:

Chèvre et al. 2011. Substance flow analysis as a tool for urban water management. Water Science and Technology 63: 1341-1348.

La procédure d’homologation des pesticides a-t-elle du sens?

Le journal le Monde titrait aujourd’hui sur les recherches biaisées qui ont permis au pesticide chlorpyriphos d’obtenir son autorisation de mise sur le marché en 1990, citant une étude scientifique parue dans la revue Environmental Health le 16 novembre.

L’occasion de revenir sur la procédure d’homologation des pesticides et ses contradictions.

Depuis le scandale du DDT dans les années 60, les gouvernements occidentaux ont mis en place des législations contraignantes pour la mise sur le marché des pesticides.

J’insiste sur les mots “gouvernements occidentaux“. En effets, de nombreux pays n’ont toujours pas de législations contraignantes et des pesticides interdits depuis longtemps chez nous y sont encore utilisés. C’est le cas du paraquat ou du diafenthurion, qui faisait l’objet d’un reportage de la rts en septembre dernier. Certes, me direz-vous, ils sont épandus bien loin de chez nous. Peut-être, mais ils nous reviennent parfois via la nourriture importée que nous mangeons. Ainsi le riz peut en contenir des traces.

Donc chez nous, la mise sur le marché des pesticides est régulée par un processus d’homologation bien défini. Nous devrions ainsi n’avoir dans le commerce que des substances qui, utilisées correctement, ne présentent de risque ni pour l’homme, ni pour l’environnement.

Malheureusement cette procédure bien rodée comporte des biais.

D’abord, les données de toxicité et d’écotoxicité des substances candidates sont générées par les industriels. Les gouvernements qui reçoivent les demandes n’ont pas les moyens de refaire les tests par eux-mêmes. Il faut savoir que ces tests coûtent plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de francs. Et que les résultats représentent une armoire pleine de classeurs fédéraux. Aucun moyen d’aller vérifier les données avec l’argent public.

Ensuite ces données sont en Suisse confidentielle. Tout scientifique qui voudrait comparer avec ses propres données n’y a pas accès.

Mais le point le plus critique est lié aux méthodologies utilisées pour créer ses données. En effet, les tests sont effectués dans des conditions réglementées, suivant des bonnes pratiques de la laboratoire. L’idée est que ces tests soient reproductibles et puissent être contrôlés (ce qui sur le fond est une bonne idée).

Ces règles sont fixées par des organismes comme l’OECD, ou encore AFNOR pour la France et DIN pour l’Allemagne. Or dans les comités qui fixent les normes siègent des scientifiques, des représentants de l’administration, mais également des industriels. Ces normes sont donc des consensus qui peuvent prendre en compte des critères économiques par exemple. Les tests doivent être courts pour ne pas coûter trop chers.

L’exemple récent des néonicotinoïdes et de leurs effets sur les abeilles, et maintenant la dénonciation des effets neurologiques du chlopyriphos sur les rats montrent bien les limites du système: les tests actuellement effectués  pour l’homologation ne sont pas forcément adéquats pour protéger notre santé et notre environnement.

Alors quelles sont les solutions possibles?

Pour ma part, j’en vois en tout cas deux.

Premièrement, que les données des dossiers d’homologation soient accessibles au public et puissent donc être questionnées. C’est ce qui semble avoir été fait dans le cas du chlorpyriphos puisque les scientifiques ont ré-interprété des données différemment en utilisant d’autres statistiques.

Deuxièmement, que les normes de tests puissent être adaptées en fonction des problèmes actuels. De nombreux tests datent des années 70 et considèrent des effets sévères d’une seule substance sur de courtes périodes. Or les problèmes actuels sont liés à une exposition sur le long terme à un mélange de substances chimiques.

La procédure d’homologation, avant la mise sur le marché d’une substance, est un garde fou extrêmement important. Elle doit donc être crédible et scientifiquement fondée. Nous avons tous à y gagner.

 

Glyphosate ou pas glyphosate? Est-ce vraiment la question?

Depuis maintenant plusieurs années, le glyphosate déchaîne les passions. On ne compte plus le nombre de manifestations pour son interdiction.

Le journal le Monde publiait d’ailleurs le 19 octobre un article sur les députés de la République en Marche, en France, insultés par des citoyens pour avoir voté contre l’interdiction du glyphosate.

Le glyphosate est la molécule herbicide la plus utilisée en Suisse et en Europe. Dès que les méthodes pour la rechercher dans l’environnement ont été au point, on l’a trouvée partout, du milieu aquatique à l’alimentation en passant par les serviettes hygiéniques.

Depuis 2015, le débat fait rage autour de ces potentiels effets cancérigènes. Le Centre International de Recherche sur le cancer, organe de l’OMS, l’a classé comme cancérigène probable. Mais les études peinent à faire un lien entre cette molécule et un risque de développement de cancer.

On est tous d’accord. Une molécule présentant un risque pour la santé et/ou pour l’environnement devrait être retirée du marché.

Cependant, est-ce que seul le glyphosate doit être mis sur la sellette? Est-ce que son interdiction rendrait notre monde plus sain et plus sûr? Je suis loin d’en être convaincue.

Au contraire, focaliser le débat sur le glyphosate, c’est oublier les quelques 399 autres substances pesticides autorisées en Suisse.

Le glyphosate est peut-être cancérigène? Certes. Mais si ce danger a pu être mis en évidence, c’est que cette substance a été beaucoup étudiée. Alors quand est-il des autres pesticides? Avec le même nombre d’études scientifiques à la clé, ne découvrirait-on pas également des effets délétères graves pour l’être humain et l’environnement?

Ainsi l’atrazine, substance longtemps utilisée dans les champs de maïs en Suisse, a été mise en cause dans la féminisation des amphibiens aux Etats-Unis au début des années 2000. Comme dans le cas du glyphosate, les potentiels effets endocriniens de l’atrazine ont fait l’objet d’un débat très musclé au sein de la communauté scientifique et de l’industrie.

Cette substance est interdite en Suisse depuis 2010 (souvent remplacée par le glyphosate…). Mais ses cousins de la même famille, comme la terbuthylazine, encore utilisés, n’ont pas été étudiés pour des effets autres qu’herbicides. Aurons-nous alors les mêmes débats lorsqu’un(e) chercheur(se) se sera penché sur la question?

Une étude parue le 22 octobre dans le journal JAMA International Medicine fait un constat fondamental pour moi. Après avoir étudié près de 70’000 personnes pendant 7 ans, ils concluent que les personnes mangeant très régulièrement des produits bio (qu’on suppose contenir peu ou pas de pesticides) avaient moins de risque de développer un cancer. Ce résultat est particulièrement pertinent car les auteurs ont tenu compte d’autres facteurs (activité sportive, fumée, etc.) qui pourraient jouer un rôle dans le développement de cancer.

Il semble donc que c’est notre exposition à un mélange de pesticides qui pose problème, et non au glyphosate seul!

Arrivé à ce stade de mon article, vous pourriez penser que je suis contre l’interdiction du glyphosate. Ce n’est pas mon propos. Comme déjà mentionné, si une substance est dangereuse pour la santé ou pour l’environnement, elle doit être retirée du marché.

MAIS

Il ne faudrait pas réduire la question de la toxicité des pesticides au seul glyphosate. Il est nécessaire de réduire notre exposition à l’ensemble de ces substances (et même à l’ensemble des substances chimiques!). Les pesticides polluent l’environnement et notre corps via leur utilisation agricole, mais également via les autres usages que j’ai détaillé dans d’autres posts (peinture, bois, colliers anti-puces et autres anti-insectes, etc…).

Le monde agricole a pris conscience de ce problème et s’y attaque. Ainsi le canton du Valais vient d’annoncer un plan pour réduire de moitié l’utilisation de pesticides. Les autres cantons s’y attellent aussi. De nombreux agriculteurs cherchent par eux-mêmes des solutions.

Mais que font les autres secteurs qui emploient des pesticides, tel le secteur de la construction? A ma connaissance pas grand chose.

ET SURTOUT

L’histoire nous montre que l’interdiction d’une substance entraîne sa substitution immédiate (voir post sur les substances ignifuges). Aux Etats-Unis, c’est le dicamba qui a remplacé le glyphosate sur les plantes devenues résistantes à ce dernier. Or le dicamba fait des ravages sur les cultures avoisinantes des champs traités. Et à priori il n’est pas moins toxique que le glyphosate. Il y a juste moins d’études sur les effets sur la santé.

La polémique sur le glyphosate a le mérite d’avoir fait prendre conscience au public des effets sur la santé (et sur l’environnement) des substances pesticides.

Ces substances ont été développées pour tuer! Tuer des ravageurs certes, mais elles sont de fait très toxiques! Et leurs effets ne se limite malheureusement pas aux seuls organismes contre lesquelles elles sont sensées lutter (comme le prétendait la pub pour le glyphosate des années 90). Nous baignons dans ce que que nous utilisons.

Cette polémique a également le mérite d’avoir mis en évidence le pouvoir des multinationales de la chimie et l’importance des lobbys. Ce n’est pas rien.

Mais au-delà de l’interdiction du glyphosate, il est urgent de repenser notre utilisation massive de substances chimiques au quotidien. Certaines applications ont leur utilité, beaucoup n’en ont pas. Il temps de faire le tri!

 

Référence:

Baudry et al. 2018. Association of Frequency of Organic Food Consumption
With Cancer Risk. Findings From the NutriNet-Santé Prospective Cohort Study. JAMA International Medicine.

Sass and Colangelo, 2006. European Union Bans Atrazine, While the
United States Negotiates Continued Use. International Journal of  Occupational Environmental Health 12: 260–267.

Traitement du bois et pesticides

Dans mon dernier article, je vous parlais de notre découverte, un peu par hasard, de l’usage des pesticides dans les peintures pour bâtiments.

A la suite de ces études, nous nous sommes penchés sur d’autres matériaux de construction. L’un d’entre eux nous semblait évident…le bois.

Pour ne pas pourrir trop vite, le bois doit être protégé contre les champignons et les insectes. La plupart des traitements sont à base de pesticides utilisés comme biocides (insecticides, fongicides, algicides, etc. voir article précédent). Le bois peut être imprégné avec ces produits ou il peut être peint. L’imprégnation se fait en général en scierie. Il y a deux procédés possibles: (1) le procédé en autoclave qui permet de protéger le bois jusqu’au centre de la pièce et (2) le procédé par trempage qui ne protège le bois que sur les premières couches. L’application externe, en revanche, se fait généralement avant la pose ou lorsque la pièce est en place.

Comme dans le cas des peintures, les substances utilisées peuvent être lessivées par les pluies et finir dans les lacs et les cours d’eau.

En 2008, nous avions essayé d’évaluer quelles étaient les pesticides les plus couramment utilisés pour protéger le bois, et quel pouvait être leur impact sur l’environnement. En effet, comme je l’avais également déjà mentionné dans plusieurs articles, il n’existe pas de liste des substances chimiques utilisées pour les différents usages. La démarche consiste donc à répertorier tout ce qui pourrait être potentiellement utilisé.

Nous nous sommes basés sur un “répertoire des produits utilisés pour le traitement du bois”, répertoire publié par l’Office fédérale de l’environnement en 2008. Cette liste contenait 308 produits homologués (qui peuvent être mis sur le marché) et nous avons relevé 51 substances actives.

Parmi elles, 9 substances organiques de synthèse ont une toxicité très élevée. Il s’agit principalement de fongicides comme le propiconazole ou le carbendazime, ou encore d’insecticides neurotoxiques comme la permethrine.

Des molécules inorganiques comme le chrome ou plus communément le cuivres sont également inclues dans la liste. C’est d’ailleurs le cuivre qui colore en vert certaines pièces de bois que l’on peut acheter dans le commerce.

Tout cela reste cependant très théorique. Ce sont des substances que l’on retrouve dans des produits pour traiter de le bois, mais nous n’avons aucune idée lesquelles sont réellement utilisées et dans quelle quantité.

Cependant, il faut savoir que les fongicides et les insecticides cités ci-dessus sont régulièrement détectés dans les eaux de surface. Bien sûr, difficile de déterminer quelle est la part due à l’agriculture et celle due au traitement du bois.

Toutefois, de manière intéressante, les fongicides propiconazole et carbendazime sont régulièrement mesurés dans les eaux des stations d’épuration. Ils ont donc une source urbaine qui pourrait, en partie, être liée au traitement du bois.

En 2008, un étudiant de l’Université de Franche-Comté s’était penché sur les effets des substances utilisées pour le traitement du bois (fongicides et insecticides) en aval d’une scierie. Il avait montré que non seulement ces substances se retrouvaient dans l’eau de la rivière proche de la scierie, mais qu’on les détectait aussi dans les sédiments sur au moins 2km en aval. L’entrainement se faisait principalement lors des pluies. Il a également montré que ces substances, en particulier les insecticides, avaient un impact non négligeable sur les communautés d’invertébrés vivant dans ce milieu.

Que conclure de tout cela?

Ces exemples montrent que les sources de pesticides sont beaucoup plus variées que ce que l’on peut imaginer au premier abord. Et les sources non agricoles semblent bien contribuer de manière significative à la pollution des eaux, ceci au moins localement. Malheureusement, il n’existe pas de liste des différents usages pour ces substances chimiques. Et sans cela, nous continuerons de trouver, un peu par hasard, des sources inattendues.

 

Références:

Kleijer A, Chèvre N, Burkhardt M. 2008. Biocides et protection du bois. Liste des substances chimiques à surveiller. gwa 12: 965-973.

Adam O. 2008. Impact des produits de traitement du bois sur les amphipodes Gammarus pulex (L.) et Gammarus fossarum (K.) : approches chimique, hydro-écologique et écotoxicologique. Thèse de doctorat. Université de Franche-Comté.

 

 

 

Des pesticides dans les peintures

On associe volontiers les pesticides à l’agriculture. Or ceux-ci ne sont pas uniquement utilisés pour protéger les cultures.

C’est une découverte que nous avons fait au début des années 2000, un peu par hasard.  A cette époque, je travaillais à Zürich, à l’Eawag. Les méthodes analytiques avaient fait de grandes avancées et nous étions capables de détecter plusieurs pesticides en même temps à des concentrations très faibles.

Nos collègues ingénieurs cherchaient à évaluer la pollution due aux eaux de ruissellement. Ces eaux qui “lavent” les routes finissent dans beaucoup d’endroits directement dans les cours d’eau. Or on savait qu’elles contenaient beaucoup de métaux (dépôts lié à l’usure des voitures et des bus) et de ce fait contaminaient les sédiments des rivières de manière importante.

Un peu par hasard, nos collègues nous ont demandé de mesuré des pesticides dans ces eaux de ruissellement. On s’attendait à ne rien trouver puisque ces eaux ne provenaient pas de régions agricoles.

Mais Oh surprise, les concentrations en certains pesticides, tel le diuron (un herbicide utilisé dans la vigne), étaient tout aussi élevées que dans les régions agricoles. Plus étonnant, on trouvait des pesticides non autorisés en agriculture comme la terbutryne.

Ceci méritait quelques investigations.

D’abord, on s’est rendu compte que la plupart des pesticides détectés étaient des herbicides qui inhibaient la photosynthèse, soit des substances sensées lutter contre le développement de plantes ou autres producteurs primaires. Ensuite, ces pesticides étaient principalement détectés dans les eaux de ruissellement, mais peu dans les eaux usées. C’était donc bien la pluie qui les amenaient avec elle.

De fil en aiguille, on en est venus à s’intéresser aux peintures de façades des bâtiments.

En effet, si vous regarder un mur qui a déjà quelques années, vous verrez qu’il se couvre d’une couche noire/verte par endroits. Ce sont des algues et des champignons. Aucun danger pour la structure du bâtiment, mais ce n’est pas très esthétique. On ajoute donc à la peinture des algicides (appelés aussi herbicides dans d’autres cas car ils agissent sur les producteurs primaires) pour lutter contre cette mousse verte.

Mais pourquoi retrouve-t-on ces substances dans les eaux?

Pour deux raisons principales:

– Pour que la substance exerce sa toxicité contre les algues, il faut qu’elle soit dissoute. Elle se dissout donc dans l’eau de pluie, et est entrainée par elle. De ce fait, l’action toxique diminue avec l’âge de la peinture car elle perd au fur et à mesure le pesticide.

– De plus, personne ne s’est jamais posé la question de la dose utile. On ajoute donc ce pesticide dans la peinture à XX% (je ne sais pas quel est ce pourcentage car il n’est pas déclaré sur l’étiquette) au petit bonheur la chance.

En 2009, une étude menée par un collègue de la HES de Rapperswil montraient que les concentrations dans les eaux ruisselant le long de nouveaux bâtiments étaient si élevées qu’elles devraient être diluées 10’000x à 100’000x pour respecter la valeur limite de 0.1 μg/l dans les eaux de surface.

A titre d’exemple, les eaux de ruissellement à la base d’un bâtiment de 10 mètres de haut, sans toiture, et âgé de 8 mois, contenaient des concentrations en terbutryne (algicide) sur les façades sud-ouest et nord-ouest entre 100 et 800 μg/l. Par événement de pluie, les quantités émises sont en moyenne de 600 μg pour la façade sud-ouest et de 1300 μg pour la façade nord-ouest, ceci par mètre courant.

Mais est-ce légal d’ajouter des pesticides dans les peintures de bâtiments?

Oui ça l’est. Il faut savoir que le terme “pesticide” n’existe plus pour la Loi. On distingue ainsi les substances phytosanitaires (ou phytopharmaceutiques…) utilisées en agriculture, des biocides, soit des substances permettant la conservation du produit. Cependant, cela peut être exactement les mêmes substances chimiques. Elles suivent juste des chemins différents pour être autorisées sur la marché Suisse. Les substances phytosanitaires tombent sous le coup de l’Ordonnance sur les produits phytosanitaires et sous l’égide de l’Office Fédérale de l’Agriculture, alors que les biocides sont sous le coup de l’Ordonnance sur les produits biocides et sous l’égide de l’Office Fédérale de l’Environnement.

Ainsi le cas de la terbutryne est intéressant. Elle n’est pas autorisée en agriculture. Je suspecte que c’est parce qu’elle est particulièrement toxique. En effet, appartenant à la même famille que l’atrazine (les triazines), elle est 10x plus toxique que cette dernière. La loi sur les produits biocides étant inexistante avant 2005 et moins stricte que celle sur les produits phytosanitaires après 2005, elle peut donc être inclue dans les peintures.

Le cas du mécoprop, un anti-racinaire incorporé dans les revêtements bituminueux est encore plus emblématique du grand flou qui régit la mise sur le marché des substances chimiques. Il est déclaré comme additif, et peut donc être utilisé sans souci et sans passer ni par l’Ordonnance sur les produits phytosanitaires, ni par celle sur les produits biocides.

Dix ans après ces études, des herbicides sont toujours utilisés dans les peintures de façade et on les détecte toujours dans les eaux de ruissellement.

Pourtant des alternatives existent. Par exemple, des chercheurs ont mis au point des revêtements poreux qui évitent la stagnation de l’eau sur les façades et donc le développement d’algues.

Autre solution, revenir à des bâtiments avec des avants-toits. Ceci évite le ruissellement de la pluie sur les façades et donc le lessivage des pesticides vers les cours d’eau.

 

Références:

Burkhardt M, Zuleeg S, Marti T, Boller M, Vonbank R, Brunner S, Simmler H, Carmeliet J, Chèvre N. 2009. Biocides dans les eaux de façades. Solutions à trouver. ARPEA 241: 13-16.

Vous reprendrez bien un peu de cet effet cocktail?

Récemment, plusieurs articles ont été publié sur l’effet cocktail. En juin 2018 notamment, des chercheurs de l’INRA et de l’INSERM en France ont mis en évidence les effets d’un cocktail de pesticides sur les souris. Ils ont exposé des mâles et des femelles à un mélange de 6 substances communément utilisées dans l’agriculture pendant environ une année. Pour chaque pesticide, la dose d’exposition correspondait à la dose journalière admissible pour l’homme. A la fin de l’expérience, ils ont observé que les mâles prenaient du poids et devenaient diabétiques. Les femelles semblaient mieux protégées, mais développaient d’autres symptômes.

La dose journalière admissible pour l’homme est calculée sur la base de tests effectués sur les souris et les rats. La concentration sans effets observés lors des tests est divisée par un facteur de sécurité compris entre 10 et 1000. Cette dose devrait donc est sûre…

…oui peut-être, mais pour une seule substance et pas pour un mélange ou “cocktail”.

Qu’est-ce donc que l’effet cocktail?

A la fin des années 90, un groupe d’écotoxicologues allemands se penche sur les effets combinés de substances chimiques. Ils reprennent un classification publiée dans les années 50 par Plackett et Hewlett, des chercheurs qui ont tenté de caractériser les effets des mélanges sur l’être humain. Les propositions sont restées théoriques, car coûteuses à valider sur des souris, et impossible bien sûr à valider sur l’homme.

Or en écotoxicologie, nous testons des organismes avec des cycles de vie très courts. C’est le cas de la bactérie marine luminescente Vibrio fisheri, qui donne une réponse en 10mn (on mesure la diminution de la luminescence).

Les chercheurs allemands ont donc eu l’idée d’utiliser ces bactéries pour évaluer les effets des cocktails de substances chimiques. Au début des années 2000, ils ont ainsi montré dans le projet européen BEAM que deux modèles permettaient de prédire les effets des mélanges: le modèle d’addition des concentration et le modèle d’indépendance des effets.

En bref, le premier considère que toutes les substances agissent de la même manière (par exemple toutes les substances inhibent la photosynthèse). Dans ce cas, l’effet du cocktail est dû à toutes les concentrations additionnées, pondérées par la toxicité intrinsèque de chaque substance. Le deuxième modèle considère que toutes les substances agissent dans l’organisme de manière différente (inhibition de la photosynthèse et action sur le système nerveux par exemple). L’effet cocktail correspond alors à une addition des effets.

Dans la réalité, les organismes sont exposés à des substances ayant des manières d’agir semblables et dissemblables. Le premier modèle sur-estime donc les effets des mélanges et le deuxième les sous-estime.

Dans un souci de sécurité, les auteurs suggèrent donc d’introduire dans la Loi des valeurs limites basées sur le premier modèle (addition des concentrations).

Or depuis 2003, et malgré les nombreuses publications allant dans le même sens, aucune modification de la Loi. Que ce soit pour les denrées alimentaires ou pour l’environnement, les normes sont toujours fixées pour chaque substance individuellement. Aucune prise en compte de l’effet cocktail à l’horizon.

Pourquoi en 15 ans, n’a-t-on donc pas été capable de prendre en compte cet effet de mélange pour protéger notre santé et les espèces de l’environnement?

Je n’ai pas la réponse à cette question.

Cependant, certainement que le facteur économique joue un rôle important. Si on prenait en compte les mélanges, les normes diminueraient drastiquement et un certain nombre de substances disparaîtraient du marché.

La mise en pratique est également délicate. Prenons le cas d’un cours d’eau dans lequel les concentrations des substances prises en mélange sont trop élevées. Lesquelles, dans ce mélange, devront être diminuées, voir supprimées? Cela semble faire le lit de discussions à rallonge.

Mais au-delà de ces aspects, force est de constater que nous-mêmes, scientifiques, sommes bien empruntés pour proposer des valeurs limites concrètes pour les mélanges. Comme je le mentionnais dans un blog récent (un manque criant de données), nous sommes, à l’heure actuelle, en mesure d’évaluer les effets des mélanges pour quelques 50 substances grand maximum (essentiellement des pesticides) et ceci pour quelques espèces seulement.

Or nous sommes entourés par plusieurs centaines de milliers de substances chimiques présentes dans l’air, le sol ou l’eau.

Par précaution, il semble donc important et urgent de diminuer au maximum l’utilisation des substances chimiques, de même que leur rejet dans l’environnement!

Je pense très sincèrement que la chimie à amené certains avantages (notamment en médecine et en agriculture), mais le développement et l’utilisation à tout va de substances chimiques est très préoccupant et mets sérieusement en danger notre futur et celui des écosystèmes.

A titre d’exemple, l’utilisation de déodorants d’air intérieur me laisse toujours perplexe. Ces produits sont allergènes et irritants, mais on les spray même dans la chambre des enfants.

Autre exemple, les bloc-wc servent peut-être à colorer l’eau des toilettes, mais ils envoient dans les eaux de surface des biocides toxiques et des colorants. Est-ce vraiment utile?

Il existe ainsi des dizaines d’exemples de substances qui sont utilisées pour rien ou pour un confort tout relatif, mais qui contribuent de manière non négligeable à la pollution de l’environnement.

Pour ne pas paraître trop pessimiste, l’Office fédérale de l’environnement est en train de plancher sur la prise en compte de l’effet des mélanges pour les pesticides et les médicaments dans les eaux. C’est un premier pas.

 

A noter: on confond souvent l’effet cocktail avec un effet synergique des substances chimiques. Ce n’est pas le cas. L’effet synergique signifie qu’une substance va aider une autre à agir. L’effet conjoint sera donc beaucoup plus important que les effets individuels. C’est ce qui est recherché dans les formulations de pesticides ou dans certaines thérapies médicinales. C’est le cas également du pamplemousse par exemple, qui ne doit pas être consommé en même temps que certains médicaments car il peut en augmenter l’effet. A l’inverse, l’effet antagoniste est la diminution de l’effet d’une substance par une autre.  Dans l’environnement cependant, le nombre de substances chimiques et si important que les effets synergiques et antagonistes sont marginaux. Le modèle d’addition des concentrations suffit pour prédire les effets des mélanges.

 

Références:

Backhaus et al. 2003. The BEAM-project: prediction and assessment of mixture toxicities in the aquatic environment. Continental Shelf Research 23. Pages 1757-1769.

Gregorio V, Chèvre N. 2014. Assessing the risks posed by mixtures of chemicals in freshwater environments. Case study of lake geneva, Switzerland. Wires Water doi: 10.1002/wat2.1018.

Lukowicz C et al. 2018. Metabolic effects of a chronic dietary exposure to a low-dose pesticide cocktail in mice: sexual dismorphism and role of the constitutive androstane receptor. Environmental Health Perspectives.

Plackett and Hewlett. 1952. Quantal responses to mixtures of poisons. Journal of the Royal Statistical Society. Serie B. Volume XIV (2). Pages 143-163.

 

 

 

Les cosmétiques c’est fantastique

Dès l’après-guerre, les pesticides ont commencé à être utilisés à large échelle et ils ont largement contribué à ce que l’on appelle la “révolution verte“. Or ces substances ont été développées pour être toxiques, et après la mise en évidence des effets désastreux du DDT par Rachel Carson dans les années 60, les scientifiques et le public ont commencé à se méfier de l’utilisation des pesticides.

Dès la fin des années 1980, on a ainsi vu apparaître des législations pour réglementer la mise sur le marché des pesticides. En parallèle, les scientifiques ont commencé à chercher ces polluants dans l’environnement et les gouvernements ont mis en place des législations définissant des valeurs limites, notamment dans les eaux.

Ce travail n’était pas simple. Les techniques analytiques pour rechercher les substances chimiques dans l’environnement en étaient à leurs balbutiements et il n’était possible de ne chercher qu’une ou deux substances à la fois, et encore à des concentrations assez élevées.

Dès les années 2000, les outils analytiques se sont perfectionnés rapidement, et il a ainsi été possible à la fois de diminuer les limites de détection, mais aussi de chercher des dizaines de substances à la fois. C’est à cette époque que les scientifiques ont commencé à s’intéresser au médicaments dans l’environnement. On s’est ainsi aperçu que l’on trouvait de nombreux résidus dans les eaux, médicaments issus de la consommation humaine.

Mais pesticides et médicaments ne sont pas les seuls polluants issus de nos activités quotidiennes. Et depuis très récemment, nous avons commencé à nous pencher sur le cas des substances cosmétiques.

Or le défi est de taille: si il existe 400 pesticides et 2000 médicaments sur le marché, il y a plus de 6000 substances cosmétiques utilisées au quotidien. Il est à l’heure actuelle impossible de toutes les chercher, et encore moins d’évaluer leurs effets.

Donc si l’on veut s’intéresser aux cosmétiques, il faut d’abord faire un tri qui permettra de mettre en évidence les substances potentiellement les plus problématiques, ceci afin de les chercher dans l’environnement et notamment dans l’eau.

C’est un travail que nous effectuons en collaboration avec le Service de l’eau de la Ville Lausanne. Dans un premier temps, nous avons décidé de nous focaliser sur les shampoings pour cheveux normaux et les gels douches.

Première étape et non la moindre, il a fallu commencer par répertorier toutes les substances contenues dans ces cosmétiques. Heureusement, la loi suisse oblige les fabricants à mentionner toutes les substances contenues dans le produit. Toutes? Non pas tout-à-fait car les parfums sont mentionnés comme tels et la ou les substance(s) chimique(s) le composant ne sont pas nommée(s).

De manière intéressante, nous avons remarqué que le marché des cosmétiques est assez mouvant. En effet, les compositions changent très rapidement et il arrive que les ingrédients trouvés à une date donnée ne soient plus les mêmes quelques semaines après.

Qu’avons-nous donc appris?

L’essentiel des produits sont constitués à plus de 70% d’eau. L’eau est donc toujours en première position dans la liste des ingrédients. En effet, les composés sont donnés par ordre décroissant en terme de quantité, sauf pour les composés en dessous de 1% qui sont mélangés.

Gel douches et shampoings sont ensuite constitués de tensioactifs et de co-tensioactifs représentant jusqu’à 20% du produit. Environ 5% sont des adjuvants, soit des substances ajoutées à un produit pour améliorer ses propriétés, ainsi que des gélifiants.

Finalement, les ingrédients qui servent de support à la publicité pour le produit (odeur, par exemple abricot, et principes actifs, par exemple aloe vera), de même que les colorants et les conservateurs ne constituent que 0,5 à 3% du contenu.

Pas de grandes différences donc entre les différents gels douches, ou shampoings pour cheveux normaux. La base est la même et seuls quelques pourcents font la différence. Notons que c’est sur cette base (publicitaire) de que nous choisissons nos produits !

Après l’analyse de 252 gels douches et 52 shampoings, nous avons établi une liste de quelques 250 substances chimiques à étudier.

Ces substances ont été passées au crible des données connues de toxicité et d’écotoxicité et une liste prioritaire de 31 composés a été établie. Elle contient quelques tensio-actifs, mais surtout des adjuvants, des parfums et des conservateurs. Certains sont déjà connus comme le méthyl-paraben ou le phénoxyethanol.

Le Service de l’eau de la Ville de Lausanne est en train de développer des méthodes d’analyse pour chercher ces substances et d’ici quelques temps, nous devrions pouvoir savoir si on les trouve dans les eaux. Il faudra alors évaluer si elles présentent un risque important pour les écosystèmes aquatiques.

Référence:

Copin et al. 2018. Etude des gels douches et des shampoings. Que cache la liste des ingrédients des produits cosmétiques? Aqua & Gas no 6.

 

 

Des médicaments et des hommes

Au XXème siècle, la médecine a fait un bon en avant spectaculaire avec l’arrivée sur le marché de médicaments permettant de soigner de petits maux, mais également de sauver des vies. Antibiotiques, agents chimiothérapeutiques, substances agissant sur le système cardio-vasculaire, toutes ces molécules chimiques permettent de prolonger la vie, et leur utilisation ne saurait être remise en question.

Mais que se passe-t-il lorsque l’on ingère un médicament? Celui-ci va bien sûr avoir une action sur le symptôme que l’on souhaite traiter. Mais le corps va aussi se défendre contre cette substance étrangère et donc chercher à l’éliminer. Elle va ainsi être transformée, souvent pour la rendre plus soluble, et donc pouvoir être éliminée par les urines. Par exemple, un groupement polaire (soluble) peut être accolé à la substance (le paracétamol est éliminé par cette voie). Le foie, l’organe de détoxification de l’organisme, de même que les reins, sont ainsi en première ligne dans le mise en place de cette défense.

Les médicaments ingérés se retrouvent donc dans les urines, puis dans les toilettes, et vont suivre, avec les eaux usées, le long trajet jusqu’à la station d’épuration. Or les stations d’épuration ont été prévues pour éliminer le phosphore et l’azote, ainsi que la matière organique contenus dans nos déjections. Mais pas les substances chimiques de synthèse qui passent aisément les filtres physiques et biologiques. Pire, les bactéries des stations d’épuration peuvent casser la liaison avec les groupements polaires construits par le corps. On mesure ainsi une plus haute concentration de médicaments en sortie de station d’épuration qu’en entrée.

Les médicaments se retrouvent donc dans les milieux aquatiques, et ceci depuis maintenant des dizaines d’années. A l’échelle d’une ville, cela représente plusieurs kilos par jour qui sont ainsi rejetés dans le milieu naturel. Or même si elles se dégradent dans l’environnement, ces substances sont émises continuellement. On les appelle “pseudo-persistantes” car on les détecte de manière permanente dans les eaux. La vie aquatique y est donc continuellement exposée.

De manière générale, c’est la consommation humaine de médicaments qui représente la plus importante source de pollution des eaux. Mais pour certaines substances spécifiques, l’industrie contribue également, de même que l’agriculture via l’utilisation de médicaments vétérinaires.

Si la pollution des eaux par les médicaments est essentiellement liée à leur consommation, la mauvaise gestion des déchets y contribue également. Par exemple lorsque des restes de médicaments sont jetés dans les toilettes. Ramener ses médicaments périmés à la pharmacie ou à la déchetterie aide à diminuer leur entrée dans les systèmes aquatiques.

Il faut aussi souligner que contrairement à une idée reçue, les hôpitaux ne sont pas des sources très importantes de médicaments dans les eaux usées. A part pour certaines substances spécifiques, ils ne contribuent qu’à hauteur de maximum 5% à la pollution. Ceci s’explique par le fait que la plupart des traitements sont faits en ambulatoires. Les patients prennent donc les médicaments à l’hôpital, mais les excrètent à la maison.

Qu’en est-il donc de concentrations dans les eaux et des effets sur la faune et la flore?

Force est de constater que pour l’instant, on ne sait pas grand chose.

Sur les 2000 substances médicamenteuses existant sur le marché, on est capable d’en chercher une cinquantaine. Soit à peine 3%. On mesure donc actuellement la pointe de l’iceberg. On trouve des concentrations assez élevées proches des rejets des stations d’épuration, et celles-ci diminuent par dilution, voir par dégradation, lorsque l’on s’éloigne du point de rejet.

Et quels en sont les effets sur la vie aquatique me demanderez-vous?

Là encore, nous avons très peu de données et très peu de recul. Certainement que les effets se verront sur le long-terme, et qu’ils seront plutôt dus au cocktail de substances présentes, plutôt qu’à l’une d’entre elles en particulier.

Face à toutes ces interrogations et ces doutes, la Suisse a décidé de miser sur une meilleure élimination de ces substances en bout de tuyau, dans la station d’épuration, avant leur rejet dans l’environnement. Les techniques mises en place, soit une filtration avec du charbon actif, soit un dégradation par l’ozone, permettront de diminuer les rejets de médicaments dans les eaux.

Reste qu’il ne s’agit pas de solutions permettant une élimination complète des rejets médicamenteux. En effet, par temps de pluie, une partie des eaux usées sont rejetées directement dans le milieu naturel. De plus, certaines substances ne seront que peu éliminées par les techniques qui seront mises en place dans les stations d’épuration.

A mon sens, il convient donc de réfléchir également à la source, c’est-à-dire sur la consommation de médicaments. Et je pense que que le monde médical a un rôle clé à jouer ici. D’abord pour rappeler aux patients le bon usage des médicaments (ne pas les jeter dans les toilettes). Mais également pour sensibiliser le patient à l’impact sur le milieu naturel. Beaucoup de gens ont ainsi été effrayés par les traces de médicaments que l’on trouve dans l’eau potable en Suisse. Or ces traces proviennent avant tout des médicaments que nous consommons.

Photo de notre société, les eaux usées montrent que nous consommons énormément de médicaments contre les douleurs (anti-inflammatoires notamment) mais également d’anti-dépresseurs, de somnifères, d’anti-cholestérol, etc…

Une meilleure hygiène de vie et une consommation plus raisonnée de médicaments pourraient à long-terme préserver l’environnement, nos ressources en eau potable, mais certainement également notre santé.

 

 

 

 

 

 

 

Merci à John Steinbeck pour la libre interprétation de son titre “Des souris et des hommes”

Les 12 salopards

Le 22 mai 2001, 127 pays votent le texte de la Convention de Stockholm, issu du programme pour l’environnement des Nations Unies. Ce texte bannit 12 substances de la surface de la planète : les douze salopards. Il s’agit essentiellement de pesticides organochlorés, comme le DDT, mais aussi de produits industriels comme les PCBs ou encore d’impuretés comme la dioxine. La convention entrera en vigueur en mai 2004.

40 ans ! il a fallu plus de 40 ans pour que le monde prenne des mesures contre ces substances dont les effets ont été observés dès les années 60.

En effet, en 1962, « Silent spring », Printemps silencieux, fait grand bruit aux Etats-Unis. Rachel Carson, biologiste de formation, y dénonce les effets d’un insecticide le DDT. Cette molécule est utilisée à très large échelle depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Au Texas pour lutter contre les fourmis de feu qui remontent depuis le Mexique, au Nevada contre les sauterelles, ou encore quotidiennement contre les moustiques dans les maisons. Des images d’archives montrent même des enfants que l’on shampooing avec du DDT contre les poux.

Les conséquences sur la faune ne se font pas attendre. L’exemple du lac Clear en Californie est édifiant. Ce petit lac situé à 100km au nord de San Francisco est très prisé des pêcheurs. Malheureusement, il est aussi envahi par des moucherons dont les piqûres sont particulièrement désagréables. Une première application de DDD (un cousin du DDT) reste sans effet contre le moustique. Il est alors appliqué une deuxième fois avec une dose de 50mg/l, ce qui est très élevé. L’application est répétée une troisième fois. Rapidement, on retrouve une quantité d’oiseaux morts au bord du lac. Les concentrations de DDD dans les chaires de ces oiseaux atteignent 1600 mg/kg, soit des doses létales.

Quel est le problème ? Le DDT appartient à la famille des organochlorés. On y trouve le DDD, mais aussi l’hepatchlore, la dieldrin, etc…

Ces substances sont très toxiques, mais elles ont aussi la propriété d’être très lipophiles. En d’autres mots, elles se stockent dans les graisses. De plus, ce sont des molécules coriaces, très difficilement dégradables dans l’environnement.

Une fois dans les sols, elles vont être absorbées par les vers-de-terre et les insectes, eux-même consommés par les petits oiseaux, dont les prédateurs sont les oiseaux de proie. Comme ces substances sont accumulées dans les organismes, ce sont donc les super-prédateurs qui concentreront les quantités les plus élevées. Et c’est sur eux que l’on verra les effets les plus importants. C’est ce que l’on appelle la biomagnification.

Mais les effets de ces substances chez les superprédateurs ne sont pas seulement la mortalité.

Dans son livre, Rachel Carson documente un autre cas, celui des rouge-gorge sur le campus de l’Université du Michigan. En 1954, du DDT est appliqué contre les coléoptères. Dès 1955, on retrouve quantité de rouge-gorge morts (la dose léthale est atteinte après que l’oiseau ait consommé 11 vers-de-terres contaminés seulement…). Mais plus grave, dès 1956, la plupart des rouge-gorges du campus ne sont plus capables de se reproduire.

Rachel Carson a mis en évidence le premier « perturbateur endocrinien ». Le titre de son livre « Printemps silencieux » est en référence à ces printemps sans oisillons qui pépient.

Le livre de Rachel Carson fait donc grand bruit et Kennedy, alors président, nomme un comité scientifique pour vérifier les allégations de Rachel Carson.

Il faut dire que l’industrie a mis le paquet pour la faire passer pour une folle. En réponse à son livre, Monsanto publie un autre livre « The desolate year », envoyé à tous les décideurs américains, et qui traite Rachel Carson de « femme hystérique » ou de « vieille fille romantique ». Erza Taft Benson, secrétaire à l’Agriculture de 1953 à 1961 dira même : « Rachel Carson est probablement communiste, car sinon comment expliquer qu’une célibataire s’intéresse autant à la génétique? ».

Mais les travaux de la commission rendent justice à Rachel Carson. Et en 1953, elle propose à Kennedy une élimination progressive des pesticides persistants. Les travaux conduisent également à la création de l’US-EPA (agence de protection de l’environnement américaine), agence qui interdira l’usage du DDT en agriculture dès 1972.

L’Europe va suivre. Mais il faudra attendre près de 40 ans après la publication du livre de Rachel Carson pour voir émerger une réglementation mondiale, la Convention de Stockholm de 2001. Entre temps, le DDT et ses cousins ont atteints tous les points du Globe, transportés par les courants atmosphériques et marins.

Se concentrant au niveau des Pôles, ce sont les populations inuits qui sont les plus touchées, car elles consomment beaucoup d’animaux gras. Le lait maternel est très contaminé et met en danger la santé  des nourrissons.

Malheureusement, Rachel Carson ne verra pas l’interdiction du DDT, puisqu’elle décède en 1964.

Depuis 2001, la Convention de Stockholm a été étendue à 21 substances, englobant d’autres produits industriels comme les polybromés, des retardateurs de flamme (voir article “substance ignifuges”) ou encore des perfluorés.

La prise de compte de chaque nouvelle substance est âprement discutée, car cela peut avoir des conséquences très importantes sur l’économie d’un pays. Ainsi, le cas de l’endosulfan, un insecticide organochloré utilisé pour la culture du riz. Proposé comme candidat, il n’a finalement pas été inclus dans la liste, sous la pression de pays producteurs de riz. Cela peut se comprendre aussi, c’est un pesticide bon marché qui peut être produit localement car le brevet est tombé. L’interdire pourrait contraindre les agriculteurs à acheter des produits beaucoup plus chers, sous brevets. Un exemple d’application du principe de réalité.

Je terminerai sur cette note. On me demande souvent pourquoi on n’interdit pas telle ou telle substance ? Je répondrais que le cas du DDT est emblématique de l’inertie du système: on a mis 40 ans à réglementer une substance donc les effets toxiques ont été très tôt reconnus…Cela montre pour moi qu’attendre des réglementations est souvent illusoire. D’autant que les nouvelles substances qui apparaissent sur le marché pour remplacer celles qui sont interdites se révèlent parfois bien pires (voir article “substances ignifuges”).

Personnellement, il me semble plus judicieux de réfléchir à une utilisation parcimonieuse des substances chimiques en général plutôt qu’à l’interdiction de quelques-unes. Il est également nécessaire de penser à un cycle de vie des substances plus respectueux de l’environnement, ceci allant de la production à la gestion des déchets.