Hypothèse invalidée

Les chercheures et chercheuses se trompent…souvent. Et ce n’est pas grave.

C’est même plutôt normal: on émet une hypothèse, on la teste…et on la valide…ou pas.

Un peu comme quand on cherche un endroit inconnu sans carte. Si deux chemins s’offrent à nous, on va en tester un. Si c’est le mauvais, on revient sur ses pas pour tester l’autre.

Bon, c’est un peu schématique.

En effet, les domaines de la science sont très larges et il y a des milliers de chemins possibles. Il est donc tout-à-fait logique que certains n’aboutissent pas.

Je vous donne un exemple qui est arrivé dernièrement lors d’un travail de master. Une étudiante a mené une recherche sur deux étangs en milieu agricoles. Ces deux étangs avaient une biologie différente selon le Centre suisse de protection des amphibiens et des reptiles (Karch): dans un cas, la population d’amphibiens était assez élevée, dans l’autre pas.

L’étudiante a donc fait l’hypothèse que l’exposition aux polluants, notamment aux pesticides, pourrait expliquer cette différence.

Au final, très peu de pesticides, et surtout en concentrations très faibles, ont été détectés dans les deux étangs, en 2020 et 2021. L’hypothèse de départ est donc invalidée.

En terme environnemental, c’est une bonne nouvelle: les deux étangs contiennent peu de pesticides. En terme de recherche, c’est décevant.

Car malheureusement, la publication des résultats négatifs est quasi impossible. Si la recherche menée n’aboutit pas sur une nouvelle découverte, les journaux scientifiques ne l’accepte que très rarement.

C’est encore plus vrai depuis l’avènement des réseaux sociaux. Il faut des recherches “sexy” qui font le scoop et peuvent être reprises par les journaux grands publics.

On observe ainsi depuis quelques années une course à la publication. Et la tentation est forte de publier très vite, quitte à passer outre la nécessaire discussion entre experts.

Car même en cas de résultats positifs, il est important que les études soient soumises à la critique des paires. C’est même une des tâches centrales de la science comme le soulignait un excellent article dans Horizons, le journal du Fonds National Suisse de la Recherche, paru ce mois de juin 2021 (La confiance doit se gagner). La critique est un gage de qualité.

Il existe en effet des biais de recherche. Si vous posez une hypothèse, vous allez essayer de la valider. Donc vous allez, sans mauvaises intentions, mettre en place une méthodologie qui vous permettra de le faire. Ce qui n’est pas objectif quand on y réfléchit.

Parfois même, malgré des résultats peu probants, les auteurs d’étude valident leurs hypothèses, voyant, dans les quelques tendances qui se dessinent, des évidences. C’est quelque chose que je remarque régulièrement dans les travaux de masters. L’étudiant pose une hypothèse, décrit des résultats intéressants mais insuffisants pour valider son hypothèse, mais conclut quand même que celle-ci est correcte.

C’est humain. On a tous envie d’avoir raison, que notre hypothèse soit la bonne.

Il est donc important que d’autres chercheurs, qui travaillent d’une autre façon, puisse valider…ou invalider/critiquer les résultats des chercheurs et chercheuses.

Cette discussion critique entre experts se passe en arrière plan des publications (c’est le fameux processus de peer-review) ou encore lors des conférences internationales.

Or, depuis quelques années, on observe une tendance à amener cette critique mutuelle sur la place publique. Et la pandémie que nous vivons a encore amplifié le phénomène.

Certes, il est important que les chercheurs communiquent sur leurs recherches. Surtout sur des sujets d’actualités comme par exemple le changement climatique, la pollution ou encore le Covid-19. D’ailleurs je serais assez mal placée pour critiquer cette communication grand public tenant moi-même ce blog.

Mais je pense qu’il est nécessaire d’être très clairs sur les limites de nos recherches…qui n’ont pas réponse à tout.

Un bon exemple pour moi sont les modèles. J’utilise des modèles pour prédire le risque que présente les substances chimiques sur les écosystèmes.

Or les statisticiens ont l’habitude de dire que “tous les modèles sont faux”. Une citation attribuée à Georges Box. Qui rajouterait: “mais certains sont utiles”.

Il me paraît donc extrêmement important, lorsque l’on montre les résultats d’un modèle, de bien définir les limites.

Un exemple issu de mes recherches.

Il est possible de prédire le risque que présentent les pesticides et les médicaments détectés dans le Léman comme on le lit sur la figure ci-dessous. Ce risque devrait est inférieur à 1 pour protéger l’écosystème lacustre.

Figure 1: Risque du mélange des pesticides et médicaments détectés dans le Léman de 2004 à 2011. Les pesticides nommés sont de source industrielle (Gregorio et Chèvre 2014).

On observe sur la figure ci-dessus que le risque dépasse fréquemment la valeur critique de 1. En conséquence, le mélange pesticides/médicaments pourrait avoir un impact sur l’écosystème du Léman. Ce risque est principalement dû à 4 herbicides, de source majoritairement industrielle. Il a diminué lorsque les industries ont réduit leurs rejets dès 2006 pour passer sous la valeur de 1, à l’exception de 2011 où un rejet industriel a eu lieu.

Cependant il faut mentionner que:

1) les valeurs d’effets utilisées pour les calculs se basent sur des espèces de laboratoire,

2) seules les substances déjà recherchées dans le Léman ont été prises en compte (il y a en a bien d’autres).

Ces deux points montrent que nos résultats sous-estiment certainement le risque.

Mais:

3) le modèle utilisé pour le calcul de risque du mélange est une modèle qui décrit le “pire” scénario.

Ce point montre que nos résultats sur-estiment certainement le risque.

La conclusion de tout cela n’est pas, pour moi, que les modèles sont inutiles. Ils peuvent nous aider à comprendre l’impact de la pollution sur l’environnement, dans les limites de ce qu’on peut leur faire dire.

La confiance en la science semble avoir diminué ces dernières années (Langan et al. 2019). Il semble donc crucial que les chercheurs et chercheuses communiquent sur leurs résultats. Mais il me semble tout aussi crucial de communiquer sur les limites des recherches, de même que sur les débats ou les controverses, qui peuvent avoir lieu sur ces recherches.

 

Références:

Fisch F. 2021. La critique mutuelle est nécessaire. Horizons. Le magazine suisse de la recherche. No 129.

Gregorio V, Chèvre N. 2014. Assessing the risks posed by mixtures of chemicals in freshwater environments. Case study of Lake Geneva, Switzerland. Wires Water: doi: 10.1002/wat2.1018

Langan et al. 2019. Empirically Supported Out‐of‐the‐Box Strategies for science communication by environmental scientists. Integrated Environmental Assessment and Management 15: 499-504.

Seemann-Ricard J. 2021. Risk assessment of pesticides for amphibians in temporary ponds. The cases of Lavigny and Mollens, Switzerland. Travail de Master en Sciences de l’Environnement. Université de Genève.

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

5 réponses à “Hypothèse invalidée

  1. La phrase suivante de votre article m’a particulièrement interpellé, au point de susciter de ma part un bref commentaire:
    “La publication des résultats négatifs est quasi impossible.”
    C’est malheureusement vrai et regrettable. Regrettable parce que signaler explicitement une impasse éviterait à la communauté scientifique de se fourvoyer dans de fausses pistes, de faire des demandes de recherches et de subventions inopportunes, d’engager des doctorants dans des voies sans issues, d’acquérir un matériel inadéquat, … Regrettable aussi parce que cela contribue indirectement à un certain conformisme, et à un certain frein dans l’exploration de nouveaux horizons à risques.
    La question des résultats négatifs reste bien entendu discutée entre scientifiques, hors publication, mais uniquement en petits cénacles, et hors de l’esprit “peer review”, donc sans portée suffisante.
    Je ne comprends pas pourquoi les revues scientifiques ne réservent pas un espace dédié aux “hypothèses invalidées.”
    (J’espère que votre étudiante en master a néanmoins réussi son examen. Le problème peut être réellement dramatique dans le cas d’une thèse).

    1. Je vous remercie pour votre commentaire avec lequel je suis complètement d’accord. Dans le cas des thèses, qui se font maintenant le plus fréquemment sur publications (lire il faut 2 à 3 publications pour que la thèse soit acceptée), les conséquences d’hypothèses invalidées peuvent être effectivement dramatiques. Et l’on comprend mieux que certaines personnes puissent être amenées à “arranger un peu” leurs résultats.
      D’un point de vue très pratique, je regrette vraiment le temps que j’ai perdu à faire des expériences qui n’ont pas marché, et sur lesquelles j’ai appris plus tard que d’autres chercheurs avaient buté, mais sans publier leurs résultats.
      Et je vous rassure, l’étudiante de master l’a brillamment réussi. Sa démarche était scientifiquement rigoureuse, ce qui a été retenu par le jury.

  2. On ne va pas invalider une fois de plus que la Terre est plate !
    Mais on trouve dans l’histoire des sciences un exemple emblématique d’une hypothèse publiée et ensuite invalidée connue sous le paradoxe EPR , sigle des noms d’Einstein, Podolsky et Rosen au sujet du phénomène de l’intrication de la physique quantique qui est reconnue aujourd’hui pour construire des ordinateurs quantiques, mais qu’Einstein réfutait …mais il a fallu 50 ans pour prouver qu’elle fonctionnait grâce à John Bell puis les expériences d’Alain Aspect dans les années 1980 .
    On ne rencontre pas tous les jours des défis scientifiques aussi pointus, mais il n’est pas rares que des publications soient retirées, donc invalidées, bien qu’elles aient fait l’object de contrôle et relecture…
    La science avance par tâtonnements et il est important de souligner qu’elle n’est pas dogmatique, elle ne peut pas admettre de vérités éternelles …

  3. L’Etat (Suisse,Union Européenne,USA…..) ne pourrait elle pas offrir un service de publications refusées par les éditeurs commerciaux et/ou associatifs où pourraient se loger ces publications ‘négatives’
    Moyennant évidement certains filtres.

    1. Ce pourrait être une solution. Cependant le « modèle commercial » des publications scientifiques est en train de changer. En effet, jusqu’à récemment nous cédions les droits de la publication au journal qui publiait l’étude gratuitement. Ce qui posait d’ailleurs des problèmes pour s’auto-citer, lorsque l’on voulait reprendre des figures par exemple. On ne pouvait pas non plus diffuser ses propres publications. Maintenant, nous avons la possibilité de payer pour publier et ainsi l’article est en libre accès. Ce qui change aussi un peu le type d’articles qui peuvent être publiés. J’ai donc bon espoir que cela puisse permettre de publier plus fréquemment des résultats négatifs bien documentés.

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