J’avais déjà écrit un article sur les composés perfluorés en février 2019, leur présence ayant été démontrées jusque dans les neiges de l’Himalaya.
Je voulais y revenir de manière un peu plus approfondie car il s’agit là d’une pollution dont on commence seulement à entrevoir les conséquences à long-terme.
D’abord pour rappel, les molécules perfluorées sont composées d’une longue chaîne de carbones à laquelle sont liés un nombre plus ou moins important d’atomes de fluor.
La figure ci-dessous présente les molécules de PFOS et de PFOA. Qui sont actuellement les mieux documentées.
Source de la figure: Futura-sciences.
Ces molécules sont très stables dans l’environnement. Certains chercheurs pensent même que certaines d’entre elles ne se dégradent pas du tout. Leur émission dans l’environnement contribue donc à leur accumulation dans les écosystèmes.
Ces propriétés de persistance ont amené les membres de la Convention de Stockholm à intégrer le PFOS et le PFOA en 2009. Pour rappel, cette convention régule les composés organiques persistants au niveau mondial, tel le DDT (voir article de mai 2018).
Il existe plus de 4500 molécules perfluorées, chacune avec des propriétés de comportement dans l’environnement et de toxicité différentes.
L’histoire de leur développement est classique. La figure ci-dessous, publiée par l’agence environnementale américaine, la résume.
Découvertes dans les années 1930, elles sont commercialisées dès l’après-guerre pour des usages divers et variés. On les trouvent ainsi dans le matériel électronique, dans le matériel ménager (téflon dans les poêles), dans les tissus d’ameublement, dans les vêtements, etc…
Greenpeace a ainsi fait une campagne autour de leur utilisation dans les articles de montagnes en 2016, et démontré qu’on retrouvaient ces substances même dans les neiges éternelles de l’Himalaya.
D’autres ONG ont montré, au printemps 2021, que les perfluorés étaient très présents dans les emballages alimentaires et autres vaisselles jetables. A l’heure où nous commandons de plus en plus facilement nos repas à l’emporter, cette étude pose d’ailleurs question sur notre exposition à ces substances.
Les perfluorés sont également utilisés dans les mousses anti-incendies.
Et à ce propos, une petite anecdote. J’ai fait mon travail de master en 1999 sur le risque d’un dépôt agrochimique contenant des pesticides et des engrais. Ceci dans le cadre de l’Ordonnance suisse sur la protection contre les accidents majeurs.
Travaillant en collaboration avec les pompiers de Lausanne, je m’étais intéressée à la toxicité des mousses anti-incendies. J’avais donc exposé des daphnies, des petits microcrustacés, à différentes concentrations en composés perfluorés. Et après quelques heures, j’observais déjà des effets à des concentrations assez faibles.
Certes, dans les cas de lutte contre les incendies, la priorité est de combattre le feu. Et l’écotoxicité des mousses n’est pas une raison pour ne pas les utiliser. Il n’empêche qu’il est important de tenir compte du risque environnemental qu’elles représentent. Et de prévoir des mesures de récolte et de traitement, par exemple sur les places d’exercices feu.
Pour revenir à mon histoire, ce master avait gagné le prix de la Fédération suisse des sapeurs-pompiers. J’étais ainsi allée présenté mon travail à Zürich, avec une collègue, devant un parterre de responsables du feu. Après la remise des prix, un monsieur s’est approché de moi, se présentant comme vendeur de perfluorés dans une entreprise chimique. Selon lui, il ne fallait pas exagérer l’écotoxicité de ces substances.
Et pourtant, 20 ans, après, il s’agit bien d’une thématique émergente en terme de toxicité environnementale.
Mais la reconnaissance des problèmes environnementaux prend du temps.
En Suisse, la première campagne nationale de mesures dans les eaux souterraines date de 2007/08. Sur 49 stations de mesures, 21 contenaient des traces de perfluorés, notamment le PFOS, ceci jusqu’à 0.1 microg/l.
A titre de comparaison, l’Union européenne a fixé un seuil de 0.00065 microg/l pour le PFOS dans les eaux superficielles. Les concentrations les plus hautes mesurées étaient donc 150 fois supérieures à ce seuil.
En 2021, la SSIGE (Société regroupant les producteurs d’eau potable en Suisse) a ainsi discuté du risque que présentent les perfluorés pour la santé. Certains d’entre eux vont ainsi être ajoutés à la liste des substances surveillées dans les eaux souterraines.
Une autre étude nationale, menée en 2018 sur les eaux de surface, montre que les seuils sont dépassés pour le PFOS dans certains sites de mesure.
Ailleurs dans les monde, une étude systématique menées au Etats-Unis, et publiée en 2021, montre des concentrations en PFOS allant jusqu’à 0.1 microg/l dans les grands lacs et jusqu’à 100 microg/l dans certaines rivières. Ces concentrations sont jusqu’à 15’000 fois supérieures au seuil européen, notamment dans les rivières.
On a beaucoup parlé de l’environnement, mais quels effets sur la santé?
Nous sommes en effet exposés tous les jours à ces substances via les textiles, l’alimentation, etc.
Et bien force est de constater que l’on ne sait pas grand chose de la toxicité humaine des perfluorés. Un article publié en 2019, et ayant compilé la littérature sur 10 ans, montre que les effets suivants ont déjà été observés sur des animaux de laboratoire ou sur des cellules humaines pour le PFOS: hépatotoxicité, neurotoxicité, toxicité reproductive, immunotoxicité, dysfonction de la thyroïde, toxicité cardiovasculaire, toxicité pulmonaire et toxicité rénale.
Ce n’est pas gai.
Les auteurs de l’article soulignent que des études sur la toxicité chronique de même que des études épidémiologiques sont nécessaires pour mieux évaluer le risque du PFOS pour l’être humain.
Or, le PFOS qui n’est qu’un des 4500 perfluorés sur le marché.
Encore un article de blog peu réjouissant. Et pourtant, il y a des choses à faire pour réduire l’utilisation des PFOS.
Greenpeace l’a montré avec les vêtements de montagne. Certaines marques se sont ainsi engagée à ne plus utiliser ces substances dans leurs articles. C’est déjà un pas pour que les choses bougent.
Références:
Ankley et la. 2020. Assessing the ecological risks of per- and polyfluoroalkyl substances: current state-of-the science and proposed path forward. Environmental Toxicology and Chemistry. On-line. DOI: 10.1002/etc.4869
Jarvis et al. 2021. Perfluorooctane sulfonate in US ambient surface waters: a review of occurrence in the aquatic environments and comparison to global concentrations. Environmental Toxicology and Chemistry. On-line. DOI: 10.1002/etc.5147
Zheng et al. 2019. Assessing teh human health risk of perfluorooctane sulfonate by in vivo and in vitro studies. Environment International. On-line. https://doi.org/10.1016/j.envint.2019.03.002
Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) dans l’environnement. Centre écotox. 2020.
PFAS Factsheets. US EPA.
Encore une fois un article très intéressant, merci beaucoup pour ce partage.
Merci!
Merci pour cet analyse de la situatione et vos explications. As-t’on une idée de la quantité de ces substances produites (et dispersées) chaque année ?
L’union européenne donne quelques chiffres sur la production et l’utilisation sous: https://www.ezview.wa.gov/Portals/_1962/Documents/PFAS/Uses-100517.pdf
Par exemple, en 2011, entre 2 et 10 tonnes de PFOS et entre 25 et 50 tonnes de PFOA ont été utilisés dans l’Union européenne.
Autre chiffre, la compagnie 3M qui produit le PFOS a déclaré en avoir utilisé 52’000 tonnes dans les tapis entre 1970 et 2002. Ce qui était l’utilisation principale. La production totale pendant cette période étant estimée à 106’000 tonnes.
Après, il serait intéressant de connaître les émissions des chacune de ces utilisations. Mais je ne connais pas d’études dans ce sens.
Article très intéressant. Merci. Je note que le lien sur le “téflon dans les poêles” n’est pas correcte, pourriez-vous le corriger. Merci!
C’est corrigé. Je voulais faire le lien sur le reportage de Temps Présent: https://pages.rts.ch/emissions/temps-present/10076576-teflon-enquete-sur-une-contamination-mondiale.html#10146720