Un petit dernier pour la route…

Je ne vais pas faire durer le suspense…ceci sera mon dernier article après presque 4 ans de rendez-vous réguliers.

Une certaine lassitude? Je dois avouer que oui.

Malgré vos nombreux commentaires toujours intéressants et pertinents, souvent encourageants,  j’ai souvent l’impression de mettre en évidence des problématiques pour lesquelles il y a peu de volonté de changer les choses.

Pire, depuis un an et demi, le nez dans le guidon, on recule sur de nombreux points qui semblaient acquis en terme de risque des polluants.

Comme celui des biocides.

Encore récemment, des auteurs américains ont alerté sur l’utilisation  d’ammoniums quaternaires, des bactéricides, dans les désinfectants utilisés maintenant au quotidien, ainsi que sur l’administration systématique d’antibiotiques aux malades atteints du covid-19, ceci malgré l’absence de signes d’infections bactériennes. Selon eux, cela va  augmenter le risque de développement de résistances bactériennes dans les prochaines années.

Or selon l’OMS, “la résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement”.

Toute femme qui a déjà eu une infection urinaire en a peut-être fait l’expérience. Si il suffisait de prendre un antibiotique il y a 20 ans, il arrive maintenant qu’on doive en changer en cours de traitement. Et les médecins doivent parfois faire des cultures pour déterminer la souche de bactérie responsable et vérifier sa résistance à l’antibiotique choisi.

Dans l’environnement aussi, la question de la résistance aux antibiotiques se pose. Car ces mêmes substances biocides et antibiotiques vont se retrouver dans les eaux via les eaux usées ou les eaux de ruissellement. De même que les bactéries résistantes.  Est-ce que ces polluants vont induire des résistances dans l’environnement? Est-ce que les bactéries résistantes survivent dans les eaux? Est-ce qu’elles peuvent transférer leurs gènes à d’autres bactéries? etc…Autant de questions ouvertes qui n’ont pour l’instant pas de réponses.

Or actuellement les médias, tout à leur décomptes, ne s’intéressent que peu aux thématiques environnementales. Le rapport du GIEC paru en août, pourtant très alarmant, n’a fait la une de la presse qu’un ou deux jours.

Le reportage de Temps Présent, du Rhône au Léman, du poison dans notre eau potable, diffusé en juin 2021, n’a fait l’objet d’aucun relais médiatique ou politique. Et pourtant, il met clairement en évidence l’impact des décharges et effluents industriels sur la qualité et le futur de nos ressources en eaux.

Je vous avoue que c’est décourageant.

J’ai cependant décidé de conclure cette série d’articles sur une note positive.

Dans les années 1990, les pêcheurs constataient que les populations de truites dans les rivières avaient drastiquement diminué. Selon l’OFEV: “en 1980, on pêchait encore 1,2 million de truites dans les eaux suisses. On n’en pêchait plus que 400 000 en 2001”.

En 1998 est donc lancé le projet Fischnetz, un projet interdisciplinaire regroupant plusieurs institutions et hautes écoles suisses.

Treize hypothèses sont formulées pour expliquer ce déclin. Parmi elles, la question de la toxicité des substances chimiques que l’on retrouve dans les eaux.

En 2005, à la fin du projet, aucune conclusion claire. Manque d’habitats naturels, pollution des eaux, maladies infectieuses et changements climatiques, toutes ces causes interagissent certainement pour entrainer ce déclin.

A la suite de ce constat, deux principales mesures ont été décidées: la renaturation des cours d’eau et la diminution des rejets polluants.

Pour le premier point, les bases légales ont été posées en 2011. Ainsi “lobjectif de la Confédération est de mettre en œuvre des mesures de renaturation permettant de rétablir des ruisseaux, des cours d’eau et des lacs semi-naturels et auto-régulés dotés d’une dynamique qui leur est propre et de la faune et flore caractéristique”.

Pour le deuxième point, la Confédération a décidé de s’attaquer en premier lieu aux rejets de stations d’épurations (STEP). En effet, les nombreuses études existantes montrent que nombres de substances chimiques utilisées au quotidien (médicaments, détergents, cosmétiques, etc…) passent au travers des STEP.

Or les STEP n’ont pas été conçues pour traiter ces substances chimiques. Elles ont été construites pour éliminer la matière organique, l’azote et le phosphore. Certaines substances médicamenteuse se retrouvent donc aux mêmes concentrations à l’entrée et à la sortie de la STEP.

La révision de l’Ordonnance sur la protection des eaux est acceptée en 2015. Une centaine de STEP devront donc “traiter les micropolluants”.

Il existe différentes méthodes pour y arriver. Celles retenues pour être appliquées à grande échelle sont principalement le charbon actif (qui piège les molécules comme un filtre) ou l’ozonation (l’ozone, molécule très réactive, casse les substances chimiques). Avec l’ozonation cependant, le risque est de créer des substances de dégradation problématiques, ce qui explique que cette technique est complémentée par un filtre.

En Suisse romande, la première STEP équipée a été celle de Penthaz, en 2019.

Avec succès.

Le bilan de l’épuration des STEPs vaudoises 2020 montre que ce nouveau traitement permet de réduire de 95% la concentration totale des 42 substances recherchées. De plus, les concentrations sont aussi 20 fois inférieures aux concentrations des STEPs qui rejettent le plus de substances chimiques.

D’autres STEPs romandes et suisses, telle celle de Vidy à Lausanne, vont également progressivement être équipées de ces traitements.

Une très bonne nouvelle pour les eaux. Pour les écosystèmes aquatiques, mais également pour notre eau potable!

Voilà pour ce dernier point de situation.

A ce stade, j’aimerais vous remercier, lectrice, lecteur, fidèle, occasionnel ou de passage.

Le nombre de vues sur mon blog, vos commentaires, m’ont encouragée, m’ont fait réfléchir. Ce qui fût toujours stimulant.

Je vous souhaite de traverser cette période troublée le mieux possible.

J’espère vous recroiser au hasard d’écrits ou de conférences.

Nathalie Chèvre

 

Merci à Banksy pour l’illustration

 

Références:

ANSES. 2020. Antibiorésistance et environnement. Rapport d’expertise collective.

Mahoney et al. 2021. The silent pandemic: emergent antibiotic resistances following the global response to SARS-CoV-2. iScience 24. https://doi.org/10.1016/j.isci.2021.102304

 

L’accès au savoir n’est pas négociable

Il y a deux semaines, nous nous préparions à accueillir à nouveau les étudiants à l’Université, en présentiel complet, avec le respect des mesures sanitaires en vigueur.

Nous avions même réfléchi comment les motiver à revenir sur le campus après plus d’une année et demi à distance.

Mercredi passé, le couperet tombe, avec les annonces du Conseil Fédéral. Et dans la foulée, les Universités romandes décident que le pass Covid est obligatoire pour accéder aux cours en présentiel.

Soyons honnêtes, cela signifie que seuls les étudiant(e)s vacciné(e)s auront accès au cours. Car qui irait se faire tester tous les 2-3 jours pendant des mois ? Sachant que les tests seront bientôt payant? Personnellement je ne le ferais pas.

Dont acte.

N’en déplaise aux personnes qui adorent ranger les gens dans des catégories, il n’y a pas que les complotistes, ou antivax comme aiment les surnommer les médias, qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se faire vacciner.

Ce n’est pas à moi de juger de leurs choix. Mon rôle est d’enseigner au plus grand nombre.

Nous avons face à nous des défis environnementaux considérables.

Le dernier rapport du GIEC sorti en août 2021 est sans appel. Nous nous devons de mettre en place, dans les prochaines années, des solutions innovantes pour réduire les émissions de CO2.

Dans mon domaine plus spécifiquement, il n’est plus discutable que la pollution que nous engendrons a des effets sur l’environnement, mais également sur notre propre santé. Ici aussi il va falloir se retrousser les manches et brasser les cerveaux pour trouver des solutions.

Au-delà de ça, il est maintenant reconnu que l’accès aux réseaux sociaux a permis l’émergence de pseudo-savoirs, alimentés par des croyances bien plus que par des faits.

En tant qu’universitaires, notre rôle, tel que je le considère, est de donner accès à un savoir transparent et basé sur des faits, ceci au plus grand nombre. Il est aussi de permettre aux étudiants de développer leur sens critique, ceci en confrontant leurs idées avec leurs pairs et avec leurs enseignants.

Enseigner, ce n’est pas enregistrer des cours que les étudiant(e)s pourront voir en ligne. Cette dernière année et demi me l’a montré.

Je n’ai pas encore pris toute la mesure des décisions qui ont été prises la semaine passée. Mais elles heurtent profondément mes valeurs d’enseignante.

Si les étudiant(e)s qui le souhaitent ne peuvent pas avoir accès à mes cours en présentiel, ce que je qualifie d’un enseignement de qualité, il me faudra trouver d’autres solutions innovantes pour que mon enseignement leur soit accessible.

Perfluorés omniprésents…et tant d’inconnues

J’avais déjà écrit un article sur les composés perfluorés en février 2019, leur présence ayant été démontrées jusque dans les neiges de l’Himalaya.

Je voulais y revenir de manière un peu plus approfondie car il s’agit là d’une pollution dont on commence seulement à entrevoir les conséquences à long-terme.

D’abord pour rappel, les molécules perfluorées sont composées d’une longue chaîne de carbones à laquelle sont liés un nombre plus ou moins important d’atomes de fluor.

La figure ci-dessous présente les molécules de PFOS et de PFOA. Qui sont actuellement les mieux documentées.

Source de la figure: Futura-sciences.

Ces molécules sont très stables dans l’environnement. Certains chercheurs pensent même que certaines d’entre elles ne se dégradent pas du tout. Leur émission dans l’environnement contribue donc à leur accumulation dans les écosystèmes.

Ces propriétés de persistance ont amené les membres de la Convention de Stockholm à intégrer le PFOS et le PFOA en 2009. Pour rappel, cette convention régule les composés organiques persistants au niveau mondial, tel le DDT (voir article de mai 2018).

Il existe plus de 4500 molécules perfluorées, chacune avec des propriétés de comportement dans l’environnement et de toxicité différentes.

L’histoire de leur développement est classique. La figure ci-dessous, publiée par l’agence environnementale américaine, la résume.

Découvertes dans les années 1930, elles sont commercialisées dès l’après-guerre pour des usages divers et variés. On les trouvent ainsi dans le matériel électronique, dans le matériel ménager (téflon dans les poêles), dans les tissus d’ameublement, dans les vêtements, etc…

Greenpeace a ainsi fait une campagne autour de leur utilisation dans les articles de montagnes en 2016, et démontré qu’on retrouvaient ces substances même dans les neiges éternelles de l’Himalaya.

D’autres ONG ont montré, au printemps 2021, que les perfluorés étaient très présents dans les emballages alimentaires et autres vaisselles jetables. A l’heure où nous commandons de plus en plus facilement nos repas à l’emporter, cette étude pose d’ailleurs question sur notre exposition à ces substances.

Les perfluorés sont également utilisés dans les mousses anti-incendies.

Et à ce propos, une petite anecdote. J’ai fait mon travail de master en 1999 sur le risque d’un dépôt agrochimique contenant des pesticides et des engrais. Ceci dans le cadre de l’Ordonnance suisse sur la protection contre les accidents majeurs.

Travaillant en collaboration avec les pompiers de Lausanne, je m’étais intéressée à la toxicité des mousses anti-incendies. J’avais donc exposé des daphnies, des petits microcrustacés, à différentes concentrations en composés perfluorés. Et après quelques heures, j’observais déjà des effets à des concentrations assez faibles.

Certes, dans les cas de lutte contre les incendies, la priorité est de combattre le feu. Et l’écotoxicité des mousses n’est pas une raison pour ne pas les utiliser. Il n’empêche qu’il est important de tenir compte du risque environnemental qu’elles représentent. Et de prévoir des mesures de récolte et de traitement, par exemple sur les places d’exercices feu.

Pour revenir à mon histoire, ce master avait gagné le prix de la Fédération suisse des sapeurs-pompiers. J’étais ainsi allée présenté mon travail à Zürich, avec une collègue, devant un parterre de responsables du feu. Après la remise des prix, un monsieur s’est approché de moi, se présentant comme vendeur de perfluorés dans une entreprise chimique. Selon lui, il ne fallait pas exagérer l’écotoxicité de ces substances.

Et pourtant, 20 ans, après, il s’agit bien d’une thématique émergente en terme de toxicité environnementale.

Mais la reconnaissance des problèmes environnementaux prend du temps.

En Suisse, la première campagne nationale de mesures dans les eaux souterraines date de 2007/08. Sur 49 stations de mesures, 21 contenaient des traces de perfluorés, notamment le PFOS, ceci jusqu’à 0.1 microg/l.

A titre de comparaison, l’Union européenne a fixé un seuil de 0.00065 microg/l pour le PFOS dans les eaux superficielles. Les concentrations les plus hautes mesurées étaient donc 150 fois supérieures à ce seuil.

En 2021, la SSIGE (Société regroupant les producteurs d’eau potable en Suisse) a ainsi discuté du risque que présentent les perfluorés pour la santé. Certains d’entre eux vont ainsi être ajoutés à la liste des substances surveillées dans les eaux souterraines.

Une autre étude nationale, menée en 2018 sur les eaux de surface, montre que les seuils sont dépassés pour le PFOS dans certains sites de mesure.

Ailleurs dans les monde, une étude systématique menées au Etats-Unis, et publiée en 2021, montre des concentrations en PFOS allant jusqu’à 0.1 microg/l dans les grands lacs et jusqu’à 100 microg/l dans certaines rivières. Ces concentrations sont jusqu’à 15’000 fois supérieures au seuil européen, notamment dans les rivières.

On a beaucoup parlé de l’environnement, mais quels effets sur la santé?

Nous sommes en effet exposés tous les jours à ces substances via les textiles, l’alimentation, etc.

Et bien force est de constater que l’on ne sait pas grand chose de la toxicité humaine des perfluorés. Un article publié en 2019, et ayant compilé la littérature sur 10 ans, montre que les effets suivants ont déjà été observés sur des animaux de laboratoire ou sur des cellules humaines pour le PFOS: hépatotoxicité, neurotoxicité, toxicité reproductive, immunotoxicité, dysfonction de la thyroïde, toxicité cardiovasculaire, toxicité pulmonaire et toxicité rénale.

Ce n’est pas gai.

Les auteurs de l’article soulignent que des études sur la toxicité chronique de même que des études épidémiologiques sont nécessaires pour mieux évaluer le risque du PFOS pour l’être humain.

Or, le PFOS qui n’est qu’un des 4500 perfluorés sur le marché.

Encore un article de blog peu réjouissant. Et pourtant, il y a des choses à faire pour réduire l’utilisation des PFOS.

Greenpeace l’a montré avec les vêtements de montagne. Certaines marques se sont ainsi engagée à ne plus utiliser ces substances dans leurs articles. C’est déjà un pas pour que les choses bougent.

 

Références:

Ankley et la. 2020. Assessing the ecological risks of per- and polyfluoroalkyl substances: current state-of-the science and proposed path forward. Environmental Toxicology and Chemistry. On-line. DOI: 10.1002/etc.4869

Jarvis et al. 2021. Perfluorooctane sulfonate in US ambient surface waters: a review of occurrence in the aquatic environments and comparison to global concentrations. Environmental Toxicology and Chemistry. On-line. DOI: 10.1002/etc.5147

Zheng et al. 2019. Assessing teh human health risk of perfluorooctane sulfonate by in vivo and in vitro studies.  Environment International. On-line. https://doi.org/10.1016/j.envint.2019.03.002

Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) dans l’environnement. Centre écotox. 2020.

PFAS Factsheets. US EPA.

 

Hypothèse invalidée

Les chercheures et chercheuses se trompent…souvent. Et ce n’est pas grave.

C’est même plutôt normal: on émet une hypothèse, on la teste…et on la valide…ou pas.

Un peu comme quand on cherche un endroit inconnu sans carte. Si deux chemins s’offrent à nous, on va en tester un. Si c’est le mauvais, on revient sur ses pas pour tester l’autre.

Bon, c’est un peu schématique.

En effet, les domaines de la science sont très larges et il y a des milliers de chemins possibles. Il est donc tout-à-fait logique que certains n’aboutissent pas.

Je vous donne un exemple qui est arrivé dernièrement lors d’un travail de master. Une étudiante a mené une recherche sur deux étangs en milieu agricoles. Ces deux étangs avaient une biologie différente selon le Centre suisse de protection des amphibiens et des reptiles (Karch): dans un cas, la population d’amphibiens était assez élevée, dans l’autre pas.

L’étudiante a donc fait l’hypothèse que l’exposition aux polluants, notamment aux pesticides, pourrait expliquer cette différence.

Au final, très peu de pesticides, et surtout en concentrations très faibles, ont été détectés dans les deux étangs, en 2020 et 2021. L’hypothèse de départ est donc invalidée.

En terme environnemental, c’est une bonne nouvelle: les deux étangs contiennent peu de pesticides. En terme de recherche, c’est décevant.

Car malheureusement, la publication des résultats négatifs est quasi impossible. Si la recherche menée n’aboutit pas sur une nouvelle découverte, les journaux scientifiques ne l’accepte que très rarement.

C’est encore plus vrai depuis l’avènement des réseaux sociaux. Il faut des recherches “sexy” qui font le scoop et peuvent être reprises par les journaux grands publics.

On observe ainsi depuis quelques années une course à la publication. Et la tentation est forte de publier très vite, quitte à passer outre la nécessaire discussion entre experts.

Car même en cas de résultats positifs, il est important que les études soient soumises à la critique des paires. C’est même une des tâches centrales de la science comme le soulignait un excellent article dans Horizons, le journal du Fonds National Suisse de la Recherche, paru ce mois de juin 2021 (La confiance doit se gagner). La critique est un gage de qualité.

Il existe en effet des biais de recherche. Si vous posez une hypothèse, vous allez essayer de la valider. Donc vous allez, sans mauvaises intentions, mettre en place une méthodologie qui vous permettra de le faire. Ce qui n’est pas objectif quand on y réfléchit.

Parfois même, malgré des résultats peu probants, les auteurs d’étude valident leurs hypothèses, voyant, dans les quelques tendances qui se dessinent, des évidences. C’est quelque chose que je remarque régulièrement dans les travaux de masters. L’étudiant pose une hypothèse, décrit des résultats intéressants mais insuffisants pour valider son hypothèse, mais conclut quand même que celle-ci est correcte.

C’est humain. On a tous envie d’avoir raison, que notre hypothèse soit la bonne.

Il est donc important que d’autres chercheurs, qui travaillent d’une autre façon, puisse valider…ou invalider/critiquer les résultats des chercheurs et chercheuses.

Cette discussion critique entre experts se passe en arrière plan des publications (c’est le fameux processus de peer-review) ou encore lors des conférences internationales.

Or, depuis quelques années, on observe une tendance à amener cette critique mutuelle sur la place publique. Et la pandémie que nous vivons a encore amplifié le phénomène.

Certes, il est important que les chercheurs communiquent sur leurs recherches. Surtout sur des sujets d’actualités comme par exemple le changement climatique, la pollution ou encore le Covid-19. D’ailleurs je serais assez mal placée pour critiquer cette communication grand public tenant moi-même ce blog.

Mais je pense qu’il est nécessaire d’être très clairs sur les limites de nos recherches…qui n’ont pas réponse à tout.

Un bon exemple pour moi sont les modèles. J’utilise des modèles pour prédire le risque que présente les substances chimiques sur les écosystèmes.

Or les statisticiens ont l’habitude de dire que “tous les modèles sont faux”. Une citation attribuée à Georges Box. Qui rajouterait: “mais certains sont utiles”.

Il me paraît donc extrêmement important, lorsque l’on montre les résultats d’un modèle, de bien définir les limites.

Un exemple issu de mes recherches.

Il est possible de prédire le risque que présentent les pesticides et les médicaments détectés dans le Léman comme on le lit sur la figure ci-dessous. Ce risque devrait est inférieur à 1 pour protéger l’écosystème lacustre.

Figure 1: Risque du mélange des pesticides et médicaments détectés dans le Léman de 2004 à 2011. Les pesticides nommés sont de source industrielle (Gregorio et Chèvre 2014).

On observe sur la figure ci-dessus que le risque dépasse fréquemment la valeur critique de 1. En conséquence, le mélange pesticides/médicaments pourrait avoir un impact sur l’écosystème du Léman. Ce risque est principalement dû à 4 herbicides, de source majoritairement industrielle. Il a diminué lorsque les industries ont réduit leurs rejets dès 2006 pour passer sous la valeur de 1, à l’exception de 2011 où un rejet industriel a eu lieu.

Cependant il faut mentionner que:

1) les valeurs d’effets utilisées pour les calculs se basent sur des espèces de laboratoire,

2) seules les substances déjà recherchées dans le Léman ont été prises en compte (il y a en a bien d’autres).

Ces deux points montrent que nos résultats sous-estiment certainement le risque.

Mais:

3) le modèle utilisé pour le calcul de risque du mélange est une modèle qui décrit le “pire” scénario.

Ce point montre que nos résultats sur-estiment certainement le risque.

La conclusion de tout cela n’est pas, pour moi, que les modèles sont inutiles. Ils peuvent nous aider à comprendre l’impact de la pollution sur l’environnement, dans les limites de ce qu’on peut leur faire dire.

La confiance en la science semble avoir diminué ces dernières années (Langan et al. 2019). Il semble donc crucial que les chercheurs et chercheuses communiquent sur leurs résultats. Mais il me semble tout aussi crucial de communiquer sur les limites des recherches, de même que sur les débats ou les controverses, qui peuvent avoir lieu sur ces recherches.

 

Références:

Fisch F. 2021. La critique mutuelle est nécessaire. Horizons. Le magazine suisse de la recherche. No 129.

Gregorio V, Chèvre N. 2014. Assessing the risks posed by mixtures of chemicals in freshwater environments. Case study of Lake Geneva, Switzerland. Wires Water: doi: 10.1002/wat2.1018

Langan et al. 2019. Empirically Supported Out‐of‐the‐Box Strategies for science communication by environmental scientists. Integrated Environmental Assessment and Management 15: 499-504.

Seemann-Ricard J. 2021. Risk assessment of pesticides for amphibians in temporary ponds. The cases of Lavigny and Mollens, Switzerland. Travail de Master en Sciences de l’Environnement. Université de Genève.

PE pour Perturbateur Endocrinien

J’ai reçu passablement de questions suite à mon dernier post “Tous perturbés“.

En effet, les mots “perturbateurs endocriniens” inquiètent. C’est normal. On pense immédiatement au changement de sexe des poissons ou à la baisse de la fertilité masculine.

Or il faut bien admettre que si les termes “perturbateurs endocriniens” sont largement utilisés dans la presse et par le public, les scientifiques ne sont pas vraiment d’accord sur ce qu’est un perturbateur endocrinien.

Bien sûr, il y a l’exemple bien connu de l’ethynylestradiol contenue dans les pilules contraceptives. Cette hormone féminine de synthèse a été un des premier exemple concret de perturbation hormonale dans l’environnement. A des concentrations aussi faibles que quelques ng/l, cette substance est capable d’inhiber le développement de caractéristiques mâles chez les poissons.

Cet effet est de type “clé-serrure”. C’est-à-dire que l’hormone de synthèse va se lier aux récepteurs à oestogènes et induire un effet hormonal. C’est d’ailleurs ce que l’on attend de la pilule contraceptive qui va bloquer l’ovulation.

Mais c’est un effet indésiré chez le poisson mâle. Car là aussi, l’hormone synthétique va se lier à des récepteurs “féminins” et empêcher le développement des caractéristiques masculines.

Cependant, le système hormonal est bien plus complexe qu’un système clé-serrure.

Il y a d’abord une multitude d’hormones. On connaît les hormones sexuelles, oestrogènes, progestérone, testostérone. Mais il y a aussi les hormones tyroïdiennes, essentielles pour la croissance, l’adrénaline et le cortisol qui interviennent en cas de stress, la dopamine, l’hormone du plaisir, etc…

Il y aussi une multitude d’organes et de glandes qui s’occupent de créer, véhiculer, transcrire ou éliminer ces hormones. L’hypothalamus, la tyroïde, les surrénales, les ovaires et les testicules, pour ne citer qu’eux.

A ce stade, difficile de donner une définition d’un perturbateur hormonal. Est-ce une substance qui va agir sur un organe, qui produira alors plus, ou moins, d’hormones? Est-ce une substance qui va empêcher les hormones d’agir?

Tout récemment, un groupes d’experts en endocrinologie issus de différents pays européens, asiatiques et américains, ont publié une liste de 10 critères pour caractériser les perturbateurs endocriniens. De manière similaire à ce qui se fait pour définir des substances cancérigènes.

Les voici:

1.La substance interagit avec ou active un récepteur hormonal. C’est le système clé-serrure décrit ci-dessus. Il est bien connu pour les substances qui miment les oestrogènes (phtalates, bisphénol A) ou la testostérone. Il y a beaucoup moins de recherche, si ce n’est pas du tout pour les autres hormones.

2. La substance empêche l’hormone d’interagir avec le récepteur. Certains médicaments jouent ce rôle dans le cas de cancers hormono-dépendants. Comme le tamoxifen. Il bloque les récepteurs aux oestrogènes dans le cas de certains cancer du sein.

3. La substance altère l’expression des récepteurs hormonaux. L’hormone se fixe bien au récepteur, mais rien ne se passe. Il semble que certains phtalates ou que le bisphenol A puisse avoir ce mode d’action.

4. La substance altère la chaîne de transmission. Le signal est bien donné par le récepteur, mais il est bloqué quelque part. A nouveau, il semble que le bisphenol A engendre ce mode d’action. A ce propos, il faut noter qu’une substance peut agir à différents niveaux et donc remplir plusieurs critères de la liste.

5. La substance induit des modifications épigénétiques. Au contraire d’une substance cancérigène, elle ne modifie pas les gènes, mais leur expression. Cette modification peut être transitoire, mais peut aussi se transmettre de la mère à l’enfant. C’est un phénomène naturel qui permet aux individus de s’adapter rapidement à leur environnement.

L’exemple le plus connu d’effet épigénétique “toxique” a été observé avec le distilbène. Ce médicament a été donné à de nombreuses femmes enceintes pour éviter les fausses-couches pendant la grossesse dans les années 1960/70. Il s’est avéré que les filles de ces femmes ont développé des malformations utérines et que beaucoup étaient stériles. S’il semble que cet effet distilbène s’efface à la troisième génération (actuellement adulte), il semble que d’autres types de malformations, par exemple cardiaques, aient été observées chez cette troisième génération.

Floriane Tisserand, doctorante dans notre laboratoire, travaille sur l’effet épigénétique d’un insecticide, le diazinon, sur les daphnies, des microcrustacés d’eau douce. Elle expose 3 générations de daphnies à cet insecticide à différents stades d’évolution. Les expériences sont en cours. Je vous en reparlerai à l’occasion.

6. La substance altère la synthèse des hormones. Dans ce cas, la synthèse de l’hormone ne se fait pas correctement ou pas du tout. C’est l’effet du perchlorate, un sel utilisé pour de nombreux usages, comme les explosifs et les munitions, et que l’on retrouve un peu partout dans l’environnement. Notamment dans les eaux. Il agit sur la synthèse des hormones tyroïdiennes.

7. La substance altère le transport des hormones au travers des membranes cellulaires. Certaines hormones comme les hormones “sexuelles” sont lipophiles et donc traversent les membranes de manière passives. D’autres ont besoin d’être aidées. Il semble ainsi que l’anti-corrosif imidazoline joue un rôle sur le transport de l’insuline.

8. La substance altère la distribution ou la circulation des hormones. Le bisphenol A, encore lui, réduit la circulation de la testostérone chez les rats mâles, de même que l’insecticide malathion. Un organophosphoré de la même famille que le diazinon que nous étudions au niveau de l’épigénétique.

9. La substance altère le métabolisme des hormones et leur destruction. Car il faut bien sûr que les hormones soient éliminées après avoir agit dans l’organisme. Sinon celui-ci serait sur-stimulé. Mais il ne faut pas non plus qu’elles soient éliminées trop rapidement. De nombreuses substances ont ce mode d’action, notamment certains PCBs.

10. Enfin, la substance altère le comportement des cellules qui produisent ou répondent aux hormones. Ainsi, l’oxybenzone, un filtre chimique anti-UV que l’on trouve dans de nombreux cosmétiques, augmente la production de cellules mammaires chez les souris portantes ou allaitantes. Et ceci encore de nombreuses semaines après l’exposition.

Nous sommes arrivés au bout de cette longue liste. Bravo à ceux qui ne sont pas découragés.

On constate donc que les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens sont complexes. Et que de nombreux perturbateurs endocriniens n’ont certainement pas encore été identifiés.

Tout récemment, au début de cette année, des auteurs ont montré sur la base d’une revue de littérature que l’herbicide glyphosate remplissait 8 des 10 critères mentionnés. Et devrait donc être classé comme perturbateur endocrinien au côté du bisphénol A, des phtalates, des PCBs, etc.

Mais tous ces critères sont définis pour l’être humain. Et s’ils peuvent s’appliquer pour les vertébrés, ce n’est pas le cas pour les invertébrés ou pour les plantes.

Ainsi les daphnies, les microcrustacés sur lesquels travaillent Floriane Tisserand, ont des pseudo-hormones. Qui n’ont pas la même sensibilité que les hormones humaines. Ce ne sont pas les mêmes récepteurs, ni les mêmes hormones.

De plus, de nombreuses espèces de l’environnement émettent des kairomones. Ces composés, émis dans l’air, dans l’eau, ou le sol, transmettent des informations entre individus de même espèce, ou de différentes espèces. Par exemple des informations sur un prédateur ou une proie. Chez la daphnie, les kairomones peuvent induire des effets sur la croissance ou même la reproduction.

C’est d’ailleurs ce type d’hormones qui sont utilisées dans la lutte par confusion en agriculture bio et non bio. Des hormones synthétiques sont diffusées pour que les insectes mâles ne trouvent pas les femelles. A ma connaissance, il n’y a pas d’études sur les insectes non cibles.

On est donc bien loin d’avoir compris les effets endocriniens que peuvent engendrer les substances chimiques sur les espèces de l’environnement, inclus l’être humain.

Je vais donc finir ce post de la même manière que beaucoup de précédents. Dans le doute et au vu du peu de connaissances que l’on a, il est vraiment important de réduire l’émission des substances chimiques dans l’environnement. Et donc l’exposition aux substances chimiques des espèces vivantes.

Cela passe par des aspects technologiques (traitement des effluents de station d’épuration), des gestes au quotidien (utilisation des cosmétiques, des désinfectants). Mais surtout par des décisions politiques fortes. Par exemple la mise en place d’une réglementation forte lors de la mise sur le marché des substances chimiques, mais également flexibles pour les retirer dès que nécessaire.

 

Référence:

Merrill et al. 2020. Consensus on the key characteristics of endocrine-disrupting chemicals as a basis for hazard identification. Nature Reviews, endocrinology. 16 (45-57). https://www.nature.com/articles/s41574-019-0273-8

Munoz et al. 2021. Glyphosate and the key characteristics of an endocrine disruptor: a review. Chemosphere 270. doi.org/10.1016/j.chemosphere.2020.128619

Tous perturbés?

La semaine dernière, une étude menée conjointement par la RTS et le magazine Bon à Savoir, montrait que les enfants romands étaient largement contaminés par des perturbateurs endocriniens.

Cette étude est un coup de sonde. L’urine de 33 petits et jeunes romands a été analysée pour y chercher différents composés dont le bisphénol A ou les phtalates.

Sans surprise, tous les enfants avaient des taux plus ou moins élevés de perturbateurs endocriniens dans leur urine. Et nul doute qu’il en irait de même si on analysait notre propre urine.

Cela confirme une fois de plus que nous baignons dans une soupe chimique. Et que les substances auxquelles nous sommes exposés quotidiennement peuvent entrer dans notre corps, que ce soit par notre alimentation, par la respiration ou par la peau.

Mais revenons un peu en arrière. Que sont ces fameux perturbateurs endocriniens?

Cette notion est apparue pour la première fois au début des années 1990. C’est la chercheuse Theo Colburn qui met en lumière ces substances qui perturbent le fonctionnement du système hormonal.

Certes, les substances elles-mêmes ne sont pas nouvelles. Par exemple le fameux DDT, l’insecticide qui a fait l’objet du livre Silent Spring de Rachel Carson, en fait partie. En 1990, il est déjà interdit dans les pays occidentaux.

Mais ce que montre Theo Colburn, et les chercheurs de l’époque, c’est que ces substances peuvent mimer les hormones. En clair, elles prennent leur place et induisent des effets “non voulu” par le corps lui-même.

Exposés à des stades clés de développement, par exemple pendant la phase de différentiation sexuelle lors de la gestation, les individus peuvent développer des caractéristiques à la fois mâles et femelles. Cela a été montré notamment chez les poissons.

Les perturbateurs endocriniens peuvent agir comme des hormones sexuelles, mais également comme des hormones tyroïdiennes. Ou encore ils peuvent avoir une action sur différentes glandes à l’origine de la production d’hormones, réduisant ou augmentant leur production.

En 1996, Theo Colburn va en faire un livre, “Our stolen future” (notre futur volé), qui pose notamment la question des effets sur la fertilité humaine, à long terme, de ces fameux perturbateurs endocriniens.

Car ce que remettent aussi en question ces substances, c’est le principe de Paracelse.

Depuis le début des études toxicologiques, les chercheurs sont partis de l’hypothèse que la dose faisait le poison. Le fameux principe de Paracelse. En clair, plus l’exposition de l’individu est élevée, plus l’effet est important.

Or les perturbateurs endocriniens bousculent cette hypothèse. Il semble en effet qu’ils puissent exercer des effets toxiques à de très faibles doses. Parfois même les effets à très faibles doses sont plus importants que ceux observés à une dose plus élevée. La dose ne fait plus le poison.

La conséquence de cette observation, c’est qu’il n’est plus possible de fixer des valeurs seuils en dessous desquels l’exposition est dite sans effets. Et donc que toute exposition à des perturbateurs endocriniens peut être problématique.

En continuant ce raisonnement, cela signifie que les substances reconnues comme perturbateurs endocriniens doivent être interdites.

Pas si simple.

D’abord, les agences gouvernementales semblent peu enclines à reconnaître cette nouvelle relation entre la dose et les effets. Ainsi au début du mois de février 2021, l’Endocrine Society, qui regroupe 18’000 spécialistes du système hormonal, critique sévèrement l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) pour la non prise en compte de cette relation dans un projet de rapport sur les substances chimiques (via Le Monde).

Ensuite la définition des perturbateurs endocriniens fait débat. Après plus de 10 ans de tergiversations, l’Union européenne accouche enfin d’une définition en 2017.

Reste que cette définition est très contraignante. En effet, pour être déclaré “perturbateur endocrinien”, il faudra démontrer, entre autre, que la substance a un mode d’action qui altère une ou des fonctions du système hormonal. Mais surtout, il faudra démontrer que les effet toxiques observés à l’échelle de l’individu sont une conséquence directe de ce mode d’action.

Or il est très compliqué de faire un lien entre le mode d’action (par exemple la liaison de la substance avec un récepteur hormonal) et des effets observés (par exemple une baisse de la fertilité). Ce qui laisse la place ouverte aux controverses.

De plus cette définition ne considère que l’être humain, et non les espèces de l’environnement.

On est donc bien loin d’avoir des outils pour légiférer sur les perturbateurs endocriniens.

Alors que faire?

Comme déjà mentionné plusieurs fois, si on ne peut échapper aux substances chimiques, on peut cependant tenter de diminuer son exposition. En faisant attention à son alimentation, aux cosmétiques utilisés, aux détergents, etc…

L’émission “On en parle” a consacré son guichet de mercredi 10 février aux questions des parents dont les enfants ont été testés. Avec des pistes de solutions.

Reste que le citoyen lambda, vous, moi, ne pouvons pas faire grand chose pour éviter l’exposition via notre veste, traitée avec des perfluorés, ou notre canapé, traité avec des retardateurs de flamme organophosphates. Ces traitements ne sont pas déclarés.

Il faudrait donc faire des choix politiques forts pour avancer dans ce domaine.

Peut-être une bonne nouvelle? L’Union européenne, dans sa stratégie pour un monde sans pollution chimique, semble décidée à s’attaquer aux perturbateurs endocriniens.

Dossier à suivre.

 

La curiosité des grenouilles

L’écotoxicologie est une discipline relativement récente. Les premiers tests d’écotoxicité datent des années 1970. Il y a donc un peu plus de 50 ans de développements méthodologiques. Ce qui est finalement très peu si on veut tenter de caractériser les risques que présentent les substances chimiques pour toutes les espèces de l’environnement.

Dans un premier temps, l’écotoxicologie s’est inspirée de sa grande sœur, la toxicologie, qui se focalise sur l’être humain.

Ainsi les tests développés et appliqués pendant des années se concentraient sur des effets comme la mortalité ou encore la reproduction, voir la croissance des individus.

Cependant, certaines études ont montré que ces paramètres n’étaient pas suffisants pour décrire les effets complexes des polluants.

Ainsi, des chercheurs ont mis en évidence que le cuivre pouvait affecter le système olfactif des poissons à des concentrations que l’on peut détecter dans l’environnement. Ils font l’hypothèse que cette perturbation de leur odorat pourrait empêcher ces poissons de reconnaître leur prédateurs.

Cela paraît anodin, mais si les poissons ne reconnaissent plus leurs ennemis, ils se feront alors tuer plus facilement, ce qui peut amener à des diminutions drastiques de certaines populations.

Cet exemple montre que s’intéresser à la survie ou à la reproduction d’une espèce sous l’influence d’une substance toxique ne suffit pas.

Mais pour bien choisir les paramètres à étudier, il faut connaître les stratégies de survie et de reproduction des espèces. Ce que l’on appelle les traits de vie biologiques. Parmi eux, la manière de se nourrir.

Ainsi certains essais focalisent sur la vitesse d’alimentation des gammares, ces petites sentinelles des cours d’eau. D’ailleurs déclarés “Animal de l’année 2021” par Pro Natura. Ce paramètre, très sensible, peut même être mesuré avec des individus exposés dans des cages pour évaluer les effets de la pollution sur le terrain.

Trouver les bons paramètres à mesurer implique de se rapprocher de l’écologie, la science qui étudie les interactions entre les espèces et leur milieu.

Si pendant longtemps, écotoxicologie et écologie se sont ignorées, des rapprochements commencent à se faire.

Dans notre laboratoire, nous nous intéressons par exemple aux grenouilles.

Selon l’IUCN, 40% des amphibiens sont sur liste rouge, menacés d’extinction, soit bien plus que les mammifères.

Différents facteurs expliquent cet état de fait: l’anthropisation des milieux, les changements climatiques, mais également les substances chimiques comme les pesticides ou les antibiotiques que l’on trouvent dans les milieux humides.

Les amphibiens, comme les grenouilles, ont une peau très perméable qui les rend sensibles aux polluants. D’autre part, de par leur mode de vie, ils sont exposés dans l’eau pendant la phase larvaire, puis par l’air et le sol pendant la phase adulte.

Pour que les populations de grenouilles puissent se développer, les individus doivent être capables de se disperser sur le territoire, afin d’aller chercher de la nourriture, de se reproduire et de pondre. Mais le but le plus important de cette dispersion est, selon les écologues, d’augmenter le flux de gènes. C’est-à-dire d’éviter la consanguinité et d’augmenter la diversité génétique, afin d’augmenter la capacité de réponse aux stress environnementaux (prédation, changements climatiques, perte de l’habitat, pollution). Enfin, cette dispersion permet aussi de coloniser de nouveaux milieux.

Cette capacité de dispersion est donc un paramètre très important pour la survie des espèces.

Les écologues ont défini un paramètre permettant de mesurer cette dispersion, la “curiosité” ou la “hardiesse”. Plus un individu est curieux/hardi, plus il aura tendance à partir loin de son lieu de naissance et donc plus grande sera la chance qu’il puisse trouver un partenaire génétiquement différent.

Cette curiosité peut se tester en laboratoire.

On crée une arène avec une petite chambre fermée en son centre. On place la petite grenouille dans la chambre pendant quelques minutes. Puis on ouvre la chambre.

Le comportement de la grenouille est ensuite filmé. On regarde ainsi  le temps avant que la grenouille ne bouge, la distance parcourue dans l’arène, ou la surface couverte pendant un certain laps de temps.

On peut ensuite comparer le comportement de grenouilles qui ont été exposées à une ou des substances chimiques, avec celui de grenouilles non exposées. Cette comparaison permettra de mettre en évidence un effet négatif du/des polluants, si il existe.

Beaucoup plus sensibles que des tests sur la survie ou la reproduction, ces essais peuvent être effectués avec des concentrations environnementales. En effet, les tests classiques, sur la survie ou la reproduction, nécessitent souvent, pour voir des effets, d’utiliser des concentrations élevées, bien au dessus de celles que l’on détecte dans l’environnement.

Ces recherches, à l’interface entre l’écologie et l’écotoxicologie, sont donc particulièrement importantes pour mieux définir les risques des substances chimiques, et finalement définir des normes environnementales.

 

Merci à Laurent Boualit, doctorant dans notre labo, pour sa relecture attentive et pour m’avoir fait mieux connaître les amphibiens.

 

Références:

Agatz A, Brown CD. 2014. Variability in feeding of Gammarus pulex: moving towards a more standardised feeding assay. Environmental Science Europe 26: 15.

Beyers DW, Farmer MS. 2001. Effects of copper on olfaction of colorado pikeminnow. Environmental Toxicology and Chemistry 20. 907-912.

Une désinfection sans risque?

La désinfection des mains fait partie des gestes barrières dans la protection contre la pandémie actuelle. Le but n’est pas ici de remettre en cause ce principe que j’applique moi-même chez nous lors de chaque maladie (gastro, grippe ou autre).

Par contre j’aimerais discuter des désinfectants qui peuvent être utilisés. Et des risques que certains peuvent poser.

Mais d’abord à quoi cela sert-il d’en utiliser?

Un désinfectant sert à détruire les pathogènes: virus et bactéries principalement.

De loin, les bactéries sont les plus difficiles à éliminer. Elles sont capables de développer tout une série de mécanismes pour s’adapter et devenir résistantes à une ou plusieurs substances chimiques. Et donc avec le temps, ces substances ne sont plus efficaces.

C’est le problème de plus en plus d’antiobiotiques. De nombreuses bactéries sont devenues multi-résistantes et il n’y a plus beaucoup de médicaments qui peuvent venir à bout de certaines souches d’Escherichia coli ou de staphylocoque doré. L’OMS parle de l’entrée dans une ère post-antibiotiques.

Les désinfectants utilisés pour combattre les bactéries doivent donc contenir des substances chimiques très efficaces, voir il doivent les combiner.

Pour éliminer un virus, tel que le Covid 19, c’est plus simple. Il s’agit de dissoudre la couche de graisse qui le protège. Ce pourquoi un bon lavage des mains avec un savon gras est suffisant. L’alcool est également efficace.

Malheureusement, les désinfectants que l’on trouve sur le marché ne sont pas dédiés uniquement à la lutte contre les virus. Ils contiennent donc fréquemment des substances très puissantes dont les effets sur l’homme et sur l’environnement ne sont pas anodins. Surtout si ils sont utilisés très fréquemment comme actuellement.

Voici deux exemples.

Prenons d’abord la familles des sels d’ammoniums quaternaires. Ils sont beaucoup utilisés comme tensioactifs, mais également comme biocides désinfectants.

Certaines molécules contiennent du chlore, comme le chlorure de benzalkonium (ADBCA). Bactéricide, il a également une activité spermicide, ce qui fait qu’il est utilisé dans certaines crèmes contraceptives.

Un petit tour dans les commerces environnants m’a montré que beaucoup de désinfectants proposés à l’entrée des magasins contiennent du chlorure de didecyldimethylammonium (DDAC), un autre de ces sels, toujours chloré.

Or les sels d’ammoniums quaternaires sont sous la loupe des chercheurs depuis quelques années déjà. On les soupçonne fortement d’être des perturbateurs hormonaux. En 2014, des chercheurs de Virigina Tech montrent que la fertilité des souris est affectée par l’ADBCA et le DDCA. Trois ans plus tard, la même équipe montre que ces substances provoquent des malformations chez les bébés souris.

C’est inquiétant. D’autant que leur utilisation augmente. C’était déjà le cas avant la pandémie, puisque les sels d’ammoniums quaternaires ont remplacé, dans les cosmétiques, une autre substance problématique, le triclosan (nous y reviendrons).

Mais ces sels sont encore beaucoup plus utilisés depuis mars 2020.

Une étude menée en 2020 par l’Université de l’Indiana aux Etats-Unis a analysé la poussière d’appartements dans lequels une désinfection plus ou moins poussée était effectuée. La quantité de sels d’ammoniums quaternaires était proportionnelle à leur utilisation. Avec une médiane de 1300 ng/g de poussière (somme de 18 sels communément utilisés). Les plus hautes concentrations se trouvant dans les appartements “les plus désinfectés”.

Or la poussière est une voie non négligeable d’exposition chez l’homme. Notamment pour les petits enfants qui sont souvent au niveau du sol.

Autre molécule. Je vous ai parlé plus haut d’un autre biocide, le triclosan. Il s’agit d’un organochloré, comme le DDT qui a fait l’objet du livre de Rachel Carson et qui a conduit aux premières réglementations sur les pesticides.

En  2017, le Temps titrait sur les dangers du triclosan. Perturbateur endocrinien, il est également mis en cause dans les cas d’inflammation du côlon pouvant déboucher sur des cancers.

Alors que son usage était en diminution, le triclosan est revenu en force avec la pandémie. Certains produits contiennent jusqu’à 10mg/ml de triclosan, mais ils devraient être réservés à un usage médical.

C’est d’ailleurs un des problème. Des produits à usages médicaux se retrouvent à être utilisés au quotidien par tout un chacun. Qui n’est pas forcément au fait des risques que ces substances peuvent poser pour la santé.

Et l’environnement dans tout cela?

Toutes les substances que nous appliquons sur la peau ou sur les surfaces finiront dans l’air ou dans l’eau. Il serait donc intéressant de monitorer le triclosan ou les sels d’ammoniums quaternaires dans les eaux usées pour voir si leurs concentrations ont augmenté depuis les derniers mois.

Pour l’instant je n’ai pas vu d’études dans ce sens.

En terme de risque, ces substances présentent les mêmes dangers pour les espèces de l’environnement, notamment les vertébrés, que pour la santé humaine. S’agissant de perturbateurs hormonaux, ils peuvent avoir des effets sur la fertilité.

Alors que faire? D’un côté on nous recommande fortement de nous désinfecter les mains fréquemment, et d’un autre côté, beaucoup de produits désinfectants contiennent des substances qui ne sont pas sans danger pour la santé et l’environnement, à long-terme.

Personnellement, j’ai choisi de me laver les main avec un savon gras simple si c’est possible. Si ce n’est pas possible, j’ai toujours un flacon de désinfectant simple, à base d’alcool, que j’utilise lorsque je dois désinfecter mes mains ou celles de mon fils.

Je pense cependant qu’il faudrait des règles beaucoup plus claires sur les désinfectants à usage régulier, notamment pour ceux qui sont utilisés dans les écoles et dans les crèches.

Des désinfectants sans substances problématiques existent. Ils devraient être privilégiés dans les lieux qui accueillent des personnes sensibles comme les enfants. Il en va pour moi de leur santé à long-terme.

Et l’environnement s’en portera également mieux.

 

Référence:

Zheng G. 2020. Indoor exposure to desinfecting chemicals during the Covid-19 pandemic. Remote SETAC Conference USA.

 

 

 

 

 

L’Europe annonce son ambition d’un monde “sans pollution chimique”

C’est une nouvelle qui est passée complètement inaperçue. Et pourtant, c’est une bonne nouvelle!

Le 14 octobre, la Commission européenne a adopté une nouvelle stratégie pour tendre vers un environnement exempt de substances chimiques.

Plus concrètement cette stratégie “stimulera l’innovation en faveur de produits chimiques plus sûrs et plus durables et renforcera la protection de la santé humaine et de l’environnement contre les produits chimiques dangereux. Elle prévoit notamment d’interdire l’utilisation des produits chimiques les plus nocifs dans les produits de consommation tels que les jouets, les articles de puériculture, les cosmétiques, les détergents, les matériaux en contact avec des denrées alimentaires et les textiles, sauf s’ils se révèlent essentiels pour la société, et de veiller à ce que tous les produits chimiques soient utilisés de manière plus sûre et plus durable”.

Certes, il s’agira maintenant de mettre en place des outils concrets et pratiques pour atteindre le but affiché. Mais néanmoins l’ambition est là.

De plus, la Commission européenne reconnaît l’effet des mélanges et déclare qu’il doit être considéré comme tel. Après 20 ans de tergiversations autour de sa prise en compte dans les législations, il est grand temps.

En 2006 déjà, l’Union européenne révolutionne la mise sur le marché des substances chimiques en imposant aux producteurs d’évaluer le risque, humain et environnemental, des substances chimiques qu’ils mettent sur le marché.

Cette démarche inverse le fardeau de la preuve. Ce n’est plus au scientifique de prouver, après coup, qu’une substance est à risque. C’est le producteur qui doit montrer qu’elle ne l’est pas.

C’est la directive REACH.

Ce fût un travail titanesque puisque 30’000 substances, sur les 120’000 sur le marché en Europe, devaient être ainsi évaluées.

Malheureusement, 14 ans après, force est de constater que REACH n’a que partiellement atteint son but.

Comme je l’avait écrit en juillet 2019, les données fournies par les industries sont souvent incomplètes, voir incorrectes. De plus, certains industriels ont réussi à contourner la directive et à laisser sur le marché des substances problématiques, sur la base du principe d’exception. Vous pouvez lire à ce propos l’excellent livre d’Henri Boullier “Toxiques Légaux” (ou voir son interview).

Avec cette nouvelle stratégie, la Commission européenne remet l’ouvrage sur le métier.

En effet, selon les chiffres publiés par le Monde, “300 millions de tonnes de substances chimiques sont produites en Europe chaque année, dont 74% sont considérées comme dangereuses pour la santé et/ou l’environnement par l’Agence européenne de l’environnement”. Ce sont les phtalates, parabènes, bisphénol-A, etc.

Espérons donc que la Commission se donnera les moyens de ses ambitions.

D’autant qu’avant son annonce, cette stratégie a fait l’objet d’intenses débats.

Sans étonnamment, c’est la Direction générale du marché intérieur et de l’industrie qui s’y est le plus fermement opposée. Il faut dire que l’industrie chimique est la quatrième plus grande industrie de l’Europe et qu’elle emploie 1.2 millions de personnes.

Mais plus bizarrement, la Direction générale de la Santé était également fortement opposée à cette stratégie.

Selon l’ONG Bureau européen de l’environnement, rapporté dans Actu Environnement, “une relation malsaine entre la DG santé et la direction générale en charge de l’industrie a été encouragée par l’ancien patron de la Commission Jean-Claude Juncker qui a subordonné la première à la seconde”.

C’est donc une affaire à suivre.

Si on revient à la stratégie elle-même, un point est intéressant. L’idée est promouvoir des substances chimiques plus sûres dès la conception. Ou plus clairement, de prendre en compte tout le cycle de vie de la molécule, de sa conception à sa dégradation. C’est le concept de “chimie verte“, qui a été beaucoup discuté au tournant de siècle, mais qui n’a été que très peu appliqué.

Et la Suisse dans tout cela?

Comme nous ne faisons pas partie de l’Europe politique, rien ne nous contraint à adopter la même stratégie.

Les exemples du passé nous montre que nous sommes en général observateurs. Nous ne prenons, dans nos législations, que très partiellement les nouvelles réglementations européennes sur les substances chimiques. Ou alors tardivement.

Un exemple. Alors que l’Union européenne a interdit le bisphenol-A dans les biberons en polycarbonate dès 2011, la Suisse a attendu 2017.

Autre exemple, le dioxyde de titane (E171) est interdit depuis janvier 2020 en France comme additif alimentaire, et les députés européens se mobilisent pour faire de même en Europe. Mais ce n’est pas un débat en Suisse.

Espérons cependant que l’ambition de l’Union européenne d’un monde “sans pollution chimique” puisse inspirer la Suisse.

 

 

La généalogie des substances chimiques

Depuis plus d’une année, les journaux parlent régulièrement du chlorothalonil, un fongicide classé “peut-être cancérigène” par le Centre international de recherche sur le cancer.

Malgré que de multiples sources d’eau soient polluées en Suisse, l’eau potable ne présente pas forcément de risque pour la santé. C’est le sens du message du Conseil fédéral du 14 septembre 2020: “Un dépassement de la concentration maximale autorisée en métabolites du chlorothalonil ne représente pas de danger imminent pour la santé. Il s’agit surtout de respecter la valeur maximale afin de garantir à titre préventif la protection de la santé.”

C’est à y perdre son latin. Pourquoi donc le risque serait-il minime alors même que les dépassements de la norme sont importants?

En fait, ce n’est pas le chlorothalonil qui pose problème dans les sources d’eau potable, mais ses métabolites. En effet, l’Office fédérale de la Santé Publique a décidé de classer ces métabolites comme “pertinentes” en 2019.

Qu’est-ce que cela veut dire?

Comme le chlorothalonil est peut-être cancérigène, on ne peut pas exclure que ses métabolites ne le soient pas. Et donc, les sources où elles dépassent la norme de 0.1 microgramme par litre, fixée pour l’eau potable, doivent être soit fermées, soit l’eau doit être diluée.

Le chlorothalonil lui-même ne dépasse pas les normes.

Si on feuillette la dernière édition du “Statistique de poche” publié par l’Office Fédérale de la Statistique, on s’aperçoit que le cas du chlorothalonil n’est pas unique. La grande majorité des substances détectées en lien avec l’agriculture sont des métabolites ou “produits de dégradation” (en bleu).

 

Figure 1: OFS. 2020.

Faut-il alors s’en inquiéter?

Revenons un peu en arrière pour bien comprendre ce qu’est une métabolite.

Les substances chimiques dont on entend parler: glyphosate, bisphenol A, chlorpyriphos, parabènes, sont ce que l’on appelle les substances actives. Ce sont elles qui vont donner au produit (pesticide, plastique, cosmétique, etc…) les propriétés que l’on recherche.

Mais une fois dans l’environnement, ces substances ne sont pas stables. Elles vont être modifiées. Par exemple sous l’effet des rayons UV du soleil ou en réagissant avec d’autres composés chimiques.

La dégradation la plus importante est liée à la métabolisation par les organismes vivants, notamment les bactéries.

Nous-même nous métabolisons les substances chimiques que nous ingérons. Ainsi certains médicaments ne sont présents sous forme “parente” qu’à 1 ou 2% dans les urines. Le reste l’est sous forme de métabolites. Chez nous, c’est principalement le foie qui fait ce travail.

En se transformant, les substances chimiques perdent des éléments. La molécule devient souvent de plus en plus simple.

De ce fait, plusieurs substances parentes peuvent donner les mêmes produits de dégradation. Ce qui rend le traçage difficile.

Une substance-mère peut donc donner naissance à 5, 10, voir 20 métabolites. Suivant les conditions environnementales, la biologie présente, etc. Il n’est donc pas étonnant que l’on détecte beaucoup plus de métabolites que de substances parentes.

La question qui se pose est de savoir si ces métabolites sont aussi toxiques que la substance initiale.

Et c’est là que les choses se corsent. Car comme souvent, les données d’écotoxicité et de toxicité manquent.

Souvent, les métabolites sont moins toxiques que les substances parentes. C’est le cas des substances de dégradation de l’atrazine, un herbicide du maïs interdit en Suisse.

Le schéma ci-après montre les chaînes de dégradation possibles en fonction des bactéries présentes. 9 métabolites sont possibles.

L’atrazine étant un inhibiteur de la photosynthèse, nous avons testé 4 métabolites principales sur la croissance des algues. Elles étaient 20 à 100 fois moins toxiques que l’atrazine lui-même.

Figure 2: Chaînes de dégradation possibles de l’atrazine (Eawag).

Mais parfois, la métabolite est plus toxique que la substance parente.

C’est le cas des nonylphénols.

Les nonylphénols polyéthoxylés sont largement utilisés comme tensioactifs dans l’industrie. Or dans l’environnement, ces longues chaînes de carbones se fragmentent pour donner des métabolites, les nonylphénols. Ceux-ci sont assez stables, mais surtout ils sont bioaccumulables et reprotoxiques. Ce qui a amené à leur interdiction en Europe dans les années 2000. Mais ils sont encore largement utilisés dans d’autres régions du monde.

En 2004, Boxall et ses collègues chercheurs ont fait le bilan de ce que l’on savait (et que l’on ne savait pas) sur les métabolites. Ils concluent du manque important de données existantes et donnent des pistes pour les recherches à mener dans le futur.

En particulier, il faudrait perfectionner les outils de tri existants pour mettre rapidement en évidence les métabolites qui pourraient être plus toxiques que les substances parentes. Par exemple sur la base d’un examen de la structure chimique.

Il faudrait aussi tester les effets des mélanges, sur le long terme, des substances parentes et des métabolites.

Plus de 15 ans après ce texte, la recherche n’a pas beaucoup avancé. Un de frein est la difficulté de prédire la dégradation des substances chimiques, dégradation qui dépend fortement des conditions environnementales et des microorganismes présents.

Il est aussi souvent impossible de se procurer les métabolites pour les tester. Elles n’existent pas sur le marché.

C’est un large pan des molécules chimiques présentes dans l’environnement qui est pour l’instant ignoré, tant au niveau du devenir que des effets toxiques.

Il est donc urgent de développer des méthodes fiables pour évaluer dans quelle mesure les métabolites, par exemple celles du chlorothalonil, sont réellement pertinentes!

Référence:

Boxall et al. 2004. When synthetic chemicals degrade in the environment. Environmental Science and Technology 38. 368A-375A.