Au XXème siècle, la médecine a fait un bon en avant spectaculaire avec l’arrivée sur le marché de médicaments permettant de soigner de petits maux, mais également de sauver des vies. Antibiotiques, agents chimiothérapeutiques, substances agissant sur le système cardio-vasculaire, toutes ces molécules chimiques permettent de prolonger la vie, et leur utilisation ne saurait être remise en question.
Mais que se passe-t-il lorsque l’on ingère un médicament? Celui-ci va bien sûr avoir une action sur le symptôme que l’on souhaite traiter. Mais le corps va aussi se défendre contre cette substance étrangère et donc chercher à l’éliminer. Elle va ainsi être transformée, souvent pour la rendre plus soluble, et donc pouvoir être éliminée par les urines. Par exemple, un groupement polaire (soluble) peut être accolé à la substance (le paracétamol est éliminé par cette voie). Le foie, l’organe de détoxification de l’organisme, de même que les reins, sont ainsi en première ligne dans le mise en place de cette défense.
Les médicaments ingérés se retrouvent donc dans les urines, puis dans les toilettes, et vont suivre, avec les eaux usées, le long trajet jusqu’à la station d’épuration. Or les stations d’épuration ont été prévues pour éliminer le phosphore et l’azote, ainsi que la matière organique contenus dans nos déjections. Mais pas les substances chimiques de synthèse qui passent aisément les filtres physiques et biologiques. Pire, les bactéries des stations d’épuration peuvent casser la liaison avec les groupements polaires construits par le corps. On mesure ainsi une plus haute concentration de médicaments en sortie de station d’épuration qu’en entrée.
Les médicaments se retrouvent donc dans les milieux aquatiques, et ceci depuis maintenant des dizaines d’années. A l’échelle d’une ville, cela représente plusieurs kilos par jour qui sont ainsi rejetés dans le milieu naturel. Or même si elles se dégradent dans l’environnement, ces substances sont émises continuellement. On les appelle “pseudo-persistantes” car on les détecte de manière permanente dans les eaux. La vie aquatique y est donc continuellement exposée.
De manière générale, c’est la consommation humaine de médicaments qui représente la plus importante source de pollution des eaux. Mais pour certaines substances spécifiques, l’industrie contribue également, de même que l’agriculture via l’utilisation de médicaments vétérinaires.
Si la pollution des eaux par les médicaments est essentiellement liée à leur consommation, la mauvaise gestion des déchets y contribue également. Par exemple lorsque des restes de médicaments sont jetés dans les toilettes. Ramener ses médicaments périmés à la pharmacie ou à la déchetterie aide à diminuer leur entrée dans les systèmes aquatiques.
Il faut aussi souligner que contrairement à une idée reçue, les hôpitaux ne sont pas des sources très importantes de médicaments dans les eaux usées. A part pour certaines substances spécifiques, ils ne contribuent qu’à hauteur de maximum 5% à la pollution. Ceci s’explique par le fait que la plupart des traitements sont faits en ambulatoires. Les patients prennent donc les médicaments à l’hôpital, mais les excrètent à la maison.
Qu’en est-il donc de concentrations dans les eaux et des effets sur la faune et la flore?
Force est de constater que pour l’instant, on ne sait pas grand chose.
Sur les 2000 substances médicamenteuses existant sur le marché, on est capable d’en chercher une cinquantaine. Soit à peine 3%. On mesure donc actuellement la pointe de l’iceberg. On trouve des concentrations assez élevées proches des rejets des stations d’épuration, et celles-ci diminuent par dilution, voir par dégradation, lorsque l’on s’éloigne du point de rejet.
Et quels en sont les effets sur la vie aquatique me demanderez-vous?
Là encore, nous avons très peu de données et très peu de recul. Certainement que les effets se verront sur le long-terme, et qu’ils seront plutôt dus au cocktail de substances présentes, plutôt qu’à l’une d’entre elles en particulier.
Face à toutes ces interrogations et ces doutes, la Suisse a décidé de miser sur une meilleure élimination de ces substances en bout de tuyau, dans la station d’épuration, avant leur rejet dans l’environnement. Les techniques mises en place, soit une filtration avec du charbon actif, soit un dégradation par l’ozone, permettront de diminuer les rejets de médicaments dans les eaux.
Reste qu’il ne s’agit pas de solutions permettant une élimination complète des rejets médicamenteux. En effet, par temps de pluie, une partie des eaux usées sont rejetées directement dans le milieu naturel. De plus, certaines substances ne seront que peu éliminées par les techniques qui seront mises en place dans les stations d’épuration.
A mon sens, il convient donc de réfléchir également à la source, c’est-à-dire sur la consommation de médicaments. Et je pense que que le monde médical a un rôle clé à jouer ici. D’abord pour rappeler aux patients le bon usage des médicaments (ne pas les jeter dans les toilettes). Mais également pour sensibiliser le patient à l’impact sur le milieu naturel. Beaucoup de gens ont ainsi été effrayés par les traces de médicaments que l’on trouve dans l’eau potable en Suisse. Or ces traces proviennent avant tout des médicaments que nous consommons.
Photo de notre société, les eaux usées montrent que nous consommons énormément de médicaments contre les douleurs (anti-inflammatoires notamment) mais également d’anti-dépresseurs, de somnifères, d’anti-cholestérol, etc…
Une meilleure hygiène de vie et une consommation plus raisonnée de médicaments pourraient à long-terme préserver l’environnement, nos ressources en eau potable, mais certainement également notre santé.
Merci à John Steinbeck pour la libre interprétation de son titre “Des souris et des hommes”