PE pour Perturbateur Endocrinien

J’ai reçu passablement de questions suite à mon dernier post “Tous perturbés“.

En effet, les mots “perturbateurs endocriniens” inquiètent. C’est normal. On pense immédiatement au changement de sexe des poissons ou à la baisse de la fertilité masculine.

Or il faut bien admettre que si les termes “perturbateurs endocriniens” sont largement utilisés dans la presse et par le public, les scientifiques ne sont pas vraiment d’accord sur ce qu’est un perturbateur endocrinien.

Bien sûr, il y a l’exemple bien connu de l’ethynylestradiol contenue dans les pilules contraceptives. Cette hormone féminine de synthèse a été un des premier exemple concret de perturbation hormonale dans l’environnement. A des concentrations aussi faibles que quelques ng/l, cette substance est capable d’inhiber le développement de caractéristiques mâles chez les poissons.

Cet effet est de type “clé-serrure”. C’est-à-dire que l’hormone de synthèse va se lier aux récepteurs à oestogènes et induire un effet hormonal. C’est d’ailleurs ce que l’on attend de la pilule contraceptive qui va bloquer l’ovulation.

Mais c’est un effet indésiré chez le poisson mâle. Car là aussi, l’hormone synthétique va se lier à des récepteurs “féminins” et empêcher le développement des caractéristiques masculines.

Cependant, le système hormonal est bien plus complexe qu’un système clé-serrure.

Il y a d’abord une multitude d’hormones. On connaît les hormones sexuelles, oestrogènes, progestérone, testostérone. Mais il y a aussi les hormones tyroïdiennes, essentielles pour la croissance, l’adrénaline et le cortisol qui interviennent en cas de stress, la dopamine, l’hormone du plaisir, etc…

Il y aussi une multitude d’organes et de glandes qui s’occupent de créer, véhiculer, transcrire ou éliminer ces hormones. L’hypothalamus, la tyroïde, les surrénales, les ovaires et les testicules, pour ne citer qu’eux.

A ce stade, difficile de donner une définition d’un perturbateur hormonal. Est-ce une substance qui va agir sur un organe, qui produira alors plus, ou moins, d’hormones? Est-ce une substance qui va empêcher les hormones d’agir?

Tout récemment, un groupes d’experts en endocrinologie issus de différents pays européens, asiatiques et américains, ont publié une liste de 10 critères pour caractériser les perturbateurs endocriniens. De manière similaire à ce qui se fait pour définir des substances cancérigènes.

Les voici:

1.La substance interagit avec ou active un récepteur hormonal. C’est le système clé-serrure décrit ci-dessus. Il est bien connu pour les substances qui miment les oestrogènes (phtalates, bisphénol A) ou la testostérone. Il y a beaucoup moins de recherche, si ce n’est pas du tout pour les autres hormones.

2. La substance empêche l’hormone d’interagir avec le récepteur. Certains médicaments jouent ce rôle dans le cas de cancers hormono-dépendants. Comme le tamoxifen. Il bloque les récepteurs aux oestrogènes dans le cas de certains cancer du sein.

3. La substance altère l’expression des récepteurs hormonaux. L’hormone se fixe bien au récepteur, mais rien ne se passe. Il semble que certains phtalates ou que le bisphenol A puisse avoir ce mode d’action.

4. La substance altère la chaîne de transmission. Le signal est bien donné par le récepteur, mais il est bloqué quelque part. A nouveau, il semble que le bisphenol A engendre ce mode d’action. A ce propos, il faut noter qu’une substance peut agir à différents niveaux et donc remplir plusieurs critères de la liste.

5. La substance induit des modifications épigénétiques. Au contraire d’une substance cancérigène, elle ne modifie pas les gènes, mais leur expression. Cette modification peut être transitoire, mais peut aussi se transmettre de la mère à l’enfant. C’est un phénomène naturel qui permet aux individus de s’adapter rapidement à leur environnement.

L’exemple le plus connu d’effet épigénétique “toxique” a été observé avec le distilbène. Ce médicament a été donné à de nombreuses femmes enceintes pour éviter les fausses-couches pendant la grossesse dans les années 1960/70. Il s’est avéré que les filles de ces femmes ont développé des malformations utérines et que beaucoup étaient stériles. S’il semble que cet effet distilbène s’efface à la troisième génération (actuellement adulte), il semble que d’autres types de malformations, par exemple cardiaques, aient été observées chez cette troisième génération.

Floriane Tisserand, doctorante dans notre laboratoire, travaille sur l’effet épigénétique d’un insecticide, le diazinon, sur les daphnies, des microcrustacés d’eau douce. Elle expose 3 générations de daphnies à cet insecticide à différents stades d’évolution. Les expériences sont en cours. Je vous en reparlerai à l’occasion.

6. La substance altère la synthèse des hormones. Dans ce cas, la synthèse de l’hormone ne se fait pas correctement ou pas du tout. C’est l’effet du perchlorate, un sel utilisé pour de nombreux usages, comme les explosifs et les munitions, et que l’on retrouve un peu partout dans l’environnement. Notamment dans les eaux. Il agit sur la synthèse des hormones tyroïdiennes.

7. La substance altère le transport des hormones au travers des membranes cellulaires. Certaines hormones comme les hormones “sexuelles” sont lipophiles et donc traversent les membranes de manière passives. D’autres ont besoin d’être aidées. Il semble ainsi que l’anti-corrosif imidazoline joue un rôle sur le transport de l’insuline.

8. La substance altère la distribution ou la circulation des hormones. Le bisphenol A, encore lui, réduit la circulation de la testostérone chez les rats mâles, de même que l’insecticide malathion. Un organophosphoré de la même famille que le diazinon que nous étudions au niveau de l’épigénétique.

9. La substance altère le métabolisme des hormones et leur destruction. Car il faut bien sûr que les hormones soient éliminées après avoir agit dans l’organisme. Sinon celui-ci serait sur-stimulé. Mais il ne faut pas non plus qu’elles soient éliminées trop rapidement. De nombreuses substances ont ce mode d’action, notamment certains PCBs.

10. Enfin, la substance altère le comportement des cellules qui produisent ou répondent aux hormones. Ainsi, l’oxybenzone, un filtre chimique anti-UV que l’on trouve dans de nombreux cosmétiques, augmente la production de cellules mammaires chez les souris portantes ou allaitantes. Et ceci encore de nombreuses semaines après l’exposition.

Nous sommes arrivés au bout de cette longue liste. Bravo à ceux qui ne sont pas découragés.

On constate donc que les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens sont complexes. Et que de nombreux perturbateurs endocriniens n’ont certainement pas encore été identifiés.

Tout récemment, au début de cette année, des auteurs ont montré sur la base d’une revue de littérature que l’herbicide glyphosate remplissait 8 des 10 critères mentionnés. Et devrait donc être classé comme perturbateur endocrinien au côté du bisphénol A, des phtalates, des PCBs, etc.

Mais tous ces critères sont définis pour l’être humain. Et s’ils peuvent s’appliquer pour les vertébrés, ce n’est pas le cas pour les invertébrés ou pour les plantes.

Ainsi les daphnies, les microcrustacés sur lesquels travaillent Floriane Tisserand, ont des pseudo-hormones. Qui n’ont pas la même sensibilité que les hormones humaines. Ce ne sont pas les mêmes récepteurs, ni les mêmes hormones.

De plus, de nombreuses espèces de l’environnement émettent des kairomones. Ces composés, émis dans l’air, dans l’eau, ou le sol, transmettent des informations entre individus de même espèce, ou de différentes espèces. Par exemple des informations sur un prédateur ou une proie. Chez la daphnie, les kairomones peuvent induire des effets sur la croissance ou même la reproduction.

C’est d’ailleurs ce type d’hormones qui sont utilisées dans la lutte par confusion en agriculture bio et non bio. Des hormones synthétiques sont diffusées pour que les insectes mâles ne trouvent pas les femelles. A ma connaissance, il n’y a pas d’études sur les insectes non cibles.

On est donc bien loin d’avoir compris les effets endocriniens que peuvent engendrer les substances chimiques sur les espèces de l’environnement, inclus l’être humain.

Je vais donc finir ce post de la même manière que beaucoup de précédents. Dans le doute et au vu du peu de connaissances que l’on a, il est vraiment important de réduire l’émission des substances chimiques dans l’environnement. Et donc l’exposition aux substances chimiques des espèces vivantes.

Cela passe par des aspects technologiques (traitement des effluents de station d’épuration), des gestes au quotidien (utilisation des cosmétiques, des désinfectants). Mais surtout par des décisions politiques fortes. Par exemple la mise en place d’une réglementation forte lors de la mise sur le marché des substances chimiques, mais également flexibles pour les retirer dès que nécessaire.

 

Référence:

Merrill et al. 2020. Consensus on the key characteristics of endocrine-disrupting chemicals as a basis for hazard identification. Nature Reviews, endocrinology. 16 (45-57). https://www.nature.com/articles/s41574-019-0273-8

Munoz et al. 2021. Glyphosate and the key characteristics of an endocrine disruptor: a review. Chemosphere 270. doi.org/10.1016/j.chemosphere.2020.128619

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

4 réponses à “PE pour Perturbateur Endocrinien

  1. Merci Madame pour cette présentation plus détaillées de ces substances.
    Au-delà des problèmes de concentration, peux-t-on dire que les PE d’origine naturelle sont moins perturbants pour les organismes vivants (qui les ont peut-être déjà rencontrés) que ceux qui sont de synthèse, c’est-à-dire non présents initialement dans la nature ? Ou, au fond, il n’y a pas tellement de différence et c’est essentiellement sur leur concentration qu’il faut urgemment agir ?

    1. Bonjour, il n’y a pas beaucoup d’études sur les hormones naturelles. Mais dans le cas des hormones sexuelles, comme les oestogènes, elles pourraient aussi induire un changement de sexe chez les poissons. Par contre, c’est effectivement une question de concentration. Elles sont beaucoup moins actives que les hormones synthétiques et se dégradent plus facilement. Il existe d’autres hormones naturelles comme les mycotoxines, issues du métabolisme de champignons, qui peuvent poser des problèmes pour les fourrages ou la nourriture: https://www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/themes/production-vegetale/protection-vegetaux/phythopathologie/mycotoxines.html.
      Mais de manière générale, je dirais que les PE synthétiques sont plus problématiques. Comme mentionné précédemment, ils sont souvent plus persistants (comme les PCBs qui se dégradent sur des centaines d’années) et les concentrations dans notre environnement peuvent être élevées au regard de leur toxicité.

  2. Merci pour ces éclaircissements salutaires et précis.
    Il faut aussi prendre en compte l’aspect quantitatif. Les substances potentiellement dérangeantes dans nos équilibres subtils ne sont pas déversées au compte gouttes, plutôt au bulldozer, ce qui rend toute attitude raisonable peu crédible hélas.
    On est mal barrés même si le pire n’est jamais certain.
    Belle journée

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