Des pesticides dans les peintures

On associe volontiers les pesticides à l’agriculture. Or ceux-ci ne sont pas uniquement utilisés pour protéger les cultures.

C’est une découverte que nous avons fait au début des années 2000, un peu par hasard.  A cette époque, je travaillais à Zürich, à l’Eawag. Les méthodes analytiques avaient fait de grandes avancées et nous étions capables de détecter plusieurs pesticides en même temps à des concentrations très faibles.

Nos collègues ingénieurs cherchaient à évaluer la pollution due aux eaux de ruissellement. Ces eaux qui “lavent” les routes finissent dans beaucoup d’endroits directement dans les cours d’eau. Or on savait qu’elles contenaient beaucoup de métaux (dépôts lié à l’usure des voitures et des bus) et de ce fait contaminaient les sédiments des rivières de manière importante.

Un peu par hasard, nos collègues nous ont demandé de mesuré des pesticides dans ces eaux de ruissellement. On s’attendait à ne rien trouver puisque ces eaux ne provenaient pas de régions agricoles.

Mais Oh surprise, les concentrations en certains pesticides, tel le diuron (un herbicide utilisé dans la vigne), étaient tout aussi élevées que dans les régions agricoles. Plus étonnant, on trouvait des pesticides non autorisés en agriculture comme la terbutryne.

Ceci méritait quelques investigations.

D’abord, on s’est rendu compte que la plupart des pesticides détectés étaient des herbicides qui inhibaient la photosynthèse, soit des substances sensées lutter contre le développement de plantes ou autres producteurs primaires. Ensuite, ces pesticides étaient principalement détectés dans les eaux de ruissellement, mais peu dans les eaux usées. C’était donc bien la pluie qui les amenaient avec elle.

De fil en aiguille, on en est venus à s’intéresser aux peintures de façades des bâtiments.

En effet, si vous regarder un mur qui a déjà quelques années, vous verrez qu’il se couvre d’une couche noire/verte par endroits. Ce sont des algues et des champignons. Aucun danger pour la structure du bâtiment, mais ce n’est pas très esthétique. On ajoute donc à la peinture des algicides (appelés aussi herbicides dans d’autres cas car ils agissent sur les producteurs primaires) pour lutter contre cette mousse verte.

Mais pourquoi retrouve-t-on ces substances dans les eaux?

Pour deux raisons principales:

– Pour que la substance exerce sa toxicité contre les algues, il faut qu’elle soit dissoute. Elle se dissout donc dans l’eau de pluie, et est entrainée par elle. De ce fait, l’action toxique diminue avec l’âge de la peinture car elle perd au fur et à mesure le pesticide.

– De plus, personne ne s’est jamais posé la question de la dose utile. On ajoute donc ce pesticide dans la peinture à XX% (je ne sais pas quel est ce pourcentage car il n’est pas déclaré sur l’étiquette) au petit bonheur la chance.

En 2009, une étude menée par un collègue de la HES de Rapperswil montraient que les concentrations dans les eaux ruisselant le long de nouveaux bâtiments étaient si élevées qu’elles devraient être diluées 10’000x à 100’000x pour respecter la valeur limite de 0.1 μg/l dans les eaux de surface.

A titre d’exemple, les eaux de ruissellement à la base d’un bâtiment de 10 mètres de haut, sans toiture, et âgé de 8 mois, contenaient des concentrations en terbutryne (algicide) sur les façades sud-ouest et nord-ouest entre 100 et 800 μg/l. Par événement de pluie, les quantités émises sont en moyenne de 600 μg pour la façade sud-ouest et de 1300 μg pour la façade nord-ouest, ceci par mètre courant.

Mais est-ce légal d’ajouter des pesticides dans les peintures de bâtiments?

Oui ça l’est. Il faut savoir que le terme “pesticide” n’existe plus pour la Loi. On distingue ainsi les substances phytosanitaires (ou phytopharmaceutiques…) utilisées en agriculture, des biocides, soit des substances permettant la conservation du produit. Cependant, cela peut être exactement les mêmes substances chimiques. Elles suivent juste des chemins différents pour être autorisées sur la marché Suisse. Les substances phytosanitaires tombent sous le coup de l’Ordonnance sur les produits phytosanitaires et sous l’égide de l’Office Fédérale de l’Agriculture, alors que les biocides sont sous le coup de l’Ordonnance sur les produits biocides et sous l’égide de l’Office Fédérale de l’Environnement.

Ainsi le cas de la terbutryne est intéressant. Elle n’est pas autorisée en agriculture. Je suspecte que c’est parce qu’elle est particulièrement toxique. En effet, appartenant à la même famille que l’atrazine (les triazines), elle est 10x plus toxique que cette dernière. La loi sur les produits biocides étant inexistante avant 2005 et moins stricte que celle sur les produits phytosanitaires après 2005, elle peut donc être inclue dans les peintures.

Le cas du mécoprop, un anti-racinaire incorporé dans les revêtements bituminueux est encore plus emblématique du grand flou qui régit la mise sur le marché des substances chimiques. Il est déclaré comme additif, et peut donc être utilisé sans souci et sans passer ni par l’Ordonnance sur les produits phytosanitaires, ni par celle sur les produits biocides.

Dix ans après ces études, des herbicides sont toujours utilisés dans les peintures de façade et on les détecte toujours dans les eaux de ruissellement.

Pourtant des alternatives existent. Par exemple, des chercheurs ont mis au point des revêtements poreux qui évitent la stagnation de l’eau sur les façades et donc le développement d’algues.

Autre solution, revenir à des bâtiments avec des avants-toits. Ceci évite le ruissellement de la pluie sur les façades et donc le lessivage des pesticides vers les cours d’eau.

 

Références:

Burkhardt M, Zuleeg S, Marti T, Boller M, Vonbank R, Brunner S, Simmler H, Carmeliet J, Chèvre N. 2009. Biocides dans les eaux de façades. Solutions à trouver. ARPEA 241: 13-16.

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

2 réponses à “Des pesticides dans les peintures

  1. Ma question est des plus naïve: et si on faisait simple? Un produit à base de chaux aérienne, éventuellement mélangé à 2% de caséine pour éviter qu’il ne farine, nous donne un blanc éclatant sans titane et sans aucun produit polluant d’aucune sorte. Les algues ne viennent pas dessus et le prix défie toute concurrence. Bon, ça ne fera pas marcher l’industrie….

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