La procédure d’homologation des pesticides a-t-elle du sens?

Le journal le Monde titrait aujourd’hui sur les recherches biaisées qui ont permis au pesticide chlorpyriphos d’obtenir son autorisation de mise sur le marché en 1990, citant une étude scientifique parue dans la revue Environmental Health le 16 novembre.

L’occasion de revenir sur la procédure d’homologation des pesticides et ses contradictions.

Depuis le scandale du DDT dans les années 60, les gouvernements occidentaux ont mis en place des législations contraignantes pour la mise sur le marché des pesticides.

J’insiste sur les mots “gouvernements occidentaux“. En effets, de nombreux pays n’ont toujours pas de législations contraignantes et des pesticides interdits depuis longtemps chez nous y sont encore utilisés. C’est le cas du paraquat ou du diafenthurion, qui faisait l’objet d’un reportage de la rts en septembre dernier. Certes, me direz-vous, ils sont épandus bien loin de chez nous. Peut-être, mais ils nous reviennent parfois via la nourriture importée que nous mangeons. Ainsi le riz peut en contenir des traces.

Donc chez nous, la mise sur le marché des pesticides est régulée par un processus d’homologation bien défini. Nous devrions ainsi n’avoir dans le commerce que des substances qui, utilisées correctement, ne présentent de risque ni pour l’homme, ni pour l’environnement.

Malheureusement cette procédure bien rodée comporte des biais.

D’abord, les données de toxicité et d’écotoxicité des substances candidates sont générées par les industriels. Les gouvernements qui reçoivent les demandes n’ont pas les moyens de refaire les tests par eux-mêmes. Il faut savoir que ces tests coûtent plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de francs. Et que les résultats représentent une armoire pleine de classeurs fédéraux. Aucun moyen d’aller vérifier les données avec l’argent public.

Ensuite ces données sont en Suisse confidentielle. Tout scientifique qui voudrait comparer avec ses propres données n’y a pas accès.

Mais le point le plus critique est lié aux méthodologies utilisées pour créer ses données. En effet, les tests sont effectués dans des conditions réglementées, suivant des bonnes pratiques de la laboratoire. L’idée est que ces tests soient reproductibles et puissent être contrôlés (ce qui sur le fond est une bonne idée).

Ces règles sont fixées par des organismes comme l’OECD, ou encore AFNOR pour la France et DIN pour l’Allemagne. Or dans les comités qui fixent les normes siègent des scientifiques, des représentants de l’administration, mais également des industriels. Ces normes sont donc des consensus qui peuvent prendre en compte des critères économiques par exemple. Les tests doivent être courts pour ne pas coûter trop chers.

L’exemple récent des néonicotinoïdes et de leurs effets sur les abeilles, et maintenant la dénonciation des effets neurologiques du chlopyriphos sur les rats montrent bien les limites du système: les tests actuellement effectués  pour l’homologation ne sont pas forcément adéquats pour protéger notre santé et notre environnement.

Alors quelles sont les solutions possibles?

Pour ma part, j’en vois en tout cas deux.

Premièrement, que les données des dossiers d’homologation soient accessibles au public et puissent donc être questionnées. C’est ce qui semble avoir été fait dans le cas du chlorpyriphos puisque les scientifiques ont ré-interprété des données différemment en utilisant d’autres statistiques.

Deuxièmement, que les normes de tests puissent être adaptées en fonction des problèmes actuels. De nombreux tests datent des années 70 et considèrent des effets sévères d’une seule substance sur de courtes périodes. Or les problèmes actuels sont liés à une exposition sur le long terme à un mélange de substances chimiques.

La procédure d’homologation, avant la mise sur le marché d’une substance, est un garde fou extrêmement important. Elle doit donc être crédible et scientifiquement fondée. Nous avons tous à y gagner.

 

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

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