Ce troisième chapitre – sur les treize que compte le traité -, fixe les vertus politiques et les impératifs militaires d’un état stratège dans ‘ses’ politiques de conquête et d’expansion.
Son titre peut aussi être : ‘Des propositions de la victoire et de la défaite’ ; ‘Combattre l’ennemi dans ses plans’ ou ‘la stratégie offensive’ selon ses interprètes.
Conserver les possessions et tous les droits du prince que vous servez, voilà quel doit être le premier de vos soins ; Veiller au repos des villes de votre propre pays en vous mettant à couvert de toute insulte des villages amis ; empêcher que les hameaux et les chaumières des paysans ne souffrent le plus petit dommage, c’est ce qui mérite également votre attention.
La politique d’expansion consistant à agrandir son territoire en faisant irruption dans les villages ennemis, en commettant crimes et destructions ne doit pas être un objectif ; au pire, un pis-aller : c’est ce à quoi la nécessité seule doit vous engager.
En matière de guerre, la meilleure politique consiste en règle générale à prendre l’État adverse intact en capturant son armée et en conservant ses possessions. Le ruiner ou l’anéantir ne serait qu’une politique inférieure et ne doit être l’effet que de la nécessité, l’option de dernier ressort.
En effet, le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires en cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans croiser le fer.
En matière de guerre, l’art suprême pour un stratège est de s’attaquer avant tout à la stratégie et aux plans de l’ennemi ; ensuite, lui faire rompre ses alliances en provoquant des ruptures et des dislocations ; puis à défaut ses troupes ; en dernier ses villes.
La plus mauvaise politique consiste à attaquer les cités. On attaque les cités qu’en désespoir de cause.
La préparation d’un arsenal de siège requière d’énormes sacrifices en temps, en infrastructure et en armes. Si, ne pouvant contenir son impatience, le commandant en chef lance prématurément l’assaut général en envoyant ses hommes escalader les remparts tels des fourmis, il perdra un tiers de ses effectifs sans avoir enlevé la place. Telle est la fatalité qui s’attache aux guerres de siège.
Un habile général ne se trouve jamais réduit à de telles extrémités; ainsi, les vrais experts en l’art de la guerre viennent à bout de prendre les villes en soumettant l’armée ennemie sans assaut ni combat et renversent un état sans opérations prolongées.
Le but doit être de vous saisir de l’empire et prendre intact « tout ce qui est sous le ciel » ; ainsi vos troupes ne seront pas épuisées et vos gains seront complets. Tel est l’art de la stratégie victorieuse.
En conséquence, la règle de l’art militaire veut qu’on encercle l’adversaire quand vous êtes certains de votre supériorité.
Cependant ne cherchez pas à dompter vos ennemis au prix des combats et des victoires ; car, s’il y a des cas où ce qui est au-dessus du bon n’est pas bon lui-même, c’en est ici un où plus on s’élève au-dessus du bon, plus on s’approche du pernicieux et du mauvais.
Il faut plutôt savoir subjuguer l’ennemi sans donner bataille : ce sera là le cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon pour vous approcher de l’incomparable, voire de l’excellence.
L’attaquez, l’assaillir et le fractionner impliquent systématiquement des effectifs supérieurs.
- A force égale on doit savoir combattre ;
- Etre capable de se défendre en état d’infériorité numérique ;
- Se dérober à un ennemi qui vous surclasse à tous les plans.
Dans ce dernier cas soyez continuellement sur vos gardes, la plus petite faute serait de la dernière conséquence pour vous. La prudence et la fermeté d’un petit nombre de gens peuvent venir à bout de lasser et de dompter même une nombreuse armée. Ainsi vous êtes vous êtes à la fois capable de vous protéger et de remporter des victoires.
En un mot, qui résiste avec de faibles forces l’emporte avec de grandes.
Les grands stratèges viennent à bout de leurs objectifs en découvrant tous les artifices de l’ennemi, en faisant avorter tous ses projets, en semant la discorde parmi ses partisans, en les tenant toujours en haleine, en rompant ses alliances et empêchant les secours étrangers qu’il pourrait recevoir ; en lui ôtant toutes les facilités qu’il pourrait avoir de se déterminer à quelque chose d’avantageux pour lui.
C’est pourquoi il est dit qu’il est d’une importance suprême dans la guerre d’attaquer la stratégie de l’ennemi.
Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent. Celui qui arrache le trophée avant que les craintes de son ennemi ne prennent forme excelle dans la conquête.
Nommer un stratège appartient au domaine réservé du souverain, décider de la bataille à celui du général. Un prince de caractère doit choisir l’homme qui convient, le revêtir de responsabilités et attendre les résultats car le général est le rempart de l’État ; si celui-ci est solide, le pays sera puissant, sinon, il sera vulnérable.
Un général ne peut bien servir l’État que d’une façon, mais il peut lui porter un très grand préjudice de bien des manières différentes.
Il faut beaucoup d’efforts et une conduite que la bravoure et la prudence accompagnent constamment pour pouvoir réussir : il ne faut qu’une faute pour tout perdre; et, parmi les fautes qu’il peut faire, nombreuses sont celles qu’il faut connaître :
S’il lève des troupes hors de saison ; s’il les fait sortir lorsqu’il ne le faut pas ; s’il n’a pas une connaissance exacte des lieux où il doit les conduire ; s’il leur fait faire des campements désavantageux ; s’il les fatigue hors de propos ; s’il les fait revenir sans nécessité ; s’il ignore les besoins de ceux qui composent son armée ; s’il ne sait pas le genre d’occupation auquel chacun d’eux s’exerçait auparavant, afin d’en tirer parti suivant leurs talents ; s’il ne connaît pas le fort et le faible de ses gens ; s’il n’a pas lieu de compter sur leur fidélité ; s’il ne fait pas observer la discipline dans toute la rigueur ; s’il manque du talent de bien gouverner ; s’il est irrésolu et s’il chancelle dans les occasions où il faut prendre tout à coup son parti ; s’il ne fait pas dédommager à propos ses soldats lorsqu’ils auront eu à souffrir ; s’il permet qu’ils soient vexés sans raison par leurs officiers ; s’il ne sait pas empêcher les dissensions qui pourraient naître parmi les chefs.
Un tel général qui tomberait dans ces fautes rendrait l’armée boiteuse et épuiserait d’hommes et de vivres le royaume, et deviendrait lui-même la honteuse victime de son incapacité.
Dans la gouvernance des troupes il y a sept maux principaux :
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- Imposer des ordres pris en cours selon le bon plaisir du prince.
- Rendre les officiers perplexes en dépêchant des émissaires ignorant les affaires militaires.
- Mêler les règlements propres à l’ordre civil et à l’ordre militaire.
- Confondre la rigueur nécessaire au gouvernement de l’État, et la flexibilité que requiert le commandement des troupes.
- Partager la responsabilité aux armées.
- Faire naître la suspicion, qui engendre le trouble: une armée confuse conduit à la victoire de l’autre.
- Attendre les ordres en toute circonstance, c’est comme informer un supérieur que vous voulez éteindre le feu… Avant que l’ordre ne vous parvienne, les cendres sont déjà froides ; pourtant il est dit dans le code que l’on doit en référer à l’inspecteur en ces matières ! Comme si, en bâtissant une maison sur le bord de la route, on prenait conseil de ceux qui passent ; le travail ne serait pas encore achevé !
Un souverain peut être la cause de troubles et de malheurs pour son armée de trois façons :
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- Il entrave les opérations militaires quand il commande par ignorance des manœuvres d’avance et de recul impraticable.
- Il trouble l’esprit des officiers quand il cherche à intervenir dans l’administration des trois armes alors qu’il en ignore tout.
- Il sème la défiance chez les hommes en cherchant à s’immiscer dans la distribution des responsabilités alors qu’il ne connaît rien à l’exercice du commandement.
Un pays dont l’armée est désemparée et traverse une crise de confiance sera victime de tentatives de subversion de la part de ses rivaux. C’est là le sens du proverbe : « la confusion et le désordre dans une armée offre la victoire à l’adversaire .»
Il faut savoir qu’il existe cinq conditions permettant de prédire la victoire :
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- Qui sait quand il faut combattre et quand il faut s’en abstenir sera victorieux.
- Qui sait commander aussi bien à un petit nombre qu’à un grand nombre d’hommes sera victorieux.
- Celui qui sait harmoniser et unifier par un objectif commun la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire.
- Celui qui, prudent, affronte un ennemi qui n’est ni prudent, ni préparé remportera la victoire.
- Celui qui dispose d’officiers compétents et n’a pas à pâtir de l’ingérence du souverain remportera la victoire.
C’est dans ces cinq matières que se trouve la voie de la victoire.
C’est pourquoi il est dit :
« Qui connaît son ennemi et se connaît, en cent combats ne sera point défait ;
qui ne connaît pas son ennemi mais se connaît lui-même, égalise ses chances de victoires à celle de ses défaites.
Qui ne connaît ni son ennemi ni lui-même sera toujours défait. »
Fin du chapitre III
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