Le leurre de la taxe indolore.

 

 

Dès l’organisation des premiers royaumes, des taxes et des impôts ont été levés, de manière plus ou moins équitable, mais en soulevant toujours la mauvaise humeur des peuples. Et cependant, il faut de l’argent public pour nos routes, nos hôpitaux, nos écoles, notre armée, notre police et, même, des fonctionnaires pour collecter cet argent. Les Etats assurent des services publics totalement indispensables.

 

Si ce n’était que cela, ce serait accepté sans discussions. Mais l’Etat s’est engagé dans une extension de sa mission séculaire. Il garantit maintenant les pensions, rémunère le chômage, propose un service de santé presque gratuit, diffuse un service public de télévision et de radio, subventionne les théâtres, les orchestres et les musées. Ce sont autant de projets louables, mais dont l’extension est illimitée. Car les besoins le sont aussi. Certains traitements médicaux coûtent une fortune, la formation tertiaire en conformité avec le dynamisme de l’économie mérite un lourd investissement, le chômage fluctue dans de fortes proportions. Et puis s’ajoute maintenant la réduction de l’empreinte carbone, l’accueil des réfugiés du climat, la perte d’emplois énergivores.

 

Or, l’empreinte fiscale est déjà à la limite de l’acceptable. La Suisse ne serait qu’à 29.5% de PNB, bien modeste à côté de la Suède à 50,6%. Il n’en reste pas moins que, en Suisse aussi, le revenu disponible d’une partie des ménages a diminué malgré l’augmentation des salaires et la baisse des impôts. Cela s’explique par la hausse générale des cotisations aux assurances sociales et des primes d’assurance maladie, outre la progression des prix du logement, laquelle varie d’une région à l’autre. Ce qui est normal pour un Suédois ne semble pas l’être pour un Suisse.

 

Dès lors qu’il faudra davantage d’argent public pour assurer la transition climatique, l’argument utilisé dans le discours politique est celui de la taxe indolore. Traditionnellement c’était la TVA dont les augmentations servent un peu à tous les comblements de déficit : l’AI, le FAIF, l’AVS. En principe le consommateur ne s’en rend pas compte car c’est inclus dans sa facture de supermarché, mais il débourse tout de même cet argent, compare les prix suisses avec ceux de la France voisine et pratique le tourisme d’achat. C’est indolore pour lui mais pas pour l’économie nationale

 

L’innovation politique de l’année est la taxe redistribuée, une contradiction dans les termes, qui consiste à prélever une taxe, qui ne serait pas intégrée dans le budget public mais, en tout ou en partie, ristournée aux contribuables. L’idée est tellement idiote qu’il faut toute la naïveté des citoyens pour qu’elle puisse être ainsi énoncée.

 

Bien évidemment si l’Etat prélève une taxe et ne l’utilise que pour rembourser les contribuables, cela ne sert strictement à rien. Si l’essence est renchérie pour en diminuer la consommation mais que le consommateur reçoit un subside équivalent, la consommation d’essence ne diminuera pas puisque le pouvoir d’achat de l’individu reste le même.

 

En fait l’idée est moins idiote qu’il n’y parait à première vue car cet aller-retour du produit des taxes ne se produira pas. D’une part, tout le produit des taxes ne sera pas remboursé, mais un quart ou un tiers servira à subsidier les investissements diminuant l’empreinte carbone. D’autre part la redistribution au contribuable selon la technique de l’arrosoir bénéficiera plus aux uns qu’aux autres. La taxe sur l’essence diminuera le pouvoir d’achat de celui qui doit se rendre en voiture à son travail, mais ne prélèvera rien sur celui qui n’a pas d’automobile parce qu’il n’en a pas besoin, parce qu’il réside dans une ville amplement desservie par les transports publics. Ou encore parce qu’il est assez riche pour ne pas devoir en tenir compte.

 

Dans cette affaire, comme toujours, il y aura des gagnants et des perdants. Le tout est de rédiger les lois et ordonnances de façon que les premiers soient plus nombreux que les seconds pour assurer une victoire en cas de votation. Ce n’est pas une politique intelligente pour diminuer vraiment notre consommation de combustibles fossiles. C’est un alibi pour faire croire que l’on exerce une action et rester en fait les bras croisés. C’est une astuce pour financer une politique minimaliste en s’en prenant  à la classe moyenne, celle qui n’est organisée ni à droite, ni à gauche.

 

 

 

 

 

 

Pas de taxes CO2!

Les élections fédérales ont, pour une fois, entrainé un bouleversement significatif, un mouvement tectonique du paysage helvétique : la transition climatique, devenue le principal thème, a propulsé les Verts et les Verts libéraux au détriment des partis gouvernementaux traditionnels au point que l’on se trouve confronté à une éventuelle modification de la formule magique.

 

Il serait important que ce résultat ne soit pas ramené à la traditionnelle bascule entre la gauche et la droite. La transition climatique transcende les débats classiques sur le rôle respectif de l’Etat et du marché. La problématique est celle de la survie de l’espèce à moyen terme. Que sera le climat en 2100 ? Permettra-t-il à l’agriculture de nourrir dix milliards d’êtres humains ? Comment trouver une espace pour les populations rejetées vers l’intérieur des terres par la montée des océans, de combien de mètres ? Evitera-t-on des guerres entres grands blocs pour s’approprier des ressources déclinantes ? Quelle proportion de la planète deviendra inhabitable ?

 

Dès la soirée du 20 octobre, le débat, tel qu’il s’est enclenché, porte sur la politique de réduction de l’empreinte CO2. La droite en déroute accuse la gauche triomphante de méditer une augmentation des taxes. Ce reproche n’est pas dénué de fondement, car ce fut une tendance historique et que c’est pour l’instant le principal axe de la loi sur le CO2. Mais la déconvenue française face à la révolte des gilets jaunes montre bien les limites de cet exercice. Si on augmente les taxes sur l’essence et que des travailleurs n’ont d’autre ressource que d’utiliser une voiture pour se rendre à leur emploi, on crée une impasse sociale et la réforme écologique capote. On retombe dans le dilemme droite-gauche.

 

La gestion de la transition climatique doit donc tenir compte à la fois de l’environnement et de la justice sociale. Car les taxes frappent surtout la classe moyenne, celle qui paie des impôts et qui n’est pas subsidiée. Les contribuables vraiment riches n’en souffrent pas vraiment, au point de réduire leur consommation. Une taxe, même lourde, sur les billets d’avion ne les gênera pas. On arrive donc au paradoxe de frapper les petits pollueurs et d’épargner les gros.

 

Si on ne peut se reposer sur la politique fiscale pour taxer le CO2 sous toutes ses formes, quelles sont les autres termes de l’alternative ? En temps de guerre on a recouru au rationnement. A chacun un quota d’essence, de fuel, d’électricité, de trajets aériens. On peut douter de la réussite d’une telle politique en votation populaire. D’autant qu’il faudra la moduler au prix d’une lourde bureaucratie pour distinguer entre les besoins de la plaine et de la montagne, des villes et des régions périphériques. D’autant plus encore que des emplois sont à la clé.

 

Un pas plus loin que le rationnement, il y a l’interdiction pure et simple. La Norvège montre le chemin en proposant de ne plus admettre les véhicules à comburant fossile dès 2025. Ce qui revient à promouvoir le tout électrique à base de batterie ou d’hydrogène. On va, même en Suisse, éliminer les chauffages électriques, au fuel ou au gaz, mais lentement. On va imposer des normes d’isolation non seulement pour les nouveaux bâtiments mais aussi pour les anciens. Toutes ces mesures devront être soumises aux votations populaires.

 

On arrive ainsi au nœud du problème. Le peuple est souverain. Il faut commencer par le convaincre que la société doit changer. On devrait pour cela empêcher les entreprises de désinformation comme le toute-boite de l’UDC niant la réalité de la transition climatique d’origine humaine. Ce qui reviendrait à instaurer une forme de censure, qui est également supportable tout juste en temps de guerre. Les élections de 2019 ne sont donc que le premier pas sur une très longue route. Mais il n’y a que le premier pas qui coûte.

 

 

Pourquoi faudra-t-il travailler plus longtemps?

Parce que la médecine a fait de tels progrès que l’espérance de vie augmente d’un trimestre chaque année qui passe. Parce que c’est une bonne nouvelle. Parce que néanmoins il faut assurer les pensions plus longtemps.

« L’étude sur les caisses de pension suisses 2019 publiée aujourd’hui par le Credit Suisse analyse les principaux défis du deuxième pilier du point de vue des caisses de pension et des assurés. La comparaison intergénérationnelle réalisée par les économistes du Credit Suisse met en évidence que le montant des rentes des premier et deuxième piliers par rapport au dernier revenu passe de quelque 57% en 2010 à 46% en 2025, et chute même de 51% à 37% dans le segment des revenus supérieurs. Sans relèvement de l’âge de la retraite, il sera difficile d’assurer la pérennité de la prévoyance professionnelle. »

 

Ce diagnostic est imparable. Si l’âge de la retraite n’est pas modifié, le système ne peut plus tenir ses promesses. En le créant, on a garanti des pensions équivalentes aux deux tiers du dernier revenu. En le maintenant tel quel, on ne fournira plus qu’un tiers. Les promesses non tenues déconsidèreront le principe même d’un système national et obligatoire. On risque le retour à la prévoyance individuelle, à l’inégalité sociale, à la perte de la solidarité. A vouloir trop bien faire, on peut tout perdre.

 

En dehors de l’épargne individuelle, il existe deux méthodes classiques pour assurer les pensions : la répartition, l’AVS  utilise l’argent des cotisants, année après année, pour payer les retraites; la capitalisation, appelée LPP,  rassemble les cotisations versées par chacun des travailleurs dans un capital propre, qui est ensuite redistribué à partir de l’âge de la retraite.

 

La Suisse a promu le système des trois piliers : l’AVS pour tout le monde, la LPP pour les salariés dont la rémunération dépasse un certain niveau ; le troisième pilier pour l’épargne individuelle. En ne tranchant pas entre les trois systèmes, cela permet de stabiliser les pensions en compensant les inconvénients de chaque formule par les avantages des autres.

 

Autant ces principes sont clairs, autant leur application est confuse. Entre un politicien et un mathématicien, il existe une différence. L’homme politique parle de problèmes réels, sans savoir si ce qu’il en dit est vrai et même sans s’en préoccuper. Le mathématicien sait que ce qu’il dit est vrai, mais il parle de problèmes abstraits.

 

AVS

 

Depuis la création du système jusque maintenant, sur plus d’un demi-siècle, la durée de survie à 65 ans a doublé, de dix à vingt ans. Pour assurer la stabilité de l’AVS, il faudrait : soit augmenter de dix ans la durée du travail ; soit diminuer les rentes de moitié ; soit doubler les cotisations, soit combiner les trois méthodes. La seule mesure qui a été esquivée est la prolongation de la durée du travail qui serait impopulaire au point d’échouer en votation et de décourager un parti de la proposer.

 

Dès lors, la méthode politique – à rebours de la démarche mathématique – consiste à brouiller les idées, de façon à modifier un tout petit peu les données du problème, mais sans que personne ne s’en rende compte. L’astuce consiste à transformer simultanément un peu toutes les données, de façon à laisser croire que l’on ne touche pas vraiment à l’essentiel.

 

On continue à payer les pensions mais au rabais : en excluant les veuves (elles sont incapables de se défendre) ; en ne compensant pas tout de suite le renchérissement c’est-à-dire en diminuant le pouvoir d’achat des rentes ; en augmentant la TVA que les retraités paient aussi.

 

On n’augmente pas les cotisations mais on accroit la TVA et on affecte ce gain au soutien des pensions. Cela revient à faire payer les actifs par une taxe plutôt que par une cotisation. On taxe aussi les retraités, dont on diminue de la sorte le pouvoir d’achat sans qu’ils puissent protester, puisqu’on ne diminue pas la pension nominale.

 

LPP

 

Le système de capitalisation, dit LPP ou du deuxième pilier, agglomère les cotisations versées par et pour chacun des travailleurs dans un capital personnel, redistribué à partir de la retraite. La fraction distribuée chaque année s’appelle le taux de conversion.

 

En plus de la somme des cotisations au moment de la retraite, le capital de l’assuré peut être augmenté par les intérêts cumulés. Comme ceux-ci dépendent de la fluctuation de la Bourse, il s’agit d’une variable aléatoire. Personne ne peut prédire si la moyenne sur les quatre décennies d’une carrière vaudra 0, 2 ou 3% ? Lors de la crise de 1929, il a fallu attendre 1954 pour que la Bourse retrouve son niveau initial. Cependant la loi actuelle fixe un taux minimum à 1%, ce qui suppose qu’une prédiction de la Bourse serait possible. Une variable vraiment aléatoire est transformée en un prétendu paramètre de contrôle. Le plus honnête serait de ne pas compter sur ces gains aléatoires, quitte à les distribuer en supplément s’ils se matérialisent.

 

Dès lors, tout dépend du taux de conversion. Or la durée de la survie au-delà de la prise de pension mène au calcul du taux de conversion : il suffit de diviser 100 par cette durée exprimée en années. Elle est actuellement de 21 années et le taux calculé vaut donc 100/21 =4,76%. Cependant la loi le fixe actuellement à 6,8%.

 

On paie présentement les retraités, au-delà de leur dû, en partie avec l’argent des cotisants actuels, qui seront dépourvus lorsque leur tour sera venu. C’est le système Madoff : promettre un revenu démesuré, financé en réalité par les nouveaux déposants, jusqu’à l’effondrement de cette pyramide de Ponzi. Or, le meilleur (ou le pire) est à venir.

 

Pour la génération 2013, qui atteindra 100 ans au début du XXIIe siècle, les projections calculées indiquent une proportion de centenaires atteignant 20%. Dès lors les réserves du système s’effriteront encore plus vite, contraignant à des réformes répétitives et tardives, qui risquent de survenir trop tard ou d’échouer lors de votations populaires. La crédibilité du système peut s’effondrer brutalement et inciter les cotisants à vouloir retirer leur capital, pour découvrir à ce moment qu’il n’est pas disponible.

 

Travailler plus longtemps pour assurer les pensions.

 

Que l’on considère l’AVS ou la LPP, la conclusion est la même, celle énoncée dans l’analyse de Credit Suisse : sans relèvement de l’âge de la retraite, il sera difficile d’assurer la pérennité de la prévoyance professionnelle. Ce relèvement ne devra pas être uniforme et pourra tenir compte de la pénibilité de certains travaux. Mais cette considération particulière ne doit pas reculer le moment d’affronter la totalité du problème.

 

Cette mesure impopulaire n’est que rarement mentionnée. Le Conseil fédéral, le parlement, les partis, n’en ont pas le courage. Et cependant la vérité des chiffres finira par l’imposer, mais dans l’improvisation, c’est-à-dire quand les réserves de l’AVS seront épuisées et quand les rentes de la LPP versées aujourd’hui ne permettront plus de verser celles de la génération suivante.

 

 

La tentation de la médiocrité

 

 

Sous le titre « On ne triche pas avec la formation », j’ai publié un blog qui révèle que les étudiants munis d’une maturité suisse échouent en première année de l’EPFL à proportion de 57%, tandis que certaines catégories d’étudiants étrangers réussissent jusqu’à 81%. J’en tirais certaines conclusions assez évidentes : il vaut la peine de renforcer cette maturité insuffisante ; le plus simple serait de proposer à tous les candidats un examen d’entrée, au vu duquel on pourrait évaluer leurs chances et éventuellement les réorienter ; supporter un taux d’échec aussi élevé constitue un gaspillage des ressources publiques ; un échec au début d’une formation professionnelle est démotivant pour un jeune.

 

En réaction, un courrier a été publié dans « Le Temps ». Il plaide pour un changement de politique de l’EPFL, qui devrait cesser de prôner une formation d’excellence et « … investir pour l’entier de la population et non pour quelques forts en thèmes. » En d’autres mots, revenir à l’EPUL d’avant 1969, bonne école d’ingénieurs de l’UNIL, et abolir le soutien fédéral, qui a inévitablement propulsé l’EPFL sur les traces de l’ETHZ, c’est-à-dire de la meilleure école d’ingénieurs du continent.

 

Toutes les opinions sont défendables. Encore faut-il en voir les conséquences. La technique de 2019 n’est plus celle de 1969. Elle est soumise à une rude concurrence internationale. La Suisse ne vit plus de ce qu’elle produisait voici un demi-siècle : de la phénacétine, des montres mécaniques, du fromage, du chocolat, des sports d’hiver. Dans le classement du PNB par habitant selon le FMI, la Suisse vient maintenant en deuxième position (après le Luxembourg) avec 82 950 $ alors que les Etats-Unis n’en sont qu’à 62 606$ et la France à 42 878$. Cette brillante réussite entraine des conséquences positives. La France a un taux de chômage, qui est plus du double de celui de la Suisse. Tous les matins 300 000 frontaliers franchissent la frontière dans un seul sens. En Suisse, le salaire mensuel moyen est de 7 765 $, le plus élevé du monde ; en France de 3 976 $.

 

Cette réussite ne s’est pas produite toute seule : elle est le fruit de beaucoup de travail, d’ingéniosité et de créativité. Elle provient d’une industrie de pointe encadrée par les meilleurs chercheurs et d’excellents ingénieurs de développement avancé. Dès lors, il faut bien que ceux-ci soient formés quelque part. C’est pour l’instant la tâche des deux EPF. Celles-ci doivent recruter des étudiants, qui soient à la fois doués au départ, dument motivés et convenablement préparés. Ce n’est pas, comme le prétend l’honorable correspondant, pour bien se placer « …dans d’obscurs rankings aux critères ésotériques… ». Ce n’est pas par vanité, c’est par réalisme.

 

Pour l’instant les EPF jouent dans la cour des grands et même des meilleurs. La réussite de la Suisse dépend aussi de la formation à d’autres niveaux. A Yverdon on forme d’excellents ingénieurs de terrain pour encadrer la production, tandis qu’à Lausanne, on forme à la recherche et au développement. Ce n’est pas le même profil et les deux doivent être disponibles. Ailleurs encore, on attribue des CFC. Le prix Nobel Mayor souligne qu’il n’aurait pas réussi, s’il n’avait été soutenu par d’excellents artisans qui ont construit les instruments dont il avait besoin.

 

On peut dès lors défendre la thèse selon laquelle l’excellence technique de la Suisse doit être maintenue à tous prix. Le bien-être de tous en dépend : la solidarité sociale, la santé, la sécurité, la paix du travail, la stabilité des institutions, la stabilité du droit. Mais c’est évidemment se placer dans la compétition internationale, c’est exigeant et stressant, ce n’est pas un long fleuve tranquille. On peut comprendre que certaines personnes aimeraient revenir à la Suisse de 1969, voire plus tôt encore. Elles ont le droit d’exprimer cette nostalgie jusque dans les urnes par un vote identitaire. Mais elles ne peuvent présenter cette marche arrière comme un idéal opposable à tous.

 

La quête de l’excellence suppose beaucoup d’efforts de tous. Elle a aussi des inconvénients. Il faut recruter les meilleurs cerveaux dans le vaste monde comme continue à le faire la Silicon Valley et garder la frontière ouverte à cette immigration. Face à ces petits génies internationaux, des locaux peuvent se sentir discriminés et s’engager pour la fermeture des frontières. Même s’ils ne sont pas au sommet de leur profession, ils devraient cependant réaliser qu’ils bénéficient de la réussite de la Suisse et donc s’abstenir de la critiquer ou de l’entraver. La formation des EPF n’est pas à la portée de tous, mais il y a d’autres possibilités. Il n’est donc pas raisonnable de proposer sa détérioration.

 

 

 

 

 

Moins d’impôts pour les familles : un scandale?

Le parlement sortant a laissé derrière lui un terrain miné : celui des déductions fiscales pour garde des enfants. Auparavant de 10 000 CHF, elles seront portées à 25 000 CHF. La gauche dénonce cette loi parce qu’elle est trop élitiste en ne profitant qu’aux familles qui paient l’impôt fédéral direct. L’argument invoqué est à la fois imparable et à double détente : 45% des familles ne paient pas l’IFD et ne peuvent bénéficier de déductions. C’est l’évidence : on ne peut diminuer que les impôts de ceux qui en paient, tandis que ceux qui n’en paient pas bénéficient d’une exemption totale. N’est-ce pas un paradoxe de reprocher à certains de payer moins au nom de ceux qui ne paient rien du tout.

Le coût de la réforme pour les finances fédérales est de 350 millions, manque à gagner supportable pour une Confédération qui bénéficie d’un excédent de recettes de près de 3 milliards en 2018. Cependant, insistent les opposants, seul un quart de cette réduction bénéficiera aux familles dont le revenu se situe entre 100 000 et 150 000 CHF. Les trois quarts iront à des contribuables plus aisés. Est-ce un tel scandale qu’il faille lancer un référendum contre cette loi pour l’abolir ? Ou bien est-ce un réflexe, conditionné en période électorale, de partis recrutant leurs électeurs parmi les citoyens qui ne paient pas d’impôts parce qu’ils gagnent trop peu. Dès lors ceux-ci souhaitent très naturellement que les impôts soient les plus élevés possibles puisque cet argent leur revient sous forme de subsides sociaux divers. Sous cet angle, il s’agit d’une querelle d’appropriation dans le cadre d’une vaste opération de redistribution.

Les prélèvements obligatoires furent conçus à l’origine pour financer les charges régaliennes : police, armée, douanes, routes. Ils furent étendus ensuite au financement de la formation, gratuite pour tous, puis de la santé. Enfin de subsides pour les familles dont les ressources ne permettent ni de payer des impôts, ni leurs loyers, ni les cotisations d’assurance maladie. En fin de compte, près de la moitié du revenu national est ainsi consacré à diminuer les effets de l’inégalité sociale. Les salaires bruts sont distribués dans une sorte de monnaie de Monopoly : à la fin de l’année, plus on a gagné, moins on garde.

Ce système de solidarité, qui a reçu le soutien du souverain populaire, ne peut être remis en cause. Mais il a une limite : le sort de la classe moyenne, définie par ceux qui paient des impôts et qui ne sont pas subsidiés. Or, ceux-là bénéficieraient pleinement des déductions fiscales attaquées en référendum, dont ils ont bien besoin. Si le référendum aboutit, ils en seront privés, parce qu’elles bénéficieraient à d’autres qui n’en ont pas besoin. Ils sont les victimes d’une querelle dont ils ne font pas partie. Comme ils ne reçoivent pas assez, ils seront punis en ne recevant rien du tout.

Dans ce débat mesquin, l’argument le plus important n’est même pas mentionné : la démographie. Le taux de fécondité du pays est insuffisant pour assurer le renouvellement des générations. Ce taux est de 2 en France et de 1.5 en Suisse. La différence mesure les deux politiques familiales.  S’il n’y avait pas d’immigration en Suisse, la population diminuerait donc d’un quart à chaque génération, il manquerait de travailleurs et les pensions ne seraient plus assurées. Or, beaucoup de couples renoncent à avoir davantage d’enfants parce que cela les paupériserait de fait. Une politique d’appui à la famille sous toutes ses formes constitue donc un investissement pour le futur, qui devrait être à la charge de tous et pas seulement des parents. Impliquer cette politique essentielle dans un débat électoral relève d’une basse démagogie.

 

Pas de règlement pour l’euthanasie

Un médecin de Pully a effectué une euthanasie, l’a reconnu devant le tribunal et a été condamné à une peine de principe qui lui épargne la prison : 5 ans avec sursis, alors que la peine maximum eut été de 20 ans. Il n’est ni le premier ni le dernier à subir cette épreuve pénale, qui revient à une forme dissimulée d’acquittement, après tout de même quatre années d’instruction et d’angoisse.

Or, si la loi avait été appliquée dans toute sa rigueur, comme s’il s’agissait d’un meurtre, s’il avait été condamné à de la prison ferme, la réprobation publique aurait été quasi unanime. Secrètement, la plupart des citoyens souhaitent mourir sans agoniser interminablement : pour eux, une « bonne » mort est tardive et instantanée. Si possible n’en étant même pas conscient.

Il n’en a pas toujours été ainsi, bien au contraire. Un toast irlandais propose : puissiez-vous vivre cent ans et une année de plus pour vous repentir ! Une « bonne » mort est celle qui laisse le temps de se préparer à la vie future par le remords, voire les derniers sacrements. En 1715, agonisant durant trois semaines, Louis XIV a dit à son arrière-petit-fils, le futur Louis XV : « je souffre beaucoup mais je souhaite souffrir davantage pour expier mes péchés ».

C’est cela qui a changé. Le doute de nos contemporains porte sur deux croyances : existe-t-il une forme de vie après la mort ? Les souffrances endurées durant la vie terrestre améliorent-elles le passage dans cette seconde vie ? Pour une fraction croissante de l’opinion publique, les réponses sont deux fois négatives : la seule vie que nous expérimentions ne mérite plus d’être vécue au-delà d’un certain seuil.

Face à ce changement de société, la loi actuelle est fondée sur d’exaspérantes distinctions juridiques : le code éthique de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) autorise donc « la renonciation à la mise en œuvre ou arrêt des mesures nécessaires au maintien de la vie » (euthanasie passive) et l’« administration de substance pour réduire les souffrances et dont les effets secondaires sont susceptibles de réduire la durée de survie » (euthanasie indirecte active). De même le suicide assisté est autorisé pourvu que le mourant soit encore capable de porter lui-même à ses lèvres la potion léthale. Est interdit l’euthanasie active où une tierce personne pratique une injection mortelle.

En somme, la loi n’interdit pas le principe de l’euthanasie mais distingue entre les modes opératoires : les uns sont acceptés, un autre est réprimé. Ce n’est pas l’intention qui compte, mais la nature du geste : c’est celui-ci qui fait la distinction entre un geste de compassion et un meurtre avéré. De telles contorsions juridiques n’élaborent pas une pratique conforme aux aspirations de certains, même s’ils subissent l’opprobre des autres.

Quels sont les arguments de ces derniers ? Chacun doit vivre dans la dignité, jusqu’au bout de sa vie ; la loi doit protéger les plus fragiles ; l’interdit de tuer structure notre civilisation ; demander la mort n’est pas toujours vouloir mourir ; légaliser l’euthanasie ce serait la banaliser sans éviter les dérives. Ces arguments sont soutenables mais débouchent sur des controverses sans fin. Qu’est-ce que la dignité ? Qui sont ces plus fragiles ? Comment définir une dérive de l’euthanasie ? Pourquoi la prohibition du meurtre, caractéristique de notre civilisation, n’interdit-elle pas la participation à une guerre, la légitime défense, l’avortement ?

Et surtout pourquoi est-il interdit de tuer ou de laisser mourir un animal dans la douleur ? C’est considéré comme inhumain et réprimé par la loi. Celle-ci impose à l’homme seul une épreuve qu’elle épargne à l’animal.

On promet bien du plaisir à l’administration et au parlement qui devront, tôt ou tard, élaborer une législation autorisant plus ou moins l’euthanasie comme en Belgique ou aux Pays-Bas. Si celle-ci dépendait d’une décision médicale, administrative ou judiciaire, réglementée par un texte, ne serait-ce pas le pire ? Ne vaut-il pas mieux continuer dans le flou juridique actuel, en comptant sur le discernement du ministère public et la compréhension d’un tribunal ? Ne vaudrait-il surtout pas mieux de s’en remettre au colloque singulier entre patient et médecin, en se gardant bien d’y mêler les pouvoirs publics ? Il existe des actes humains qui se situent dans une zone où le droit n’a rien à dire et où l’Etat n’a rien à faire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La santé n’a pas de prix

Les augmentations modérées de la cotisation en assurance-maladie, voire leur diminution, ont suscité une hilarité générale, parce qu’elles sont annoncées en année électorale. Comme le parlement n’a rien pu faire sur cet objet durant la législature passée, tous les partis confondus essaient tout de même de faire croire le contraire. Mais l’opinion publique a intériorisé une vérité élémentaire : par définition, ces prélèvements obligatoires augmentent d’année en année, car ils mesurent les progrès (heureux) de la médecine et l’allongement (consécutif) de l’espérance de vie. En parallèle, le PDC, menacé de chute dans les sondages, lance une initiative prônant un frein sur ces cotisations, sans préciser quelle mesure concrète permettrait de freiner quoi que ce soit, tout en préservant en même temps la qualité.

L’assurance-maladie embarrasse toujours plus d’année en année. Car les dépenses en soins et médicaments puisent d’abord dans cette source empoisonnée : les caisses maladies, entreprises privées, financées par une cotisation obligatoire, croissant plus vite que le revenu moyen, recrutant des administrateurs parmi les parlementaires. C’est un impôt de capitation, prélevé par tête de contribuable indépendamment du revenu et de la fortune, un autre exemple étant la Billag. Cette méthode est la plus radicale et la plus archaïque pour pressurer une population. C’est en fin de compte un impôt sur l’air que l’on respire, sur le droit d’exister. Comme il est déjà trop lourd pour une large fraction de la population, il doit être compensé par des subsides, ce qui est une façon très compliquée de faire circuler de l’argent.

En dehors de cette ressource, les cantons distribuent aux hôpitaux le produit d’impôts sur le revenu et la fortune. Enfin s’y ajoute la contribution personnelle des patients pour tout ce qui n’est pas remboursés, par exemple la PMA. Mais quelle que soit la méthode utilisée, ce sont toujours les citoyens qui financent leurs dépenses de santé, d’une façon comme d’une autre. Il n’existe pas une source occulte générant des subsides qui ne pèseraient sur personne.

L’appoint des cantons tient compte du revenu et de la fortune de l’individu et à ce titre parait plus juste que la cotisation obligatoire à l’assurance. Ne faudrait-il donc pas abandonner celle-ci ? Cela reviendrait à faire subsidier intégralement ceux qui ne paient pas d’impôts par les autres. Sur quoi s’appuierait une telle politique ?

Sur le principe général de solidarité. Nous ne pouvons plus supporter que des concitoyens souffrent, deviennent handicapés ou meurent, faute de pouvoir se payer des soins. C’est le même mécanisme qui joue pour la formation. Un enfant issu d’un milieu défavorisé a le droit d’accéder aux études les plus exigeantes s’il est doué et motivé. La formation à tous les échelons est donc gratuite ou presque. C’est un investissement collectif dans la matière grise, c’est la condition essentielle pour le développement économique du pays. L’Etat fédéral ou cantonal est garant du bien-être général : santé et formation en sont deux composantes nécessaires, à traiter de la même façon.

On objectera que ce recours à l’Etat providence engendrerait un appel d’air qui ferait croître encore plus vite les dépenses, que les caisses privées constituent un moyen de contrôle (?), que la cotisation rappelle à chaque contribuable que son argent sert un but utile, qu’il est toujours possible d’empirer la situation actuelle. Peut-être. Mais le désordre actuel est-il pour autant défendable ? Les mesures déjà appliquées, comme le numerus clausus des facultés de médecine, l’interdiction d’ouvrir de nouveaux cabinets, le droit de ne pas contracter pour les caisses, n’ont pas servi.

Il y aura toujours des malades imaginaires et des médecins complaisants. Si l’on s’avisait de maîtriser les coûts de la santé en prohibant certaines prestations en rationnant tout le monde, on toucherait forcément des patients qui en auraient besoin. La croissance des coûts ne dépend pas de gaspillages multipliés, mais d’une évolution souhaitable de la médecine. Il n’est pas absurde d’y consacrer une part croissante du produit national quand on voit avec quelle facilité croissent les dépenses dépendant de la numérisation, comme si celle-ci mesurait un progrès indispensable tandis que celles de la médecine proviendraenit d’un gaspillage..

Ce mécanisme de redistribution des postes dans le budget des ménages est normal et bénéfique. Avant la révolution industrielle, l’alimentation mobilisait de l’ordre des trois quarts d’un salaire de base, alors qu’aujourd’hui cette dépense se situe en dessous de 10%. Mais nous sommes mieux formés, mieux logés et aussi mieux soignés. Cela a un coût qu’il faut supporter.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non aux taxes CO2

 

« Taxe incitative de 30 à 120 francs sur les billets d’avion, prélèvement compensatoire de 10 à 12 centimes sur les carburants, relèvement de 120 à 210 francs la tonne du plafond de la taxe CO2 sur les combustibles, création d’un fonds pour le climat, réduction des valeurs d’émission de CO2 pour les bâtiments : le Conseil des Etats a adopté mercredi par 37 voix contre 1 et 3 abstentions la révision de la loi sur le CO2. Il a ainsi remis sur les rails la réforme que le Conseil national avait rejetée en décembre. »

Cette loi fait fausse route. La Confédération spécule sur le renchérissement de l’énergie fossile pour en freiner la consommation. Elle n’ose pas aborder les autres méthodes, évoquées plus loin, qui seraient cependant seules efficaces. Car la révolte des gilets jaunes en France aurait dû enseigner que les taxes constituent une approche injuste et inapplicable, qui revient à étrangler les personnes les moins favorisées jusqu’à susciter une révolte qui faillit emporter la République.

Les consommateurs les plus aisés sont souvent les plus gros pollueurs, parce qu’ils en ont les moyens et qu’ils les auront dans le futur. Ils ont de grosses voitures et roulent beaucoup, ils prennent souvent l’avion, ils ont de grandes villas bien chauffées. Même si l’énergie fossile coute un peu plus cher, cela ne freinera pas leur consommation.

En revanche une famille de la classe moyenne, écrasée par les prélèvements obligatoires fait attention à ses dépenses. Elle achète une voiture économe, vit dans un petit appartement, ne se paie pas de WE à Londres. Pour aller à son emploi, le travailleur est souvent obligé de prendre sa voiture faute de transports en commun. C’est particulièrement le cas des régions périphériques et de la montagne où la population est trop clairsemée pour établir des transports en commun. Elle dépend de la voiture et elle paiera lourdement la taxe.

Le produit de la taxe sera, dit-on, redistribué pour moitié par divers canaux (assurance maladie ?) aux consommateurs et l’autre ira à un Fonds pour le climat. Mais ce mécanisme, par lequel la Confédération réalise vertueusement une opération blanche, ne sera pas neutre pour le consommateur. Il est impossible de rembourser par un arrosoir à chacun ce qu’il a déboursé avec les taxes sur le CO2. Car si on y parvenait il n’y aurait plus d’incitation à réduire sa consommation d’énergie fossile. Certains toucheront et d’autres plus qu’ils n’ont déboursé. C’est un système inopérant.

En fin de compte, cette loi pénalisera les petits et épargnera les gros, exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire. Elle risque bien de couler en votation, car il y a plus de petits que de gros. Or, il y a d’autres méthodes. En cas de pénurie, lors de la dernière guerre, on a recouru au rationnement. Même quota d’énergie pour chaque personne par exemple. Avec des dérogations pour les cas particuliers évoqués plus haut : d’où génération d’une bureaucratie envahissante. Variante : attribuer à chacun son quota d’énergie au prix actuel et ne taxer que la consommation supplémentaire.

On arrive ainsi à une règle majeure de la transition climatique : il s’agit non seulement de réduire l’empreinte carbone, mais simultanément de réduire les inégalités, en tous cas de ne pas les aggraver ce que la loi actuelle fera.

Ce qui est vrai pour les individus, l’est aussi pour les pays. S’il faut compenser une production de CO2, c’est sur son propre territoire et non en achetant des droits de polluer à des pays moins riches. Ce marché des droits à polluer est d’une immoralité crasse.

Au-delà des taxes qui recourent à une imagination minimale, la transition climatique fait appel à la créativité : nous allons vers une autre société, malheureusement à travers de grandes épreuves. Il y faut d’autres institutions, une autre utilisation du territoire, un autre habitat, une autre agriculture, d’autres relations sociales, une autre culture. C’est davantage à l’élaboration de ce nouveau monde que nous sommes appelés qu’à rédiger mesquinement un catalogue de taxes.

 

 

 

 

De la publicité commerciale à la propagande politique

 

Les campagnes électorales sont propices à des outrances : chaque parti, chaque candidat embellit ses propositions. C’est de bonne guerre. Avant de se présenter à un rendez-vous important, pour la profession ou la vie affective, qui ne se met à son avantage ?

Toute autre chose est de déprécier le programme des partis concurrents. En Suisse, cela ne fait guère, par la raison évidente que les exécutifs sont fondés sur la concordance et que chaque candidat, chaque parti sait qu’il devra plus tard collaborer avec d’autres. Et donc on ne s’en prend surtout pas aux personnes.

De même chacun s’efforce de coller à la réalité plutôt que de la nier dans la tradition funeste des propagandes nazies ou communistes. On a envie d’écrire que la Suisse fut le pays de la politique bien tempérée.

Car ces bonnes manières commencent à s’effriter : en 2014 la Suisse fut secouée par l’initiative du 9 février de l’UDC contre l’immigration de masse, qui signifiait la perte des accords bilatéraux et aussi des programmes Erasmus et Horizon 2020. Durant la campagne l’UDC diffusa un toutes boites prétendant sous la signature de son président que ce risque n’existait pas. Ce mensonge avéré emporta la décision du peuple à une faible majorité. Deux semaines plus tard la Suisse perdait Erasmus et Horizon 2020. A titre d’avertissement.

Durant la présente campagne deux partis se sont à nouveau distingués par de mauvaises manières. L’UDC a diffusé un premier toutes boites niant la réalité de la transition climatique, un mensonge énorme, et un second affirmant que la Suisse est menacée par une invasion de requérants d’asile, qui n’ont en réalité jamais été aussi peu nombreux.

Le PDC a innové par une campagne innovative utilisant à fond les ressources d’Internet. Le surfeur qui demande une information sur un candidat d’un autre parti est interrompu par un message du PDC précisant que ce candidat soutient un parti dont le programme est largement déficient sur trois points. Cela suscite deux difficultés : tout d’abord tout membre d’un parti n’est pas nécessairement d’accord avec toutes les options de son parti et n’a donc pas à être stigmatisé pour celles-ci. Mais plus grave est le procédé lui-même. Tout utilisateur d’Internet sait qu’à tout moment il peut être agressé par un message publicitaire non sollicité. Le PDC utilise cette ressource de la publicité pour faire sa propagande. Or nous sommes tellement habitués à l’intrusion publicitaire continuelle que nous la considérons à la fin comme normale.

Nous croyons vivre dans une société de l’information par la multiplicité des canaux où des données circulent. En principe les médias, la Toile, les réseaux sociaux, les affiches nous renseignent abondamment sur la réalité vécue. A cette exigence, il n’existe qu’une exception, un territoire de l’information sans foi, ni loi : la publicité. Si c’est pour vendre, on a le droit de mentir. Nous recherchons l’information parce qu’elle est profitable. Si une fausse information, bien circonscrite, rapporte gros, elle mérite d’être diffusée sans vergogne. Et donc si un mensonge rapporte des voix dans un vote, il est légitimé par extension.

Soyons précis : certaines publicités sont informatives : les soldes sur le textile, une remise sur l’achat de voitures, une baisse du prix des légumes. C’est de la réclame, le moteur essentiel d’un marché fondé sur la rencontre entre l’offre et la demande. Mais la véritable publicité est tout autre chose.

Au début, elle nous fait désirer des objets, dont nous n’avons jamais eu besoin. Et ensuite, elle nous fait prendre ces mêmes désirs pour des besoins. Avant d’avoir réfléchi, on se retrouve avec un téléphone mobile, un ordinateur, une brosse à dent électrique. De tout cela on n’avait pas besoin. Très précisément, on l’a acheté parce que l’on n’en avait pas besoin. Il est impossible de faire régresser la consommation de produits superflus si la publicité continue de créer des besoins inexistants. De même il est impossible de se déterminer sereinement et lucidement dans un vote si la motivation est manipulée et la perception trafiquée.

La publicité doit nous séduire. En nous prenant par les sentiments, les sensations, les sens. Cela ne nous intéresse pas de savoir ce que cela coûte, si cela nous sera utile, si cela marche vraiment. La publicité doit susciter le désir dans l’inconscient de l’animal que nous sommes demeurés, désireux de vivre et de survivre. Il faut suspendre le temps qui s’égrène. La religion de la consommation constitue l’exorcisme de notre époque. On ne nous promet plus le ciel après la mort, mais l’abondance durant cette vie. La publicité est par nature irrationnelle. De même en politique on peut inventer des problèmes inexistants faciles à résoudre pour se dispenser de présenter des solutions réalistes aux véritables problèmes : pension, santé, formation, relation avec l’UE, climat.

Il n’est jamais facile de changer de civilisation, comme on doit le faire dans l’urgence climatique. Informer, instruire et convaincre les populations est l’objectif incontournable de gestion de la transition climatique. Pour cela, il faudrait commencer par supprimer la désinformation constituée par la publicité. Ce ne sera pas facile, voire impossible. Mais au moins, en attendant, ne plus admettre que dans une campagne électorale les mêmes recettes soient usées et abusées pour manipuler l’électeur. Il y va de la démocratie à une époque où d’aucuns commencent à célébrer les dictatures.

 

 

On ne peut tricher avec la formation

 

 

Un secret de Polichinelle vient d’être éventé : les candidats suisses à l’EPFL réussissent moins bien en première année que les étudiants étrangers. Seulement 43% de réussites contre 57% pour les Français et même 61% pour les autres étrangers. Les résidents de la Suisse seraient-ils moins intelligents et (ou) moins motivés ? L’EPFL tente de rassurer en démontrant que si l’on sélectionnait les Suisses comme les étrangers, ils réussiraient aussi bien. C’est l’évidence même, cela ne valait même pas la peine de le dire.

 

Car effectivement tout titulaire d’une maturité suisse, quelle que soit l’option et quel que soit le résultat, doit selon la loi être accepté à l’EPFL. En revanche celle-ci peut fixer les critères d’amission des étudiants provenant de l’étranger. Il faut un bac scientifique avec une note de 16 en moyenne. Ce barrage a été mis en place pour freiner le flux de candidats étrangers attirés par l’excellente réputation de l’EPFL, probablement avec l’ETHZ la meilleure école d’ingénieurs du continent.

 

Les conséquences sont évidentes. Mieux un étudiant est préparé, plus il a de chances. On est presque gêné de débiter de telles lapalissades mais apparemment elles n’ont pas pénétré le cerveau des décideurs. On peut ajouter qu’un professeur essaie toujours de viser le niveau moyen de son auditoire. Trop au-dessus il perd les plus faibles, trop en dessous il ennuie les meilleurs.

 

Et donc ces excellents candidats étrangers représentent une aubaine pour l’institution Sa réussite ne dépend pas seulement de la qualité des professeurs mais aussi des chercheurs qu’elle réussit à recruter et former. Il en est ainsi aux Etats-Unis où les meilleures universités de Californie (Berkeley, Stanford, Caltech) ne recrutent bien évidemment pas leurs étudiants parmi les petits Californiens mais aussi à travers le vaste marché de intelligences de tout le pays et au-delà. Le défi est le même pour l’EPFL. Si le recrutement était limité à la Suisse, sa qualité serait bien moindre. Autre évidence.

 

Mais pourquoi sélectionner plus sévèrement les étrangers, en dehors de leur afflux ? Ne pourrait-on imaginer un système où tous les candidats sont traités de la même façon pour recruter uniquement les meilleurs sans tenir compte de leur passeport. Le passeport rouge à croix blanche ne garantit pas qu’ils bénéficient d’une illumination du Saint Esprit, qui leur soufflerait les bonnes réponses aux examens. Au contraire, engager des porteurs de maturité mal préparés en mathématiques et physique est un véritable traquenard. Parce qu’ils ont le droit juridique de s’inscrire, on les trompe en laissant croire que cela garantit leur réussite.

 

On peut ajouter que la Suisse souffre du défaut de 26 systèmes gymnasiaux différents. Le communiqué de l’EPFL ne se risque pas à des comparaisons entre cantons. Mon expérience personnelle est que les candidats du Valais et de Fribourg sortaient de la moyenne. Il serait intéressant de confirmer ou d’infirmer cette impression.

 

Dans une école d’ingénieurs il n’est pas possible de tricher avec sa formation antérieure. Un certain nombre de matières doivent être maîtrisées à fond. On n’a pas le temps de recommencer leur acquisition. Au-delà de la réussite à l’EPFL, cela pose la question d’une unification des exigences au niveau du gymnase.

 

Et enfin, pourquoi ne pas faire simple plutôt que compliqué. S’il y avait un examen d’entrée pour tous, le problème n’existerait plus. Au dire de l’EPFL c’est impossible. Pourtant c’est le procédé utilisé par beaucoup d’écoles étrangères.