L’une des quatre libertés de l’Union européenne a pour nom la libre circulation des personnes. En ces temps de confinement, elle nous a terriblement fait défaut. L’interdiction d’aller d’un pays à un autre, de rendre visite à l’un de nos proches, voire de faire une excursion à l’étranger, a été vécue comme une privation. Il aura fallu attendre l’arrivée plus qu’inopinée d’un virus pour se rendre compte des effets désastreux qu’une fermeture des frontières peut engendrer.
Depuis la mi-mars, chacun d’entre nous sait ce que rester chez soi veut dire. Rien de bien, rien de très réjouissant. Le cloisonnement est devenu une épreuve à laquelle aucun citoyen ne tient désormais plus à être confronté. Sa liberté d’être est plus que jamais celle de se mouvoir, de se rendre là où il désire aller, d’être le maître de ses déplacements. C’est dans cet esprit que l’Europe d’après-guerre s’est construite à l’Ouest, c’est dans ce même esprit qu’elle s’est libérée en 1989 à l’Est.
Expérience à l’appui, les Européens ont aujourd’hui pris conscience de la nécessité impérieuse de circuler librement. En lieu et place d’un rétablissement des frontières, ils plaident dorénavant pour le droit de les franchir à leur guise. Leur attachement aux échanges et aux voyages internationaux est sans limite, tant ils détestent les barrières qui les séparent de leurs voisins.
C’est là le plus beau des démentis que la société européenne peut apporter aux nationalistes. Eux, qui avaient fait de la fermeture des frontières l’un de leurs principaux champs de bataille, viennent de subir une lourde défaite idéologique. Croyant être arrivés au bout de leurs efforts après le confinement national à la mi-mars, ils comptaient pérenniser la décision prise dans l’urgence par les gouvernements des États européens. Persuadés, non sans raison, au premier stade de la pandémie, que l’Union européenne n’allait pas résister à la contagion du virus, ils en sont maintenant pour leurs frais : l’UE retrouve de sa superbe en redonnant à ses habitants le droit de se rencontrer là où bon leur semble en Europe.
À ce titre, l’espace Schengen est plus que jamais le symbole vivant de la réussite de la construction européenne. Il offre à des centaines de millions d’Européens une liberté de mouvement que de nombreuses générations antérieures pensaient impensables. Né de l’effort commun de Kohl, Mitterrand et de leurs homologues du Benelux en juin 1985, il traduit l’esprit d’une citoyenneté européenne plus que jamais indispensable à la construction de l’Europe. Pour l’avoir compris, l’UE a refusé de baisser les bras et, bien que tenant compte des disparités nationales, a agi dans le sens qui est le sien. Réaffirmant le principe de la libre circulation des personnes, elle s’est montrée à la hauteur de sa tâche et n’a pas cédé aux sirènes d’une autarcie dont ses propres ressortissants auraient été les premières victimes.
Même si l’Union européenne est obligée de revoir quelques dispositions concernant Schengen et Dublin, elle a compris qu’elle ne peut plus faire marche arrière. C’est dans l’échange, le partage des expériences, le commerce, le tourisme et la rencontre qu’elle trouve son expression. Nul ne songerait alors à les remettre en cause, car ils assouvissent notre besoin de culture, celui de nous instruire, de voyager, d’accueillir l’autre et d’être nous-mêmes. En ce sens, Schengen est d’abord profondément humain, au grand dam de celles et ceux qui n’ont jamais voulu voir plus loin que le bout de leur nez.
Depuis plus de onze ans membre de Schengen, la Suisse a largement profité des libertés que cet espace lui a offertes. Elle a non seulement pu renforcer sa sécurité intérieure grâce à l’accès au « Système d’Information Schengen », mais accorde à des milliers de personnes le droit de franchir chaque jour, sans encombre, et surtout sans attente, la frontière à Chiasso, Kreuzlingen, Meyrin ou Sankt Margrethen. Accord adopté par le peuple il y a quinze ans avec environ 55% de voix favorables, Schengen fait aujourd’hui partie du lot quotidien de la plupart d’entre nous.
Comme toute liberté, celle de circuler librement mérite d’être préservée. Elle a failli succomber aux sirènes extrémistes durant la crise du Covid. Dorénavant, elle doit affronter l’épreuve de l’initiative de limitation qui, comme son nom l’indique, limiterait non seulement l’immigration, mais plus encore ferait peser sur la Confédération helvétique la menace d’une mise à l’écart européenne et internationale. Faisons néanmoins confiance au pragmatisme des Suisses pour rejeter cette fausse bonne idée dont ils seraient, sans aucun doute, les premiers à supporter le fardeau.