En cette époque, où le genre influence de plus en plus les choix politiques, un phénomène est largement passé inaperçu. Longtemps considérée comme un bastion masculin, l’extrême droite s’est largement féminisée. Bien qu’elle ait toujours laissé une place de choix aux femmes, reproductrices attitrées pour assurer le repos du guerrier, elle ne leur a jamais accordé une position dominante et dirigeante. Le temps, où Renaud osa encore chanter que femme je t’aime parce que tu vas pas mourir à la guerre, parce’ que la vue d’une arme à feu fait pas frissonner tes ovaires, paraît bel et bien révolu. Désormais, l’extrémisme de droite se conjugue également au féminin, non par exception à la règle, mais par calcul politique, voire par expression d’une égalité des sexes, à laquelle la droite extrême s’est admirablement conformée.
Même si le vote extrémiste demeure majoritairement masculin, il appartient de nuancer cette affirmation. C’est notamment le cas pour la France, où selon une enquête de l’IFOP, publiée en son temps, pour le magazine Décideurs, les résultats obtenus au premier tour de la présidentielle de 2022 par l’actuel président de la République et par sa rivale du Rassemblement national sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes. Dans les deux cas, la différence est de 4 points : 29 % contre 25 % pour Emmanuel Macron et 25 % contre 21 % pour Marine Le Pen. En revanche, Éric Zemmour cartonne beaucoup plus chez les hommes qu’il ne le fait chez les femmes. Alors que ce dernier incarne encore l’idéologie la plus réactionnaire qui soit, la présidente du RN est parfaitement « systemo-compatible ». D’ailleurs, elle sait parfaitement incarner cette image de mère intentionnée, de femme divorcée et libérée et, cerise sur le gâteau, d’amoureuse des chats. Que l’on ne l’aime ou pas, elle a su apporter une touche de glamour à une extrême droite qui, jusqu’à présent, n’avait pas jugé utile de se parer de cet attribut.
Marine Le Pen n’est pas la seule à avoir réussi ce tour de force. Plus encore, Giorgia Meloni a pris les rênes du pouvoir en Italie. Présidente d’un parti auquel personne n’accordait la moindre chance de salut il y a quelques années, elle est à la tête de la coalition la plus à droite depuis la fin du fascisme. Admiratrice autoproclamée de Mussolini, elle a même plus ou moins soudoyé l’hymne national de son pays. Plus connu sous le titre Fratelli d’Italia, à savoir sous le même nom que le parti présidé par Meloni, ce chant a toujours incarné l’esprit démocratique instauré après 1945. Triste et amer constat à la fois : aujourd’hui, l’extrême droite récupère à son avantage tous les symboles nationaux et républicains qu’elle n’a eu de cesse de piétiner, de salir et de calomnier durant de longues décennies.
Qu’une femme de grande qualité puisse en cacher une autre, ne doit plus rien au hasard. C’est ce qui vient de se passer en Finlande, où l’icône de la social-démocratie Sanna Marin a dû admettre sa défaite aux élections du 2 avril dernier. Battue par le parti conservateur, elle l’a également été par ledit « Parti des Finlandais », à la tête duquel on retrouve Riikka Purra, une diplômée en science politique, âgée de 45 ans. Là aussi, la parole féminine s’est imposée, arguant du danger que les hommes immigrés, originaires du Sud et basanés pour la plupart d’entre eux, représentent pour les femmes scandinaves.
Quoique non directement touchée par l’imminence d’une renaissance extrémiste, l’Allemagne est aussi concernée par la présence de femmes aux postes clés de l’AFD, à savoir de l’Alliance pour l’Allemagne. Propageant à renfort de slogans et de publicité l’image de la femme traditionnelle allemande, elle compte dans ses rangs plusieurs dirigeantes de renom. D’origine noble, Beatrix von Storch met ses connaissances juridiques au service de son parti et de ses activités de lobbying. Ces dernières semblent dorénavant porter leurs fruits dans les Länder de l’Est, à savoir dans une région où les femmes ont été souvent déclassées depuis l’unité du pays en 1990. Pourtant, c’est sur Alice Weigel que se portent tous les regards. Co-présidente du groupe parlementaire de l’AFD au Bundestag, cette ancienne boursière de la Fondation Konrad-Adenauer et docteure en économie de la santé a plusieurs cordes à son arc. Fidèle à l’extrême droite depuis les débuts de sa carrière, revendiquant ouvertement son homosexualité, elle jouit d’une popularité que ses adversaires les plus résolus auraient bel et bien tort de sous-estimer. Sortie d’affaire pour avoir apparemment payer un temps ses impôts en Suisse, elle a gravi tous les échelons de l’AFD et pourrait apparaître, le cas échéant, comme la figure de proue d’un parti en pleine ascension.
Ce ne sont là que des exemples. Et les exemples ne prouvent rien. Ils ne font qu’illustrer certains propos qu’il est néanmoins utile de tenir désormais. Le temps où l’extrême droite n’était représentée que par des hommes à la Giorgio Almirante, Jean-Marie Le Pen, Jörg Haider, voire beaucoup plus récemment Matteo Salvini, sont derrière nous. Aujourd’hui, quelques femmes se sont taillé la part du lion dans un milieu qui leur a été longtemps hostile. C’est là un nouveau défi qui se pose à la démocratie dans son ensemble, mais aussi, et plus précisément, à nombre de mouvements qui, naïvement ou non, croient toujours à la potion magique du féminisme.