Au matin du 5 septembre 1972, le monde se réveilla dans l’effroi et la stupeur. Un commando palestinien venait de prendre en otage des athlètes israéliens dans le village olympique de Munich. Quelques heures plus tard, à plusieurs kilomètres de la capitale bavaroise, onze d’entre eux et un policier, tous innocents, trouvèrent la mort sur l’aéroport militaire de Fürstenfeldbruck. Le lendemain, le président du CIO, l’américain Avery Brundage, prononça sa célèbre phrase, selon laquelle « the games must go on ».
Avait-il pris la bonne décision ou non ? Qu’importe, les jeux olympiques reprenaient leurs droits, toutefois sans la présence du moindre sportif israélien. Le lieu de l’attentat ne devait rien au hasard. Savamment choisi, il devait être perpétré sur le sol allemand. Dirigée à l’époque par le social-démocrate Willy Brandt, la RFA avait tout fait pour faire oublier les olympiades nazies de Berlin en 1936. Munich 72 présentait l’image d’un pays ouvert, démocratique qui, pour la première fois depuis la création de la République fédérale en 1949, était soucieux d’entamer cet indispensable travail de mémoire que Konrad Adenauer et ses deux successeurs chrétiens-chrétiens démocrates, Ludwig Erhard et Kurt-Georg Kiesinger, avaient pris soin de ranger aux oubliettes de l’histoire. Munich 1972, c’était aussi le symbole d’un pays en quête de pardon, de celui qui, en la personne de son chancelier, s’était agenouillé le 7 décembre 1970 devant le monument du ghetto de Varsovie.
En ce 5 septembre 1972, le village olympique fut le théâtre d’un attentat antisémite sur le sol allemand. Et comble de l’horreur, il avait atteint ses objectifs. La cause palestinienne avait trouvé dans le terrorisme une arme politique pour frayer le chemin d’une légitimité que nul ne saurait lui discuter aujourd’hui. Revendiquée par « Septembre noir », organisation issue du Fatha de Yasser Arafat, cette prise d’otages restera toujours gravée dans l’histoire tragique de l’olympisme. Mais plus encore, elle le demeure dans celle d’une génération de l’après-guerre traumatisée par la Shoah. En Allemagne, plus que partout ailleurs, celle-ci découvrait les crimes de l’holocauste, ceux de ses parents, de ses pères et mères auxquels, au risque de connaître la plus douloureuse épreuve de sa vie, elle demanda : papa, maman, qu’est-ce que tu as fait pendant la guerre ?
Dotées d’une architecture futuriste, d’un stade recouvert de son toit en plexiglas, les installations du parc olympique de Munich ne ressemblaient en rien au style néoclassique des bâtiments construits durant le nazisme. Érigées sur le terrain d’un ancien aéroport utilisé par la Luftwaffe jusqu’en 1945, elles étaient aux antipodes d’une Allemagne agressive et féroce. Conçues pour rompre avec le passé, elles retrouvaient, l’espace d’une journée, les crimes et la violence de naguère. Havre de paix, elles se sont transformées en quelques heures en terrain de bataille. Mais l’ennemi ne portait plus l’uniforme de la Wehrmacht ou de la Gestapo, mais celui de terroristes qui, comme les Allemands d’antan, avaient pour principal ennemi les juifs.
Le village olympique de Munich n’a jamais été au diapason d’une Bavière de carte postale. Emblème du modernisme ouest-allemand des années 70, il ne ressemble en rien au conservatisme catholique de sa région environnante. Se voulant, dès son origine, ouvert au monde, il accueille encore aujourd’hui des centaines d’étudiants, dans des bungalows réservés en 1972 aux concurrentes féminines, ou dans le gratte-ciel du Helene-Mayer-Ring, du nom donné à la rue qui porte celui de la seule athlète de confession israélite autorisée à concourir à Berlin en 1936. En face de bâtiments en terrasses, c’est au 31 de la Connollystraβe qu’eut lieu le drame. Endroit resté volontairement inhabité depuis lors, ne servant qu’à héberger des chercheurs invités du Max-Plank-Institut für Physik, il ressemble pourtant à tous les autres immeubles du quartier. Mais, l’histoire a malheureusement voulu qu’il en soit dramatiquement autrement.
De nos jours, aucun groupe terroriste n’envisagerait d’y commettre le moindre attentat. Placée Aux confins d’une artère et d’un garage sous-terrains, d’une rue piétonne accessible à plusieurs niveaux et d’escaliers entrelacés, la résidence des sportifs israéliens aurait pu facilement être prise d’assaut par n’importe quelle unité spéciale d’intervention. Sauf qu’en 1972, celle-ci n’existait pas. En ce 5 septembre, la police et la politique n’étaient pas prêtes. Pour de viles raisons de fierté nationale ou pour éviter une non-ingérence d’une force extérieure sur leur territoire, les autorités allemandes de l’époque avaient refusé la proposition d’intervention d’un commando venu tout droit de Jérusalem. Beaucoup plus entraîné et aguerri au contreterrorisme, celui-ci aurait pourtant sauvé, selon toute vraisemblance, la vie de plus de dix personnes. Mais, les responsables politiques allemands ne l’entendirent pas de cette oreille. Ils s’embourbèrent dans un conflit stérile de compétences, le gouvernement de Bonn se heurtant à celui régional de Bavière. Chacun d’entre eux voulait tirer son épingle du jeu, avant que la police n’ouvrît malencontreusement le feu sur un hélicoptère qui, sous la riposte des preneurs d’otages, s’enflamma et provoqua la mort de ses occupants. Ce drame eut de nombreuses conséquences sur le plan international. Mais beaucoup moins en RFA. Bien qu’ayant certainement pris de fausses décisions en cette sinistre journée, le Ministre fédéral de l’Intérieur en sortit indemne et, chose impensable de nos jours, continua une très brillante carrière. En 1974, il devint Ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupa jusqu’à sa démission en 1992. Homme clé de l’unification des deux Allemagnes en 1990, il demeure sans nul doute l’un des grands personnages de l’Allemagne du 20e siècle. Hans-Dietrich Genscher n’a jamais subi les contrecoups de l’attentat de Munich. Par contre, comme tous ses collègues, dont au premier chef le futur chancelier Helmut Schmidt, il en tira les enseignements, soutenait la création du groupe d’élite GSG 9 qui, à Mogadiscio le 18 octobre 1977, mit fin au détournement du Boeing Landshut de la Lufthansa et sonna le glas de la bande à Baader. Plus de cinq après, la République fédérale d’Allemagne venait ainsi de prendre sa revanche sur l’attentat de Munich du 5 septembre 1972.
Vous devriez reformuler cette phrase:”La cause palestinienne avait trouvé dans le terrorisme une arme politique pour frayer le chemin d’une légitimité que nul ne saurait lui discuter aujourd’hui.”
Elle est ambigue.
Pour le reste, l’on oublie toujours d’évoquer les motifs religieux des fanatiques qui ont tué des innocents de confession juive. Comme s’ils avaient tué pour des motifs exclusivement “politiques”. Comme si les personnes de confession juive avaient été ciblées pour autre chose que des motifs religieux. Comme si les Juifs d’Israel sont persécutés pour autre chose que d’avoir une foi différente en terre prétendue islamique… comme si le soutien des pays musulmans se fondait sur d’autres critères que la religion…
Comme si on pouvait expliquer cette volonté d’anéantissement d’un peuple par autre chose que leur foi.
Le terrorisme a malheureusement contribué à légitimer la cause des Palestiens. C’est une donnée de géopolitique, qu’on le regrette ou pas. Quant à la lutte contre l’antisémitisme, elle reste toujours très actuelle.
Cordialement.
GC
Je suis d’accord avec Gideon : “’une légitimité que nul ne saurait lui discuter aujourd’hui” m’interpelle.
Si tout le monde la trouve légitime, pourquoi la cause palestinienne est-elle encore aujourd’hui une cause à défendre ?
Mon article ne porte pas sur “la cause palestinienne”, mais sur le cinquantième anniversaire de l’attentat de Munich qui avait aussi un caractère antisémite.
GC
Merci pour ce rappel tragique. Est-ce un hasard si les mouvements terroristes de l’après-guerre – Bande à Baader en Allemagne, Brigade Rouges en Italie et Septembre Noir au Japon – sont tous issus des anciens pays de l’Axe, perdants de la Seconde Guerre Mondiale? Le cas des attentats de Munich, lié à la cause palestinienne, ferait-il alors exception?
En 1973, j’enquêtais comme journaliste indépendant sur les émeutes qui agitaient la péninsule intalienne, et en particulier Milan où les partisans du “Movimente Soziale Italiano” (MSI), parti néo-faciste italien, affrontaient ceux des Brigades Rouges Piazza San Babila. Or, ni le procureur général de la République, que j’avais rencontré à son bureau avec un confrère du “Corriere della Sera”, ni le sénateur Gastone Nencioni, chef du MSI dans la capitale lombarde, qui m’avait reçu à la permanence de son parti, ne mettaient en cause un parti ou une faction d’activistes en particulier. Quand je les interrogeai sur les causes des émeutes, le premier se contentait de me répondre avec un sourire laconique, qu’il s’en tenait aux seuls faits: “Solamente i fatti”. Le second, avocat de formation, invoquait pour sa part une loi ancienne, la loi Scelba (du nom du parlementaire qui en était l’auteur) et m’avait remis un exemplaire de son récent livre, dans lequel il la mettait en cause, “La legge Scelba, una reliquia barbara”. Chacun se retranchant derrière la loi, les véritables meneurs du jeu devenaient ainsi de plus en plus opaques, au point de donner naissance aux théories complotistes les plus farfelues dans la presse et le public – même si les liens avec les puissances financières, industrielles et conservatrices les plus traditionnelles devenaient évidents, comme par exemple avec le rôle controversé de la loge P2 lors de l’attentat sanglant à la gare de Bologne.
Au fond, la loi n’est-elle pas un cache-sexe commode pour occulter les pires crimes?
Votre commentaire est d’autant plus important qu’il retrace la pensée qui régnait à cette époque.
En Italie, on se gardait bien de faire le lien avec l’histoire du pays, et le fascisme que l’on croyait disparu à tout jamais. On voit ce qu’il en est aujourd’hui, même si FdI de Giorgia Meloni “prend bien soin” de se cacher derrière une certaine “respectabilité”! De manière analogue, on se cachait alors, et toujours, derrière les lois. C’est facile, habile, mais dangereux.
Cordialement.
GC
Cher Monsieur, Si cet événement et cette page d’histoire doivent être rappelés, avec les nuances que vous y apportez, l’exercice de mémoire reste toutefois très délicat. (Les six commentaires que je lis ci-dessus montrent dans quels oublis et quelles confusions il serait facile de glisser.) Trois points de votre article: 1. L’aéroport de Munich que vous évoqué, au nord, était relié à un autre au sud, initialement dédié aux avions de sport, mais toutes infrastructures militarisées à outrance dès 1933, utilisées aussi comme écoles d’officiers, magasins de munitions, exercices de cruauté, actives notamment pour appuyer Mussolini en Abyssinie puis tous azimuts en Méditerranée dès 1941. Puis bombardées jour et nuit au printemps 44 par les US Air Force. Je ne crois pas pour ma part qu’un tel “lieu de mémoire” puisse devenir même transitoirement un “havre de paix”. 2. Septembre Noir est l’intitulé d’une opération en souvenir des milliers de Palestiniens de Jordanie massacrés sous les raids israéliens en septembre 1970. 3. L’OLP n’a pas eu pour objectif de s’en prendre aux Juifs, mais bien à la création de l’Etat d’Israël tel que fondé en 1948. Ni Yasser Arafat ni Leila Shahid, par exemple, n’ont jamais exprimé de haine ou de violence sous prétexte religieux ou, pire, “racial” – Yasser d’ailleurs, était chrétien. Donc, il faut remplacer anti-sémite par anti-sioniste, s’il vous plaît. 3bis. Les “Allemands d’antan” ont été entourés de multiples nationalistes stupides provenant de toute l’Europe, Suisse, monde… tout aussi enclins à la ségrégation. Enfin, la bande à Baader, si elle s’est montrée pour partie solidaire du FPLP (première formation déjà démantelée au moment des faits), elle visait surtout les instances, entreprises, banques où d’anciens nazis occupaient encore ou de nouveau de hautes responsabilités. Cf. Johann Chapoutot. En effet, la Palestine n’est pas une cause, mais d’abord un territoire. On peut utilement relire les résolutions 272 et 478 du Conseil de sécurité de l’ONU, respectivement de 1967 et 1980. En a découlé un roman fleuve, partiellement récrit. Or les clefs des maisons, les terres, les oliviers et l’eau n’ont toujours pas été restitués à leurs habitants. Mais l’historien Henry Laurens exposerait tout cela beaucoup mieux. Attention, les jeunes générations, de ne pas juger au prisme de l’Islam. Tout ce qu’on peut dire maintenant, c’est que l’implantation de l’Etat d’Israël n’a pas protégé quiconque de l’anti-sémitisme. Et ça, et Freud et des intellectuels sérieux et des dirigeants politiques avisés le savaient avant le 5 septembre 1972.
Madame,
Votre commentaire, pour lequel je vous remercie, appelle les remarques suivantes:
1. l’utilisation du terme “havre de paix” concerne les installations du parc olympique de Munich et non l’aéroport militaire qui se trouvait naguère à cet endroit. Aujourd’hui, les 6 000 habitants du village olympique vivent dans un endroit de paix et non dans “un lieu transitoire de mémoire”. Je suis bien placé pour en témoigner;
2. Le terme “Septembre noir” renvoie aux opérations militaires de septembre 1970 du Royaume de Jordanie sous le Roi Hussein contre les fedayins de l’OLP;
3.La Bande à Baader, première génération de la RAF, s’en est pris au système démocratique de la République fédérale d’Allemagne, notamment sous l’ère sociale-démocrate de Willy Brandt et Helmut Schmidt.
4. Je n’ai pas parlé d’islam dans mon article. Vous avez raison d’évoquer la résolution 272 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, sachant que la reconnaissance de l’Etat de Palestine s’est opérée, en partie, plusieurs décennies, après les attentats palestiniens des années 70.
5. Les accusations antisémites du commando palestinien du 5 septembre 1972 sont aujourd’hui prouvées et documentées. Le choix de leur cible ne devait rien au hasard.
Avec mes salutations cordiales.
GC
Cher Monsieur, merci de votre réponse et précisions. Pour le prisme de l’Islam et amalgames de nature religieuse, je me suis simplement permise d’en appeler à l’attention des “jeunes générations”. Je persiste: les termes sémite, juif et sioniste ne sont pas superposables. Pardon pour l’orthographe dans mon premier commentaire: il faut lire “vous évoquEZ”.
Chère Madame,
Les termes de sionisme et d’antisémitisme n’ont en effet pas la même signfication. Mais, nombre “d’antisionistes” et “d’antisémites” les confondent volontairement.
Très cordialement.
GC
Vous avez raison de rappeler la distinction entre anti-sionisme et anti-sémitisme. Et s’il est vrai que les pro-palestiniens de la première heure se disaient anti-sionistes et non anti-sémites, les choses ont bien changé si l’on en juge les déclarations du président palestinien Mahmoud Abbas lors de sa conférence à New York, en 2018:
“Holocaust row: Abbas accused of anti-Semitism”
Remarks by Palestinian leader Mahmoud Abbas about the Holocaust have been condemned as anti-Semitic by Israeli politicians and rights activists.”
-BBC, 1er mai 2018 (https://www.bbc.com/news/world-middle-east-43967600)
Ses excuses tardives ne semblent pourtant pas avoir fait l’unanimité. Comme le souligne Monsieur Casasus, nombre “d’antisionistes” et “d’antisémites” les confondent volontairement.
Tres bonnes renarques et bonne analyse.
Cordialement.
GC