Bologne, Eisenstadt

Bologne, tout le monde connaît, au moins de nom. Eisenstadt, plutôt pas, voire pas du tout. Pourtant, toutes les deux sont des capitales régionales. La première de l’Émilie-Romagne, l’autre du Burgenland. À première vue, elles n’ont que très peu de dénominateurs communs. L’une est peuplée de près de 400 000 habitants, l’autre de moins de 15 000. Bref, elles ne sont pas comparables l’une avec l’autre. Elles ont néanmoins fait la une de la presse ces derniers jours. Non pour ce qui les distingue, mais pour ce qui les réunit. Chacune continuera non seulement à abriter un gouvernement d’obédience social-démocrate, mais aussi à se féliciter d’avoir fait barrage à l’extrême droite.

Alors le nouveau président national du FPÖ, Norbert Hofer, lui-même originaire du Burgenland, n’a pas pu enrayer le naufrage de son parti, Matteo Salvini a perdu son pari de ravir à la gauche son fief historique de l’Émilie-Romagne. Ces deux régions ont mieux résisté à la tentation extrémiste que ne le laissaient pressentir les sondages. C’est là non seulement un signe encourageant pour des sociaux-démocrates gagnés par le doute à travers l’ensemble de l’Europe, mais aussi pour la démocratie qui s’accommode trop facilement de la victoire de formations qui, au fond d’elles-mêmes, n’ont rien de démocratique.

Néanmoins, ces deux scrutins ne permettent pas de tirer des conclusions trop hâtives. Elles n’ont mis fin ni à la série des défaites électorales de la gauche, ni à celle des succès des partis protestataires. Par leur caractère local, leur impact demeure limité et ils ne signent pas la fin du FPÖ et de la Lega. Même si ces deux partis ont subi de sérieux revers électoraux, l’expérience politique nous incite à plus de prudence que par le passé. Après le départ d’Umberto Bossi de la Ligue du Nord, cette formation était déjà donnée pour morte, alors que le parti de l’extrême droite autrichienne a survécu à plus de scissions que l’on aurait pu le croire ou l’espérer.

De même, les sociaux-démocrates ne devraient pas crier victoire trop tôt. Le jour des élections en Émilie-Romagne et au Burgenland, ils ont respectivement perdu la Calabre au profit de la droite berlusconienne et de nombreuses villes en Basse-Autriche, le parti du chancelier Sebastian Kurz ayant raflé la mise dans ce Land conservateur. Pourtant, ces deux succès respectifs leur redonnent du baume au cœur. Ils traduisent un esprit de résistance et de renouveau qui leur faisait cruellement défaut depuis plusieurs mois et années. Certes, ces deux élections ne suffisent pas pour que la social-démocratie renaisse de ses cendres ; il en faudra d’autres pour qu’elle puisse le faire. Néanmoins, elles leur donnent l’occasion de réfléchir sur son programme et sur sa stratégie qui, en raison de l’imprécision de leur contenu et de leur transparence, n’ont que trop peu convaincu les citoyens que ce soit en Italie, en Autriche ou autre part en Europe.

Ce regain d’optimisme atteint pourtant rapidement ses limites. Le succès de la gauche italienne en Émilie-Romagne n’est pas identique à celui des sociaux-démocrates du Burgenland. Les uns ont pu préserver leurs acquis et su se défendre contre la menace de la Lega, les autres ont quelque peu « chipé » au FPÖ les thèmes qui lui sont chers. En effet, le président du Burgenland, Hans Peter Doskosil, reste fidèle à une ligne plus traditionaliste du SPÖ, « proche des gens », avocat d’une politique sociale généreuse, mais aussi de mesures répressives en matière d’immigration et de sécurité. À la tête d’une région limitrophe de la Slovaquie, de la Hongrie, mais aussi de la Slovénie, il a prôné une fermeté accrue contre les étrangers, récupérant ainsi un électorat qui, inquiet par la concurrence sur le marché du travail, s’était laissé tenter par l’extrême droite. Bien qu’il s’en défende, Doskosil pourrait représenter un danger pour la numéro un de son parti, Pamela Rendi-Wagner. Médecin, plus urbaine que le chef du SPÖ au Burgenland, mais contestée dans ses propres rangs, elle représente une social-démocratie plus ouverte et plus ‘libérale’ que celle incarnée par celui qui pourrait devenir à plus ou moins brève échéance son principal rival.

Le cas de Stefano Bonaccini est autre. Depuis 2014, il dirige avec force et vigueur l’une des régions les plus riches, non seulement de l’Italie, mais aussi de l’Europe. Ce natif de Modène est l’archétype de l’homme politique qui a réussi et continue de réussir. De surcroît, il a bénéficié d’un excellent bilan qui, dans ce bastion de gauche, ôte tout doute sur l’incapacité qu’auraient les sociaux-démocrates à ne pas savoir gouverner un pays. Par ailleurs, sa victoire est aussi due à ce mouvement jeune et inédit, à ce réveil citoyen des « Sardines » qui mérite de s’étendre au-delà de Bologne et de ses villes avoisinantes. Après avoir flirté avec les Cinque stelle, heureusement en pleine perte de vitesse et dont on ne soulignera jamais assez le mal que les amis de Beppe Grillo ont fait au Partido Democratico et à ses alliés, la gauche italienne a retrouvé ce nouvel envol auquel elle avait failli renoncer.

Que ce soit en Émilie-Romagne ou au Burgenland, les victoires du SPÖ et du parti démocratique italien ont conforté des formations que l’on croyait être sur le déclin. Mais, ni dans l’un ou l’autre cas, les sociaux-démocrates sont en droit de parler de triomphe. Si à Bologne, le succès porte la marque d’une gauche plus moderne, tel n’est pas le cas à Eisenstadt. Les épreuves que la social-démocratie européenne devra encore traverser seront longues, car elle est loin d’avoir retrouvé son assise idéologique et son imagination programmatique qui, autrefois, faisait sa force.

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.