Accord institutionnel : sous le silence, la fronde.

Un professeur de l’Université de Saint-Gall et conseiller aux Etats libéral-radical argovien dit pourquoi le Conseil fédéral devrait se retirer des négociations plutôt que d’attendre de simples clarifications. Le président de l’Union syndicale suisse Pierre-Yves Maillard est sur la même ligne. (Photo: Livia Leu, négociatrice en chef suisse à Bruxelles)

L’association Autonomiesuisse.ch* a diffusé hier un communiqué renvoyant à deux articles parus sur CH-Media (joint venture AZ Medien et NZZ Media Group). Le premier est signé du conseiller aux Etats Thierry Burkart. Le second vient des rédactions.   

Le Conseil fédéral doit faire preuve

d’honnêteté envers l’Union Européenne

Thierry Burkart

Avocat, conseiller aux Etats libéral-radical du canton d’Argovie, professeur associé de l’Université de Saint-Gall (Law and Economics). (Paru dans les titres locaux de CH-Media le 14 janvier 2021, traduction autonomiesuisse et FS). (Photo: avec Karin Keller-Sutter)

Depuis près de sept ans, la Suisse négocie avec l’Union Européenne sur le développement ultérieur de leurs relations. Le résultat est connu depuis deux ans. Suite à la signature de l’accord de libre-échange entre la Grande-Bretagne et l’UE, il est temps d’évaluer cet accord-cadre sans œillères.

La version actuelle de l’accord présente bien plus d’inconvénients que d’avantages pour la Suisse. Aux yeux des principaux acteurs du microcosme politique, il ne trouvera pas de majorité populaire sous cette forme. Le Conseil fédéral veut donc « préciser » avec l’UE des questions portant sur la protection des salaires, la directive sur la citoyenneté et sur les d’aides d’État. Il s’agit en effet d’aspects importants.

Le sujet sensible qu’on refuse d’aborder

Pour l’appréciation globale de cet accord, le plus décisif se trouve pourtant ailleurs : le droit européen concerné n’est-il pas censé s’appliquer en Suisse de manière beaucoup plus large à l’avenir ? Le terme consacré est le suivant: « reprise dynamique du droit européen ». Ce mécanisme ne vaut pas seulement pour la mise à jour d’accords d’accès existants (libre circulation des personnes, entraves techniques au commerce, agriculture, transport aérien et transport terrestre), mais pour tous les nouveaux et futurs accords.

Même si la nouvelle négociatrice en chef obtenait des concessions sur les points mentionnés, l’accord-cadre ne pourrait pas convaincre la population.

En fait, le débat de politique intérieure sur le véritable « sujet criant » n’a quasiment pas eu lieu jusqu’à présent. Il s’agit de la reprise dynamique du droit, ajoutée au rôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le cadre de la résolution des litiges entre Suisse et UE. Ces deux éléments réduisent considérablement notre souveraineté.

Un accord-cadre à sens unique

Avec le projet d’accord-cadre, la Suisse s’engage à appliquer les développements juridiques européens dans les cinq domaines d’accès au marché. Cet subordination s’applique cependant d’ores et déjà à tous les éventuels accords dans le futur. En cas de litige, le dernier mot reviendrait à la Cour européenne. Cette dernière pourrait ainsi statuer sur des décisions politiques importantes du parlement ou du peuple, même si elles étaient affectées ne serait-ce qu’accessoirement par le droit européen, ou par un droit conventionnel en découlant.

Étant donné la tendance de la CJUE à constitutionnaliser le droit européen en continu, elle ferait certainement usage de cette prérogative de manière extensive. Cette inclination aurait des conséquences dramatiques pour notre système de démocratie directe. L’accord-cadre ne représente donc pas un développement supplémentaire de la voie bilatérale. Il s’agit d’une nouvelle voie dans laquelle notre pays s’engagerait de manière beaucoup plus étroite dans ses relations avec l’UE.

Une voie qui s’avérerait en plus irréversible: une «clause guillotine» élargie est également prévue dans l’accord. Elle aurait pour conséquence que la Suisse ne pourrait, de fait, sortir de l’accord-cadre à moins d’adhérer à l’UE.  

Les autorités suisses deviendraient des « auxiliaires » de l’UE

Le vrai problème de l’accord-cadre est donc une perte significative de souveraineté et de marges de manoeuvre. Il modifierait, dans tous les domaines politiques essentiels, des dispositions suisses qui ont fait leurs preuves. Droit du travail, droit commercial, immigration… Les décisions importantes seraient en fin de compte prises à Bruxelles ou, en cas de litige, par les juges de l’UE.

L’accord fixerait le cadre dans lequel les Suisses pourraient faire de la politique. Les autorités élues en Suisse – et pouvant être destituées – deviendraient de facto des «auxiliaires» tenus d’intégrer le droit européen au droit suisse.

Cette perte de souveraineté revient finalement à une participation moindre aux décisions pour chaque citoyenne et citoyen. L’accord-cadre affaiblit la démocratie et les institutions de la Suisse.

L’UE comme législatrice et la CJUE comme tribunal constitutionnel

La Suisse pourrait certes décider de chaque modification individuelle, puisque le droit de référendum reste acquis. Elle resterait donc fondamentalement libre de ne pas appliquer un nouveau droit européen, mais serait tenue de proposer à l’UE des « mesures de compensation proportionnelles ».

Le fait est que la Suisse n’en aurait sans doute guère le courage, et qu’il ne serait pas approprié de s’engager souvent sur cette voie s’agissant de conserver de bonnes relations avec l’UE. L’UE deviendrait de facto notre législatrice dans des domaines majeurs. Et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) notre tribunal constitutionnel, validant ou invalidant nos lois, avec de possibles amendes.

Un prix nettement trop élevé

Le «prix total» que nous aurions à payer pour la mise à jour des accords d’accès au marché existants, ainsi que pour les nouveaux accords, est nettement trop élevé du point de vue d’un État souverain dans lequel les électeurs ont l’habitude d’avoir le dernier mot. Dans ces cirsconstances, le Conseil fédéral devrait faire preuve d’honnêteté envers notre principal partenaire de politique étrangère, en rompant les négociations pour les raisons de souveraineté évoquées.

C’est aussi une question d’intégrité. Plus nous laissons l’UE dans l’ignorance du manque de perspectives sur le plan de la politique intérieure, plus les dommages sur le plan de la politique étrangère seront élevés. Une rupture des négociations nuirait moins à la crédibilité du Conseil fédéral que de laisser sa délégation continuer de négocier comme si l’accord était juste, bon, et susceptible d’être accepté par le peuple et les cantons.

Une rupture des négociations ne serait pas synonyme d’isolationnisme, ni ne changerait rien à la grande ouverture de la Suisse et de son économie sur le monde.

La Suisse a un accord de libre-échange qui fonctionne avec l’UE, et nous garantit un libre accès au marché. Les accord bilatéraux existants peuvent en outre continuer d’être développés sans qu’une érosion de nos relations bilatérales ne menace.

Une rupture des négociations reviendrait simplement à admettre que de nouveaux accords commerciaux, avec leurs avantages, ne peuvent être conclus au détriment des droits de participation dans nos institutions démocratiques. Nous devrions à l’avenir considérer dès le départ la question de la souveraineté.

Ne serait-il pas bien préférable dans ces conditions de proposer à l’UE un renouvellement et un élargissement de l’accord de libre-échange de 1972 ? N’a-t-on pas vu, dans le cas de la Grande-Bretagne et de l’UE, qu’il n’était besoin ni d’une dynamique unilatérale du droit, ni de Cour de justice européenne ? Ce qui est nécessaire, c’est surtout la volonté réciproque d’avoir de bonnes relations commerciales.

* * *

Accord-cadre: les syndicats en appellent à la rupture des négociations

(Aargauer Zeitung et CH-Media, 15 janvier 2021, extraits traduits par FS) Photo: Pierre-Yves Maillard.

Le Conseil fédéral devrait se retirer des négociations avec l’Union européenne sur l’accord-cadre. C’est ce que demandait le conseiller aux Etats PLR Thierry Burkart mercredi dans un article publié sur CH- Media. Le président de l’Union syndicale suisse et conseiller national socialiste Pierre-Yves Maillard ne dit pas autre chose (…). Il vaudrait mieux selon lui que le Conseil fédéral rompe les négociations. «Nous voulons maintenir une protection salariale autonome et la fonction publique. L’accord met ces acquis en péril. C’est pourquoi nous avons toujours dit que l’accord avait peu de chance devant le peuple. Nous affirmons qu’il serait plus clair et plus honnête de lutter pour un redémarrage complet des négociations. »

Le président de l’USS ajoute que la question de la souveraineté dans l’accord est « très difficile ». Il veut aussi empêcher le Parti populaire suisse (UDC) de gagner en force lors du vote sur le traité. Cela ne saurait être dans l’intérêt de ceux qui sont en faveur d’une relation bonne et ordonnée avec l’UE. La Grande-Bretagne a conclu un accord sur le Brexit avec l’UE, dans lequel la Cour de justice européenne ne joue aucun rôle. Cela montre que « d’autres logiques sont possibles ».

Côté libéraux-radicaux et socialistes, les sceptiques et libres penseurs se sont aussi sentis encouragés par un texte que Johann Schneider-Ammann a publié dans la NZZ en septembre dernier. L’ancien conseiller fédéral PLR, ancien dirigeant d’entreprise également, disait que les clarifications que le Conseil fédéral s’efforçait d’obtenir ne seraient pas suffisantes, parce que le problème de la perte de souveraineté était négligé.

Gerhard Pfister, président du Parti démocrate-chrétien (PDC), partage ce point de vue. «Nous devons enfin parler du problème fondamental: la souveraineté. Le rôle de la Cour européenne de justice dans l’accord-cadre est toxique », a-t-il déclaré au Tages-Anzeiger fin septembre.

Interrogé sur le point de savoir si le Conseil fédéral devait mettre fin aux négociations avec Bruxelles, Pfister répond désormais: «Depuis la réunion du groupe parlementaire de janvier 2019, le PDC a pointé à plusieurs reprises l’adoption dynamique des droits et les questions de souveraineté qui y sont associées. Dans ce contexte, nous examinerons en temps voulu le résultat des discussions en cours avec l’UE. »

Recul pour les partisans de l’accord

En juin 2019, le Conseil fédéral avait annoncé qu’il signerait l’accord-cadre si l’UE était prête à « clarifier » trois domaines: la protection des salaires, les aides d’État et la directive citoyenne de l’Union. Le rôle de la Cour européenne de justice n’a pas été mentionné. En novembre, le gouvernement a donné un mandat à la nouvelle négociatrice en chef Livia Leu, mais est resté silencieux sur le contenu. Il n’est pas exclu que Livia Leu soulève de nouveau la question du règlement des différends. Les observateurs estiment cependant que la Suisse aurait dû le faire plus tôt, et que l’UE n’est pas disposée à négocier sur cette question.

Et que dit la présidente du PLR Petra Gössi sur le fait que le conseiller aux États Burkart a une opinion différente de celle de son parti? « M. Burkart ne représente pas l’opinion majoritaire du groupe. Je l’aurais bien accueilli s’il avait d’abord demandé une discussion interne. » 

En attendant, les partis gouvernementaux et les Verts pensent en gros qu’il faut attendre ce que le Conseil fédéral ramènera de Bruxelles. Les partis se détermineront à ce moment-là. Un nombre croissant de parlementaires voient toutefois les choses différemment: à quoi bon attendre, alors que le Conseil fédéral ne parle même pas à l’UE de la question la plus importante ? Le fait que les syndicats se joignent désormais à la rupture des négociations n’est certainement pas une bonne nouvelle pour les partisans de l’accord.

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*Créée l’an dernier, l’association Autonomiesuisse.ch (dont je fais partie) regroupe des personnalités à profil plutôt économique, de plusieurs partis politiques. Elles sont favorables à l’abandon de l’Accord institutionnel avec l’UE, et à une renégociation sans Cour européenne de justice. Des responsables de plusieurs entreprises exportatrices et/ou multinationales, dont certaines cotées, en font partie. Jean-Pascal Bobst, de l’entreprise du même nom à Lausanne-Mex (industrie des machines), est au comité. Autonomiesuisse promeut une coopération à long terme et sur pied d’égalité avec l’UE, débouchant sur une situation gagnant-gagnant. En élargissant les accords bilatéraux ou l’accord de libre-échange, avec un autre type d’accord-cadre. Il s’agit de reconsidérer les relations avec l’UE sous un autre angle .

 

 

 

Brexit deal : lourde humiliation pour la Suisse

Le Royaume-Uni obtient à peu près le même accès au marché européen que la Suisse. Sans subordination du droit britannique au droit européen, ni Cour européenne de justice. De quoi attiser la confrontation permanente entre souverainistes et soumissionnistes en Suisse. L’attitude de Bruxelles va certainement se durcir.   

L’Accord de commerce et de coopération finalisé juste avant les fêtes entre la Commission européenne et le gouvernement britannique n’est à ce stade qu’un traité « de principe ». C’est-à-dire une sorte de déclaration politique. Il est présenté à Bruxelles comme un draft, provisoire jusqu’à fin février. Il devra être ratifié individuellement par les Etats membres de l’Union, par le Parlement, puis le Conseil européen en tant que tel.

Des résistances sont probables, qui pourraient retarder encore le processus de normalisation des relations euro-britanniques. Elles ne remettront toutefois pas le deal en question, dans la mesure où la France et l’Allemagne l’ont approuvé. L’affaire devrait passer encore plus aisément devant le parlement britannique. Mesuré à l’intransigeance et aux injonctions européennes depuis 2016, dont la morgue de Michel Barnier est devenue le symbole (1), ce Brexit deal est tout de suite passé au Royaume-Uni pour une importante victoire de la Couronne. 

La consultation des quelque mille deux cent pages de l’accord, verbeuses et technocratiques au possible, est sans appel pour la Suisse : Bruxelles a finalement renoncé à l’ « incontournable » subordination du droit britannique au droit européen, de même qu’au rôle interprétatoire dévolu à la Cour de justice de l’UE (interprétation du droit européen au Royaume-Uni).

L’écart est énorme si l’on se réfère au dogmatisme de dominance mille fois proclamé pendant plus de quatre ans du côté de Paris, de Berlin et de Bruxelles. Les différends se régleront finalement en comité, sur pied d’égalité, avec possibilité très classique d’exercer des rétorsions. En réintroduisant par exemple certaines barrières douanières compensatoires. Cette approche pragmatique, respectueuse de la souveraineté britannique malgré le rapport de force démonstratif, était également présentée comme impossible et fantaisiste par les soumissionnistes en Suisse.     

L’écart est énorme si l’on se réfère au dogmatisme de dominance mille fois proclamé pendant plus de quatre ans du côté de Paris, de Berlin et de Bruxelles.

La subordination des Britanniques à laquelle l’Union a renoncé est précisément ce qu’elle exige des Suisses depuis plus de cinq ans, de manière toute aussi intransigeante : un premier accord institutionnel de reprise automatique du droit européen, sous contrôle de la Cour européenne de justice. Ramené au « simple » accord de commerce et de coopération, sans parallélisme (clauses guillotines) ni volet institutionnel, le Brexit deal apparaît en ce sens comme une véritable humiliation pour la Suisse.    

Surdoté en dispositions restreignant la souveraineté dans des domaines de plus en plus larges, l’Accord cadre institutionnel Suisse-UE est de son côté en attente de ratification à Berne. Pour mémoire, le gouvernement lui-même refuse de l’approuver tant que des garanties (“clarifications”) n’auront pas été obtenues contre certains développements juridiques ultérieurs. Les retards pris dans la procédure ont déjà fait l’objet de représailles et de contre-représailles (dénonciation par Bruxelles de l’équivalence boursière depuis 2019). Une ratification en vote populaire semble peu envisageable dans ces conditions.

Position officielle depuis quatre ans à ce sujet à Berne : il n’y a pas de rapport entre Brexit et voie bilatérale d’intégration, dans laquelle la Suisse s’est engagée il y a trente ans. Cette voie est en effet gérée à Bruxelles dans le cadre de la politique d’élargissement de l’UE, en vue d’une probable future adhésion de la Suisse. Alors que le Brexit va dans le sens inverse, et qu’une ré-adhésion n’est plus du tout envisagée. Cette non-comparabilité est au centre d’innombrables analyses et commentaires, en Suisse et en Europe, adoptant en général le point de vue de Paris, Berlin et Bruxelles.

Si rien n’est comparable, il semble en revanche assez probable que l’attitude de l’Union européenne franco-allemande vis-à-vis de la Suisse va se durcir. Le Royaume-Uni ayant été abandonné en quelque sorte dans la périphérie, il s’agira pour les Européens de consolider l’intégration de la Suisse, dont les frontières sont entièrement européennes. Une fois au même niveau que la Norvège et l’Islande, de nouvelles étapes intégratoires pourraient alors être franchies sur une base multilatérale.        

Obstacles techniques au commerce (ARM)

Bien qu’il s’agisse d’une évidence tautologique, le texte de l’Accord de commerce et de coopération insiste beaucoup sur le fait que les exportations britanniques sur le continent devront continuer de se conformer aux normes techniques européennes (sécurité, environnement, etc.). Tous les exportateurs du monde conçoivent et développent en fait leurs produits en fonction des normes en vigueur sur les marchés de destination. A noter en revanche, par rapport aux débats de politique européenne en Suisse, que le Royaume-Uni n’a pas obtenu d’Accord mutuel de reconnaissance des normes techniques (ARM)

Le fait que les parties n’aient pas (encore) convenu d’un ARM, contrairement à d’autres accords récents finalisés par l’UE dans le monde (avec la Suisse en 1999 déjà), signifie que le Royaume-Uni est discriminé sur ce plan par rapport à des Etats plus lointains comme le Canada ou les Etats-Unis. Les exportateurs britanniques devront faire homologuer leurs produits par une éventuelle filiale sur le continent, ou par une agence spécialisée. Dans le domaine des machines ou (plus sensible encore en Suisse) des technologies médicales par exemple.

L’absence d’ARM est perçu comme rédhibitoire en Suisse. Ce n’est apparemment guère le cas en Grande-Bretagne.

Cet inconvénient, perçu comme rédhibitoire en Suisse, n’a pas l’air d’être vécu comme un grand problème en Grande-Bretagne. Il n’a pratiquement pas été mentionné dans les analyses et commentaires depuis une semaine (même dans les médias économiques). Ne s’agit-il pas d’abord de dispositions transitoires ? En attendant un éventuel ARM par la suite, la situation de départ permettra de se faire une idée par le vide de l’importance de cet instrument largement fantasmé quant à ses effets macro-économiques.

Certains secteurs « d’intérêt mutuel » feront d’ailleurs d’emblée l’objet de « facilitations » en matière d’homologation : automobile, industrie pharmaceutique, chimie,  produits organiques et… vin. Dans les domaines les moins risqués, une simple auto-déclaration de conformité suffira pour exporter sur le marché européen. Il y a toujours moyen de s’entendre lorsque l’on se glisse au-dessous des idéologies.     

A noter aussi que la notion même d’ARM, qui représente la quasi-totalité de l’accès « privilégié » des exportateurs suisses au marché européen, n’occupe plus du tout la même place centrale qu’il y a vingt ou trente ans dans les préoccupations de commerce international. On s’en rend compte depuis les projets de partenariat européen avec les Etats-Unis (2013) et le Canada (2016) (2).

Les échanges de technologies avec la Chine ont d’ailleurs lieu dans le monde sans ARM. Tout un réseau d’agences spécialisées homologuent les exportations des PME vers le marché chinois, et réciproquement. On ne s’étonnera pas que ces « obstacles techniques au commerce », en général instrumentalisés dans une perspective protectionniste, soient rarement évoqués pour expliquer des contre-performances en matière d’exportations.  

Programmes de recherche Horizon Europe (2021-2027) 

Les documents publiés la veille de Noël sont loquaces sur la participation du Royaume-Uni aux programmes de recherche subventionnée Horizon Europe (2021-2027). Les Britanniques ont cédé sur le principe de financement forfaitaire, auquel ils avaient longtemps envisagé de renoncer. Tout semble donc rentré dans l’ordre aux yeux du lobby de la recherche publique en Grande-Bretagne. Les choses s’embrouillent cependant dès que l’on sort des généralités. Avec des enjeux concernant directement la Suisse.   

Des déclarations conjointes annexées permettent de se rendre compte que le Royaume-Uni ne siégera pas au récent Conseil européen de l’innovation (2017), nouveau pilier des programmes-cadres (finançant des projets en phase de commercialisation dans une optique protectionniste). Les entreprises britanniques ne doivent-elles pas être considérées comme rivales des européennes sur le plan industriel (3) ?

Le Brexit sort en plus la Grande-Bretagne de la Banque européenne d’investissement, qui participe à ces financements. La Suisse, qui n’est pas davantage actionnaire de la BEI, ne participant pas non plus aux délibérations et décisions du Conseil européen de l’innovation, ne doit pas s’attendre à bénéficier pleinement de financements considérés comme stratégiques. 

En tout état de cause, les modalités d’association du Royaume-Uni à Horizon Europe 2027 sont loin d’être fixées. Elles détermineront certainement le (ou les) statut(s) de la vingtaine d’autres Etats en attente d’accords d’association.

Ce qui est certain à ce stade s’agissant de la Grande-Bretagne l’est donc aussi pour la Suisse. Le statut de pleine association aux programmes-cadres précédents ne sera pas reconduit sans que l’Union ajoute de nouvelles conditions allant dans le sens d’une plus grande intégration institutionnelle et contributive. C’est aussi ce qui ressort des dernières nouvelles de la Commission européenne à Bruxelles, interrogée par les agences ATS et AWP (22 décembre), sur un dossier toujours très discret à Berne (4).

La pleine association aux programmes cadres Horizon ne sera pas reconduite en Suisse sans un nouvel accord sur la recherche. Plus institutionnel et plus contributif. 

Les négociations en vue de la participation de la Suisse à Horizon Europe (qui débute le 1er janvier 2021) peuvent commencer parallèlement aux discussions avec le Royaume-Uni. Un nouvel accord-cadre sur la recherche va donc devenir nécessaire, en plus des traités des années 1980 et 1990. On ne sait pas à quoi les discussions pourraient être liées en Grande-Bretagne. En Suisse, il paraît clair que l’avancement des travaux sera subordonné à celui de l’Accord institutionnel. Le rythme risque donc d’être beaucoup plus lent.

Bruxelles a déjà prévenu que ces nouveaux accords bilatéraux sur la recherche devront inclure des dispositions par rapport aux programmes d’échange Erasmus. Ce n’est pas le cas aujourd’hui: Erasmus n’a rien à voir avec les Accords bilatéraux I ni avec la libre circulation des personnes. La Suisse a adopté les programmes Erasmus sur une base très favorable aux Européens, mais les Britanniques ont décidé d’y renoncer: trop d’étudiants européens dans les écoles britanniques. Ils ont aussi renoncé à la reconnaissance mutuelle automatique des diplômes.

ANNEXE

D’autres comparaisons possibles

Si l’on se réfère aux sept Accords bilatéraux I de 1999 entre Suisse et Union Européenne, constituant l’essentiel de la voie bilatérale d’intégration :

Les deux points sensibles sont et restent l’ARM et la recherche (voir plus haut). Instrumentalisés par Bruxelles et les soumissionnistes en Suisse lors des grands débats de politique européenne (dans le registre de la peur en général).  Comme nous l’avons fait ressortir précédemment, le poids de ces deux accords dans l’emploi et la production de valeur ajoutée en Suisse (PIB) est toutefois insignifiant (5).

Le Royaume-Uni a obtenu par ailleurs l’accès au marché européen sans barrières douanières, ni libre accès des Européens au marché britannique du travail en contrepartie (circulation des personnes). Difficile de ne pas penser qu’il s’agit également d’une humiliation pour les Suisses, qui ont largement revalidé la libre circulation en vote populaire (septembre dernier) sous différentes menaces d’ordre économique.

Marchés publics infra OMC : il s’agit d’un arrangement de proximité ne fonctionnant à peu près qu’au bénéfice des Européens. Pas retenu en tant que tel entre Union et Royaume-Uni, malgré des niveaux de coûts assez comparables.

Transports terrestres : situations de voisinage peu comparables, et dispositions plutôt transitoires s’agissant du Royaume-Uni. Des arrangements s’avèrent déjà possibles malgré les démonstrations de force de la France pour asphixier le Royaume-Uni. A noter que les contrôles douaniers plus ou moins facilités (selon les secteurs) sont pratiqués en Suisse (qui ne fait pas partie non plus de l’Union douanière que les Britanniques ont quitté).

Transport aérien : pas de changement apparemment, le Royaume-Uni continuant de participer au « ciel européen unique ». Des ajustements institutionnels paraissent envisageables par la suite. Les écologistes auraient préféré que le transport aérien du continent soit interdit d’accès au hub de Heahtrow. Les grandes compagnies européennes ne semblent pas souhaiter en revanche affaiblir le groupe British Airways, qui contrôle aussi Iberia et Aer Lingus (Irlande). De même que Swiss est liée au groupe Allemand Lufthansa, ce qui réduit le risque de rétorsions européennes sur le transport aérien. A noter que la navigation aérienne en Suisse fait depuis longtemps l’objet de reprises automatiques et volontaires de droit européen, sans qu’un accord institutionnel contraignant ait été nécessaire.

Agriculture : indifférent. Les Britanniques ont une agriculture moins protégée qu’en Suisse, ce qui ne va pas changer. Les financements non liés à des prestations environnementales de la Politique agricole commune en Europe (PAC) cesseront. Le Royaume-Uni soutiendra son agriculture selon un modèle plus proche de celui de la Suisse (paiements directs pour prestations qualitatives et environnementales).

Schengen/Dublin (Accords bilatéraux II en Suisse) : la Grande-Bretagne n’a jamais fait partie des Espaces Schengen et Dublin. Elle a néanmoins accès aux bases de données justice et police permettant de lutter plus efficacement contre la criminalité. Pas de changement majeur prévu.

Pas d’accord sur les services financiers (“passeport européen des produits financiers”) 

Le Royaume-Uni sera privé de cet accès, tout comme la Suisse depuis toujours. La Suisse va-t-elle demander d’être associée à de futures discussions tripartites ? Il n’est pas certain que le Royaume-Uni le souhaite, la place financière suisse étant considérée à Londres comme concurrente de la City (3eme et 4eme places à l’échelle mondiale).

A noter que la Suisse s’en sort plutôt bien sans libre accès au marché européen des services et produits financiers. Les banques, assurances et autres institutions financières compensent en ayant au moins une filiale homologuée dans l’UE. Elles peuvent aussi passer par des intermédiaires. Cette situation aujourd’hui « naturalisée » a abondamment été présentée dans le passé comme invivable et insoutenable par les soumissionnistes. De la même manière qu’une éventuelle et menaçante absence d’ARM dans le domaine industriel est souvent présentée comme une difficulté insurmontable pour les exportateurs.

A noter que les Européens (surtout les Français) veulent ouvertement affaiblir la City et accueillir ses activités délocalisées. La France rêve d’une place financière de substitution et d’importance mondiale à Paris. Luxembourg, Francfort et Amsterdam sont aussi sur les rangs dans la captation de morceaux de City. Lors du référendum de 2016, les prévisions des opposants tournaient autour des 35 000 emplois délocalisés, la plupart immédiatement. Elles sont plutôt de l’ordre de 10 000 actuellement, moins de 1500 transferts étant déjà effectifs.

En Suisse, l’importance des pertes sur l’emploi financier depuis 2008 est aujourd’hui davantage attribuée à la disparition du secret bancaire fiscal qu’à la faiblesse d’accès au marché européen.

Pas d’accord sur l’énergie (électricité, gaz, pétrole).

Le Royaume Uni se retrouve sur le même plan que la Suisse. Des négociations à trois sont également imaginables sur l’électricité, mais les contreparties que les Européens voudront obtenir seront certainement très différentes s’agissant de la Suisse et du Royaume-Uni. On sait de surcroît que les résistances à la libéralisation du marché de l’électricité peuvent être déterminantes (au Royaume-Uni aussi bien qu’en Suisse).     

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NOTES

(1) Le négociateur en chef Michel Barnier n’a cessé de proclamer pendant trois ans qu’il ne pouvait être question d’ « accorder » un accès au marché continental sans reprise automatique de droit européen ni interventions de la Cour européenne de justice dans les affaires britanniques. Tous les officiels européens ont campé sur la même position. Sans parvenir à expliquer pourquoi cette exigence était valable pour un Etat géographiquement proche, mais pas pour le Canada (ce principe de proximité renvoyant en fait à une mentalité impérialiste caricaturale).

https://cutt.ly/th5CEYL

Barnier s’affirme aujourd’hui peu satisfait de négociations ayant eu lieu sur un mode perdant-perdant, se posant sans rire en maître loser face au « clown » Boris Johnson. L’expérience aura en tout cas laissé l’impression que choisir un chef français vindicatif, rigide et arrogant pour négocier avec les Britanniques n’était pas une bonne idée.

(2) https://cutt.ly/Bh5MFju

(3) https://cutt.ly/Wh6q3Fb

(4) https://cutt.ly/Nh50CDM

(5) https://cutt.ly/3h6ugus   https://cutt.ly/zh6umRw

 

Suisse et programmes européens de recherche : le drôle de drame

Toute mauvaise nouvelle sur le statut d’association de la Suisse à Horizon Europe (2021-2027) ces prochains mois ne sera pas forcément une mesure de rétorsion par rapport à l’Accord institutionnel en suspens. Le recul permet de mieux s’en rendre compte.

Cet article est une suite et actualisation de celui du 28 avril 2020 : « Ce que vaut l’Accord sur la recherche ». https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/04/28/acces-au-marche-europeen-4-ce-que-vaut-laccord-sur-la-recherche/

Divers commentaires et analyses l’ont précisé, reprécisé ou laissé entendre ces dernières semaines : la participation de la Suisse aux programmes de recherche Horizon Europe (2021-2027), en tant qu’Etat associé, ne sera pas possible sans ratification de l’Accord institutionnel en suspens avec l’Union Européenne.  

Répétitif et en général efficace dans les débats de politique européenne en Suisse, ce genre de chantage ne manque pas de crédibilité a priori : l’UE n’avait-elle pas exercé de retentissantes rétorsions après le vote de février 2014 contre la libre circulation du travail ? Suspension de l’accord d’association à Horizon 2020, qui n’était pas encore finalisé. Et de la participation à Erasmus+, qui n’a pourtant rien à voir avec les Accords bilatéraux I.

Sept ans plus tard, les difficultés d’approbation de l’Accord institutionnel avec l’Union prennent le relais de la libre circulation. Elles surgissent de nouveau au moment où les deux parties devraient discuter d’un éventuel statut d’associé de la Suisse au nouveau programme cadre de recherche Horizon Europe (2021-2027). C’est dire si la chronologie des événements présente de troublantes similitudes.

Comme à l’époque de la mise en place d’Horizon 2020, l’UE devrait aussi hisser treize Etats de sa périphérie au même niveau d’association que la Suisse s’agissant cette fois d’Horizon Europe (2027) (1). Dont Israël, la Turquie, la Tunisie, l’Albanie ou encore la Géorgie. Bien que ces partenaires n’aient ni accord historique et général sur la recherche, ni libre circulation du travail avec l’UE, ni subordination institutionnelle d’aucune sorte.

Plusieurs éléments nouveaux sont pourtant venus perturber entre-temps ce laborieux agencement. En premier lieu, des Etats plus éloignés et à haut potentiel de recherche subventionnée ont insisté à Bruxelles pour obtenir eux aussi le statut d’associé : Japon, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Corée et Singapour. L’Union est entrée en matière. L’association de ces nouveaux candidats fait aujourd’hui partie de la politique de partenariats de l’UE par rapport à Horizon Europe (2027).

De son côté, le Brexit ne s’est pas contenté de venir perturber la politique européenne de recherche. Il l’a passablement bouleversée. Importante référence dans le monde sur le plan académique, et en matière de recherche à financement public (sciences physiques, humaines et technologies), deuxième contributeur aux programmes cadres européens (après l’Allemagne et devant la France), le Royaume-Uni n’est-il pas une locomotive dans la R&D? Sa future association aux programmes européens devrait apparaître comme une évidence. Ce n’est pourtant pas du tout le cas.  

Avant même d’être appliqué, le référendum de juin 2016 a d’ailleurs déjà eu pour effet psychologique de réduire les participations britanniques de quelque 30% (2). Ce choc a forcément fait évoluer la perception et la réalité du dossier recherche européenne dans son ensemble. La crise sanitaire de 2020 est encore venue compliquer les choses en absorbant des budgets initialement dédiés à la recherche.

Dilution indésirable

Nouvelles candidatures importantes, Brexit, volonté de voir au moins les Britanniques sanctionnés d’une manière ou d’une autre sur le plan de la recherche : ces paramètres ont fini par converger sur un scepticisme déjà ancien, fragilisant le principe même d’association. Répandu en France et dans les pays latins, mais également dans les Etats baltes et le groupe de Visegrad. Pourquoi des Etats non membres peuvent-ils participer et bénéficier pleinement de programmes de recherche communs, destinés à favoriser la prospérité et le rayonnement de l’Union ?

Que reste-t-il au juste de l’avantage d’être membre dans cette affaire ? Davantage que la recherche fondamentale, c’est la captation de subventions publiques par les entreprises qui est remise en cause. Bien qu’elle ne représente qu’une petite partie de l’ensemble. L’idée que des technologies issues de programmes publics puissent bénéficier à des économies nationales hors de l’Union est de plus en plus perçue comme dilutive et contre-productive.

Retards exaspérants

Après avoir fixé en septembre le budget global d’Horizon Europe (2027), trois mois seulement avant le lancement opérationnel des programmes, c’est dans cette ambiance que la Commission européenne, le Parlement et le Conseil des ministres européens de la recherche doivent encore se mettre d’accord sur une politique de partenariat hors UE. D’ici la fin de l’année. Avec, en principe, une confirmation et un contenu clarifié du statut d’associé.

L’accès à la pleine diversité des programmes pourrait cependant être restreint. La possibilité de coordonner des projets également. De longues discussions devront ensuite avoir lieu avec chaque candidat. Sur le montant de sa contribution forfaitaire en particulier, qui devra encore être ratifié par son parlement.

Même si ce processus commençait aujourd’hui, il ne serait guère envisageable que les Etats potentiellement associables (Suisse comprise) puissent rejoindre Horizon Europe avec moins de six mois de retard. Voire une année. Mais ce ne sera certainement pas le cas. Parce que tout semble bloqué tant que le l’Union et le Royaume-Uni n’auront pas finalisé un accord en quelque sorte pilote sur la recherche.

Or aucun début de finalisation sectorielle de ce genre n’est envisageable tant que les deux parties ne seront pas fixées sur un deal ou un no deal global de principe. En cas de no deal, il s’agira même d’aborder toute la question en table rase. Le Royaume-Uni se retrouverait alors sur le même plan que les nouveaux candidats de la zone OCDE. Voire peut-être, in fine, à un même niveau que la Suisse et ses treize « équivalents », revu à la baisse. L’UE ayant finalement imposé à tous un compromis entre le statut actuel d’associé et celui de simple Etat tiers (3).  

Visibilité décourageante

C’est dire si la perspective d’une association à Horizon Europe dans le courant de l’année prochaine a pris la forme d’un banc de brouillard pour la vingtaine de candidats impatients. Les anciens associés d’Horizon 2020, dont la Suisse, avaient déjà connu cela en 2014. Mais pas dans de telles proportions. Transis par l’imprévisibilité d’une Union Européenne de plus en plus ombrageuse, ils s’efforcent de ne pas faire de remous. Certaines délégations, dont celle d’Israël et de la Turquie, se sont prudemment réunies en septembre à Bruxelles pour faire une sage apologie des participations associatives aux programmes européens de recherche (4).

Quant aux nouveaux candidats, ils semblent passablement déroutés. Certains ont apparemment abandonné tout espoir et volonté d’être sérieusement associés à ce cycle de recherche. Se résignant simplement à le traverser en tant qu’Etats tiers, finançant comme auparavant leurs participations au cas par cas. (5)  

C’est dans cet environnement un peu étrange que la Suisse s’apprête à affronter les menaces prévisibles sur son statut d’association au cas où l’Accord institutionnel avec l’Union ne serait pas promptement signé par le Conseil fédéral. Puis ratifié dans la foulée en vote populaire. Les intimidations, on le voit, mériteront d’être quelque peu relativisées.

Le double agenda

Toute mauvaise nouvelle s’agissant de la pleine association de la Suisse ne pourra guère être forcément interprétée comme une rétorsion. En attendant, Berne ne donne pas l’impression d’être pressée de communiquer sur la situation. Comme si une syllabe de trop reviendrait à mettre de l’huile sur le feu.

Le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation à Berne (SEFRI) se contente de confirmer avec optimisme « qu’il est actuellement prévu que les négociations entre l’Union européenne et la Suisse sur l’association dans le domaine de la recherche et de l’innovation commencent à la fin de l’année, ou au début de l’année prochaine ».  

Il est probable cependant que les discussions ne s’engagent pas avant que l’Accord institutionnel soit approuvé en référendum. Ce qui pourrait bien les reporter au second semestre. La coïncidence sera peut-être parfaite avec les retards pris du côté européen.

D’ici-là, c’est aussi sur le fond que les chantages habituels pourraient revêtir une résonnance assez différente des années précédentes. Par rapport à la politique européenne de recherche et d’innovation elle-même. N’a-t-elle pas beaucoup évolué depuis 2014 ?

ANNEXE I

Politique de puissance et instrumentalisation de la diplomatie scientifique

Même si la problématique des Etats tiers dans les programmes publics de la recherche en Europe reste plus ou moins stable sur le plan conceptuel, il faut bien se rendre compte que l’esprit de la politique européenne a considérablement évolué depuis 2014.

L’Union Européenne est devenue beaucoup plus méfiante et protectionniste vis-à-vis de l’extérieur. Le dépit d’avoir été gravement distancée par l’Amérique et l’Asie dans la révolution numérique, le dramatique décrochage techno-industriel face à l’Asie et aux Etats-Unis, génèrent aujourd’hui davantage de ressentiments que d’émulation.

A défaut de pouvoir prétendre à un leadership technologique significatif, l’Europe semble se rabattre sur ce qu’elle peut et veut encore maîtriser : la « régulation des technologies », selon l’expression désormais consacrée. Sur son territoire et dans son aire d’influence. « L’Europe peut devenir leader en créant une technologie démocratiquement soutenable », proclamait le président Macron il y a dix-huit mois lors d’une intervention remarquée (devant un parterre d’industriels des technologies). La Chine n’a pas nos référentiels en termes de libertés individuelles et de droits de l’homme. Face à un modèle piloté par de grands acteurs privés, les Etats-Unis ne peuvent plus garantir le respect de la vie privée, ni une politique sur le changement climatique. » Déjà perceptible dans Horizon 2020, cette tendance au repli de la politique d’innovation sur une certaine zone de confort s’est encore accentuée. 

L’ambition d’excellence porte en premier lieu sur des domaines à vocation de plus en plus domestique. En juin dernier, la Commission présentait solennellement les nouvelles grandes missions du programme Horizon Europe : changement climatique, adaptation des villes au phénomène, cancer, protection des océans et santé des sols. L’ancien commissaire à la recherche Carlos Moeda, qui présidait la commission d’experts, décrivait sans rire ce résultat comme quelque chose « qui allait introduire la science dans les conversations des gens de la rue »(6).      

Sous l’impulsion de la France principalement, le grand projet européen de paix a aussi cédé sa place ces dernières années à une vaste rhétorique de puissance et d’épuration. Avec une déclinaison importante sur la souveraineté technologique (7). Dernier épisode en date, un principe de restriction dans les participations à Horizon Europe susceptibles de bénéficier aux majors techno-industriels de Chine et des Etats-Unis, GAFAM en particulier (8).

Même partiellement contrôlées par des actionnaires ou partenaires asiatiques ou américains, les entreprises européennes (ou des Etats associés dans la recherche subventionnée) devront être exclus des programmes jugés stratégiques. Le périmètre de ces programmes sensibles ayant en même temps tendance à s’élargir. Il s’agit d’une politique assumée d’éloignement ou d’affaiblissement de concurrents jugés « déloyaux ». Un maître-mot de plus en plus disqualifiants dans les argumentaires européens (et utilisé depuis longtemps dans les tensions avec la Suisse, puis la Grande-Bretagne).  

Il est assez prévisible dans ces conditions que la méfiance s’étende progressivement à des Etats adeptes d’une certaine neutralité économique par rapport aux autres grandes puissances. Recherchant en ce sens à diversifier leurs relations économiques et partenariats technologiques dans le monde. Sans autre focalisation sur l’Union Européenne que ce qui relève de la simple proximité. Dans quel mesure ces « neutres » sont-ils vraiment fiables en tant qu’associés ? Dans l’ordre d’importance, on pense évidemment au Royaume-Uni, à la Suisse ou à Israël. Sans parler des nouveaux candidats, qui ne tiennent peut-être pas non plus à devoir choisir un camp.

Sur le site de l’UE, dans le compte-rendu de la réunion d’anciens associés d’Horizon 2020 mentionné plus haut, un texte de background précise à ce sujet : « La diplomatie scientifique est un outil de plus en plus important pour renforcer la coopération avec les pays tiers. »

En fait de coopération, Suisses et Britanniques font une douloureuse expérience d’Etats très développés et contigus de l’Union Européenne franco-allemande. La « coopération » est ici subordonnée à l’adoption unilatérale de pans entiers du droit européen. Interprétable de surcroît par une Cour européenne de justice dont la mission est de défendre les intérêts de l’Union face à ceux des Etats membres (a fortiori des Etats non membres). Les Britanniques paraissent toutefois beaucoup plus à l’aise que les Suisses s’agissant de refuser cet abus de rapport de force, digne à leurs yeux « de l’époque coloniale et de ses protectorats ». Selon les termes des brexiters, de Boris Johnson et de son gouvernement.          

 

ANNEXE II

Les Britanniques plus critiques sur la recherche subventionnée en Europe

Le monde académique semble vivre en Suisse dans la hantise d’une relégation parmi les simples Etats tiers par rapport à Horizon Europe. Le climat est toutefois assez différent du côté de la Grande-Bretagne.

Les grandes institutions corporatives, genre association des universités (Universities UK, 140 membres) ou Royal Society, souhaitent et recommandent un accord le plus pragmatique possible avec l’UE. D’association si possible, au sens large, mais pas à n’importe quel prix. L’association au sens strict, comme en Suisse, relevant d’un financement forfaitaire préalable, ne soulève en fait aucun engouement.

Les chercheurs suisses s’avèrent peut-être excellents dans la captation de subventions européennes, et la Suisse s’y retrouve en général en termes de retour sur investissement. Les Britanniques sont en revanche convaincus que ce ne sera pas forcément une bonne affaire pour eux.

Un accord d’association ne prévoyant pas la rétrocession du financement annuel excédentaire semble hors de question. De nombreuses personnalités du monde académique et de la recherche en conviennent très ouvertement. La perspective de devoir renoncer dans ce cas à un statut privilégié ne suscite pas du tout la même aversion qu’en Suisse (9).      

Il n’est apparemment pas nécessaire d’être un fervent brexiter dans le royaume profond pour estimer que les Britanniques pourraient aussi fort bien se passer de programmes européens dans la recherche subventionnée. Le référendum de 2016 a fonctionné comme un déclencheur, mais la réduction de 30% des participations britanniques depuis lors a certainement des causes plus profondes. Comme aux Etats-Unis (bien avant Trump), les programmes européens sont jugés beaucoup trop conceptuels, bureaucratiques et coûteux. Avec des orientations de moins en moins lisibles dans le monde.

Sur le plan académique, en matière de recherche et de techno-industrie, la place britannique est depuis longtemps la plus connectée d’Europe à l’échelle planétaire. Avec un avantage linguistique énorme, bien que peu mesurable. Londres a d’ailleurs préparé un programme rendant la Grande-Bretagne encore plus attractive pour les chercheurs du monde entier. Déjà considérable, l’immigration bénéficiera de nouvelles facilités.

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(1) Principales caractéristiques des Etats associés : ils financent leur participation en mode forfaitaire, selon un calcul se rapportant à leur produit intérieur (PIB). En échange, leurs hautes écoles et entreprises peuvent entrer pleinement dans la compétition pour obtenir des subventions de l’UE.

Si ces subventions n’atteignent pas le niveau de contribution, aucune rétrocession n’est prévue. Les Etats associés peuvent aussi coordonner des projets impliquant plusieurs nationalités.

Les Etats tiers non associés – plus de cent – financent au contraire eux-mêmes leurs participations au cas par cas. Ils n’ont pas accès à certains domaines de subventionnement.

Etats associés à Horizon 2020 et membres de l’Espace économique européen EEE): Norvège et Islande.

Autres Etats tiers associés jusqu’à la fin de l’année: Suisse, Israël, Turquie, Ukraine, Serbie, Tunisie, Géorgie, Arménie, Moldavie, Macédonie, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Montenegro, Iles Féroë.  

(2) Le même genre d’effet s’était produit en Suisse en 2014 après le vote populaire contre la libre circulation (voir « Ce que vaut l’Accord sur la recherche »). La pleine association a été réduite de manière notoirement chaotique à une association partielle.

(3) https://www.consilium.europa.eu/media/38902/st07942-en19.pdf Cette base juridique d’Horizon Europe parue en mars 2019 suggère qu’un Etat pourra aussi être associé sans que ses entités soient éligibles en tant que coordinatrices de projets (art.2, al.15a). Il en ressort qu’un rejet de l’accord institutionnel pourrait priver les chercheurs suisses de coordinations de projets, mais sans que Bruxelles refuse le statut d’associé au sens du financement forfaitaire. Il se pourrait tout aussi bien que l’accord institutionnel soit accepté, mais les coordinations de projet refusées pour d’autres raisons. Individuellement ou collectivement.   

Il pourrait en particulier s’avérer ces prochains mois que le terme et le grade d’associé sera préservé, mais avec un contenu resserré. De manière à mieux différencier les avantages des membres de l’UE et ceux des Etats tiers associés. L’accès à tous les piliers et domaines de recherche ne serait plus assuré.

En tout état de cause, si le principe d’association repose par définition sur un financement forfaitaire calculé par rapport au produit intérieur de l’Etat associé, il peut aussi y avoir des degrés et singularités d’association. Les Etats associés le sont sur la base d’accords individuels. Qu’il reste, comme nous l’avons vu, à discuter et à fixer entièrement s’agissant d’Horizon Europe. L’Accord bilatéral sur la recherche n’offre aucune garantie quant au résultat.  

C’est peut-être dans ces entre-deux d’association partielle que pourraient se situer plus précisément les enjeux pour la Suisse par rapport à l’accord institutionnel. Ce qui s’avérerait assez nouveau dans la mesure où les milieux politiques et de la recherche ont habitué depuis vingt ans l’opinion publique à une seule alternative : dire oui à Bruxelles sur ceci et cela, qui n’a apparemment rien à voir, et encore ceci pour que la Suisse puisse conserver son précieux statut d’associée complète dans les programmes européens. Elle risquait sinon se retrouver parmi les « simples » Etats tiers : accès restreint et financement des participations au cas par cas, par Berne directement.

(4) Le site de la Commission en a fait une brève recension : https://ec.europa.eu/research/iscp/index.cfm?pg=associated

(5) https://cutt.ly/egUTWrR Le site sciencebusiness.net (groupe Springer Science+Business Media, deuxième éditeur scientifique dans le monde), suit l’actualité des programmes européens de recherche dans une section dédiée « Horizon Europe ». De manière attentive et synthétique.

(6) https://cutt.ly/EgUTdH1

(7) https://cutt.ly/DgUTg49

(8) https://cutt.ly/RgUTxW7

(9) https://cutt.ly/cgUTc7T

https://cutt.ly/NgUTbC3

 

20 idées fausses sur le bilatéralisme Suisse-UE

La libre circulation du travail et les accords sectoriels avec l’UE relèvent d’une véritable idéologie en Suisse. Avec ses mythes fondateurs et ses clichés épuisés.  

Le vote populaire du 27 septembre prochain sur l’initiative de limitation donne évidemment l’occasion d’en faire une sorte de revue. Loin d’être exhaustive. La quasi-totalité des arguments des opposants sont erronés et ne reposent sur à peu près rien.

(Ces idées fausses renvoient en général à un article de blog. Lorsque des données particulières ne figurent pas dans les articles, la source est directement mentionnée.)         

IMMIGRATION EUROPEENNE

La fin de l’Accord de libre circulation des personnes provoquera des pénuries de talents, de spécialistes et de main d’œuvre en Suisse.

FAUX. La Suisse n’a nullement besoin d’accord contraignant avec l’UE pour accueillir tous les citoyens européens dont son économie et ses services publics ont vraiment besoin (y compris dans le secteur de la santé). La politique migratoire ne serait pas non plus fixée par l’UDC seule. Ne compte-t-elle pas actuellement pour 25% seulement au Conseil national, et moins de 15% au Conseil des Etats?

La Suisse aurait en revanche la possibilité de restreindre l’immigration européenne et le travail frontalier dans certains secteurs. Pour favoriser de facto les résidents, mais aussi des spécialistes en provenance du reste du monde. Cette diversification des provenances correspondrait beaucoup mieux à l’ouverture élevée et croissante de la Suisse, sur le plan économique en particulier (plus de 50% des exportations vont aujourd’hui en dehors de l’UE).

Il s’agit en ce sens de mettre fin à la préférence nationale européenne en Suisse par rapport aux ressortissants du reste du monde. Ce qui faciliterait aussi l’intégration des non-Européens déjà résidents, qui ne trouvent pas de travail ou sont empêchés de travailler (les citoyens européens étant servis en premier). Regroupements familiaux et requérants d’asile déboutés en particulier, que l’on ne peut renvoyer pour des raisons humanitaires, et qui se retrouvent trop souvent à l’aide sociale.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/08/08/a-propos-de-plafonds-et-de-contingents-migratoires/

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La fin de l’accord de libre circulation entraînera la fin des mesures d’accompagnement.

FAUX. Destinées à protéger les niveaux salariaux, ces mesures sont liées historiquement à l’accord, mais la situation a évolué : c’est l’immigration européenne et le travail frontalier eux-mêmes qui les rendent nécessaires. Il s’agit d’un acquis que le Parlement n’annulera certainement pas (la gauche lancerait d’ailleurs à coup sûr un référendum).

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/11/genealogie-de-la-libre-circulation-des-personnes/

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Le chômage est en Suisse l’un des plus bas d’Europe, malgré le libre accès des Européens au marché du travail.

FAUX. Ce genre de comparaison n’est possible qu’en se référant aux taux de chômage calculés selon les critères du Bureau international du travail (demandeurs d’emplois disponibles tout de suite, pas forcément inscrits aux offices régionaux de placement). Or ce taux de chômage BIT était déjà de plus de 4% avant la crise sanitaire. Ce qui relègue la Suisse dans le peloton européen du chômage: dixième position seulement en décembre 2019. Loin derrière l’Autriche et l’Allemagne, et des Etats comme la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie. Le chômage est donc un vrai problème en Suisse, en particulier dans les cantons frontaliers.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/06/13/immigration-europeenne-croissance-chomage-ce-que-disent-les-chiffres/

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La fin de l’accord sera un retour au régime migratoire de quotas annuels globaux d’avant 2002.

FAUX. Plus de 160 Etats dans le monde, dont les plus développés et les plus attractifs, régulent leur politique migratoire de manière autonome. Y compris les Etats membres de l’UE s’agissant d’immigration extra-communautaire (600 000 personnes l’an dernier en Pologne par exemple, à peu près autant en Allemagne). Le parlement voudra évidemment s’inspirer des meilleures pratiques plutôt que de revenir au régime d’avant 2002.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/10/30/les-peripeties-du-pragmatisme-migratoire/

ACCORDS BILATERAUX I

La résiliation de la libre circulation entraînera la fin des Accords bilatéraux I. Donc la fin irrévocable de l’accès privilégié au marché européen.

FAUX. Sur les sept Accords bilatéraux I, quatre sont des accords de voisinage, forcément privilégiés par rapport à l’Australie ou les Etats-Unis: libre circulation, transports terrestres et marchés publics, qui bénéficient quasi exclusivement à l’UE. L’accord sur les transports aériens bénéficie principalement à Swiss, filiale de Lufthansa. L’accord sur la recherche n’est officiellement pas un accord d’accès au marché.

Les deux seuls accords commerciaux d’accès réciproque aux marchés portent sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) et l’agriculture. Ils bénéficient bien davantage à l’UE qu’à la Suisse. La reconnaissance mutuelle dans l’industrie des machines et des équipements médicaux a en plus été accordée par l’UE à d’autres Etats non membres, sans libre circulation des personnes: Canada et Etats-Unis en particulier, le traité n’étant pas encore appliqué dans le cas des USA.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/01/22/ce-que-veut-dire-acces-au-marche-europeen-2-quatre-accords-en-faveur-de-lue/

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La Suisse ne parviendra pas à reconduire ni renégocier ces accords avec l’Union. Ce sera aussi la fin de tout nouvel accord de voisinage, commercial  ou institutionnel possible.

FAUX. Le Brexit a mis fin à la libre circulation des personnes en Grande-Bretagne, ce que l’Union Européenne a tout de suite accepté. Cela n’empêche pas l’UE de proposer depuis quatre ans au Royaume-Uni de négocier des accords sectoriels, de voisinage et institutionnel. (Les deux principaux obstacles sont l’accord sur la pêche – dont Londres ne veut pas – et le refus des Britanniques que la Cour de Justice de l’UE soit l’ultime instance de règlement des différends.)

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/05/30/la-suisse-aimant-et-repoussoir-des-britanniques/

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Même si l’accord sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) avec l’UE est le seul véritable « accès privilégié » au marché européen, les exportateurs pourront difficilement s’en passer.

FAUX. La fin (peu probable) de l’ARM n’empêcherait pas d’exporter. Elle augmenterait simplement les coûts d’homologation dans certains cas. Cette augmentation représenterait 0,5% à 1,5% d’un quart seulement de la valeur des exportations suisses de biens en Europe (pour autant que les homologations déjà existantes soient annulées, ce qui est vraiment très peu probable).

Ces « grandeurs » sont à mettre en relation avec les chocs monétaires que les exportateurs suisses affrontent depuis trente ans (mark puis euro). L’affaiblissement de l’euro par rapport au franc n’a-t-il pas renchéri les exportations suisses en Europe de près d’un tiers en vingt ans ? Sous-estimer le sens de l’anticipation et les capacités d’adaptation des exportateurs suisses a souvent été une erreur.

La Chine et les Etats-Unis n’ont pas d’accord commercial avec l’Union Européenne. Ils y exportent pourtant 3,5 et 2,5 fois plus de biens que la Suisse (Eurostat 2018). Dont une majorité d’équipements électroniques, électriques, mécaniques ou encore de transport requérant en général des homologations. Y compris dans le domaine des machines et équipements médicaux.   

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/02/02/acces-au-marche-europeen-3-les-derisoires-privileges-de-larm/

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La fin des accords bilatéraux I serait quand même périlleuse pour l’industrie suisse d’exportation

FAUX. Le commerce de biens avec l’UE repose à près de 100% sur les accords multilatéraux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), actuellement défendus par l’UE (théoriquement du moins), et sur l’accord commercial de 1972.

(Voir les articles I à IV de la série « Accès au marché européen”).      

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L’Europe est quand même un marché clé pour l’industrie suisse d’exportation.

FAUX. Ou alors tout dépend de ce que l’on appelle un marché clé. Depuis 1992, la part des exportations suisses dans l’UE est passée de plus de 66% à moins de 52%. (47,4% en 2019 sans la Grande-Bretagne, dont la sortie du périmètre de l’UE est effective depuis le 1er janvier 2020.) Et bien que l’élargissement de l’UE ait été de 50 millions de personnes dans les années 2000. Le Royaume-Uni a connu la même trajectoire (45% aujourd’hui). Alors que des pays comme les Pays-Bas, la Belgique ou l’Autriche sont à plus de 70% de dépendance européenne. L’Allemagne, la France ou la Suède à près de 60% (Eurostat 2018). Vu sous cet angle, l’Europe n’est plus depuis au moins vingt ans le marché clé de l’industrie suisse d’exportation.

Sous pression monétaire, et portée par les niveaux salariaux élevés en Suisse, l’industrie s’est de plus en plus concentrée sur des spécialités à faibles volumes et marges élevées, dont le marché est tout de suite global. Plutôt que d’affronter la concurrence sur les prix avec des produits plus ou moins standards sur le marché européen (largement dominé par l’Allemagne et ses satellites d’Europe de l’Est).

Malgré les performances de l’Europe du nord, l’Union connaît en plus un sérieux déclin dans le monde sur le plan technologique et industriel. Ses taux de croissance sont chroniquement faibles. Or les taux de croissance des régions de destination sont décisifs pour l’industrie suisse d’exportation.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/12/02/le-grand-avenir-de-la-neutralite-economique/

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Sans libre circulation du travail, Accords bilatéraux I ni voie bilatérale d’intégration, l’Union Européenne va considérer la Suisse comme une concurrente plutôt qu’une partenaire.

FAUX. Ou en tout cas guère davantage qu’aujourd’hui. Le pragmatisme finit en général par rattraper les idéologies. La Suisse est le quatrième client de l’Union dans le monde, avec une balance commerciale largement bénéficiaire pour les Européens. Dans les +/- 20 milliards de francs d’excédents d’exportation que l’UE enregistre chaque année avec la Suisse, une part importante (malheureusement non chiffrée) sont des composants. Intégrés ensuite dans des produits ou systèmes (ré)exportés par la Suisse dans le monde. Les clients de l’industrie suisse dans le monde sont en ce sens de précieux éléments de diversification pour l’industrie européenne.

(Idem)

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L’Europe est le marché naturel de la Suisse, il est normal qu’elle s’y intègre progressivement plutôt que de s’isoler. 

FAUX. Dans une phase historique marquée par la rivalité et le protectionnisme croissant des grands marchés et grandes puissances (Etats-Unis, Union Européenne, Chine, Russie), il est important que la Suisse n’apparaisse pas dans le monde comme un partenaire ou client privilégié et subordonné de l’UE (ne pas se lier aux concurrents de ses propres clients). Or l’intégration bilatérale, c’est l’application progressive du droit européen en Suisse.

La Suisse devrait mieux se profiler comme un leader de la neutralité économique et de l’égalité des nations. Par les actes, pas seulement en théorie (en distillant sagement la nostalgie du multilatéralisme). Revendiquer le droit, pour plus de 160 puissances secondaires et petits Etats, de commercer avec tout le monde sur une base d’égalité de traitement. Plutôt que de s’enfermer dans une zone d’influence économique. La question est d’une grande actualité en Asie, en Afrique et en Amérique. La Suisse n’est pas isolée dans le monde.  

(Idem)

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Ces accords bilatéraux « d’accès au marché européen » ont été « durement » négociés par la Suisse.

FAUX. Ou alors le résultat n’est guère compréhensible : les Bilatérales I sont essentiellement à exclusivement des accords d’accès au marché suisse. Négociés comme transitoires à une époque où l’adhésion de la Suisse à l’Union était l’objectif du Conseil fédéral et d’une grande partie du Parlement. La clause guillotine devant rendre la libre circulation du travail irréversible, principe de base de l’intégration.

Ces accords ont surtout été négociés par rapport à un objectif de politique économique constant dans cette phase très néo-libérale: briser les résistances du marché intérieur et favoriser les importations pour faire baisser les prix et les salaires. Ce qui devait augmenter la compétitivité de l’industrie d’exportation (sur le marché européen en particulier). C’est peu dire que la Suisse n’a plus besoin aujourd’hui de ce genre d’accord pour importer tout ce qu’elle veut.  

Cet objectif de réduction de l’ « îlot de cherté » a d’ailleurs largement échoué sur le fond : le différentiel de prix est resté de l’ordre de 20% à 40% (plus élevé encore sur le plan des salaires). Les mesures de protection des salaires imposées par la gauche (accompagnement) ont d’ailleurs largement contribué à éviter cette déflation.

Elles ont surtout incité les technologies, le luxe et l’industrie en général à ne pas trop s’enfermer dans le marché européen. Et à se hisser parmi les plus grands gagnants de la globalisation d’après-Guerre froide (en phase de correction actuellement, mais forcément limitée). On peut dire en ce sens que ces mesures d’accompagnement sont constitutives du succès économique (et social) de la Suisse depuis 2002 (c’est bien pour cela qu’elles survivront sans problème à la voie bilatérale).

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/11/genealogie-de-la-libre-circulation-des-personnes/

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/13/genealogie-de-la-voie-bilaterale/

DIMENSION POLITIQUE

Accepter l’initiative exposerait la Suisse à des représailles, des complications rédhibitoitres, et à une instabilité insurmontable par apport à l’Union Européenne.

FAUX. Rien ne serait insurmontable. Les relations passeraient par une phase d’agitation (surtout verbale), puis d’arrangements ponctuels suivis d’une normalisation progressive mais rapide (beaucoup plus simple que dans le cas du Royaume-Uni).

Continuer sur la voie bilatérale serait en revanche synonyme de tensions, d’instabilité et d’impuissance continuelles. La Suisse s’obstinant à relever contre son gré de la politique d’élargissement de l’Union, plutôt que de la Politique européenne de voisinage (PEV). Et les Suisses continueraient d’apparaître aux yeux des Européens comme des adeptes du double jeu (dedans et dehors), passagers clandestins de l’Europe, bénéficiant du beurre et de l’argent du beurre, profiteurs minables méritant de bonnes corrections.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/03/10/voie-bilaterale-les-suisses-nauront-jamais-la-paix/

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L’accord sur la recherche est vital pour la place scientifique et technologique suisse.

FAUX. Cet accord ne porte que sur une part très minoritaire des financements publics de la recherche. Ils concernent essentiellement les écoles polytechniques et les universités, soucieuses de ne pas être « corrompues » par des fonds privés. Ces financements viennent indirectement, et plus ou moins intégralement de la Confédération. En cas de représailles, celle-ci pourrait aussi financer directement les participations suisses aux programmes publics européens de recherche (comme en 2014-2016). En fait, les financements couverts par cet accord ne représentent pas 1% des investissements annuels dans la recherche et développement en Suisse.

Treize Etats relevant de la Politique européenne de voisinage ont en plus le même statut d’associé que la Suisse dans les programmes européens de recherche. Dont Israël, la Turquie, l’Albanie, la Moldavie ou la Géorgie. Sans libre circulation des personnes ni Accords bilatéraux I.  

Les chercheurs Suisses sont très forts dans la captation de subventions publiques en Europe. Ils ne doivent cependant pas perdre de vue que les pôles de recherche les plus concurrentiels et les plus performants se trouvent aux Etats-Unis et en Asie.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/04/28/acces-au-marche-europeen-4-ce-que-vaut-laccord-sur-la-recherche/

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La fin de la libre circulation des personnes signifierait le retour du contrôle systématique des personnes aux frontières. 

FAUX. Des opposants à l’initiative de limitation jouent sur les mots, sur les traités et surtout sur la peur. La libre circulation des personnes que combat l’initiative est une question migratoire. Le contrôle des personnes aux frontières relève de l’Accord de Schengen, qui n’est pas en cause en l’occurrence. Bien que certains fonctionnaires français bien intentionnés à Bruxelles aient apparemment laissé entendre que l’UE pourrait dénoncer en guise de représailles l’appartenance de la Suisse à l’espace Schengen (accord typique de voisinage). De même que l’ambassadeur de France à Berne, sans le dire clairement non plus, dans un entretien d’anthologie avec Darius Rochebin.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/06/06/ambassadeur-de-france-en-suisse-un-peu-consternant-tout-de-meme/

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Ce n’est pas le moment, en pleine crise sanitaire et économique, de provoquer une nouvelle crise avec l’UE. 

FAUX. Ou alors ce ne sera jamais le moment. Les opposants à l’initiative peuvent-ils nous dire quand ce sera le moment ? La réalité est que la Suisse s’est mise dans une position qui ne lui permet plus de dire non à quoi que ce soit venant de l’Union Européenne. Il s’agit de sortir de cette dynamique morbide, et le plus tôt sera le mieux. Les Britanniques ont dû rompre de gros câbles. La Suisse n’a encore qu’un bout de ficelle à couper.

Bien des Européens, y compris dans l’administration bruxelloise, ne seraient d’ailleurs ni surpris ni déçus que les Suisses clarifient eux-mêmes un processus d’intégration d’une complexité et d’une lenteur à leurs yeux décourageantes et peu crédibles. Même le récent président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a reconnu l’an dernier (chez le même Darius Rochebin) qu’il ne croyait plus à l’adhésion de la Suisse.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/03/10/voie-bilaterale-les-suisses-nauront-jamais-la-paix/

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Les partisans de l’initiative de résiliation n’ont pas de plan B.

FAUX. Ils veulent simplement que la Suisse soit considérée à Bruxelles comme un Etat tiers à part entière. Avec des accords spécifiques de voisinage, et des accords commerciaux résiliables, sans clause guillotine ni dimension idéologique. Et sans subordination contrainte du droit suisse au droit européen.

Sans libre circulation des personnes surtout, qui met le marché du travail sur le même plan que les marchés des capitaux, des biens et des services. Sans possibilité pour la Suisse de le réguler. N’est-ce pas difficile de comprendre que l’on puisse être de gauche et accepter cela?

Ce sont en réalité les opposants qui n’ont pas de plan B, et manquent en plus singulièrement d’ambition. Le vrai problème politique de cette initiative ne serait-il pas que le Parlement et le Conseil fédéral devraient l’appliquer alors qu’ils l’auraient combattue ? Et qu’ils ne croient pas qu’il puisse y avoir un plan B, consistant à dire non à Bruxelles? Cet exercice d’équilibrisme n’a vraiment réussi ni en 1992, ni en 2014. Mais le système politique suisse a des ressources insoupçonnées quand il le faut.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/02/09/25-bonnes-raisons-de-dire-oui-le-17-mai-prochain/

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Les rapports de force entre l’Europe et la Suisse ne valent pas la peine qu’on s’oppose à l’UE.

FAUX. L’humanisme n’est-il pas un combat permanent contre la loi des plus forts ?

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La centralité géographique de la Suisse en Europe empêche les Européens d’envisager que la Suisse ne soit pas intégrée progressivement en vue d’une adhésion, même tardive.

JUSTE. Y renoncer définitivement, et sans rétorsions particulières, témoignera de la capacité de l’Union Européenne franco-allemande à ne pas être une puissance impériale triviale et décevante sur le plan des valeurs politiques. Le souverainisme des Suisses a une vaste légitimité à l’échelle du monde et de l’histoire.

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INSTRUMENTALISATION DE L’HISTOIRE

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/11/genealogie-de-la-libre-circulation-des-personnes/

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/13/genealogie-de-la-voie-bilaterale/

(+ DIVERS)

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Avant l’accord de libre accès des indépendants et salariés européens au marché suisse du travail (libre circulation en 2002), les plafonds d’immigration et de travail frontalier entravaient la croissance économique (contingents) .

FAUX. Dans les années 1980, 1990 et jusqu’en 2001 (fin du système), les quotas fixés par la Confédération n’étaient jamais atteints.

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/08/08/a-propos-de-plafonds-et-de-contingents-migratoires/

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Ce sont les Accords bilatéraux I, dont la libre circulation du travail, qui ont permis à la Suisse de sortir du marasme économique des années 1990 (prétendument provoqué par la non-adhésion à l’Espace économique européen en 1993).

FAUX. Spécifique à la Suisse, la profonde crise économique a été provoquée par un crash immobilier et une crise bancaire. Elle a commencé en 1990-1991, deux ans avant le vote sur l’EEE. Vigoureuse, la reprise a eu lieu en 1997, cinq ans avant l’application progressive des accords avec l’Union (2002).

Les sept Accords bilatéraux I, dont la libre circulation du travail, ont ensuite favorisé la croissance économique.

FAUX. La progression annuelle moyenne du produit intérieur (PIB) a effectivement été de 0.66% seulement pendant les années de crise économique en Suisse (1991-1996). Mais la croissance moyenne a ensuite été de… 2.44% entre 1997 et 2001, avant l’application progressive des Accords bilatéraux I.

Elle est toutefois retombée à 2.02%  dans la période transitoire de 2002 à 2006. Une fois l’application complète des Bilatérales I réalisée en 2007, et jusqu’en 2018, la croissance moyenne du PIB s’est clairement et durablement affaiblie: 1.4%. C’est néanmoins durant cette période que l’immigration a été de loin la plus élevée : solde migratoire annuel moyen de 73 000 personnes environ, dont 50 000 Européens.

(Article en préparation)

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Des études d’ensemble montrent les effets positifs des Accords bilatéraux I et de la voie bilatérale d’intégration sur la croissance économique depuis 2002.

FAUX. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucun suivi global de ce genre n’a été réalisé. Ni par l’administration fédérale, ni par les économistes bancaires ou académiques. Alors que l’on aurait pu s’attendre à un rapport annuel, bisannuel, ou rien que quinquennal sur un thème aussi sensible. Et plus l’on cherche à établir des corrélations à partir des données disponibles, plus l’on se rend compte de l’inconsistance abyssale de ces accords pour l’économie.

Suite au vote populaire du 9 février 2014, le Secrétariat à l’économie (SECO) a finalement mandaté dans l’urgence BAK Economics à Bâle et Ecoplan à Berne. Mais pas pour rattraper le temps perdu. Pour faire au contraire une projection à… vingt ans (2035).

Projection de la croissance du produit intérieur (PIB) dans le cas où les accords bilatéraux seraient résiliés. Basée sur des paramètres standards importés de commerce international. Alors que l’on admet en général que les prévisions économiques à plus de deux ans n’ont pas de sens. Et que l’immigration européenne en Suisse depuis treize ans a accusé un différentiel moyen de 500% par rapport aux prévisions.

Imposées et totalement irréalistes, les hypothèses de base sur lesquelles ont alors mouliné les deux modèles macro-économiques ésotériques, hors de portée de la critique? L’immigration annuelle nette diminue d’un quart, les accords sectoriels ne sont remplacés par rien (même les accords de voisinage), et l’économie ne réagit pas (le parlement et le gouvernement non plus). Un scénario catastrophe de jeu vidéo.

Publiés en 2015, les résultats ont été sans surprise à la hauteur des attentes. La croissance annuelle du PIB dans vingt ans serait, sans Accords bilatéraux I, inférieure de 0,25 à 0,35 point de base. C’est-à-dire de 1,65% à 1,75% au lieux de 2% par exemple. Pas même de quoi s’alarmer connaissant la volatilité des taux de croissance annuels sur longue période.

Mais c’est surtout le manque à gagner cumulé sur vingt ans qui était destiné à faire peur : 430 à 630 milliards de francs, soit en gros un PIB annuel ! A noter que c’est en premier lieu, et de loin, l’assèchement hypothétique du marché du travail qui est en cause. Les accords sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques et le transport aérien suivent loin derrière. Les quatre autres accords sont négligeables.   

Invraisemblables, ces chiffres n’ont pas eu de retentissement particulier à l’époque. Ils sont néanmoins brandis depuis quelques semaines par les opposants à l’initiative, jusqu’au plus haut niveau fédéral (sans parler d’economiesuisse).

https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2020/05/16/suisse-ue-la-science-economique-au-service-de-la-peur/

 

A propos de plafonds et de contingents migratoires

La fin de la libre circulation des personnes avec l’Union Européenne (vote populaire du 27 septembre prochain) n’impliquera pas forcément de quotas permanents. Les pesanteurs administratives ne seront pas non plus une fatalité. Les politiques autonomes d’immigration sont en fait quelque chose de très banal dans le monde.   

Comment régulera-t-on l’immigration européenne en Suisse sans libre circulation des indépendants et salariés avec l’Union Européenne ? Le champ des possibles est très large, avec une certitude de départ : ce n’est pas le Parti populaire suisse (UDC) qui décidera. Ou en tout cas pas tout seul. Ne représente-t-il pas 25% seulement du Conseil national, et moins de 15% du Conseil des Etats ?

L’UDC étant en général perçue comme conservatrice et réactionnaire par le reste du monde, les opposants à son initiative ont pris l’habitude depuis longtemps de proclamer que la fin de la libre circulation équivaudrait à une régression. Un retour malheureux à l’ancien système de contingentement de l’immigration européenne en Suisse. Soit la réintroduction des quotas annuels de nouveaux permis de travail. Ce qui empêcherait l’économie et les collectivités publiques de s’approvisionner de manière optimale sur l’immense marché européen. Le rétablissement des demandes de permis par les entreprises équivaudrait en plus à un alourdissement pénalisant des procédures administratives.

Avant d’évoquer à quel point ce scénario pessimiste ne serait nullement une fatalité,  il faut préciser que les fameux quotas d’immigration d’avant la libre circulation (2002) n’étaient tout simplement jamais atteints. Plafonné annuellement par la Confédération, l’octroi autorisé de permis de travail était toujours supérieur aux demandes des entreprises (sauf en 1987 et 1988). Dans les années 1990-2002, les contingents disponibles étaient de 17 000 nouveaux permis (frontaliers compris) (1). Il y en avait chaque fois 2000 à 4000 de trop. Même en pleine reprise, après la crise profonde des années 1990 à 1996 en Suisse (due au départ à un crash immobilier). Il est donc difficile de dire, comme on l’a tellement entendu, que le système des quotas bridait la croissance économique.

Pour avoir été moi-même employeur à Genève dans les années 2000, recrutant occasionnellement des frontaliers dans l’ancien régime (jusqu’en 2002), je n’ai pas souvenir non plus de dédales administratifs. Il s’agissait plutôt de formalités assez simples, dans tous les sens du terme. Contact avec l’Office régional de placement, consultation de ses listes de demandeurs d’emploi correspondant au profil recherché. Eventuels entretiens, avec ou sans suite. Puis confirmation de la demande de permis de travail pour un non-résident, accordée dans un délai de plus ou moins dix jours.

Des quotas existent d’ailleurs toujours s’agissant des non Européens recherchés sur le marché suisse du travail (ou candidats à l’intégration). Or le problème de ces “extra-communautaires” accueillis ou déboutés en Suisse, quels que soient leurs motivations et niveaux de qualification, renvoie peu à une éventuelle lourdeur des procédures à suivre par les entreprises ou personnes elles-mêmes. Les difficultés viennent clairement du fait qu’ils sont pénalisés, les Européens non plafonnés étant servis en premier sur le marché du travail et de la domiciliation. On en vient même à subvenir aux besoins de candidats à l’asile déboutés, que l’on ne peut pas renvoyer et qui n”obtiennent pas de permis de travail.     

Comment les quotas sont devenus un détail

C’est dire si la fin du libre accès des Européens au marché suisse du travail ne sera pas forcément un problème en soi pour l’industrie et la fonction publique. Le sujet a d’ailleurs pratiquement disparu des argumentaires de la Fédération des entreprises suisses pour le maintien de la libre circulation. Les propos lourdement anxiogènes d’economiesuisse se réfèrent surtout à des effets politiques collatéraux par rapport à Bruxelles (exagérément redoutés eux aussi) : renégociation des Accords Bilatéraux I en particulier, sans parallélisme ni clause guillotine (ce qui serait une fort bonne chose en réalité, ces accords remontant à plus de vingt ans). Il est même question d’une résiliation unilatérale de l’accord de Schengen par les Européens, avec réintroduction des contrôles d’identité systématiques aux frontières (l’ambassadeur de France en Suisse ayant agité ce spectre lors d’un entretien avec Darius Rochebin https://cutt.ly/gdH3bno ).

Certains soumissionnistes s’emportent encore davantage en évoquant le risque de fermeture pure et simple des frontières… la superpuissance européenne décidant de boycotter son quatrième meilleur client, parce qu’il met les ressortissants européens sur le même plan non discriminatoire que les immigrés extra-européens.

Si cette option apocalyptique de café du commerce avait une quelconque vraisemblance, il serait temps que la Suisse se pose quelques questions sur la fréquentabilité de son principal partenaire commercial. La remarque vaut d’ailleurs pour l’ensemble des conservateurs de la voie bilatérale des années 1990 avec l’UE, sujets à de véritables phobies de l’encerclement et de l’étranglement. Ne donnent-ils pas continuellement une image épouvantable de cette Union Européenne à laquelle il est devenu inutile de résister? Suffisante, susceptible, impatiente, vindicative, ombrageuse et maussade…       

L’initiative ne parle pas de contingents

A noter que l’initiative de limitation « Pour une immigration modérée » ne parle pas de plafonds, ni de quotas, ni de contingents (2). C’est bien le parlement qui décidera comment réguler l’immigration européenne. Le texte ne demande pas non plus de soumettre cette immigration à des surcharges administratives quand ce n’est pas nécessaire.

L’initiative rend simplement possible d’introduire souverainement et rapidement des restrictions générales, ou plus ou moins sectorielles, lorsque des circonstances le requièrent. Sans devoir demander l’autorisation à l’Union Européenne. C’est-à-dire sans entrer dans de longues négociations globales dominées par des rapports de force et menaces de rétorsions. Aujourd’hui déjà, la Suisse n’a pas besoin de demander aux cent soixante Etats non membres de l’Union l’autorisation de restreindre l’immigration de leurs ressortissants (3).

L’initiative rend simplement possible d’introduire souverainement et rapidement des restrictions migratoires lorsque des circonstances le requièrent. Sans devoir demander l’autorisation à l’Union Européenne.

Après le 9 février 2014, les longs et nombreux débats au Parlement (et en commissions) ont aussi donné l’occasion de s’intéresser un peu à ce qui se passait dans le monde. Les systèmes de gestion (autonome) de l’immigration y sont très variés. Les restrictions s’apparentent toutes à du contingentement global ou sectoriel, parfois ciblé géographiquement par Etats de provenance Mais les quotas ne sont pas forcément permanents. Les régimes migratoires très libéraux ne sont pas incompatibles avec des restrictions souveraines plus ou moins partielles et temporaires. C’est probablement ce pragmatisme-là que la Suisse mettra un jour en place par rapport à l’immigration européenne.

Pas une simple clause de sauvegarde

Le texte de l’initiative semble toutefois très clair sur le fait qu’il ne s’agira pas de conserver la libre circulation du travail avec l’Union, en y ajoutant simplement des mécanismes de sauvegarde (4). Le principe européen de libre circulation a en effet bien d’autres implications que les simple soldes migratoires. Il met la libre circulation du travail sur le même plan que celle des capitaux, des biens et des services (on se demande d’ailleurs comment il est possible d’être de gauche et d’accepter cela).

Comme le montre la pratique en Europe, et l’Accord institutionnel actuellement en suspens en Suisse, la libre circulation du travail dans, et avec l’Union, implique aussi des reprises automatiques de droit européen lié à la citoyenneté européenne (droit du travail, droit social, droit fiscal, etc). Il ne s’agit donc pas seulement d’immigration au sens démographique ou économique du terme (5).

La voie bilatérale d’intégration prive progressivement les Suisses de la capacité à s’inspirer plus ou moins librement du droit européen plutôt que de se le voir imposer purement et simplement. La différence peut sembler dérisoire sur le moment, mais s’avère considérable dans la durée. Toute l’histoire, et l’existence même de la Suisse en témoignent.  

La libre circulation du travail n’a de sens que par rapport à une future, mais relativement proche équivalence des citoyennetés européenne et suisse en Suisse. La résiliation de cette libre circulation des indépendants et salariés mettra fin à l’absurdité d’une voie bilatérale d’intégration qui, dans l’esprit des années 1990, devait mener progressivement à l’adhésion. Un non-sens aujourd’hui. Comme le parallélisme des Accords bilatéraux I, avec leur clause guillotine, qui avait été imposée au dernier moment par l’Union Européenne pour rendre irréversible la libre circulation. Cette situation ne devra-t-elle pas être clarifiée dans tous les cas un jour ou l’autre ? Y compris par une éventuelle adhésion, qui subsistera comme seule alternative lorsque la voie bilatérale d’intégration, médiane et transitoire, aura (enfin) été abandonnée ?    

ANNEXE

De 2014 à 2020

L’initiative populaire précédente de l’UDC (acceptée le 9 février 2014) ne mentionnait pas la fin de la libre circulation en tant que principe et accord bilatéral. Elle évoquait en revanche plafonds et contingents d’immigration. Ce qui revenait au même, en laissant toutefois la porte ouverte à certains compromis avec l’Union.

D’un genre assez classique par exemple : gardons le principe de libre circulation du travail pour l’instant, pour ne pas trop compliquer, mais commençons par le vider de sa substance. C’est d’ailleurs ce qui s’est très timidement produit en phase d’application parlementaire du texte constitutionnel amené par l’initiative : pas de contingents, mais quelques complications administratives dans certains secteurs sensibles pour donner le change par rapport à l’opinion publique. L’UE a détesté, mais elle pouvait supporter cela.   

C’est probablement la manière brutale et méprisante avec laquelle l’Union a d’abord réagi, avec un Parlement fédéral tétanisé, qui a incité le Parti populaire à changer les formulations de sa deuxième initiative (27 septembre 2020). Le Brexit a aussi mis fin entre-temps à la libre circulation des Européens au Royaume-Uni, sans réaction particulière et spécifique de l’UE à ce sujet. Et sans que cela n’empêche les Européens de proposer aux Britanniques une approche institutionnelle du genre de celle qu’ils veulent aussi obtenir des Suisses. Les Suisses pourraient ainsi se retrouver à la même enseigne que les Britanniques, mais avec les contraintes évolutives de la libre circulation des personnes et du travail en plus.

Il s’agit bien dans ces conditions d’en finir formellement avec la libre circulation des personnes, au sens de l’accord bilatéral de 1999 (libre circulation du travail). Le terme figure cette fois à deux reprises dans le texte de l’initiative, dont une en titre de l’article constitutionnel à approuver ou à rejeter. D’éventuels plafonds ou contingents ne sont en revanche plus mentionnés. L’initiative est à ce titre une incitation à envisager toutes les formes de régulation migratoire autonome. Pour se focaliser ensuite sur une solution suisse, inspirée ou non des meilleures pratiques.

Il en existe un grand nombre dans le monde. Les multinationales suisses, et étrangères en Suisse sont bien placées pour le savoir. A peu près tous les Etats, membres ou non de l’OCDE, ont une politique migratoire autonome destinée à protéger et/ou optimiser leur marché du travail. Les membres de l’Union Européenne eux-mêmes régulent souverainement leur immigration extra-européenne. La première destination des immigrés économiques en Europe étant… la Pologne (2019) (https://cutt.ly/ydH2FvW) .    

Le cas de la Suisse et de son marché du travail, le plus attractif d’Europe, situé en son centre et complètement ouvert sur un bassin de population de 446 millions d’Européens, apparaît sous bien des angles comme une absurde anomalie.                       

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(1) Reportés aux chiffres actuels de l’immigration européenne en Suisse, les quotas seraient censés avoisiner les 45 000 nouveaux permis par an (ordre de grandeur). Frontaliers et regroupements familiaux compris, et pour autant que le Parlement ne cherche pas à réduire les nouveaux actifs européens sur le marché du travail.

(2) Texte constitutionnel de l’initiative « Pour une immigration modérée » (vote populaire le 27 septembre 2020) :

« La Constitution est modifiée comme suit:

Art. 121b Immigration sans libre circulation des personnes

1 La Suisse règle de manière autonome l’immigration des étrangers.

2 Aucun nouveau traité international ne sera conclu et aucune autre nouvelle obligation de droit international ne sera contractée qui accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers.

3 Les traités internationaux et les autres obligations de droit international existants ne pourront pas être modifiés ni étendus de manière contraire aux al. 1 et 2. »

A noter aussi que le texte de l’initiative populaire du 9 février 2014, qui a donné l’article 121a de la Constitution (non appliqué par le Parlement), ne parlait pas de libre circulation des personnes. Il prévoyait en revanche « des plafonds et contingents annuels » portant sur l’ensemble de l’immigration :

Art. 121a Gestion de l’immigration                                                                                
1 La Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers.

2 Le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers en Suisse est limité par des plafonds et des contingents annuels. Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers, domaine de l’asile inclus. Le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales peut être limité.

3 Les plafonds et les contingents annuels pour les étrangers exerçant une activité lucrative doivent être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale; ils doivent inclure les frontaliers. Les critères déterminants pour l’octroi d’autorisations de séjour sont en particulier la demande d’un employeur, la capacité d’intégration et une source de revenus suffisante et autonome.

4 Aucun traité international contraire au présent article ne sera conclu.

5 La loi règle les modalités.

(3) C’est d’ailleurs le cas d’à peu près tous les Etats du monde. Aucun Etat voisin des Etats-Unis, de la Chine ni de la Russie n’a à notre connaissance d’accord de libre circulation du travail avec ces grandes puissances (l’Accord de libre-échange nord-américain des années 1990 est très restrictif à ce sujet). Les géants ont plus ou moins tendance à considérer, selon les vieilles mentalités d’empire, que les Etats les plus proches sont privilégiés par la proximité elle-même, et leur sont donc redevables. Mais pas au point de leur demander de renoncer à leur politique migratoire. Surtout si leur marché du travail est exceptionnellement attractif, comme en Suisse. Seule l’Union Européenne se permet cet abus de pouvoir. 

(4) L’Accord de libre circulation des personnes de 1999 comporte lui-même une clause de sauvegarde (art.14 al.2). Très restrictive néanmoins, dans l’esprit de ce qui existe également en droit européen. Il faut que de graves événements soient invoqués par l’une ou l’autre des parties pour que le comité mixte Suisse-UE se réunisse et décide éventuellement de mesures conservatoires sur l’immigration européenne en Suisse. Ces mesures ne peuvent toutefois être que partielles, ciblées et de courte durée.

Après l’acceptation de la première initiative de l’UDC contre la libre circulation des personnes (2014), la délégation suisse à Bruxelles avait évoqué la possibilité d’une interprétation plus large ce cette clause, incluant des quotas d’immigration. La proposition avait été sèchement refusée, toute limitation quantitative étant contraire à l’esprit et à la lettre de la libre circulation du travail en Europe, et de ses regroupements familiaux. A noter aussi que des clauses de sauvegarde particulières et transitoires étaient prévues pendant l’application progressive de la libre circulation dès 2002, puis à l’occasion d’élargissements ultérieurs de l’Union. Certaines ont été appliquées.

(5) Comme le rappelait le président Macron en interview, « la libre circulation des personnes est un élément constitutif de la citoyenneté européenne » (Le Temps, 21 juin 2017, sous le titre « L’Europe n’est pas un supermarché, c’est un destin commun.» N’a-t-elle d’ailleurs pas été négociée et acceptée par les Suisses à une époque (les années 1990) où l’adhésion pure et simple à l’Union était encore l’objectif officiel ?

La Suisse, aimant et repoussoir des Britanniques

Le Royaume-Uni ne veut pas d’accords avec l’Union Européenne liés juridiquement entre eux (clause guillotine). Ce serait le plus sûr moyen de devoir subir ensuite tous les chantages de Bruxelles. Deux conceptions de la concurrence internationale équitable s’affrontent.

Les discussions de mi-mai entre négociateurs britanniques et européens en vue d’un cadre de partenariat pour l’après-Brexit ont assez vite tourné court. Depuis que les conservateurs ont porté Boris Johnson à la tête du gouvernement, les deux parties ne s’accordent toujours pas sur le fond de la question. Prévue début juin, la reprise des discussions ne rend pas les analystes et commentateurs européens particulièrement optimistes.

La position européenne n’a guère évolué depuis le référendum britannique de 2016. L’UE veut un cadre global de partenariat « ambitieux », selon l’expression proclamatoire préférée de son négociateur en chef Michel Barnier. C’est-à-dire des traités sectoriels liés entre eux par un principe de parallélisme et de solidarité. Sauf exceptions qualifiées, dénoncer l’un des accords reviendrait à les remettre en cause dans leur ensemble (selon une clause dite « guillotine » en Suisse).

Les Britanniques ne veulent pas de ce genre d’approche dans un monde notoirement évolutif. Les traités thématiques auxquels ils aspirent doivent pouvoir être modifiés, complétés, réorientés ou résiliés rapidement et individuellement selon les circonstances.

Par rapport à cette problématique, le modèle suisse de relation avec l’UE semble ambivalent au premier abord. En fait, le principe de parallélisme accepté par la Confédération dans les années 1990 ne concerne pas l’ensemble des relations sectorielles, mais seulement les sept Accords bilatéraux I (1999).

En Suisse, la clause guillotine verrouille la barrière de sortie de l’accord de libre accès des Européens à une activité économique dans le pays (libre circulation).

La clause guillotine n’était destinée qu’à sécuriser le droit d’accès controversé des Européens au marché suisse du travail (Accord sur la libre circulation des personnes) (1). Elle verrouillait la barrière de sortie, du fait qu’une résiliation entraînait d’elle-même la fin d’accords tout à fait satisfaisants par ailleurs pour les deux parties.

On peut encore le dire autrement: la libre circulation des salariés et indépendants introduit en Suisse la quatrième liberté du marché intérieur européen, après celle des capitaux, des biens et des services. La clause guillotine consacre de facto le principe d’indivisibilité des quatre libertés, censé rendre le marché européen et le marché suisse homogènes.

Le dispositif fait encore ses preuves aujourd’hui, puisque la clause guillotine est méthodiquement interposée pour dissuader les Suisses de résilier l’Accord de libre circulation des personnes. Or la Grande-Bretagne a complètement renoncé à la libre circulation (ce que les Européens n’ont pas contesté). Alors pourquoi devrait-elle accepter une telle contrainte de parallélisme ? La Suisse n’en est-elle pas dispensée s’agissant des quelque cent autres accords bilatéraux conclus avec l’Union en un demi-siècle ?

Alignement dynamique

Au-delà de ce précédent quelque peu embarrassant, l’ambition de l’Union Européenne est surtout de convaincre les Britanniques de conserver une position générale d’ « alignement dynamique » par rapport à l’UE. Bien que le terme n’ait jamais été employé par Barnier. Le « dynamic alignment » ne figure pas non plus dans son mandat de négociation, mais il a été consacré par le président Macron en France, puis explicité par des diplomates européens en février dernier.

L’alignement dynamique signifie que les lois britanniques devront continuer de refléter celles de Bruxelles au fur et à mesure qu’elles évoluent avec le temps. Cet effet miroir n’aurait pas tout de suite une portée générale. Il viserait le domaine fiscal dans un premier temps, les aides d’Etat, l’environnement et les normes sociales.

Bruxelles veut un accord institutionnel général reconnaissant au moins partiellement la supériorité du droit européen. Ce serait aussi un modèle pour la Suisse.

L’ensemble serait également couvert par un accord institutionnel reconnaissant au moins partiellement la supériorité du droit européen sur le droit britannique. Dans les procédures de règlement des différends en particulier. Repris dans plusieurs langues par le site web de l’UE le 26 février dernier, le discours programmatique de Michel Barnier à l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) offre une bonne revue actualisée de la doctrine (2) : « Chaque fois que le partenariat sera fondé sur des concepts dérivés du droit européen, la Cour de Justice européenne devra pouvoir continuer à jouer pleinement son rôle. »

L’alignement dynamique est en quelque sorte comparable à ce que l’UE développe avec la Suisse depuis plus de vingt ans sous l’appellation « voie bilatérale ». Dans l’attente d’une périlleuse ratification côté suisse, l’Accord institutionnel en est une nouvelle étape. Elle ouvrirait la porte à des reprises automatiques du droit européen dans cinq domaines des Accords bilatéraux I. Ce ne serait pas à proprement parler une première, puisque le principe a été consacré lors de la participation à l’Espace Schengen (2008) dans le cadre des Accords Bilatéraux II (sans clause guillotine). Cette relation fait déjà l’objet d’ajustements législatifs en continu.

UK-Switzerland : le rendez-vous manqué

On l’a beaucoup lu et entendu : c’était par rapport aux échéances britanniques que la Commission européenne semblait tellement pressée depuis 2016 d’aboutir avec la Suisse sur l’Accord cadre institutionnel. Les discussions post-Brexit s’annonçant très ouvertes, cet accord devait servir de référence à quelque chose qui existait déjà.

Cette pression sur la Suisse s’est passablement relâchée lorsque Boris Johnson a succédé l’an dernier à Theresa May au poste de premier ministre. Il devenait de plus en plus évident en effet que le Royaume Uni ne voudrait pas de reprises automatiques du droit européen.

Les Britanniques ne sont-ils pas bien placés pour savoir ce que furent en d’autres temps les traités coloniaux ? La Grande-Bretagne n’a pas quitté l’Union Européenne pour devenir une sorte de protectorat économique. Comme l’a précisé à plusieurs reprises le gouvernement Johnson, « nous n’exigeons pas non plus que l’Union Européenne adopte des normes britanniques ». Les principes politiques et juridiques de souveraineté et d’égalité des nations se sont imposés il y a plus d’un siècle dans le monde. Il n’est pas question d’y renoncer au prétexte que deux ou trois superpuissances ont décidé de jouer davantage sur les purs rapports de force.

Regards britanniques sur la Suisse

Le Royaume-Uni cherche à se contenter de relations commerciales « normales », c’est-à-dire égalitaires sur le plan juridique. Sans privilèges ni facilités d’accès au marché unique européen. Ce genre de faux avantage ne fait-il pas aussitôt du petit partenaire un obligé du grand ? Avec toutes les complications devenues familières à la Suisse.

L’attitude de certains Etats membres à l’égard des Suisses en particulier: la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou encore la Belgique, aux opinions publiques se méfiant du succès des autres, faisant pression de manière indirecte mais continuelle sur le supposé « profiteur ». Ce « passager clandestin » de l’Europe, à la fois dehors et dedans, bénéficiant du beurre et de l’argent du beurre, etc. Paradoxalement soumis, et si méprisable aux yeux des dominants. Lors de la crise fiscale et du secret bancaire au début de la décennie, les Britanniques eux-mêmes n’ont guère perçu la Suisse différemment.

A quoi bon obtenir un accès privilégié au marché unique européen pour être continuellement perçu comme tricheur et profiteur? Et pour devoir céder ensuite à tout, sous la menace d’en être privé?

La voie bilatérale de substitution des Suisses n’est-elle pas en plus une manière de s’enfermer dans la sphère d’influence franco-allemande ? Ce n’est pas seulement le genre de partenariat dont les Britanniques ne veulent plus. C’est devenu un véritable repoussoir.

Lors de son séjour à Interlaken en mai de l’année dernière, à l’invitation du Swiss Economic Forum, le futur premier ministre Boris Johnson avait encouragé les Suisses à résister à l’Accord cadre institutionnel qu’on cherchait à leur imposer. Malgré les représailles de Bruxelles sur l’équivalence boursière de la Suisse, qui ne passaient pas inaperçues à l’époque du côté de la City.

Sept ans plus tôt, en 2012, le même Boris Johnson, maire de Londres et encore tétanisé par les représailles économiques européennes en cas de Brexit, s’était déjà prononcé sur les affinités naturelles des Britanniques et des Suisses par rapport à un « niveau extérieur » de l’Union Européenne à inventer (outer tier). Au point de susciter un certain engouement dans les médias britanniques autour d’un hypothétique «Britzerland » (3).

L’opinion publique britannique s’est finalement souvenue que la Suisse était un Etat fondamentalement différent du Royaume-Uni. Mais il faudrait peu de chose pour que l’image retrouve son éclat. 

Aujourd’hui, l’opinion publique britannique s’est au contraire souvenue que la Suisse était un Etat fondamentalement différent du Royaume-Uni. Elle a déjà cédé là où les Britanniques ne veulent plus céder. Mais comment est-ce possible? Chacun ressort alors l’excuse séculaire des soumissionnistes, y compris en Suisse même : c’est principalement à cause de sa taille insuffisante, de sa situation géographique centrale et sans accès à la mer, de sa phobie de l’encerclement que le pays a fini par se soumettre à l’Europe franco-germano-austro-italienne élargie. Malgré une longue tradition d’interdépendance plus ou moins équilibrée, et de neutralité européenne pragmatique aujourd’hui à l’agonie. Cette abdication tardive a donc des raisons économiques prépondérantes (4).

Des commentateurs se sont toutefois laissés inspirer plus récemment par le fait que l’Accord cadre institutionnel avec la Suisse avait requis d’interminables négociations. Et que sa ratification semblait elle-même s’éterniser. Ce qui n’est jamais bon signe s’agissant des chances de succès d’un projet de traité. En janvier dernier, le Financial Times thématisait le fait que la Commission Européenne voulait surtout éviter de se retrouver avec les Britanniques dans un « fouillis » d’accords bilatéraux « à la suisse »(5). Comme s’ils anticipaient que l’Accord institutionnel ne serait finalement jamais accepté par le corps électoral. Il ne faudrait peut-être pas grand-chose pour que l’image de la Suisse se reprenne de l’autre côté de la Manche.

La position du Royaume-Uni

La période transitoire ne sera pas renouvelée. Les négociateurs britanniques viennent de le réaffirmer. Le timing très serré que le Royaume-Uni s’est imposé donne à lui seul une idée de ce qu’ils veulent. Boris Johnson a été élu sur la promesse que le pays, après avoir largué les amarres en janvier 2020, prendrait le large en janvier 2021. Avec ou sans accords organisant l’avenir. Et l’on ne voit pas très bien comment un cadre opérationnel pourrait encore être trouvé d’ici la fin de l’année.

N’avait-il pas fallu plus de cinq ans de discussions avec la Suisse dans la décennie 1990 pour finaliser les Accords bilatéraux I ? Et encore cinq ans dans les années 2010 pour convenir d’un accord institutionnel (toujours pas ratifié côté suisse faute de motivation) ?

A défaut, ce sont les règles multilatérales et minimales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui devraient s’appliquer entre les deux partenaires. Cette option devient de plus en plus probable. Elle met les Européens sur les nerfs (le colérique Michel Barnier en particulier), mais les conservateurs britanniques semblent fort bien s’en accommoder. Des « arrangements » pourraient néanmoins être conclus dans l’urgence, en particulier pour régler certains problèmes de voisinage.

Des arrangements plutôt que des accords dans un premier temps. Ce qui permet de ne pas s’encombrer de complications conceptuelles, juridiques et technocratiques.

« Arrangements » figure d’ailleurs dans le vocabulaire de prédilection de Johnson s’agissant de qualifier le genre de relations envisagées avec l’UE. Quelque chose d’assez simple et classique. Convenu si possible dans l’urgence dans un premier temps, ce qui permet d’aller vite sans s’encombrer de perfectionnisme ni de complications conceptuelles, juridiques ou technocratiques.

Des relations dénuées d’idéologie européiste et d’arrière-pensées sur la meilleure manière de se passer des Asiatiques et des Américains sur le plan éco-technologique. Londres veut au contraire développer ses propres relations commerciales dans le monde, en mettant l’ensemble de ses partenaires sur le même niveau politique et juridique.

En revendiquant en d’autres termes un certain droit de neutralité par rapport aux super-puissances vouées à s’affronter. Ne pas s’aligner sur l’une en particulier, la plus proche par exemple, ne signifie pas que l’on veut devenir son ennemie. C’est actuellement ce que l’Europe franco-allemande, prisonnière de sa poussive mégalomanie de super-puissance en devenir, a le plus de peine à comprendre.

ANNEXE I

Avec Antonio Guterres (ONU): le voisinage avec une superpuissance crée-t-il des contraintes particulières? 

Légitimations britanniques

Malheur à ceux qui se sont contentés d’exporter confortablement et pendant des décennies vers le marché unique européen, au lieu de chercher à diversifier leurs interdépendances dans le monde. Les Britanniques adeptes de Brexit ont d’ailleurs fini par se convaincre que c’était précisément l’Union Européenne qui entravait leur potentiel de globalisation. Les Etats membres ne se sont-ils pas laissés enfermer dans une Union douanière excluant les accords commerciaux individuels ? Sortir des contraintes réglementaires et régulatoires pyramidales de ce vaste marché intérieur a été l’un des grands objectifs du Brexit.

Plus de deux cents ans après la disparition de l’Empire romain germanique, il est fascinant de mesurer les difficultés avec lesquelles le Royaume-Uni tente d’être simplement reconnu comme un Etat tiers à part entière. En fait d’ « ambition », pour reprendre l’emphase protectionniste de Barnier, celle des conservateurs britanniques, présentés sur le continent comme le parti « du repli », est en réalité d’un autre ordre : multiplier d’ambitieux accords commerciaux dans le monde. Sur des bases d’égalité juridique et de réciprocité. En commençant par de “modestes” Etats comme l’Australie, puis les USA et la Chine si possible. L’Europe pouvant attendre un peu, surtout si cela l’incite à se rendre compte à quel point elle aussi demandeuse (pour autant qu’elle en soit capable sur le plan idéologique). 

« Les protectionnistes gagnent du terrain, déclarait Johnson le 3 février dernier devant un auditoire de diplomates à Londres. De Bruxelles à la Chine en passant par Washington, les tarifs douaniers sont brandis comme des gourdins. La raison pour laquelle nous renonçons à toute appartenance à une union douanière, ou à quelque alignement que ce soit, c’est que nous voulons faire du Royaume-Uni un acteur indépendant et un catalyseur de commerce dans le monde.»

La raison pour laquelle nous renonçons à quelque alignement que ce soit, c’est que nous voulons faire du Royaume-Uni un acteur indépendant des grandes puissances, et un catalyseur de commerce dans le monde.

Le conservateurs britanniques ne sont pas non plus des nostalgiques obtus d’accords de libre-échange classiques ne portant que sur des réductions de tarifs douaniers. Il ne sont pas du tout opposés à des accords « de partenariat », selon le terme employé par l’UE et les Etats-Unis s’agissant de leur Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP, en attente de ratification en Europe par manque de consensus).

Ce genre d’accord commercial « avancé » entre deux grands marchés représente une sorte de consécration européenne des éditions précédentes, un peu moins étendues, avec la Corée, le Japon et le Canada. Il ne se contente nullement de taxes d’importation. Il cherche au contraire à contenir le protectionnisme non tarifaire. Dans la reconnaissance mutuelle des normes techniques par exemple, incluant les domaines actuellement très sensibles en Suisse des technologies médicales et de machinerie. Le problème, c’est aussi que ces méga-accords ne trouvent pas de consensus en Europe au moment de leur ratification Etat par Etat. Même l’accord avec le Canada, entré partiellement en vigueur, est encore en attente.

Lors du second accord de sortie de l’UE en octobre dernier, au début de l’ère Johnson, les conservateurs britanniques n’ont en tout cas pas donné l’impression qu’ils voulaient rompre les ponts avec le continent : « Le Royaume-Uni est déterminé à travailler avec l’Union Européenne, était-il solennellement spécifié dans une déclaration politique commune. Pour sauvegarder l’ordre international fondé sur des règles, l’État de droit et la promotion de la démocratie, ainsi que des normes élevées de commerce libre et équitable et des droits des travailleurs, de protection des consommateurs et de l’environnement, et de coopération contre les menaces externes à leurs valeurs et intérêts. » (6)

Michel Barnier se réfère aujourd’hui à ce texte pour rappeler que les Britanniques s’étaient engagés à respecter un level playing field élevé, donc forcément inspiré et subordonné au droit économique, social et environnemental européen. On trouve néanmoins des indications moins exigeantes du côté de l’UE. « Les parties conserveront leur autonomie et leur capacité à réglementer l’activité économique en fonction des niveaux de protection que chacune jugera appropriés, précisait une recommandation de la Commission européenne du 3 février 2020 au Conseil européen (des Etats). En vue d’atteindre des objectifs légitimes de politique publique. » Dans son mandat de négociation à la Commission, le Conseil évoquait en retour le « plein respect des ordres juridiques des deux parties ».

Il ne suffit pas que les Britanniques proclament qu’ils vont respecter de hauts standards sur les facteurs de production. Encore faut-il qu’ils s’engagent sur le plan du droit. On voit à quel point s’accumulent les malentendus et dialogues de sourd.

Côté délégation européenne, Michel Barnier demande néanmoins des engagements fermes et formels. Il ne suffit pas que les Britanniques proclament qu’ils vont respecter de hauts standards sur les facteurs de production. Encore faut-il qu’ils s’engagent sur le plan du droit, avec monitoring et procédures de règlement des différends remontant jusqu’à la Cour de justice européenne.

On voit à quel point s’accumulent les malentendus et dialogues de sourd. Barnier ne cessant de répéter que le degré d’accès au marché unique dépendra du niveau d’adhésion aux normes européennes. Et la présidente Ursula von der Leyen de le dire à l’envers, dans la plus pure rhétorique protectionniste : «Plus le Royaume-Uni voudra être proche des règles européennes, plus l’accès au marché unique lui sera facilité. C’est une question d’équité par rapport aux Etats membres. »

L’équité est ce qui a toujours légitimé les tarifs douanier de compensation. Ils sont destinés à rendre le marché intérieur « équitable » sur le plan des prix. Dans une économie de l’offre, l’équité porte aujourd’hui davantage sur les facteurs de production eux-mêmes, avec des critères qualitatifs.

En face, c’est Johnson proclamant les yeux au ciel ne pas voir pourquoi les Britanniques devraient s’inspirer du droit européen de manière contraignante. Alors que les Européens ne s’intéressent nullement au droit britannique! «Allons-nous empêcher les voitures italiennes ou le vin allemand d’entrer dans notre pays sans droits de douane, a-t-il ironisé trois jours après la sortie effective de Royaume-Uni en février dernier ? Faute d’alignement de l’UE sur nos règles en matière de touillettes en plastique pour le café, ou de congés maternité? Bien sûr que non.»

A tout prendre, les Britanniques préfèrent subir de bonnes vieilles barrières douanières de la part des Européens. Plutôt que de continuer à se soumettre aveuglément à une législation économique évolutive inutilement vétilleuse et technocratique. Ces dérives communautaires dont ils ont fait la douloureuse expérience, et qu’ils connaissent par cœur. Le multilatéralisme de l’OMC a de toute manière limité l’ampleur des obstacles tarifaires dans la phase historique précédente. Or c’est bien ce scénario qui semble le plus probable aujourd’hui. Même s’il ne semble pas voué à durer éternellement sous cette forme. L’histoire ne fait peut-être que commencer. Pour le Royaume-Uni comme pour l’Union Européenne. Et probablement la Suisse.

Annexe II

Michel Barnier. Sa rhétorique de domination est claire et stable depuis 2016.

Légitimations européennes

Contrairement à celles de la Grande-Bretagne jusqu’à Boris Johnson (non compris), les motivations de l’Union Européenne ont été d’une grande clarté depuis le référendum à sensation de juin 2016. A force de répétition, elles ont acquis un haut degré de précision.

Disert et cassant, son négociateur en chef les défend d’autant mieux qu’elles sont d’inspiration très française. L’UE ne veut pas de concurrence dans son voisinage. Et comme tous les concurrents qui n’aiment pas la concurrence, elle la qualifie de déloyale. Alors qu’entend-on en l’occurrence par « concurrence déloyale »?

Il s’agit en fait de dérégulation compétitive, bien que le diplomate Barnier n’emploie pas ce terme très connoté historiquement. Compétitive au sens des dévaluations compétitives en Europe avant l’introduction de l’euro en 2000. Certains Etats européens laissaient leurs monnaies perdre de la valeur extérieure pour rendre leurs exportations moins chères. La Grande-Bretagne ne s’en privait pas. C’est entre autres pour cette raison qu’elle n’a pas adopté l’euro, bien que ses dévaluations compétitives fussent par la suite beaucoup plus raisonnables.

L’UE ne veut pas cette fois d’un concurrent qui, en plus de la livre, dérégulerait son marché intérieur pour devenir encore plus performant sur le plan des coûts et du commerce international. L’un des problèmes de la Grande-Bretagne n’est-il pas précisément sa balance commerciale, chroniquement déficitaire depuis les années 1980 ?

Les Britanniques ont estimé que les lourdes contraintes réglementaires de l’UE ne convenaient pas à leur culture économique, et que cette surrégulation avait fait du Royaume, comme de bien d’autres Etats membres, un grand perdant de la mondialisation après des décennies de participation pleine et entière au marché unique. Ce fut encore l’une des raisons principales du Brexit.

Les Européens ne font pas confiance aux Britanniques. Comme si le thatchérisme des années 1980 avait été une concurrence déloyale pour l’Union Européenne.

L’Union Européenne soupçonne donc la Grande-Bretagne de vouloir procéder à une nouvelle révolution thatchérienne dans la fiscalité, le droit du travail, le social et l’environnement. En y ajoutant des aides d’Etat, pour inonder le continent de produits bon marché. Des biens made in Britain homologués EU, mais assemblés à proximité des frontières européennes à partir de composants bâclés importés d’Asie. Elle craint également que le Royaume-Uni devienne une plateforme offshore de e-commerce sauvage, et de services numériques dérégulés sur le continent.

C’est ce genre de concurrence qui est qualifiée de déloyale. Comme le précisait Barnier en octobre dernier devant le Parlement européen, « l’accord de libre-échange basique souhaité par M. Johnson laisse entrevoir un risque de dumping social, fiscal et environnemental que nous n’accepterons pas. » Comme si le thatchérisme des années 1980 avait été une concurrence déloyale pour l’économie européenne.

Drame de la proximité

Tous les Etats du monde sont en principe des concurrents déloyaux aux yeux du protectionnisme européen. Bien que l’OMC (aides d’Etat, dumping), l’OCDE (fiscalité) ou encore le BIT (conditions de travail) imposent des normes minimales de régulation sur le plan du droit international.

Mais le vrai problème britannique, vu d’Europe, renvoie surtout au volume et à l’intensité des échanges concernés par ces potentielles « unfair trading practices » entre Etats contigus. La Suisse et le Royaume-Uni pour ne pas les nommer.

C’est pour cette raison que le marché intérieur européen se sent même en droit de concéder des facilités d’accès à l’Australie, au Canada, ou encore aux Etats-Unis sur la base de simples réciprocités (lire notre précédent article sur les accords de reconnaissance mutuelle des normes techniques, ARM). Mais ce n’est pas le cas s’agissant de voisins immédiats. L’UE exige en plus des conditions générales de level playing field avec la Suisse, incluant notamment la quatrième liberté portant sur les personnes : droit d’accès des Européens au marché suisse du travail, à des conditions sociales en principe équivalentes aux normes européennes.

Cette discrimination semble considérée à Bruxelles comme une espèce de compensation politique au fait de pouvoir bénéficier de la proximité géographique du marché unique.

Cette discrimination semble aussi considérée à Bruxelles comme une espèce de compensation politique due au fait de pouvoir bénéficier de la proximité géographique du grand marché. Sans vouloir néanmoins adhérer à toutes ses contraintes législatives et institutionnelles. Une sorte de taxe implicite de proximité, qui n’a jamais vraiment été formulée ni théorisée.

Dans son exposé à l’ESCP, Barnier se contentait de préciser ce qu’il présentait comme une évidence ne requérant aucune explication d’ordre économique :

« Le Royaume-Uni dit vouloir un accord de type canadien. Le problème, c’est que le Royaume-Uni n’est pas le Canada. Et, au demeurant, le Canada ne nous a jamais dit vouloir un accord de type sud-coréen. Notre relation avec le Royaume-Uni est extrêmement différente de notre relation avec le Canada: la durée d’un vol Bruxelles-Londres est de 70 minutes. La durée d’un vol Bruxelles-Ottawa est de plus de 10 heures. Le volume des échanges commerciaux de l’UE à 27 avec le Canada a atteint 55 milliards d’euros en 2018. Ce chiffre peut paraître élevé, mais nos échanges avec le Royaume-Uni s’élevaient à bien plus de 500 milliards d’euros, soit presque dix fois plus! Alors, certes, les accords que nous avons conclus avec le Canada ou avec d’autres pays peuvent servir de référence. Mais nous devons les adapter à la réalité de notre relation avec le Royaume-Uni. »

Le modèle canadien

L’allusion à la Corée renvoie à l’accord de libre-échange de 2011. L’Union en a conclu un autre plus récemment avec le Japon. Elle en négocie actuellement un autre encore avec l’Australie, auquel Johnson se réfère régulièrement. En attente de ratification complète, l’accord avec le Canada est partiellement appliqué depuis 2017.

La portée de l’accord canadien est effectivement plus étendue et plus profonde, mais les principes sont les mêmes par rapport à ce que les Britanniques demandent : il s’agit de libre-échange classique (douanier), assorti de garanties explicites, exigées surtout par l’UE quand à certaines conditions cadres et de production : sociales, fiscales, sanitaires, environnementales principalement.

Chacun s’engage en plus à respecter les dispositions multilatérales évolutives (OMC, BIT, OCDE, etc.). Un classique comité bipartite de monitoring est prévu, qui se réunit une fois l’an si tout se passe bien. En cas de différend, c’est ce comité qui statue, avec possibilité de faire appel à un arbitrage international. Il n’est question nulle part de la Cour européenne de Justice.

Modèle britannique selon l’UE

Ce que l’Union européenne veut obtenir du Royaume-Uni est très différent. L’exigence est en premier lieu présentée comme une contrepartie au maintien d’un libre-échange tarifaire classique déjà pratiqué jusqu’au Brexit dans le cadre de l’Union douanière (dont la Suisse ne fait pas partie pour des raisons liées à l’agriculture, mais la Turquie en fait partie).

En échange de cet accès, il ne s’agirait pas seulement pour le Royaume-Uni de convenir de dispositions plus qualitatives, comme l’on fait la Corée ou le Canada, mais bien de reprendre des éléments entiers de droit européen évolutif dans les domaines les plus sensibles (fiscal, social, sanitaire, environnemental, etc). L’interprétation de ces éléments dérivés du droit européen reviendrait à la Cour européenne de Justice, à laquelle il revient d’assurer l’homogénéité du droit européen.

Ce qui est demandé par l’UE sans l’être au Canada, c’est une homogénéité des droits européen et britannique dans certains domaines, correspondant à l’homogénéité de marchés reposant sur les quatre libertés indivisibles.

Ce qui est demandé par l’UE sans l’être au Canada, à l’Australie ou aux Etats-Unis, c’est donc une homogénéité des droits européen et britannique dans certains domaines, correspondant à l’homogénéité de marchés reposant sur les quatre libertés indivisibles. C’est ce à quoi la Suisse a adhéré avec la libre circulation des personnes, dans le cadre des Accords bilatéraux I (eux-mêmes indivisibles). Et ce que les Européens leur demandent d’approfondir avec l’Accord cadre institutionnel.

Selon les termes de cet accord UE-CH, un tribunal arbitral paritaire serais mis sur pied, qui trancherait par consensus ou à la majorité. Mais l’interprétation du droit européen applicable à la Suisse appartiendrait à la Cour européenne exclusivement, saisie par le tribunal arbitral. Or il va sans dire que la Cour européenne interprète le droit européen dans l’intérêt de l’Union Européenne. Intérêt qui ne s’est d’ailleurs pas avéré très stable ni hautement prévisible au cours des décennies.

Abus de position dominante                   

C’est cette soumission consentie, bien que partielle, au droit de l’Union européenne que Michel Barnier qualifie sans cesse d’ « ambitieuse », ou de « très ambitieuse » pour le Royaume-Uni. On comprend en tout cas qu’elle le soit pour l’Union Européenne, dans une phase historique régressive mesurant la politique à l’aune des rapports de force et de la super-puissance.

Il n’y a d’ailleurs pas trace d’autre légitimation pour cette approche euro-centrée sur le mode « Europe great again » : l’ultime enjeu est d’exister à nouveau face à la Chine et aux Etats-Unis d’Amérique. Sur le plan économique en premier lieu. Le Brexit rend la Grande-Bretagne insignifiante, c’est son problème. Mais elle affaiblit surtout l’Union Européenne, ce que celle-ci ne peut pas laisser faire sans tenter d’en réduire les dommages. Cette finalité cruciale fonde la morale et justifie tous les abus de position dominante.

Dans la même allocution panoramique à l’ESCP, qui venait après une série d’interventions et d’interviews où l’on retrouve les même mots, le poids décisif et instrumentalisé des 450 millions de consommateurs européens est sobrement invoqué dans le registre du « combien de divisions ? ». Les implications menaçantes en découlent aussitôt : « Si aucun accord n’est conclu, les conséquences seront très graves. Pour les pays de l’Union européenne, dont 15 % des exportations sont à destination du Royaume-Uni. Mais surtout pour le Royaume-Uni, dont près de 50 % des exportations sont à destination de l’Union. »

L’autre porte-avion britannique

La boucle se ferme ainsi sur l’ultime incompréhension : l’un des horizons des conservateurs britanniques, c’est précisément de rétablir l’équilibre de la balance commerciale dans une perspective chère à des Etats très bénéficiaires comme l’Allemagne, le Japon ou la Suisse : la vraie prospérité des puissances moyennes ne vient-elle pas de leur capacité à exporter davantage qu’elles n’importent ? Or les principaux Etats exportateurs d’Europe vendent surtout en Europe (à près de 70% s’agissant de l’Allemagne) (7). A quoi bon vouloir les concurrencer toujours plus avec toujours moins sur le continent, et sans avantages comparatifs décisifs dans les conditions-cadres?

A contrario, Royaume-Uni et Suisse exportent aujourd’hui davantage dans le monde qu’en Europe (à plus de 50%). Et l’on ne peut pas dire que les Suisses y vendent des produits et services bon marché, ni inférieurs aux standards européens de qualité. Au contraire. Ils ont même tendance à intégrer ces standards au-delà de ce que les traités leur imposent.

Le Royaume Uni veut en réalité développer ce que développe aussi la Suisse grâce à ses muliples réseaux commerciaux : un relais globalisé pour les exportations européennes de composants intégrés dans des produits ou systèmes suisses.

La Suisse importe d’ailleurs de nombreux composants d’Europe, qu’elle intégre dans des produits et systèmes vendus ensuite dans le monde entier. Où elle bénéficie d’un réseau commercial en général enviable. Pour l’Union Européenne et son industrie de sous-traitance, la Suisse est un important relais de commerce global. Dans les services également.

C’est précisément ce rôle économique que le Royaume-Uni, qui peut lui-même se prévaloir de positions avantageuses dans le commerce planétaire, a l’ambition de développer davantage. Sans se sentir continuellement entravé par la sur ou la mal-régulation communautaire.

On a longtemps entendu que la Grande-Bretagne était une sorte de porte-avion américain dans les eaux européennes. C’est-à-dire une porte d’entrée dans le marché unique pour les technologies US. Les Britanniques préféreraient être perçus aujourd’hui comme un porte-avion européen dans le vaste monde.

La diversité du commerce mondial a tout à y gagner. Indépendamment de leurs talents industriels et commerciaux, Suisses et Britanniques offrent tout simplement une alternative à des clients qui, pour des raisons multiples et souvent subtiles leur appartenant (simple diversification des risques en particulier), préfèrent parfois recourir à des fournisseurs européens hors Union Européenne.

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(1) Lire aussi : Généalogie de la libre circulation des personnes – https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/11/genealogie-de-la-libre-circulation-des-personnes/

Généalogie de la voie bilatérale – https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/13/genealogie-de-la-voie-bilaterale/

(2) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_20_340

(3) https://www.theguardian.com/commentisfree/2012/dec/21/boris-johnson-in-britzerland

(4) Aux yeux de bien des Britanniques et Européens, l’existence de la Suisse apparaît depuis longtemps comme une anomalie historique très ancienne, mais qui n’a pas vocation à s’éterniser dans une modernité qui finira forcément par l’épuiser. En 1913 déjà – ou encore – le critique littéraire et romancier anglais Francis Gribble, auteur d’un livre jamais traduit sur Lausanne et d’un autre sur Montreux, se montrait très pessimiste à ce sujet : «Le danger est que la population de la Suisse soit submergée sous une population allemande – plus particulièrement dans les grandes villes, où les problèmes politiques peuvent être résolus en dépit des paysans. Ce danger n’est pas seulement réel, il est imminent. Et si on le laisse mûrir lentement, le moment venu les garanties de la neutralité et de l’indépendance suisse ne vaudront pas le papier sur lequel elles sont écrites. Car alors la question de l’indépendance de la Suisse se présentera sous une forme nouvelle: pourquoi un pays limitrophe de l’Allemagne, en majeur partie habité d’Allemands qui désirent la protection de l’Allemagne, ne serait-il pas autorisé à se joindre à l’Allemagne aux mêmes termes que les royaumes de Bavière et de Würtemberg ? Il sera bien difficile aux puissances auxquelles la question se posera d’y répondre. Il leur sera bien difficile de rien faire de plus que de demander des compensations pour elles-mêmes dans les régions de la Suisse où l’infiltration étrangère, au lieu d’être allemande, aura été italienne ou française, proposant en somme de faire de la Suisse une nouvelle Pologne. Ce serait une fin lamentable à une expérience des plus intéressantes de self-government. Il n’en est pas moins vrai que ce sera peut-être le prix que la Suisse aura à payer, avant que ses jeunes hommes ne soient des vieillards, pour un développement industriel qui a dépassé la croissance naturelle de la population, et en a fait une colonie, pour ainsi dire, où les étrangers viennent s’établir en trop grand nombre et trop rapidement pour pouvoir être absorbés. » (Dans Claude Reichler et Roland Ruffieux : Le Voyage en Suisse, Robert Laffont, 1998, p 1436.)

(5) https://www.ft.com/content/37e45800-3ddf-11ea-b232-000f4477fbca

(6) La déclaration politique commune d’octobre 2019 résulte d’une contrainte du Traité de Lisbonne de 2009 dans ses nouvelles dispositions sur le retrait d’un Etat membre. Les deux parties s’engagent sur des principes généraux, comme le respect de la Déclaration européenne des droits de l’homme. Sur d’autres valeurs européennes identaires également, économiques, sociales, de sécurité, etc.        

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52020PC0035

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32020D0266&WT.mc_id=Twitter

(7) Lire aussi « Le grand avenir de la neutralité économique » : https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/page/2

Accès au marché européen (4) : ce que vaut l’Accord sur la recherche.

Comment obtenir à peu près tout ce que l’on veut de la part des Suisses ? Bruxelles a bien compris qu’il suffisait de menacer les hautes écoles de ne plus être associées aux financements publics de la recherche scientifique en Europe (programme Horizon 2020 et suivants). Mais de quoi parle-t-on au juste ? Et où sont les solutions pour sortir de ce chantage? Explications, évaluation et récit en huit actes. (L’essentiel en bleu)

Accès « privilégié » de l’économie suisse au marché européen. Une sorte de contrepartie théorique au libre accès des Européens au marché suisse du travail. Et lorsque l’on parle de ce grand arrangement transitoire, négocié quand l’objectif officiel était encore l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne*, on pense surtout au septième volet des Accords bilatéraux I (conclus en 1999) : l’Accord de coopération scientifique et technologique dans le domaine subventionné. Soit l’accès au marché des financements publics de la recherche et de l’innovation en Europe.  

La Suisse est en fait partenaire depuis les années 1980 des programmes-cadres européens de recherche (PCR). Il s’agit du morceau d’intégration le plus consensuel de la Suisse à l’Union. Le plus pragmatique aussi, le plus abouti et le plus médiatique. Il n’est certainement pas vital pour la prospérité du pays, mais personne n’a intérêt à le remettre en cause. Quand les Européens s’y appliquent quand même, c’est seulement pour en faire un levier politique d’intimidation.    

C’est précisément ce qui s’est passé après le vote populaire du 9 février 2014 mettant fin au droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse (libre circulation des personnes). Bruxelles a aussitôt suspendu les négociations sur l’association de la Suisse au huitième programme cadre (Horizon 2020). En se gardant de toucher aux autres Accords bilatéraux I, pourtant tout autant liés entre eux sur le plan juridique (clause guillotine). Tout s’est passé comme si le but, pour la Commission Européenne, était surtout de manifester sa détermination, dissuadant ainsi l’Assemblée fédérale d’appliquer la décision populaire fautive dans le domaine migratoire.

La stratégie s’est avérée efficace. Le Parlement n’a appliqué que très partiellement le nouvel article constitutionnel, de manière que les dispositions puissent être agréées par Bruxelles. Les risques par rapport à la pleine association de la Suisse aux programmes-cadres de recherche se sont ainsi provisoirement dissipés. Ils reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène politique.

* Lire précédemment: Généalogie de la libre circulation des personnes (11.09.19) et Généalogie de la voie bilatérale (13.09.19). 

Ce qu’il s’agit de montrer

Le but de cet article est d’évaluer les effets d’un nouveau rejet de la libre circulation sur l’accord d’association de la Suisse aux programmes-cadres de recherche. En vue du scrutin de cette année sur la politique migratoire (deuxième initiative du Parti populaire suisse UDC). D’abord prévu en mai, puis annulé pour cause de crise sanitaire. Le vote sera probablement programmé en septembre prochain.

Il s’agit d’abord d’envisager le scénario du pire, hautement improbable : de quoi la Suisse se priverait au juste si elle ne participait plus du tout à ces programmes de recherche? De pas grand-chose apparemment sur le plan quantitatif. Les subventions européennes obtenues des programmes-cadres en échange de la contribution suisse forfaitaire ne représentent que 1,5% environ des investissements dans la R&D en Suisse.  

Option à peine plus réaliste : la Suisse serait reléguée parmi les « Etats tiers », participant aux programmes-cadres sur la base d’accords particuliers de coopération scientifique (Canada, Australie, Corée, etc).

Avec un sérieux problème politique toutefois : la Suisse se retrouverait ainsi grossièrement discriminée par rapport à treize Etats périphériques de l’UE, relevant pour certains de la “simple” Politique européenne de voisinage (PEV). Ces Etats n’ont-ils pas tous conclu, dans la recherche, les même accords d’association que ceux dont la Suisse bénéficie depuis 2004 ?

La Suisse est en fait déjà défavorisée par rapport à ces Etats voisins (Serbie, Albanie, Israël, Tunisie, Arménie, Géorgie, etc.). Ils n’ont en effet aucun accord de libre circulation avec l’UE. Ni le moindre accord équivalent de ceux que l’on trouve dans les Bilatérales I, en principe considérées comme un ensemble équilibré d’avantages et de contreparties.

Scénario dès lors le plus probable : la Suisse se retrouverait théoriquement sur le même plan que le Royaume-Uni (sans libre circulation des personnes). Les deux Etats négocieraient parallèlement (ou ensemble) un nouvel accord d’association les plaçant eux-mêmes au même niveau de coopération scientifique que ces treize Etats partenaires de l’Union Européenne à l’est et au sud.

Pour faire bonne mesure et donner l’impression d’avancer, une libre circulation des chercheurs serait instaurée entre l’UE et les Etats associés. Cette disposition est explicitement prévue depuis 2000 dans le cadre de l’Espace européen de la recherche (EER), mais elle n’a jamais été vraiment appliquée.  

En tout état de cause, le financement public de la R&D en Suisse n’a aucun intérêt à dépendre plus longtemps de contingences aussi exogènes et imprévisibles que la politique migratoire. Cette subordination ne représente-t-elle pas d’ailleurs un avatar complètement obsolète de la politique européenne de la Suisse au siècle dernier ? Le découplage obtenu avec la fin de la libre circulation des personnes aurait au moins un effet vertueux: stabiliser la participation suisse aux programmes-cadres européens de recherche.

Ce qui revient à formuler l’évidence suivante: le plus sûr moyen pour la Suisse d’assurer durablement son statut d’association aux programmes-cadres de recherche, c’est de ne plus faire partie de la politique européenne d’élargissement, mais de relever de la politique de voisinage (PEV). 

1 – Historique

 Les programmes-cadres européens de recherche remontent à 1984. L’impulsion est venue du président François Mitterrand, soucieux de faire de l’UE le premier pôle mondial de technologies de l’information (IT). Le projet s’était intitulé « Esprit ». Du nom de la prestigieuse revue intellectuelle française, dont l’ambition est encore aujourd’hui « de penser autrement les liens entre l’esprit européen, les valeurs occidentales et le reste du monde ».

Le projet et ses étapes successives de réalisation, jusqu’à aujourd’hui, sont imprégnés d’ouverture sur le monde. La finalité est aussi d’attirer en Europe des chercheurs, des entités et des projets de recherche gravitant tendanciellement autour des Etats-Unis (et d’Asie actuellement). D’où la multiplication d’accords de coopération et d’association (y compris avec les Etats-Unis et la Chine).        

On ne peut pas dire rétrospectivement que cet objectif de leadership ait été atteint. L’industrie européenne, dans le IT en particulier, a même connu un véritable décrochage technologique. Au point de donner l’impression de ne plus pouvoir, ni même vouloir revenir au premier plan.

Lorsqu’un white paper de la Commission Européenne précisait en février dernier les ambitions de l’UE en matière de numérique et d’intelligence artificielle, c’était surtout de suprématie régulatoire, juridique et sécuritaire dont il était question.

Tout se passe en fait aujourd’hui comme si la finalité était en premier lieu de protéger les Européens contre la domination asiatique et américaine dans certains secteurs-clés. Au sens plus prosaïque du protectionnisme économique non tarifaire également, dont l’Europe n’a évidemment pas l’exclusivité.       

Depuis les années 1980, la technostructure européenne de recherche s’est élargie, centralisée et lourdement complexifiée. Dans les domaines des sciences exactes, humaines, sociales ou encore environnementales. La matière couverte par l’institutionnel communautaire s’est développée et approfondie en passant essentiellement par le réseau académique. L’exigence de pureté de la science par rapport aux risques de corruption par des intérêts privés est en effet sensiblement plus élevée en Europe que dans le reste du monde.

L’intégration européenne la plus avancée

La Suisse a très tôt intégré ce vaste dessein géostratégique sur la base d’un accord prévoyant explicitement sa participation aux programmes-cadres européens de recherche (1986). Le traité est toujours en vigueur aujourd’hui. L’Accord sur la recherche de 1999, constitutif des Accords bilatéraux I et appliqué depuis janvier 2004, y ajoute la notion d’association.

La Confédération ne finance plus directement, ni au cas par cas les participations suisses à des projets européens de recherche. Elle verse un forfait dans le budget communautaire, calculé sur la base du produit intérieur brut rapport à celui de l’Union. Les participations suisses sont ensuite financées par cette centrale d’attribution.

Accès, participation, association – On peut dire en ce sens que le financement public de la recherche est la forme la plus aboutie d’intégration suisse dans l’Union Européenne. Ce qui ne manque pas de subtilité institutionnelle lorsque l’on compare avec l’environnement juridique des Accords bilatéraux I.

Avant ces accords sectoriels, comprenant le libre accès aux marchés du travail (libre circulation des personnes), la Suisse accédait partiellement au marché européen. Aujourd’hui, elle y accède toujours partiellement, mais elle y participe aussi. Ce qui signifie en gros qu’elle adopte les règles de circulation des ressources humaines, des capitaux, des biens et des services. Sans être associée toutefois aux décisions législatives et réglementaires, ni être forcément présente en tant qu’observatrice.

Dans le domaine de la recherche en revanche, les Accords bilatéraux I ont fait passer la Suisse de participante à pleinement associée. Avec présence possible d’observateurs à tous les échelons de décision, sauf la conception elle-même des programmes-cadres. Ce qui signifie qu’elle dispose probablement d’un certain pouvoir d’influence.

2 – Sources

A parcourir le web dans tous les sens, on ne peut pas dire que l’association ou non de la Suisse aux programmes-cadres européens de recherche ait suscité jusqu’ici un grand intérêt de la part des analystes et commentateurs en Europe. En Suisse, à la demande du Parlement, ce thème a toutefois fait l’objet de rapports périodiques du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). Ces documents sont traduits en français et accessibles sur le site de la Confédération. Ce sont les premières sources d’un champ d’investigation fort peu documenté par ailleurs, se contentant en général d’explications superficielles et lourdement répétitives.

Haut degré de transparence – Un rapport « faits et chiffres » de 100 pages est ainsi paru en 2018. Un rapport d’impact (effets de la participation suisse) a suivi un an plus tard (75 pages). Ces deux textes très techniques permettent de se faire une idée précise et relativement concrète des enjeux.

Des six Accords bilatéraux I hors libre accès aux marchés du travail (libre circulation), le traité sur la recherche est d’ailleurs certainement le plus transparent. C’est aussi, et de loin, le plus équilibré. Il bénéficie à peu près autant à la Suisse qu’à l’UE sur le plan matériel. Les conséquences de son éventuelle abrogation sont aussi les plus faciles à mesurer.

Les rapports du SEFRI regorgent de chiffres et de graphiques. Ils sont surtout destinés à montrer que le traité sur la recherche est équitable sur le plan des contributions suisses et des retours européens. Ils convainquent également avec aisance que la Suisse est une fort bonne compétitrice dans la captation de subventions et de coordinations de projets publics.

Le terrain de jeu s’avère bouillonnant. Tous les mouvements sont traçables et analysables dans le détail. Le propos manque en revanche singulièrement de perspective, ce qui ne surprend pas venant d’un Secrétariat d’Etat soumis à des devoirs de réserve. Les rapports n’entrent pas en matière sur d’autres approches possibles ou nécessaires. En particulier celle consistant à situer la participation aux programmes-cadres européens dans l’investissement global de la R&D en Suisse (lire plus bas).

Ces rapports sont peu explicites également sur les enjeux immédiats ou plus durables des échéances de politique intérieure s’agissant de participation aux programmes-cadres européens. Vouloir s’en faire une idée passe par des recoupements à partir de différentes sections des sites de la Confédération et de l’Union Européenne, des médias, de revues spécialisées et de contacts personnels.

3 – La course aux subventions

Il n’est pas étonnant que le Parlement attende du SEFRI des rapports approfondis et rassurants s’agissant de recherche. Sans rien demander de comparable sur les autres Accords bilatéraux I, sauf peut-être la libre circulation des personnes de manière plus diffuse. Ne s’agit-il pas d’utilisation de fonds publics ? On peut également deviner sur le plan sociologique, avec les précautions d’usage, que l’affinité entre parlementaires, fonctionnaires et microcosme de recherche est relativement élevée. Davantage qu’en matière de transports routiers, de marchés publics dans la construction, ou encore d’agriculture.

Le paradoxe, par rapport à cette transparence, c’est que le public lui-même n’a pas l’air de bien se rendre compte que l’accord menacé sur la recherche porte essentiellement sur les sciences exactes et humaines dans le champ étroit du subventionnement public.

L’opinion a au contraire tendance à penser que c’est l’ensemble des activités de recherche et développement qui est en cause. Dont il connaît intuitivement l’importance vitale pour l’industrie, les services et la prospérité du pays. Il y aurait effectivement de quoi s’inquiéter si c’était le cas.

Le rapport de 2018 décrit une véritable compétition pour la “captation” de subventions. Un peu à la manière de ce qui se passe avec le Fonds national suisse (FNS, anciennement Fonds national de la recherche scientifique). On peut aussi voir l’association aux programmes européens comme une modeste extension européenne des financements publics du FNS.

Le Fonds national suisse a alloué près de 1,2 milliard de francs en 2018 à quelque 3000 dossiers bénéficiaires (sur 6000 requêtes). Fin 2017, la contribution annuelle moyenne de la Suisse au programme-cadre Horizon 2020 s’est élevée de son côté à 180 millions de francs seulement. Le nombre moyen de participations à des projets a été de 500 par année. Dont une centaine coordonnées depuis la Suisse.

Les institutions de loin les plus concernées par Horizon 2020, jusqu’en 2018, ont été les Ecoles polytechniques fédérales et les universités cantonales. A hauteur de 60% environ des fonds rétrocédés à la Suisse projet par projet en moyenne annuelle.

Les hautes écoles spécialisées (HES) captent quant à elles 3,5% seulement de la manne. L’industrie et les associations sans but lucratif s’octroient une part de 35% environ, beaucoup plus élevée dans Horizon 2020 qu’auparavant. Les subsides publics y sont en général complémentaires d’investissements privés (partenariats public-privé, bien que le terme ne soit jamais employé dans les rapports du SEFRI).

Le niveau moyen de financement public par participation de petites ou micro-entreprises privées est de 100 000 francs (start-up comprises), alors qu’il est de près de 590 000 francs toutes catégories confondues (écoles et grandes industries). Les entreprises sont encouragées à concourir, un bon taux de participation de leur part étant considéré par la Confédération et l’UE comme un succès en soi. Ce qui montre aussi que les entreprises ne sont pas attirées spontanément. L’offre d’Horizon 2020 a d’ailleurs développé des programmes spécifiques et attractifs destinés à les convaincre.     

Impact honorable mais sans levier

Le rapport d’impact de 2019 se base sur un sondage de satisfaction auprès de participants suisses aux programmes européens depuis 2003. 4400 questionnaires ont été envoyés, pour quelque 900 répondants.

Les effets sont en général et sans surprise jugés satisfaisants de la part des hautes écoles. Les participations génèrent en moyenne un emploi dans chaque cas (permanent ou temporaire). Comme l’on pouvait également s’y attendre, le secteur privé est plus critique. 30% seulement des entreprises ou indépendants annoncent que leur participation a conduit à des réalisations commerciales.

La proportion descend à 10% s’agissant de grandes entreprises. 10% également des sondés dans l’industrie et les services mentionnent toutefois la création d’une nouvelle entreprise. Près de 50% précisent que leur participation a tout de même favorisé la mise au point de nouveaux produits ou services. 50% des participations du privé ont généré un brevet (dont les éventuelles applications industrielles ne sont pas précisées).

L’impact macro-économique paraît assez décevant en termes de levier: les subventions se “contentent” de financer des emplois, en général sans multiplicateur avéré. Le rapport insiste donc plutôt sur l’importance des programmes-cadres européens dans la constitution et la pérennité de réseaux personnels. Ces maillages se constituent beaucoup autour des consortiums de recherche.

A en croire les questionnaires, ce sont surtout les HES et les entreprises qui y voient un intérêt spécifique. Les écoles polytechniques et les universités ont une plus grande ancienneté à l’international. Obtenir des subventions passe pour elles avant le networking. On peut supposer que les entreprises suisses, qui ne manquent en général pas d’ouverture sur le monde, voient quand même dans les relations suivies avec des partenaires plus étroitement européens l’occasion d’élargir et de diversifier leurs contacts.

A noter, pour mieux se représenter ce dont on parle, que le programme-cadre Horizon 2020 portait en premier lieu sur les « défis sociétaux » : 30 milliards d’euros pour la recherche « fondée sur les priorités politiques de la stratégie» à l’échelle européenne. Dans l’ordre : santé, transports, énergie, alimentation (avec agriculture et recherche aquatique), climat et environnement, sociétés sûres et sociétés inclusives. Vient ensuite la recherche fondamentale dans tous les domaines (25 milliards), infrastructures numériques européennes en premier lieu.

La « primauté industrielle » n’arrive qu’en troisième position (IT, biotechs, nanotechs, matériaux, systèmes de production, chaînes d’innovation dans les défis sociétaux jusqu’à la commercialisation non comprise) : 17 milliards d’euros, dont 600 millions seulement pour l’innovation dans les petites entreprises. La recherche nucléaire mobilise encore 5 milliards, et divers « piliers » secondaires se partagent les 6 milliards restants.  

4 – Ce que représentent les programmes européens dans la R&D en Suisse

 L’hypothèse d’une mise à l’écart de la Suisse des programmes-cadres européens de recherche en cas de « mauvaise » décision populaire sur la politique migratoire de la Confédération n’est absolument pas nécessaire. La fin de la voie bilatérale vers l’intégration signifierait au pire que la Suisse redeviendrait une simple participante aux PCR (Etat tiers). C’est-à-dire que le Secrétariat d’Etat à la recherche financerait directement les diverses participations, au lieu de passer par la hiérarchie européenne d’octroi des subventions et subsides.

Cela dit, il n’est pas inutile de vérifier que ce scénario maximal et invraisemblable d’éviction pure et simple ne plongerait nullement la Suisse dans le néant. Selon divers inventaires, les évaluations globales des différents types d’investissements réalisés en Suisse dans la R&D (privés et publics) tournent autour des 23 milliards de francs par an. C’est le chiffre retenu par le SEFRI dans une note non datée du site de la Confédération. L’investissement annuel dans le pot commun et public européen, avec le retour sur investissement, ne représente donc que 1,5% environ de l’ « effort national » d’innovation.*

A noter à ce sujet que le classement périodique d’août 2017 du réseau international de conseil Ernst & Young plaçait la Suisse en tête dans l’intensité de la R&D dans les entreprises : 6.6% du chiffre d’affaires (devant les Etats-Unis). Par rapport au produit intérieur (PIB), la Suisse vient en quatrième position dans le monde après la Corée, Israël et la Suède (privé et public cumulés). Avec un biais toutefois : l’industrie pharmaceutique pèse à elle seule 35% des investissements privés en Suisse.

* Le chiffre officiel disponible le plus récent de la contribution suisse à Horizon 2020 est celui du rapport de 2018 : 724 millions de francs pour la période 2014-2017. Soit 181 millions en moyenne annuelle, ce qui représente précisément 0,78% des investissements dans la R&D en Suisse. Cette période est toutefois faussée par les deux années d’association partielle (2014-2016), pendant lesquelles la contribution suisse a été plus basse que d’ordinaire (voir point 7 ). Nous avons compté très largement en multipliant 0,78% par deux pour cette raison.

5 – Ce que renoncer au statut d’association voudrait dire

 Sans statut d’association, la Suisse devrait donc financer directement ses participations. Avec des incidences certainement négatives sur les coûts de gestion. Les projets et consortiums ne seraient acceptés que s’ils présentaient un intérêt pour l’UE (pour autant que ce ne soit pas le cas aujourd’hui). Les Suisses n’auraient plus d’observateurs dans les instances dirigeantes ni les comités de pilotage. Leur niveau d’information s’en ressentirait.

Les remarquables performances des partenaires suisses dans la captation de subventions en seraient affectées. Il n’est pas sûr que les chercheurs suisses continueraient de détenir le record des meilleurs taux de succès des projets proposés. (Encore que les chercheurs américains et asiatiques non associés semblent faire légèrement mieux à 17,8%.) Est-ce bien nécessaire toutefois de figurer parmi les légendes européennes de la captation de subventions ? Sachant en plus qu’elles sont indirectement financées par la Suisse ? Ce n’est pas la question en l’occurrence. Nul ne sait d’ailleurs ce qu’en penserait le corps électoral si elle lui était posée de cette manière.

Les chercheurs et entités suisses de recherche pourraient en principe continuer de coordonner la réalisation de programmes, comme ils le font actuellement (une centaine dans Horizon 2020). Avec certainement, comme nous l’avons vu, quelques difficultés supplémentaires. Les hautes écoles ne pourraient plus en revanche envisager de piloter de grands projets européens. Les fameux et très disputés « Flagships », toujours bien présents sur le terrain médiatique. Cette déficience induirait une certaine déperdition en termes de prestige académique.

Il n’est pas inutile cependant de relativiser ce qui serait sans doute ressenti dans le microcosme de la recherche comme une humiliante relégation. Conçus au début des années 2010, les Flagships sont des mégaprojets à plus d’un milliard d’euros de budget sur dix ans. Mais ils sont rares.

Horizon 2020 n’en a connu que trois (initiés quelques années auparavant) : Graphene, Human Brain Project et Quantum. Horizon Europe (2027) a envisagé d’en lancer six autres, dont un suisse (le controversé Time Machine à Lausanne). Mais le concept lui-même a finalement été abandonné : trop grand, trop long, trop lourd. Les consortiums européens de recherche sont souvent des usines à gaz. Ceux-là atteignent des niveaux de complexité démesurés dans la gouvernance et la gestion.  

Comme chacun sait, le programme Human Brain (qui court jusqu’en 2023) est coordonné à Genève par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Cette expérience regroupe 800 chercheurs en Europe et Israël, et plus de 130 grandes institutions partenaires. Elle n’a cessé d’être confrontée à des tensions centrifuges sur le plan des objectifs, des doctrines, des ambitions, des égos, des moyens, des appareils et mentalités administratives. Orientée vers la réplication numérique des fonctionnements cognitifs, la culture d’ingénierie de l’EPFL s’est en particulier heurtée aux critiques et désistements des réseaux de recherche fondamentale en neurosciences.

La localisation en Suisse de Human Brain s’est en plus avérée problématique face aux trois grandes puissances de recherche que sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. En burn out, le directeur Chris Ebell démissionnait en 2018. Son équipe reconnaissait alors qu’il était peut-être temps de partager une coordination devenue ingérable. C’est une des raisons pour lesquelles le prochain et neuvième programme-cadre se contentera de « grands projets » plus modestes et moins centralisés.

L’université de Genève assume déjà une coordination partagée dans le flagship Quantum. Il n’est pas certain qu’un statut d’association durablement partielle rende à l’avenir impossible l’accès de la Suisse à ce genre de méga-gouvernance redimensionnée. D’autant moins que le futur statut de la Grande-Bretagne, qui reste entièrement à établir à quelques mois de la mise en route théorique d’Horizon Europe, est susceptible de faire évoluer la rigidité institutionnelle de l’Union. Dans un domaine qui se prête peu au dogmatisme politique.

6 – La Suisse grossièrement discriminée

Complexe et peu transparent lorsque l’on sort des rapports officiels, le dossier du traité bilatéral de 1999 sur la recherche (constitutif des Accords bilatéraux I) devient surréaliste lorsque l’on examine la question des statuts sous l’angle comparatif.  

 Comme évoqué plus haut, divers Etats dans le monde, jusqu’en Asie et en Amérique (Etats-Unis, Canada, Japon, Corée, Chine, Brésil, Argentine, etc), ont de « simples » accords de partenariat et coopération scientifiques avec l’UE. Ce qui signifie qu’ils n’ont pas accès à tous les grands domaines des programmes-cadres de subventionnement. Ils n’ont pas non plus d’observateurs en principe dans les instances dirigeantes et de pilotage.

La Norvège, l’Islande et la Suisse, relevant depuis les années 1990 de la politique d’élargissement de l’UE, avec objectif d’adhésion abandonné en cours de route, sont au contraire censés avoir le « privilège » d’un accord anticipé de pleine association.

C’est toutefois le cas aujourd’hui de treize autres Etats également, relevant d’une politiques européenne d’élargissement plus tardive, ou d’une simple politique de voisinage (voir Annexe I): Israël, Turquie, Serbie, Arménie, Géorgie, Ukraine, Tunisie, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Montenegro, Moldavie, Macédoine du Nord et Iles Féroé.

Selon l’expression consacrée, on peut dire que ces Etats ont obtenu le beurre et l’argent par rapport à la Suisse. L’UE leur a accordé un statut de plein associé sans contrepartie exogène. Alors qu’elle ne l’a concédé à la Suisse qu’en échange du libre accès à son marché du travail dans le cadre des Accords bilatéraux I, liés juridiquement par un principe de parallélisme (clause guillotine).

En cas de résiliation de l’Accord sur la recherche de 1999, pour cause de rejet de la libre circulation et de clause guillotine, la Suisse serait donc menacée d’être moins bien lotie que ces treize Etats périphériques. Comme ce fut le cas après le vote de février 2014, et jusqu’à fin 2016, elle se retrouverait sur le même plan institutionnel que les Etats « tiers » d’Amérique et d’Asie.    

Cette discrimination serait bien entendu complètement absurde (sans même parler d’inéquité). Comme elle l’a d’ailleurs été entre 2014 et 2016. Mais le cas du Royaume-Uni, poids lourd de la R&D en Europe, pourrait là aussi rebattre certaines cartes. Sans libre circulation des personnes, la Grande-Bretagne ne devrait-elle pas relever quand même, et au minimum, de la politique ordinaire de voisinage de l’UE en matière de recherche ? C’est-à-dire au même niveau d’association que, disons… l’Albanie (par ordre alphabétique) ? Et si c’était de toute évidence le cas, on ne verrait pas très bien pourquoi la Suisse ne pourrait pas obtenir d’égalité de traitement.

7 – Le trou de 2014-2016

L’Accord d’association de la Suisse à Horizon 2020 n’était pas encore complètement finalisé lorsque le vote populaire contre la libre circulation des personnes du 9 février 2014 a soudainement déstabilisé les Accords bilatéraux I par effet de parallélisme (clause guillotine).

S’en prendre sur le champ aux cinq autres accords n’a apparemment guère été envisagé du côté de Bruxelles (transports aériens, terrestres, marchés publics, agriculture, reconnaissance des normes techniques). On peut comprendre cette réserve: l’application de ces traités depuis les années 2000 s’est avérée très à l’avantage des Européens. L’occasion de réagir s’est en revanche présentée dans la recherche, beaucoup plus équilibrée, avec en plus des négociations en cours. La procédure fut aussitôt suspendue.

La perspective d’une relégation pure et simple de la Suisse parmi les Etats tiers asiatiques et américains semblait en même temps inconcevable. La Commission européenne n’avait-elle pas conclu, ou n’était-elle pas en train de négocier en parallèle des accords de pleine association avec treize Etats périphériques ? Sans libre accès réciproque aux marchés du travail (libre circulation), ni aucun accord de partenariat comparable à ce qui imbrique la Suisse dans l’Union Européenne ?

Marginaliser ainsi la Suisse, référence en matière de R&D, de manière aussi irrationnelle, eût été difficilement assumable politiquement. Les menaces et rapports de force bruts recèlent parfois des limites lorsqu’il s’agit de passer à l’acte. Le radicalisme d’un tel bannissement eût en plus été clairement dommageable pour la recherche en Europe.

Il était en même temps important pour la Commission européenne que des représailles soient réellement exercées. De manière à tenir parole et à faire prendre conscience aux Suisses égarés qu’ils devaient rapidement revenir à de meilleures dispositions. Il fut donc convenu de négocier une sorte de compromis octroyant à la Suisse un statut singulier, suffisamment vexatoire mais néanmoins provisoire d’Etat « partiellement associé ».

Schématiquement : la pleine participation à la recherche fondamentale était maintenue (peut-être par solidarité académique bien comprise). Les subventions européennes destinées à des projets venant de l’industrie n’étaient en revanche plus garanties, la Confédération s’empressant néanmoins de les compenser au cas par cas.

L’important domaine des « défis sociétaux » était lui aussi précarisé. Il se retrouvait également à la charge d’un Secrétariat d’Etat que les questionnaires du rapport d’impact allaient qualifier plus tard de très performant dans l’octroi de subventions de substitution (santé, alimentation, énergies, climat, environnement, etc). 

Dans la pratique et dans bien des cas, les diverses instances européennes de décision ont certainement sur-réagi. Les conséquences de ne plus pouvoir « participer » aux programmes-cadres européens de recherche avaient été abondamment évoquées lors de la tumultueuse campagne politique qui avait précédé le scrutin de février 2014. Avec une résonnance un peu confuse dans le microcosme académique en Europe. Parfois assez subtiles, les différences entre «participation en tant qu’Etat tiers », «association » et « association partielle » ne furent pas toujours bien comprises dans des milieux scientifiques continentaux peu réceptifs aux brutales finesses de la politique européenne d’élargissement.

Un lourd climat d’incertitude s’est alors installé, doublé d’une certaine méfiance par rapport à des partenaires suisses perçus tout d’un coup comme peu fiables. Le fait de les pénaliser le plus durement possible n’allait-il pas d’ailleurs les obliger à se mobiliser davantage pour faire rentrer l’opinion publique suisse dans le rang ?

Le nombre de participations suisses validées par les instances européennes s’est tout de suite mis à reculer massivement et de manière désordonnée. En particulier dans les coordinations de projets. A en croire le rapport de 2008 du SEFRI, la Commission européenne elle-même a dû parfois intervenir pour soutenir envers et contre tout certaines participations suisses. Ce n’est qu’en 2017 que la situation a commencé de se normaliser. Lorsque le Parlement a décidé de renoncer à la résiliation de la libre circulation malgré la décision populaire. Et que le droit d’accès à une activité économique en Suisse a pu être étendu à la Croatie.

8 – Horizon Europe (2027) et Espace européen de recherche.

Sept ans plus tard, l’histoire donne un peu l’impression de se répéter. Le scrutin sur la deuxième initiative de l’UDC a été reporté au second semestre 2020 pour cause de crise sanitaire. Si le projet d’article constitutionnel était de nouveau accepté, l’ « accident » se produirait avant que les négociations pour l’association de la Suisse à Horizon Europe (2021-2027) aient été finalisées.

Avec le Brexit, c’est d’ailleurs tout le processus de mise en place de ce programme-cadre qui a pris du retard. Nul ne sait encore quel sera le statut du Royaume-Uni, deuxième puissance européenne de R&D derrière l’Allemagne et devant la France. Sa relégation pure et simple parmi les Etats tiers, derrière les treize Etats périphériques associés, semble cependant aussi peu vraisemblable que celle de la Suisse.

Il n’est pas certain que Britanniques et Européens attendent d’avoir conclu un accord de partenariat général avant que des négociations s’engagent en vue d’une éventuelle association dans la recherche. C’est d’ailleurs ce qu’anticipait le SEFRI dans une information du 31 janvier dernier, au moment de l’entrée en vigueur du Brexit : «Comme la Suisse, le Royaume-Uni doit négocier avec l’UE une éventuelle association à Horizon Europe.»

Il n’y a toutefois pas encore de mandat de négociation côté suisse, bien que le background politique à régler semble bien plus léger qu’avec la Grande-Bretagne. Problématique et retardé lui aussi pour cause de crise sanitaire, l’Accord-cadre institutionnel Suisse-UE en suspens n’aurait pas d’effet sur la recherche à en croire certains commentaires plus ou moins officiels à Berne (la recherche n’étant pas considérée comme un marché). La future association dans Horizon Europe ne serait donc déstabilisée que par la fin de la libre circulation des personnes (voir Annexe II).     

S’agissant du Royaume-Uni en revanche, il paraît évident qu’une association ne serait pas conditionnée par un accord de libre circulation des personnes (les Britanniques n’en veulent plus). En cas d’acceptation de la deuxième initiative de l’UDC, la Suisse se retrouverait donc théoriquement dans une situation très comparable à celle de la Grande-Bretagne. Il deviendrait difficile pour les Européens de négocier avec l’un sans se référer à l’autre s’agissant de recherche.

La différence entre l’un et l’autre serait surtout juridique : la Suisse devrait encore s’extraire du parallélisme des Accords bilatéraux I et de la voie bilatérale vers l’intégration. Alors que le Royaume-Uni, après plus de trois ans de contorsions pour y échapper malgré le référendum de 2016, a déjà réalisé formellement son Brexit.

Ces nouvelles circonstances pour la recherche en Europe pourraient être l’occasion de relancer l’Espace européen de la recherche (EER). Initié à Lisbonne en 2000, cet European Research Area (ERA) est un ensemble de principes à cultiver sous une Direction générale de la recherche et de l’innovation.

L’EER a évidemment ajouté une couche institutionnelle à la gestion des programmes-cadres, qui n’en manquait pas. Mais il comprend aussi la double volonté de favoriser davantage l’ouverture vers l’extérieur. Avec mobilité des chercheurs et projets à l’intérieur de l’espace élargi aux partenaires associés.

Appliqué partiellement dans les 6ème, 7ème et 8ème programmes-cadres, l’EER a apparemment négligé cette dimension personnelle de la mobilité. L’occasion semble se présenter pour le Royaume-Uni et la Suisse de proposer une libre circulation des chercheurs en remplacement de la libre circulation générale des ressources humaines sur les marchés nationaux du travail. Couvrant quarante-quatre Etats, cette nouvelle liberté aurait au moins l’avantage de l’unité de matière.    

Annexe I

A propos de Club des Treize

Seize Etats non-membres de l’UE sont (comme la Suisse) pleinement associés aux programmes-cadres européens de recherche :

les deux Etats membres de l’Espace économique européens (EEE) : Norvège et Islande (depuis 1994). Leur association à chaque programme-cadre fait cependant l’objet de négociations particulières   (comme avec la Suisse) ;

– la Suisse depuis 2004, avec son statut général de substitution à l’EEE (voie bilatérale vers l’intégration avec libre circulation des personnes et Accords bilatéraux I) ;

– six Etats candidats à l’adhésion à l’UE, relevant de la Politique européenne d’élargissement : la Turquie (depuis 2003), la Serbie, l’Albanie, la Macédoine, le Montenegro, la Bosnie-Herzégovine (première association dans les années 2000 également) ;

– six Etats non-candidats relevant de la « simple » Politique européenne de voisinage (PEV) : Israël (depuis 1996), Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie (dans le programme-cadre 2007-2013 déjà) et Tunisie (2016) ;

– les Iles Feroë enfin, qui ont un statut général d’association avec l’UE depuis les années 1970.

Treize Etats hors Espace économique EEE ont donc obtenu le même statut que la Suisse, sans le fatras de conditions liées juridiquement dans les Accords bilatéraux I (dont la libre circulation des personnes).

A noter sur le plan chronologique : la Suisse, dans les années 1990, encore considérée à l’époque comme candidate à l’adhésion (jusqu’en juillet 2016), mettait dans la balance des Accords bilatéraux I son futur statut d’associée aux programmes-cadres de recherche (en négociation). Or, Israël avait déjà obtenu ce statut sans aucune des conditions exogènes imposées à la Suisse (exogènes, c’est-à-dire n’ayant rien à voir avec la recherche scientifique et son financement).

Quinze ans plus tard, l’UE retirait à la Suisse son statut d’associée aux programmes-cadres suite au vote populaire de février 2014 sur la libre circulation des personnes. Or, Bruxelles était à ce moment-là en pleine négociation avec les 13 autres Etats non membres pour une association à Horizon 2020, rétroactive au 1er janvier 2014 (2016 dans le cas de l’Arménie, de la Géorgie et de la Tunisie, et août 2015 dans le cas de l’Ukraine). Sans libre circulation des personnes encore une fois.

A noter encore, pour être complet, que ces treize Etats bénéficient vraiment du même statut d’association que la Suisse, sur les mêmes bases de financement : un calcul incluant le PIB du pays par rapport au PIB de l’UE, en fonction de l’importance de la participation prévisible.

Dans le 7ème programme-cadre (2007-2013), les participants turcs avaient obtenu quelque 200 millions d’euros de subventions pour 950 projets. En janvier 2017, Israël célébrait ses vingt ans d’association en annonçant 1,4 milliard d’euros de contributions cumulées pour 1,7 milliard de retours enregistrés.

Les niveaux d’association sont évidemment plus modestes pour des Etats comme la Serbie (53 millions d’euros de retours pour 307 projets dans le 7ème programme-cadre), la Macédoine (12 millions), le Montenegro (4 millions), la Moldavie (4 millions), la Bosnie-Herzégovine (3 millions) ou l’Albanie (2,5 millions).

L’UE accorde parfois des « rabais » de contribution forfaitaire, ou des facilités de paiement dans le cadre de sa politique de développement. Avec l’appui dans certains cas de la Banque européenne d’investissement. L’UE peut aussi exiger des réformes dans la politique de recherche scientifique des nouveaux associés, avec revue périodique des pairs.

 

Annexe II

Clause guillotine et flou juridique

Le traité de coopération scientifique et technique de 1986 entre la Suisse et les Communautés européennes (CE) a une portée élevée et générale qui en fait rétrospectivement une sorte de déclaration d’intention (un peu plus concrète toutefois sur la recherche nucléaire, sujet central à l’époque). Entre autres dispositions, l’accord rendait possible la participation de la Suisse aux futurs programmes-cadres européens de recherche. D’éventuelles associations devaient toutefois faire l’objet d’accords spécifiques portant sur chacun d’eux.

Les cinq premiers programmes-cadres ont intégré les hautes écoles et institutions suisses sous forme de participations projet par projet. Chaque projet étant financé par la Confédération. Dans le cadre des Accords bilatéraux I finalisés en 1999, la Suisse a obtenu dès 2004 le statut d’associée au 6ème programme-cadre (2002-2006) : contribution forfaitaire au budget européen, puis financement européen des projets suisses. Avec observateurs suisses dans les instances européennes de subventionnement.

Ce statut d’associé a été renouvelé dans un autre accord bilatéral de coopération scientifique portant sur le 7ème programme cadre. Et ainsi de suite. Il a fallu un autre accord bilatéral encore pour sceller l’association au 8ème programme (2014-2020). Il en faudra encore un autre pour associer la Suisse au programme Horizon Europe (2021-2027).

Cette contrainte de renouvellement périodique est absente des six autres Accords bilatéraux I. Ce qui fait parfois dire que la recherche n’est pas vraiment soumise au parallélisme de ces accords liés juridiquement (clause guillotine).

Selon cette interprétation : si l’accord sur le droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse était résilié par la Suisse (libre circulation), la clause guillotine ne s’appliquerait pas à la recherche. Temporaires, les accords d’association aux programmes-cadres ne sont-ils pas forcément d’une autre nature ?

C’est bien ce que l’on affirme également par ailleurs en proclamant qu’ils ne sont pas des accords d’accès au marché. Qu’ils ne sont donc pas concernés par le projet d’Accord-cadre institutionnel Suisse-UE en suspens (voir plus haut).

Il n’y a en réalité guère de raisons de penser que le lien juridique, imposé par les Européens pour sanctuariser la libre circulation et sécuriser la voie bilatérale vers l’intégration, n’annulerait pas formellement l’actuel, ni les futurs accords d’association dans la recherche. Rien ne s’y oppose apparemment. Le niveau de détail de ces considérations semble en plus d’une pertinence très relative dans un domaine régi par deux ordres législatifs différents.

Il est vrai cependant que ces accords d’association sur la recherche ont un caractère juridique particulier dans les Bilatérales I. Tant les Suisses que les Européens ont explicitement prévu que leur résiliation par les uns ou les autres n’impliquerait pas automatiquement, ni dans les six mois, une annulation globale du paquet d’accords. Il y aurait bien une sorte de clause guillotine, mais sans automaticité.

Dans son message du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, le Conseil fédéral précisait d’ailleurs que la clause guillotine « ne s’appliquait ni en cas d’expiration ordinaire de l’Accord de coopération scientifique, ni en cas de dénonciation de cet accord par la Suisse à la suite d’une modification par les CE des programmes-cadres auxquels la Suisse est associée. »

Tant les Européens que les Suisses peuvent en revanche décider unilatéralement que la rupture des accords d’association aux programmes-cadres mettrait fin aux Accords bilatéraux I. Ce scénario n’est pourtant guère réaliste : ni la Suisse, ni l’Union Européenne n’ont le moindre intérêt à saborder ces accords d’association dans la recherche. C’est plutôt dans le sens l’inverse que le problème se pose : l’Union européenne a tendance à utiliser la recherche comme objet de chantage et de représailles à propos de libre circulation.      

Dans un avis de droit de 2013, Christine Kaddous, professeure à l’Université de Genève et directrice du Centre d’études juridiques européennes, précisait encore que «l’accord sur la coopération scientifique et technique de 2007 pourrait aussi être concerné, même s’il n’est pas stricto sensu rattaché à la clause guillotine, compte tenu de la décision du Conseil et de la Commission de 2008, laquelle prévoit que cet accord ne serait pas prorogé en cas de non-reconduction ou de dénonciation des accords bilatéraux I. Le risque existe donc également pour cet accord, même s’il ne contient pas formellement une disposition telle que celle de l’article 25, paragraphe 4, de l’Accord sur la libre circulation des personnes. »

Cet avis a parfois été sur-interprété lui aussi, comme s’il suggérait que la clause guillotine ne s’appliquait pas à la recherche. Il fait seulement ressortir en réalité que c’est le délai de résiliation de six mois des Accords bilatéraux I en cas de guillotine qui ne s’appliquerait pas à l’accord d’association en cours (2007-2013 à l’époque). L’association durerait jusqu’à la fin du programme-cadre, mais elle ne serait pas reconduite lors du programme suivant.