Johnson’s Brexit deal : si éloigné du modèle suisse

Le « socle commun » à négocier entre l’Union Européenne et le Royaume Uni fait allusion à un classique accord de libre échange entre égaux sur le plan juridique. Il n’est question ni de reprise automatique du droit européen, ni de libre circulation des personnes. Rien à voir donc avec le projet d’Accord  institutionnel, ni avec la voie bilatérale d’intégration de la Suisse dans l’UE. 

Ce n’est d’ailleurs guère surprenant : avec le Brexit, la majorité des Britanniques ont explicitement voulu en finir avec la reprise du droit et la libre circulation (sans parler de l’union douanière, à laquelle la Suisse n’appartient pas). Ce n’est pas pour les réintroduire par derrière.

Johnson’s Brexit deal : pas mal de médias en Suisse (romande surtout) y voient quelque chose qui ressemble à ce que la Suisse a développé avec sa « voie bilatérale ». Aboutissant à un projet d’accord institutionnel actuellement bloqué, impliquant des reprises automatiques du droit européen. 

EU et UK viennent en réalité de revalider accessoirement (c’était l’Irlande le sujet du jour) quelque chose qui ne se différencie guère de l’accord d’abord finalisé avec Theresa May : un objectif classique de libre échange. Avec des « concessions » britanniques permettant d’éviter que le Royaume Uni exerce une concurrence dépressive et jugées « déloyales » sur les normes sociales et environnementales.

Bien que déjà réglementées par l’OMC, les aides d’Etat à l’industrie sont aussi vaguement mentionnées. La concurrence fiscale est de son côté déjà régulée par l’OCDE.    

Un level playing field résiduel et social en d’autres termes, traduit par « socle commun » en français (ce qui ajoute  une connotation beaucoup plus dure). Le level playing field est une notion ancienne et très générale ne donnant  à ce stade aucune indication sur le genre d’arrangement, d’accord ou de traité.

C’est dire si l’épisode du Johnson’s Brexit deal se prête peu aux comparaisons avec le cas suisse. Les Européens ne redoutent nullement que la Suisse exerce une concurrence déloyale sur les salaires, les conditions sociales ou environnementales. C’est au contraire la Suisse qui a ce genre de crainte.

Le socle social commun auquel les Européens aspirent avec la Suisse porte sur les conditions sociales qu’ils aimeraient imposer en Suisse pour leurs ressortissants par rapport et dans le cadre de la libre circulation des personnes. C’est tout à fait différent. 

Cette problématique n’a surtout pas grand-chose à voir avec ce que Bruxelles pourrait demander à Londres, puisque les Britanniques ne veulent pas de libre circulation (ce que les Européens ont accepté et n’acceptent pas de la Suisse). Les Britanniques n’auront pas de clause guillotine non plus…  

La question cruciale pour la Suisse, et qui n’a pas été évoquée dans les négociations jusqu’ici, c’est le nombre d’accords de reconnaissance mutuelle (ARM) que les  Européens accorderont aux Britanniques. Tout est encore ouvert dans ce domaine. Si les Européens en accordent autant qu’à la Suisse, la libre circulation ne pourra plus guère apparaître en Suisse comme contrepartie d’un accès privilégié au marché continental.                 

Revue de presse commentée  https://cutt.ly/ve5wzDI

Interprétations relativement homogènes et très différentes en dehors de Suisse.


(17 oct.) “
Ce laps de temps sera mis à profit pour négocier un accord de libre-échange. Dans sa “déclaration politique” révisée sur les relations futures, l’UE promet un accord “sans droits de douane ni quotas”.
En contrepartie, Bruxelles exige des “garanties” de la part de Londres en vue de conditions de concurrence équitables. Le but est d’empêcher le Royaume-Uni de créer une sorte de “Singapour” aux portes de l’Union qui ne respecteraient pas les normes de l’UE en matière sociale, fiscale et environnementale.”

(18 oct.)

” Pendant la période de transition qui commencera le 1er novembre si le texte est ratifié pour durer jusqu’à la fin 2020, 2021 ou 2022, un traité de libre-échange sera négocié pour le Royaume-Uni. Celui-ci ne sera plus «aussi proche que possible» de l’UE comme prévu auparavant mais «ambitieux». C’est-à-dire «sans tarifs et sans quotas». En contrepartie, l’Europe exige des engagements des Britanniques de ne pas se livrer à une concurrence déloyale, en respectant les droits sociaux, les normes environnementales, les règles sur les aides d’État aux entreprises ou la fiscalité. Objectif: éviter l’émergence d’un pays dérégulé sur le modèle de Singapour aux frontières de l’Europe. Mais les négociateurs européens ont lâché du lest en concédant à Londres un niveau d’alignement sur leurs standards moindres que dans la première version. Il n’est plus question par exemple de respecter toutes les réglementations futures adoptées par l’UE. Un point marqué par Boris Johnson, qui entend pouvoir s’en démarquer.”

(18 oct.)

“Autre changement important entre l’accord de Johnson et celui déjà négocié par May: la déclaration politique qui établit le cadre des futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni, ces dernières devant être négociées, concrètement, entre maintenant et le 31 décembre 2020. L’objectif affiché se limite désormais à un accord de libre-échange, sans droits de douane ni quota. Il n’est donc plus question d’une large coopération entre les deux entités.”

(18 oct.)

“Le premier ministre avait fait savoir qu’il voulait renoncer à l’engagement du Royaume Uni de s’engager sur les normes de l’UE en matière d’envionnement, de droit des travailleurs et de fiscalité, ce qui alimentait à Bruxelles les craintes de courses vers le bas et la création d’un Singapour sur la Tamise. Le négociateur Michel Barnier a donc déclaré aux ambassadeurs de l’UE qu’il avait obtenu une base pour une concurrence loyale, Johnson ayant convenu que la contrepartie de tout accord de libre-échange serait l’adoption de « règles du jeu équitables » (level plaing field), c’est-à-dire une promesse de ne pas s’éloigner des normes de l’UE.”

(18 oct.)

“M. Johnson a également concédé une déclaration politique sur le maintien de règles du jeu équitables (level playing field) pour les standard et la régulation de la future concurrence. Cela ne plaira pas aux Brexiters les plus durs, avec leur vision du Brexit permettant de pratiquer la sous-enchère fiscale et le moins-disant régulatoire. Il n’y a néanmoins aucune contrainte juridique à ce stade, ce qui devrait leur donner l’impression d’avoir suffisamment de marge de manœuvre pour adhérer à cet accord.”

 

 

(18 oct.) Dans son long compte rendu sur l’accord obtenu par Boris Johnson à Bruxelles, le New York Times ne fait aucune allusion aux déclarations politiques relatives au level playing field ni au futur accord commercial de libre-échange.

 

     

 

François Schaller

Ancien de la Presse et de L’Hebdo à Lausanne. Rédacteur en chef de PME Magazine à Genève dans les années 2000 (groupe Axel Springer), et de L’Agefi dans les années 2010 (Quotidien de l’Agence économique et financière). Pratique depuis 1992 un journalisme engagé sur la politique européenne de la Suisse. Ne pas céder au continuel chantage à l'isolement des soumissionnistes en Suisse: la part "privilégiée" de l'accès au marché européen par voie dite "bilatérale" est dérisoire. C'est tout à fait démontrable avec un peu d'investigation. Des accords commerciaux et de partenariat sur pied d'égalité? Oui. Une subordination générale au droit économique, social et environnemental européen? Non. Les textes fondamentaux: Généalogie de la libre circulation des personnes https://cutt.ly/1eR17bI Généalogie de la voie bilatérale https://cutt.ly/LeR1KgK

2 réponses à “Johnson’s Brexit deal : si éloigné du modèle suisse

  1. Quand vous avez deux des trois principaux partis de la Droite qui veulent signer l’Accord Institutionnel, et l’un d’eux veut même adhérer, nous ne pouvons pas/plus faire face à l’éléphant de Bruxelles Bruxelles.
    La France rentre dans son économie EUR 12 milliards de la GB par an, et elle a veillé à ne pas perdre cette manne, alors que de chez nous le Président Macron nous snobe et nous crache presque dessus, pourtant entre importation, commerce transfrontalier et salaires de frontaliers la France gagne 20 milliards par an de la Suisse.

  2. Synthèse aussi éclairante que bienvenue (pour compenser la superficialité et la tendance au sensationnalisme de la plupart des journaux télévisés et des blogs).

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