Le processus d'innovation et la gestion des opérations régulières d'une entreprise - Elena Debbaut - L'innovation est plus qu'une brillante idée

Quelques fausses idées sur l’innovation

Il y a quelques mois, j’ai publié un article sur l’innovation. L’article avait comme titre: « Le pire ennemi de l’innovation est … l’envie d’innover à tout prix » https://blogs.letemps.ch/elena-debbaut/2019/01/18/le-pire-ennemi-de-linnovation-est-lenvie-dinnover-a-tout-prix/

L’idée centrale de l’article consistait à soutenir que l’innovation est avant tout un processus. Son but principal était de brièvement clarifier le concept d’innovation, la différence entre la phase initiale de brainstorming/idées et la phase opérationnelle ainsi que l’impact de l’innovation (et son processus) par rapport à l’existence même de l’entreprise.

Cet article revient d’une manière un peu plus avancée sur quelques concepts brièvement mentionnés auparavant. Cet article n’a pas la prétention d’être exhaustif au sujet d’un sujet si complexe qui est l’innovation et le processus d’innovation, mais il lance un débat permettant d’aborder ce sujet comme tout autre processus opérationnel existant dans le cadre d’une entreprise.

L’innovation ne peut pas être réduite à la seule activité créative

La plupart de personnes associent l’innovation avec l’image d’un Steve Jobs ou Elon Musk ou Mark Zuckerberg ou autre innovateur charismatique qui monte sur une scène et annonce au monde entier un produit révolutionnaire.

En pratique, ce n’est pas ainsi que les choses se passent.

Une innovation ne peut pas être réduite à quelques idées. L’innovation n’est pas non plus le résultat d’une seule personne.

Assez souvent, l’innovation commence par quelque chose de simple et banal après une première analyse. Ensuite, c’est le développement en équipe de ces idées tout en suivant un processus de validation qui augmente les chances de réussite et acceptation.

À la fin, le produit peut être très révolutionnaire et changer beaucoup de choses … mais si le marché n’est pas prêt ou le produit présente des défauts de conception ou production, alors tout le travail a été inutile.

L’innovation est donc un processus à plusieurs étapes et la réussite ne peut pas être garantie.

Néanmoins, en suivant un processus, les risques liés à l’innovation sont sous contrôle, et cela sans mettre en danger l’ensemble des autres opérations de l’entreprise.

Le processus d’innovation

La vérité est que les entreprises qui arrivent à innover sont celles qui arrivent à résoudre un problème et qui suivent un processus répétable quant à la mise sur le marché.

Par exemple, un créateur de mode suit un processus pour développer ses idées initiales sous la forme d’un produit perçu comme innovant et qui peut-être donnera la tendance de la saison. D’une manière similaire, les entreprises peuvent aussi venir avec des idées initiales, les valider et les lancer sur le marché. ​

De l’autre côté il faut savoir que l’innovation, dans son ensemble, n’est pas un processus fixe. Les conditions initiales autant technologiques que financières et celles du marché changent de plus en plus vite. Ainsi, une entreprise doit être suffisamment rapide et efficace pour gérer en même temps les activités usuelles de l’entreprise d’un côté, et expérimenter avec l’innovation, de l’autre. Il s’agit du fameux “run the business & change the business” – “gérer l’entreprise et changer l’entreprise“.

Il n’y a pas de méthode précise ni des tactiques ou outils et encore moins de recette toute prête pour ce processus d’innovation. Chaque entreprise devra trouver sa propre voie. ​

Les fausses idées par rapport à l’innovation

Les investissements d’une entreprise en ressources et temps pourraient offrir un meilleur rendement si les erreurs habituelles sont détectées en temps utile, et cela avant le lancement d’une stratégie qui englobe la recherche et l’innovation.

Voici maintenant un court florilège des fausses croyances par rapport à l’innovation.

1. L’innovation est un processus simple

L’innovation n’est pas un processus “simple”.

Selon mon expérience dans le redressement des entreprises et projets en difficulté, il s’agit d’un processus complexe avec des nombreux effets dans l’ensemble de l’entreprise et aussi depuis/vers l’extérieur.

Les responsables des opérations assurent une continuité. Le département des innovations a souvent une mauvaise opinion par rapport à cette continuité et s’y oppose.

Qui a raison ?

Les deux ont raison:

  • la gestion courante des opérations exige une standardisation, une optimisation continue, des contrôles réguliers
  • l’innovation exige une liberté permettant des expériences qui ne peuvent pas être contrôlées ni régulières.

Quand une entreprise innove, elle prend un risque commercial et opérationnel bien plus élevé qu’une autre qui ne ferait que gérer ses opérations courantes. Réduire ces risques tout en permettant aux activités courantes de continuer à fonctionner correctement est un exercice complexe.

Reste que ce processus d’innovation doit être structuré comme une opération en soi et aussi prévisible que possible en passant par toutes les étapes dont l’ordre peut changer selon les besoins:

  • brainstorming/idées initiales en vrac
  • analyse de faisabilité et viabilité commerciale
  • R&D/prototypage/validation des idées retenues.

Voici pourquoi seul un processus permet un équilibre entre les gardiens des opérations courantes et les pionniers qui introduisent quelque chose de nouveau.

2. L’innovation c’est que des idées

L’innovation ne se résume pas à des idées.

Il y a cette fausse perception selon laquelle l’innovateur n’a qu’à venir avec des idées à longueur de journée … et que c’est aux autres de l’implémenter techniquement et s’en occuper pour la rendre viable. D’ailleurs, il n’est pas rare de constater une grande fierté quant au manque de responsabilité financière, suivi opérationnel, contrôle et devoir d’information.

Réduire le processus au seul et premier stage de « brainstorming – idées » n’est pas de l’innovation. Dans le cadre d’une entreprise, cette phase initiale de « brainstorming – idées » se retrouve dans l’ensemble du processus de l’innovation (conceptualisation, R&D, testing, analyse ROI – retour sur investissement).

3. L’innovation ne doit pas prendre en compte les besoins du marché

Le marché recherche toujours de l’innovation, ainsi que les clients. Mais il y a une ligne très fine entre faire la sourde oreille par rapport aux besoins du marché et l’intuition par rapport à un produit ou service révolutionnaire.

Une fameuse citation sur les voitures noires et les chevaux apparaît souvent comme réponse pour expliquer le manque d’écoute du marché: “Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils voulaient, ils m’auraient demandé un cheval plus rapide”.

Mais le fin mot de l’histoire c’est que Henry Ford avait changé son opinion après la fermeture totale de ses usines en 1927. Quelques années plus tard, le succès semblait venir de la capacité à comprendre l’autre et trouver un équilibre entre les points de vue divergents. Tout compte fait, l’innovation sans tenir compte des besoins du marché n’avait duré que peu de temps.

Dans le monde actuel des entreprises, des schémas similaires se retrouvent toujours à quelques différences près.

Ainsi, la production n’a aucun mot à dire, la R&D non plus, et encore moins les retours du département commercial qui lui est en contact direct avec le client. Or, augmenter les chances de réussite pendant l’innovation passe par une meilleure utilisation des données disponibles sur l’ensemble d’une entreprise.

Une entreprise qui applique une vision d’ensemble par rapport au marché et à ses interactions et processus internes/externes ont généralement plus de chances de réussite pas seulement avec l’innovation, mais aussi avec son développement et sa croissance.

Par ailleurs, l’écoute du marché ne représente pas à elle seule la seule clé de réussite, mais un élément parmi tant d’autres.

4. Critiquer l’innovation équivaut à ne pas la soutenir

Il s’agit ici d’une fausse croyance dont la plupart des personnes actives dans le monde professionnel en a conscience, mais qui, pour diverses raisons (souvent politiques) personne n’ose en parler ouvertement.

Le département responsable de l’innovation est en règle générale au bénéfice d’un soutien stratégique important. Quelques fois, il y a même un appui de type “pet projet” (projet préféré).

Dans cette optique, c’est souvent aux autres départements de négliger leurs autres opérations courantes, élaborer les plans techniques en priorité absolue et respecter des délais très courts permettant d’implémenter toute nouvelle idée qui arrive.

Le département marketing néglige également ses opérations courantes pour faire la publicité d’un joli emballage. Quant aux commerciaux, la priorité c’est le nouveau produit et ses KPI’s avec objectifs de vente agressifs.

À la fin, le client n’a qu’à acheter pour tester le nouveau produit innovant. Les choses se gâtent quand ce produit se trouve au stade de “minimum viable” pour l’entreprise et “échec maximal” pour le client.

Pour reprendre les termes exacts: “c’est si simple que cela” (sic !).

Pendant toutes les étapes brièvement mentionnées ci-avant, il y a quelques limitations (souvent techniques) et résistances (humaines). En même temps, critiquer équivaut à ne pas soutenir; ainsi cette stratégie de lancement rapide est souvent perçue comme étant la seule permettant la vraie innovation.

Il y a néanmoins une limite à ce modèle.

Cette limite se trouve dans l’environnement d’affaires. Si ce type de stratégie a donné quelques résultats spectaculaires par le passé, elle n’est plus toujours viable car maintenant très connue et appliquée à grande échelle. Le risque majeur est de voir l’entreprise en question disparaître aussi vite que son innovation. Dans mon premier article j’ai mentionné cet aspect sous le chapitre “Quand l’innovation tourne au cauchemar pour le client“.

Critiquer le chaos, un produit bâclé et la mise en danger d’une entreprise ne veut pas dire être contraire à l’idée de l’innovation. Innovation oui, mais sans mettre en danger l’existence même de l’entreprise et de ses autres opérations régulières (revoir le point 1).

5. Il suffit d’avoir un budget presque illimité pour pouvoir innover

Pour innover il ne faut pas créer un gouffre financier.

Les entreprises qui innovent ne manquent pas d’idées; mais elles doivent bien choisir quelles idées développer en priorité. Les entreprises et les personnes créatives ne manquent pas d’idées mais de capacités opérationnelles et financières pour les implémenter.

Les essais coûtent cher, surtout au niveau d’une grande entreprise. Ainsi, il n’est pas réaliste de développer toute nouvelle idée qui arrive. Les risques financiers liés à l’innovation sont importants, et ce n’est pas toutes les entreprises qui peuvent avoir la capacité financière de soutenir cette activité à long terme. D’autant plus que l’innovation n’est pas une activité sûre.

Voici pourquoi le retour sur investissement (le fameux ROI) doit être à hauteur des investissements.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard que la plupart des entreprises de grande taille et qui arrivent à innover refusent d’investir dans un Lab ou autres centres, en choisissant plutôt le rachat d’autres entreprises (en phase de startup ou déjà établies) qui ont déjà un produit ou service et qui possède tant bien que mal un potentiel intéressant.

Par exemple, la taille du marché est souvent un élément pris en compte avant de décider sur un investissement dans l’innovation. Le profit potentiel en est un autre. Le bon timing aussi. Innover pour l’amour de l’innovation et dépenser sans compter si le marché est trop petit ou les profits sont insignifiants s’avère contre-productif pour l’entreprise.

L’innovation est un investissement, et comme chaque investissement, il est raisonnable d’attendre un retour.

6. L’innovation ne doit pas être liée au ROI

L’innovation est liée au retour de l’investissement initial, tout en maîtrisant les risques (stratégiques, opérationnels, financiers). Il s’agit d’une pratique saine en tant que bon gestionnaire / entrepreneur / investisseur.

En améliorant les opérations et partant, les profits d’une entreprise, celle-ci pourra réinvestir dans d’autres activités et dans l’exploration d’autres idées. Peut-être que ces étapes itératives ne sont pas si attirantes que l’innovation proprement dite, mais cela a le mérite de créer un cercle vertueux qui justement, encourage encore plus l’innovation.

Donc oui, le ROI est important.

Malgré cela, le ROI est faussement perçu comme un instrument punitif.

Ainsi, les fameux innovateurs vont s’en aller pour créer leur propre entreprise. Bienvenue chers entrepreneurs dans le mode réel, celui où le ROI dicte même l’achat d’un stylo ou l’embauche d’une secrétaire pour répondre au téléphone, ceci afin de laisser l’innovateur penser tranquillement à ses idées. Or, en oubliant le ROI c’est oublier que l’innovation reste un processus long, avec des multiples itérations, validations, et nombreux résultats inconnus et sans garantie.

Voici comment le ROI (retour sur investissement) se transforme en RIP (qu’il repose en paix).

7. Pour innover il suffit de lire un ou plusieurs articles de blog, lire un ou plusieurs livres et suivre une formation

Le but d’un article de blog n’est pas de couvrir l’entier des concepts et méthodes liés à ce sujet complexe qui est l’innovation. Généralement, un livre n’a pas non plus cette portée. Quant à une formation, aussi certifiante soit-elle … n’en parlons même plus, car l’innovation ne s’apprend pas.

Un article de blog ou un papier, un livre, un atelier pratique ou autres formes de débat peuvent avoir l’avantage de présenter un angle différent et des approches nouvelles par rapport à une ou plusieurs idées. Mais ces moyens restent des outils à utiliser; ils ne remplacent ni l’expérience, ni la capacité d’évaluation et adaptabilité par rapport à l’entreprise en question.

Ensuite, les cas d’étude souvent présentés dans la littérature font référence à des grandes entreprises dont les processus et les moyens financiers et humains qui sont investis sont d’une très grande ampleur.

Dans la réalité sur le terrain et dans la majorité des cas, une entreprise s’autofinance. Vouloir reproduire à une toute petite échelle ce qui se fait à une échelle planétaire n’est pas réaliste.

8. Pour innover il suffit d’imiter et prendre l’exemple sur quelques grosses entreprises ou CEO à succès planétaire

Présenter une idée et vouloir devenir “le futur” grand Facebook ou l’Uber de la salade ou Ikea de la baguette à riz ne met pas en valeur les nouveaux concepts présentés à la direction ou aux investisseurs. Quelques fois, il y a des idées intéressantes, mais ces comparaisons n’ont pas lieu d’être pour un produit ou service réellement innovants.

En effet, les arguments et les exemples qui sont avancés n’ont pas assez de substance, ni représentation statistique, et encore moins de cohérence pour en débattre. De plus, ils ne possèdent aucun lien avec la situation concrète d’une autre entreprise.

Il faut garder à l’esprit que ce qui fonctionne pour une entreprise dans une zone géographique, secteur d’activité, limite temporelle, peut très bien ne pas marcher pour une autre malgré les quelques similitudes.

Étudier les méthodes utilisées dans quelques cas à succès et en tirer quelques approches pratiques … oui … mais vouloir reproduire à l’identique “un modèle d’innovation” représente la voie royale vers l’échec.

9. Pour innover, il suffit de se lancer sans aucune planification opérationnelle et financière

Il y a une part de vérité dans cette perception.

Effectivement, l’innovation est un processus dont le résultat est inconnu. Mais la planification est nécessaire pour pouvoir retenir, adapter et transformer ce qui marche tout en contrôlant au maximum les investissements en temps, ressources et argent.

Il ne suffit pas de prendre comme exemple telle ou telle entreprise ou CEO ayant réussi quelques lancements innovateurs et à grand succès planétaire. Ces réussites sont rares – c’est la raison pour laquelle elles sont répétées sous diverses formes comme un mythe de l’ère moderne.

Par ailleurs, la glorification des unicornes qui arrivent à développer une entreprise en commençant par seulement 500.- CHF comme investissement initial n’est rien d’autre qu’une déclaration mensongère.

Il m’est arrivé de discuter avec quelques entrepreneurs. À la question: “quelle est la chose la plus importante qui empêche de réaliser son idée” j’ai reçu invariablement la même réponse: ne pas savoir par où commencer ni comment trouver le support financier.

Sur ce point précis, voici l’essence même de l’innovation.

Qu’est-ce que l’innovation en question essaye d’apporter comme solution à un problème ? Est-ce simplement une idée, peut-être noble, peut-être curieuse, mais qui n’intéresse personne ? Est-ce que cette idée a un potentiel de gain ?

La vérité cruelle est que les idées ont peu d’importance, mais que tout le monde veut trouver une solution qui marche pour son ou ses problème(s). Et que pour arriver à innover et en gagner de l’argent il faut avoir le bon timing, le bon profit, le bon marché qui soit prêt, sans oublier le bon processus permettant d’arriver à destination. L’innovation est plus qu’une brillante idée.

Conclusion

Peut-être vous avez observé que l’image habituelle pour illustrer le concept de l’innovation est une ampoule qui s’allume. Cette perception reflète parfaitement la manière de concevoir l’innovation comme une sorte de magie limitée à un seul point initial. Mais c’est oublier le fait que l’innovation est le résultat de toute une équipe talentueuse, de l’ingénierie, des techniques avancées, des analyses, des essais, des leçons apprises.

Concevoir l’innovation comme le fait d’une seule personne est une approche réductrice qui ne fait qu’augmenter le taux d’échec par manque d’expérience et approche méthodologique par rapport à l’innovation.

L’innovation n’est pas un événement unique qui arriverait de manière fortuite dans le “département de production d’idées“. Au contraire, l’innovation est l’affaire de toute l’entreprise; les bonnes idées peuvent arriver de partout. Quant à la validation et la mise sur marché, il s’agit d’un travail de longue durée avec plusieurs étapes qui nécessitent du temps.

L’innovation est plutôt un ensemble d’ampoules qui s’allument de manière harmonieuse, un circuit entier (vu comme un processus) contrôlé par un ou plusieurs interrupteurs (garde-fous). Une entreprise “innovatrice par design” arrive à créer ce circuit qu’elle utilise et réutilise quand le besoin se fait sentir.

Oui, l’innovation est avant tout un processus.

Mettez en place le bon processus et l’innovation suivra.

 

 

 

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Elena Debbaut

Elena Debbaut possède plus de 25 ans de pratique dans le monde des affaires, un fort esprit entrepreneurial, ainsi qu’une expertise technologique polyvalente. Aujourd'hui, elle intervient comme spécialiste en restructuration opérationnelle sur des missions comme le redressement des entreprises et projets en difficulté. Ses clients sont aussi bien les grandes multinationales que les PME.