Discours prononcé à l’occasion du rassemblement du premier mai 2018 à Lausanne
Comme chaque année, on qualifie un peu vite notre premier mai de « fête du travail ». C’est une absurdité. Nous ne sommes pas là pour faire la fête, ou en tous cas pas uniquement. Car une chose est certaine: le travail n’est pas à la fête.
Ordonner le marché, civiliser le capitalisme: nos acquis
A la fin du XIXe siècle, au début du XXe siècle, les luttes des travailleurs et du mouvement ouvrier portaient sur le droit de ne travailler que 8 heures par jour – six jours par semaine, donc 48 heures en tout. Elles portaient sur la création de sécurités de base – pour la retraite, pour les situations de chômage, pour l’invalidité ou la maladie. Elles portaient sur la priorité de la vie sur le travail au sens propre comme au figuré: le droit de ne pas mourir au travail, et le droit d’entretenir une vie personnelle, sociale, familiale à côté du travail.
Ces acquis, ces lois et ces normes qui ont permis de civiliser le capitalisme, de faire régner un peu d’ordre humain dans le désordre du marché, ils ont toujours été attaqués. Je ne vais pas énumérer ces attaques.
Nouvelles offensives
Mais nous faisons face aujourd’hui à une offensive d’un genre nouveau. Ce ne sont plus seulement les faîtières patronales nationales et les partis bourgeois parlementaires qui sonnent la charge. Non, sous des étiquettes séduisantes et aguicheuses, ce sont aujourd’hui des multinationales du numérique qui s’attèlent méthodiquement à détruire l’ensemble de nos équilibres sociaux. Au nom de l’innovation, on cherche bel et bien, chères et chers collègues, à nous renvoyer non pas au XXe, mais au XIXe siècle, aux temps du travail à la journée, aux temps des horaires de 12 heures, aux temps de l’absence de toute couverture et de toute protection. Les reculs les plus massifs et les plus brutaux prennent aujourd’hui le prétexte universel du progrès technologique.
Il s’appellent Uber, Amazon, Google ou Airbnb. Leurs slogans parlent de liberté, de qualité, de mobilité. Mais ils ne sont rien d’autres que d’immenses et dangereux prédateurs.
Prédateurs de notre droit et des protections qu’il prévoit pour celles et ceux qui travaillent et doivent en tirer un salaire décent pour eux et leur famille.
Prédateurs de nos salaires, de leur niveau, par le dumping qu’ils encouragent, mais aussi de leur essence même, par la volonté de remplacer le contrat de travail par un rapport de prestataire à client, de faire de nous tous des auto-entrepreneurs isolés et assumant tous les risques, en concurrence permanente.
Prédateurs des structures mêmes qui les ont rendus possibles: ces champions du cambriolage fiscal organisé sur le plan international ont tous et dans une proportion inimaginable profité des acquis de la recherche universitaire, ils n’existeraient pas sans une main-d’œuvre qualifiée, ils font un usage immodéré des infrastructures publiques – logements, routes ou fibres optiques. Mais ils font tout pour ne pas contribuer un centime au financement de ces tâches étatiques, trop occupés qu’ils sont à en extraire jusqu’à la dernière parcelle de rente.
Leur caractéristique est aussi d’attaquer par tous les côtés, et toutes les normes à la fois: celles qui régissent les conditions de travail, mais aussi celles qui portent sur le service public des transports, celles qui limitent la spéculation immobilière, celles qui prévoient le prélèvement d’une partie des richesses produites pour financer les tâches collectives, celles qui régulent les marchés. Par une individualisation sans limite, ils rendent aussi impossible la lutte contre les discriminations et en particulier contre les inégalités salariales entre hommes et femmes.
Sauver la vie
Ce sont surtout les prédateurs de nos vies et de tout ce qui fait qu’elles valent la peine d’être vécues. Ce qu’ils risquent de manger, c’est nous, nos loisirs, nos jours de repos. Le premier mai est l’occasion de nous rappeler que nous avons la force du nombre. De rappeler que les machines et les algorithmes doivent servir les hommes et les femmes. De rappeler que nous pouvons et devons rester les maîtresses et les maîtres de nos destins, qu’il ne faut en aucun cas confier notre devenir commun aux solutions techniques d’une expertocratie technophile.
Nous ne sommes pas des proies, nous ne nous laisserons pas dévorer, et ensemble, nous pouvons tout ! Vive le premier mai et vive la capacité des forces sociales à se fédérer pour se défendre et pour conquérir.
pour ne pas devenir les esclaves de la technologie, il faut en devenir les maitres en apprenant à la comprendre et en tirer profit nous-même sans attendre qu’on vienne nous l’ imposer. En Suisse, nous avons préféré considérer que l’informatique n’était qu’un jouet et qu’il fallait conserver les emplois sérieux de la banque, des assurances et autres administrations, mais dans 20 ans ces métiers vont disparaitre au profit des applications à portée de tous sur nos smartphones. Dans l’industrie, les imprimantes 3D deviennent incontournables, …
Voulez-vous vous apitoyer sur vous-même ou prendre votre destin en main et dans ce cas ouvrir les yeux sur les métiers du futur et construire les formations dans ce sens ?
Dans le futur, hommes ou femmes deviendront des gestionnaires de données (financières, médicales, de transport, d’environnement, …) sur lesquelles on appliquera des algorithmes et des “machine Learning” fonctionneront à plein régime pour en sortir des résultats ou des prédictions. qui devront être interprétées.
Alors, il faut commencer à maitriser ces concepts au lieu de rêvasser au bon vieux temps !
Merci pour le commentaire. Je ne prône ni le refus des outils, ni le retour à un hypothétique “bon vieux temps”. Je dénonce le fait que sous le couvert de la technologie certains acteurs cherchent en fait à changer, en profondeur, l’organisation même de la société. Je pense que nous pouvons jouir des bienfaits de l’innovation sans pour autant renoncer à la loi, à la sécurité sociale, à la régulation des marchés. C’est tout.