Riccardo Scamarcio et la bande du cinéma

Interview. Riccardo Scamarcio est tout juste sorti de prison. Avec son fils, ce père criminel voyage du nord au sud de l’Italie dans le film de Guido Lombardi, Il ladro di giorni, présenté l’an dernier au festival du cinéma de Rome et dans les salles transalpines depuis le 6 février. Brève interview en français avec l’un des acteurs les plus populaires de la botte, vu dans le dernier film de Paolo Sorrentino Silvio et les autres et connu du public francophone pour ses rôles dans Polisse, Gibraltar ou encore Eden à l’ouest et, cette année, dans Les traducteurs, avec Lambert Wilson, au cinéma depuis le 29 janvier dernier.

 

Riccardo Scamarcio dans Les Traducteurs / © Magali Bragard

« En Italie, vous êtes un père criminel. Dans le même temps dans l’Hexagone, un traducteur italien. En quoi les industries cinématographiques des deux côtes des Alpes sont différentes ?

Je travaille en France depuis des années, j’ai collaboré avec Costa-Gavras ou encore Maïwenn, j’ai joué aux côtés de Gilles Lellouche et Tahar Rahim. Le travail et les dynamiques sont identiques, nous sommes en réalité une famille, une bande qui de Los Angeles à Rome en passant par Paris ou l’Afrique, est la même. Tu reconnais tout de suite les personnes qui font du cinéma. À part le problème de langue, rien ne change. Notre vie est précaire, faite d’attentes et d’hôtels. Nous sommes en quelques sortes des gypsies.

Tu as notamment interprété un criminel dans John Wick 2, avec Keanu Reeves. Dans Les traducteurs, ton rôle ne correspond pas à un cliché italien. Difficile pour un acteur transalpin à l’étranger de sortir des stéréotypes du mafieux ou du bellâtre ?

Au début, tu prends ce qui est offert. Tu ne peux pas vraiment choisir, tu te retrouves dans le deuxième rôle du méchant. Mais j’aime néanmoins travailler à l’étranger, car il est toujours question pour moi de musique : avec une langue qui n’est pas la tienne, tu es un autre, tu peux mieux te cacher. Les spectateurs étrangers ne me connaissent pas comme les Italiens, tout est donc plus facile. Ils ne te voient pas arriver, si l’on peut dire. Pour un comédien expérimenté comme moi, c’est une bonne chose, car je peux ainsi encore me sentir comme un adolescent qui en est à nouveau à ses débuts, c’est excitant.

Les spectateurs justement. En France l’an dernier, ils étaient deux fois plus nombreux dans les salles qu’en Italie. Comment tu l’expliques ?

Ils sont beaucoup occupés par leurs portables, leurs tablettes. Ils sont capturés par ces nouvelles façons de se divertir. D’après moi, le cinéma n’est pas le cinéma. Le cinéma n’est pas une salle, mais un point de vue, une façon de raconter. Je préfère personnellement aller au cinéma, mais je peux comprendre que les habitudes changent et il faut l’accepter. Il faut tout de même faire quelque chose, c’est à l’Etat d’intervenir.

En Italie, cette baisse d’affluence s’explique par 30 ans de désarticulation systématique du tissu culturel due à des raisons économiques et politiques. Mais le cinéma en tant qu’art a encore un grand rôle à jouer. Une œuvre comme Persée tenant la tête de Méduse d’Antonio Canova par exemple créait de l’empathie, poussait à la réflexion. Avec Internet aujourd’hui, on peut voir en même temps une décapitation et la publicité d’un shampoing. Seuls l’art et le cinéma peuvent contrer cette banalisation de la violence.

 

Riccardo Scamarcio et Augusto Zazzaro dans Il ladro di giorni / © Andrea Pirrello

Les Italiens peuvent te voir dans Il ladro di giorni. Qu’est-ce qui t’a poussé à interpréter ce rôle original de père criminel ?

Je joue un père plein de défauts, mais j’aimais l’idée que l’on pouvait pardonner ses défaillances, et que le spectateur pouvait malgré tout comprendre qu’au fond le plus important est l’amour pour un fils. J’aimais l’idée de pouvoir interpréter un personnage un peu extrême, en grande difficulté après être sorti de prison, retrouvant son fils et voulant l’utiliser pour une dernière commission criminelle. Il se rendra compte durant ce voyage combien en réalité il aime cet enfant, devenu entre temps un pré-adolescent, et combien il est important pour lui, et vice-versa.

Il était pour nous important de réaliser un film émotionnel, un mélodrame touchant aussi d’autres genres, comme le policier ou le roadmovie. En lisant le scénario, avec tout le respect pour Franco Zeffirelli, j’ai pensé à son film The champ avec John Voight, un film poignant, c’était notre intention.

Le récit se déroule le long d’un roadmovie, du nord au sud de l’Italie. Est-ce que Il ladro di giorni raconte aussi la péninsule ? 

Diviser l’Italie entre le nord et le sud est une erreur. L’Italie, d’après moi, doit être divisée entre l’Italie des villes et l’Italie des provinces. 50 millions d’Italiens sont des provinciaux. Nous racontons donc plutôt cette Italie des provinces. Mais il n’y a rien ici de typiquement italien. Pour moi, il n’y a pas de différence entre l’Italie et la Suisse par exemple, même si l’ordre et le désordre nous séparent. Mais les Suisses des campagnes sont sans doute les mêmes que ceux au sud des Alpes, les dynamiques sont identiques. »

 

Riccardo Scamarcio et Augusto Zazzaro dans Il ladro di giorni / © Andrea Pirrello

Antonino Galofaro

Diplômé en Histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, Antonino Galofaro est le correspondant du «Temps» en Italie.